Le Liban a désormais un nouveau conflit frontalier avec Israël qu’il accuse d’empiéter sur 860 km2 dans sa zone économique exclusive maritime de 25 500 km2 au total. Comment est né ce différend ? Quelles sont les règles internationales en matière
de définition des frontières maritimes ? Le Liban s’y est-il conformé ? Et Israël ?
Le Liban a-t-il commis une erreur en signant un accord mal ficelé avec Chypre dont les failles ont été exploitées par Israël ? Etc. Le Commerce du Levant répond à toutes ces questions et fait le point sur cette affaire complexe qui mêle diplomatie, droit
international, politique, géostratégie, technique cartographique et enjeux économiques.

Qu’est-ce qu’une zone économique exclusive ?

La zone économique exclusive (ZEE) est l’espace maritime sur lequel l’État côtier dispose du droit souverain d’explorer et d’exploiter à la fois les fonds marins, leur sous-sol et les eaux surjacentes. Elle s’étend sur une largeur maximale de 200 milles marins (370 km) définie en suivant la ligne de base (une ligne qui suit selon des règles assez précises la ligne côtière). La ZEE n’a cependant pas d’existence légale a priori. Il appartient à chaque pays de la définir à travers une loi. Cela suppose la délimitation des frontières de cet espace. Dans le cas d’une île isolée en pleine mer, cet exercice ne pose aucune difficulté. Les choses se corsent lorsque la zone des 200 milles d’un État chevauche celle d’un, voire celle de plusieurs autres États. La règle applicable alors est celle de l’équidistance.

Comment sont déterminées les frontières de la ZEE ?

En matière de frontière, il y a deux notions différentes : la détermination du tracé et la délimitation de la frontière. La détermination du tracé est une opération technique, mathématique, qui consiste à définir une série de coordonnées géodésiques en suivant les règles complexes mais claires du droit coutumier, du droit international et du droit de la mer consacré par la convention de Montego Bay de 1982. Mais, et c’est là la subtilité, déterminer une frontière ne vaut pas délimitation. Cette deuxième notion est un acte politique. Pour des raisons qui leur sont propres, deux États peuvent en effet d’un commun accord choisir une frontière dont le tracé diffère de celui que des juristes et des géographes ont établi en suivant les règles à la lettre, en respectant par exemple le principe de “l’équité”. Un tribunal peut aussi faire prévaloir une ligne de frontière légèrement différente de la frontière technique. A contrario, et c’est la source la plus commune des nombreux litiges frontaliers, deux États peuvent revendiquer deux tracés différents, soit parce que la configuration complexe de leur littoral (côtes profondément découpées ou bordées d’îlots, deltas, baies suffisamment profondes, etc.) les pousse à effectuer des calculs compliqués pour tracer leur ligne de base, soit pour des raisons purement politiques.
C’est le sens d’un communiqué de l’ambassade des États-Unis à Beyrouth qui ne s’étonne pas du fait que le Liban et Israël ont notifié des tracés différends, car il est « tout à fait normal dans le processus de délimitation des frontières internationales que ces revendications diffèrent ».

Comment résoudre un litige frontalier ?

Les cas de différends frontaliers de ce type sont très nombreux dans le monde. Lorsque la possibilité d’une solution pacifique existe, elle passe généralement par trois voies : le recours à la Cour internationale de justice de La Haye, le recours au Tribunal de la mer de Hambourg, institué par la convention de Montego Bay, ou le recours à une procédure arbitrale. Ces trois voies de recours ne sont pas applicables dans le cas présent, les deux États concernés n’ayant pas de relations diplomatiques, et le Liban ne reconnaissant pas Israël. La situation est compliquée par le fait que le Liban est signataire depuis 1995 de la convention sur le droit de la mer, ce qui suppose qu’il en applique les règles pour le tracé des frontières maritimes, alors qu’Israël ne l’est pas (pas davantage que la Syrie d’ailleurs, à sa frontière nord).

En quoi consiste le différend entre Israël et le Liban ?

Les diplomates et les connaisseurs du dossier savaient depuis plusieurs mois déjà qu’on risquait d’en arriver là. Mais le différend n’est officiellement constitué que depuis le 10 juillet 2011, date à laquelle Israël a officiellement adopté le tracé de sa zone économique exclusive. Sa frontière avec le Liban est nettement plus au nord que celle notifiée à l’ONU en juillet et octobre 2010 par Beyrouth. La frontière libanaise relie le point B1 à Ras Naqoura jusqu’à un point 23, qu’elle considère comme la pointe sud-ouest de sa zone économique exclusive ; tandis que le tracé israélien relie Ras Naqoura (en un point sensiblement différent de celui du Liban) à un point 1 situé 17 kilomètres plus au nord que le point 23 (voir la carte).

Quels sont les enjeux de ce nouveau différend ?

Alors que le contentieux du Liban avec Israël sur leur frontière terrestre est déjà assez lourd, aucun des deux pays n’avait pris la peine jusque-là de démarquer leur frontière maritime. Dans la pratique, le respect de cette frontière a bien sûr posé des problèmes : les pêcheurs du sud du Liban le savent bien qui se font arraisonner par la marine israélienne alors qu’ils affirment voguer dans les eaux libanaises. Mais ce n’est que la découverte du potentiel gazier du bassin levantin de la Méditerranée – US Geological Survey parle de plus de 3 000 milliards de mètres cubes de gaz, soit des dizaines de milliards de dollars – qui a finalement poussé les deux parties à se pencher sur la question.
L’apparition de ce nouveau différend frontalier est donc importante à deux niveaux : d’une part, il alimente d’une façon ou d’une autre la tension entre Israël et le Liban qui est susceptible de dégénérer en guerre à tout moment ; de l’autre, il a une implication directe sur les programmes offshore d’exploitation des gisements d’hydrocarbures dans lesquels les deux pays sont respectivement engagés (voir Le Commerce du Levant de février 2011).

Sur quoi se fonde le tracé du Liban ?

Mathématiquement, le tracé de la frontière suppose deux choses : définir le point de frontière sur le littoral et définir la ligne de base à partir de laquelle seront faits les calculs pour définir les coordonnées des différents points qui vont constituer la frontière. Pour simplifier, supposons que la ligne de base est toute droite, la frontière sera une perpendiculaire à cette ligne qui débute au point de frontière côtier. Comme la ligne de base n’est jamais droite, la frontière est la ligne médiane reliant une série de points équidistants du point le plus proche sur la ligne de base libanaise d’un côté et du point le plus proche sur la ligne de base israélienne de l’autre.
Le Liban a adopté comme point de départ de sa frontière maritime, le point B1 à Ras Naqoura, consacré par l’accord d'armistice de 1949 avec Israël comme le point de frontière terrestre le plus à l'ouest entre les deux pays. Ces coordonnées reprennent l’accord Paulet-Newcombe du 3 février 1922 entré en vigueur le 10 mars 1923 délimitant la frontière sud du Liban.
Pour dessiner sa ligne de base et calculer la série de coordonnées aboutissant au point 23, la pointe sud-ouest de sa ZEE, le Liban s’est fondé sur trois cartes : les cartes maritimes internationales n° 2634 et n° 183 de l’Amirauté britannique ; la carte de la direction des Affaires géographiques de l’armée libanaise pour la région de Naqoura. Ces cartes méritent d’être affinées par un système GPS du côté israélien, estiment les auteurs des calculs, mais elles sont largement suffisantes pour établir l’exactitude du tracé libanais de sa frontière sud, selon le général Abdel Rahman Shehaitly qui a supervisé le travail des cartographes de l’armée libanaise, ainsi qu’un professeur européen de droit international qui a étudié le dossier, interrogés par Le Commerce du Levant.
Le travail de l’armée libanaise a été qualifié « d’excellent sur le plan technique » par un expert étranger qui en a pris connaissance, mais a souhaité préserver son anonymat.
« Si on réunissait une assemblée de juristes et de cartographes d'horizons différents, ils parviendraient au même tracé, à quelque epsilon près, ajoute-t-il. Je suis certain que l'armée israélienne a elle-même établi ces mêmes coordonnées, totalement conformes aux normes internationales. »

Quand a été établi le tracé libanais ?

En matière de frontière, il ne suffit pas d’effectuer un tracé, aussi bon soit-il, mais il s’agit de le faire prévaloir politiquement. En la matière, le calendrier libanais s’est révélé très cahoteux.
Beyrouth a d’abord négocié avec Chypre le tracé de leur frontière commune. Un accord avec Nicosie a été signé en 2007 par le ministre des Travaux publics et des Transports de l’époque, Mohammad Safadi, qui avait été mandaté par le Conseil des ministres, en tant que responsable de la gestion des eaux du littoral. Cet accord n’a cependant jamais été adopté en Conseil des ministres, ni, a fortiori, ratifié par le Parlement. Les pressions de la Turquie qui s'oppose par principe à tout accord conclu par Nicosie sans l'aval de la partie turque de l'île sont souvent invoquées pour expliquer ces atermoiements.
Dans un second temps, le 29 avril 2009, une commission interministérielle de 10 membres présidée par le directeur général du ministère des Travaux publics et des Transports, Abdel Hafiz Kaissi, établit toutes les coordonnées géodésiques des frontières de la ZEE du Liban. Le tracé complète les points 1 à 6 définis dans l’accord avec Chypre. Au nord, il ajoute les points 7 à 17, ce dernier représentant le point de frontière terrestre entre le Liban et la Syrie. Au sud, il ajoute une série de points de 18 à 25, le premier coïncidant avec le point B1 de Ras Naqoura. Dans cette série, c’est le point 23 qui marque selon le Liban la pointe sud-ouest de sa ZEE et le point 7 sa pointe nord-ouest. Il s’agit là de points tripartites dont l’adoption officielle dépend de l’accord des trois États frontaliers. La carte de la ZEE libanaise est approuvée en Conseil des ministres quelques jours plus tard, le 13 mai 2009, mais elle n’a toujours pas été adoptée par le Parlement.
Dans un troisième temps, le Liban a notifié à l’ONU le tracé de sa frontière maritime avec Chypre et avec Israël, respectivement en juillet et octobre 2010, s’appuyant sur les points établis pour la détermination de sa ZEE.

Sur quoi se fonde le tracé israélien ?

Dans le tableau de l’ONU actualisé au 15 juillet 2011, il apparaît que la revendication par Israël des frontières de sa ZEE repose sur la législation israélienne en la matière. De fait, le 10 juillet, le gouvernement israélien a annoncé avoir adopté le tracé de sa zone économique exclusive. Israël n’étant pas signataire de la Convention sur le droit de la mer, elle n’a pas l’obligation de déposer à l’ONU les coordonnées géodésiques des frontières de sa ZEE. En revanche, en vertu du droit international, elle a l’obligation de la déclarer à travers une loi.
La frontière israélienne avec Chypre est délimitée en vertu de l’accord conclu entre les deux pays en décembre 2010 et entré en vigueur en février 2011.
En ce qui concerne sa frontière avec le Liban, Le Commerce du Levant n’a pas réussi à comprendre la localisation exacte de son point côtier de départ. Il est probable qu’il ne s’agit pas du même point B1 à Ras Naqoura adopté par le Liban, mais il ne s’en éloignerait pas de façon à créer une distorsion démesurée par rapport au tracé libanais. Israël refuse en effet de reconnaître que le point B1 constitue sa limite côtière la plus à l’ouest avec le Liban. La Finul négocie l'installation de bornes visuelles le long du tracé de la ligne bleue établie en 2000 pour constater le retrait israélien du Liban après 22 ans d'occupation. Elle y parvient pour les portions de la ligne qui correspondent à la frontière reconnue par les deux pays, mais est en bute à leurs contestations sur plusieurs autres portions du tracé. Fin 2011, 80 % des bornes auront été installées, selon son commandant Alberto Asarta (interview au quotidien al-Akhbar). Le point B1 de Ras Naqoura fait partie des points contestés par Israël.
En revanche, pour le point de terminaison de sa frontière maritime avec le Liban, Israël a clairement annoncé qu’elle le situait au point 1 de l’accord entre le Liban et Chypre, situé 17 km au nord du point 23 que le Liban considère comme sa frontière tripartite.
La déclaration du Premier ministre Benjamin Netanyahu à l’occasion de la proclamation de la ZEE israélienne établit sans ambiguïté le lien entre le tracé israélien et l’accord libano-chypriote : « Le tracé soumis par le Liban à l’ONU est plus au sud que celui qu’Israël propose. Il diverge du tracé sur lequel nous nous sommes entendus avec Chypre, et, ce qui est plus important encore à mes yeux, il diverge du tracé sur lequel le Liban lui-même s’est entendu avec Chypre en 2007. » En clair, Israël considère que le Liban a lui-même fixé sa frontière tripartite au point 1 de son accord avec Chypre.

Sur quelle base le Liban conteste-t-il le tracé israélien ?

Le principal argument du Liban est technique : il accuse Israël d’avoir tracé une frontière “arbitraire” sans tenir compte des règles du droit international maritime en la matière.
« Israël a toujours eu une notion élastique de la notion de frontière et n’est en tout cas pas signataire de la convention sur le droit de la mer », commente Sarkis Hlaiss, directeur des installations pétrolières au ministère de l’Énergie.
Pour lui, il ne fait aucun doute que le tracé israélien officiel est un acte purement politique, sachant que jusqu’à présent l’État hébreu a toujours paru s’en tenir à un autre tracé coïncidant grosso modo avec celui que le Liban a adopté.
Un diplomate occidental interrogé par Le Commerce du Levant sous le couvert de l’anonymat confirme cette lecture : « Le tracé libanais correspond à quelques exceptions près à la ligne de bouées installée en mer de longue date par Israël à sa frontière maritime nord. De même, les blocs de concessions pétrolières définies par l’État hébreu n’ont jamais dépassé cette limite. »
C’est en exploitant de façon opportuniste l’accord frontalier entre le Liban et Chypre qu’Israël a par la suite décidé de revendiquer un tracé situé plus au nord, estime ce diplomate pour qui Beyrouth a commis une “erreur” en laissant à son voisin du sud une telle marge de manœuvre.

L’accord libano-chypriote prête-t-il à confusion concernant le point 1 ?

Les avis divergent sur ce point. D’après plusieurs responsables libanais interrogés par Le Commerce du Levant, il a toujours été très clair lors des discussions avec Chypre que les points 1 et 6 n’étaient pas les points tripartites et qu’il fallait laisser une marge au sud comme au nord pour la définition ultérieure des points de frontière tripartite, respectivement avec Israël et la Syrie.
« Cette façon de faire est tout à fait conforme aux habitudes internationales en la matière, car deux pays ne peuvent pas s'engager sur un point de frontière tripartite qui, par définition, implique l’accord d’un troisième État », explique un expert, qui a souhaité l’anonymat.
Cependant « la façon dont le texte de l’accord a été rédigé n’a pas fermé totalement la porte à une telle interprétation, ce dont s’est empressé de profiter Israël ». L'article 3 de l'accord libano-chypriote prévoit que « si l'une des parties entame des négociations pour délimiter sa zone économique exclusive avec un État tiers, au cas où cette délimitation concerne les coordonnées de ces deux points (NDLR : 1 et 6), il incombe à cette partie d'informer l'autre et de la consulter avant de parvenir à un accord définitif avec cet État tiers ».
Le caractère non définitif des points 1 et 6 y est établi clairement, mais la confusion est possible quant à savoir s’il s’agit ou non de points tripartites.
Plusieurs voix se sont élevées au Liban pour déplorer “l’erreur” commise, d’autant que le pays sortait alors à peine de la guerre de 2006 et qu’il aurait fallu redoubler de vigilance au moment de la rédaction de l’accord avec Chypre afin d’écarter toute velléité expansionniste potentielle d’Israël.
Pour d’autres, à l’instar du ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, Gebran Bassil, l’erreur n’est pas libanaise, mais chypriote. Selon Sarkis Hlaiss, directeur général des installations pétrolières au ministère de l’Énergie, qui est en contacts réguliers avec l’administration chypriote depuis des années, il ne fait pas de doute que Nicosie était parfaitement au courant que le Liban n’a jamais considéré le point 1 comme sa frontière tripartite, d’autant que le tracé de la ZEE libanaise en avril 2009 est nettement antérieur à l’accord israélo-chypriote intervenu en décembre 2010. « Je ne m’explique pas l’attitude chypriote », dit-il.

Quel rôle Chypre a-t-elle joué ?

« L’accord libano-chypriote prévoit clairement que Nicosie devait se concerter avec Beyrouth avant de négocier avec un tiers les coordonnées d’un point de frontière tripartite », fait valoir Sarkis Hlaiss, selon qui cela n’a pas été fait.
Un expert indépendant interrogé par Le Commerce du Levant estime que juridiquement Chypre n’était pas tenu de respecter cet engagement, puisque l’accord libano-chypriote n’est jamais entré en vigueur, même s’il est possible selon lui d’invoquer une responsabilité “morale”. Le professeur européen de droit international interrogé par Le Commerce du Levant va plus loin en affirmant que d’une part « Chypre, comme quiconque se penche techniquement sur la question, sait parfaitement que le point 1 n’est pas le point de frontière tripartite du Liban ; et que, d’autre part, un accord, même s’il n’a pas été ratifié, oblige d’une certaine façon son signataire ».
Mais vu du côté chypriote, on peut aussi considérer que Nicosie a cherché avant tout à faire prévaloir ses intérêts nationaux : Chypre est parvenue à définir sa frontière orientale avec Israël et le Liban, même si cette dernière n’a pas encore été ratifiée. Que ses deux voisins se disputent le positionnement de leur frontière commune ne la concerne pas. L’île a par ailleurs de gros intérêts économiques avec Israël pouvant peut-être expliquer qu’elle ait fermé les yeux sur les velléités expansionnistes d’Israël : le groupe israélien Delek, partenaire de l’américain Noble Energy pour l’exploitation de plusieurs gisements gaziers au large d’Israël, dont le champ du Leviathan, a proposé de construire à Chypre une centrale de liquéfaction de gaz (GNL) destinée à approvisionner le marché européen. Delek et Noble Energy ont aussi une concession sur un bloc chypriote frontalier des eaux israéliennes.
Contacté par Le Commerce du Levant, l’ambassadeur de Chypre à Beyrouth n’a pas répondu à notre demande d’interview.

Comment le Liban a-t-il réagi ?

Le 19 mai 2011, le chef de la diplomatie libanaise Ali Chami a envoyé à Chypre une lettre de protestation contre l’accord conclu avec Israël. Elle est suivie par une autre lettre, en juin 2011, de son successeur Adnan Mansour adressée au secrétaire général de l’ONU, rappelant que la pointe sud-ouest de la ZEE libanaise se situe au point 23 et non pas au point 1, suivant le tracé déposé par Beyrouth à l’ONU en juillet et en octobre 2010.
Bien que juridiquement importantes, les protestations libanaises ne changent rien au fait que le Liban est désormais sur la défensive, obligé de prouver qu’une partie de sa zone économique exclusive est bien à lui, alors que de leur côté Chypre et Israël n’ont aucune contestation sur leur espace maritime.
La chronologie des faits montre que dans cette affaire Israël a agi de façon déterminée et rapide, tandis que le Liban, bien qu’apparemment dans son bon droit, n'a pas su mener une action diplomatique cohérente sur un dossier majeur.
Pour arrêter une stratégie officielle future, la création d’une commission de pilotage sous la direction du Premier ministre a été évoquée, mais pas confirmée.

Que doit faire le Liban pour préserver ses intérêts ?

Sur le plan légal, Beyrouth doit lever toute confusion juridique possible en établissant légalement sa zone économique exclusive, car, contrairement au plateau continental, la ZEE n’a pas d’existence juridique automatique. Or le plateau continental juridique qui, dans le cas du Liban, est de 200 milles quelle que soit la largeur du plateau continental physique (très étroit dans le cas du Liban) donne uniquement des droits souverains sur les fonds marins, alors que la ZEE donne des droits aussi sur les eaux surjacentes. « Rien n'empêche un État d'adopter une loi pour affirmer ses droits souverains sur sa ZEE sans pour autant la délimiter avec exactitude », explique un expert en réponse à la problématique de la délimitation de la frontière nord de la zone, en l’absence d’accord bilatéral avec la Syrie.
Sur le plan diplomatique, le Liban s’est contenté pour l’instant de demander l’aide des Nations unies. Jusqu’à présent aucune voie de solution n’a été proposée, sachant que l’ONU n'a pas la compétence pour imposer à deux États un tracé de frontière, celui-ci devant être le fruit d’une négociation bilatérale (voire trilatérale). La Finul a déclaré que son mandat se limite à la ligne bleue terrestre, mais n’a pas exclu son élargissement éventuel à une ligne bleue maritime (interview du commandant Alberto Asarta au Akhbar). Elle pourrait alors parrainer des négociations indirectes entre les deux parties sur le modèle des coordinations sécuritaires déjà en vigueur dans le sud du Liban.
D’autres intermédiaires sont aussi possibles en cas d’acceptation des deux parties du principe de la négociation indirecte devant aboutir à deux déclarations unilatérales concordantes. Washington a déclaré être prêt à fournir de l’aide aux deux parties pour résoudre ce différend, démentant avoir pris parti pour l’un ou l’autre des deux voisins, comme l’en accusait la presse israélienne.
Chypre pourrait aussi servir d’intermédiaire. Dans une lettre envoyée à son homologue libanais à la suite des protestations du Liban, le chef de la diplomatie chypriote Marco Kyprianou assure que les points tripartites ne peuvent être définis qu’en accord entre les trois États concernés et suggère la formation d’une commission libano-chypriote pour trouver une solution (selon le texte de la lettre publié par as-Safir).
La stratégie libanaise est cependant tributaire de l’attitude israélienne : l’État hébreu peut décider de lier ce nouveau litige à la résolution de tout le contentieux avec le Liban, le remettant concrètement aux calendes grecques.
Dans ce cas, Beyrouth réfléchit à la possibilité de dénoncer devant le Conseil de sécurité les agissements israéliens comme une menace contre la paix et la sécurité internationales afin d’obtenir une résolution contraignante, sous le chapitre 7 de la Charte de l’ONU, empêchant tout forage dans la zone faisant l’objet du litige. « Même si Israël ne respecte pas la résolution, les compagnies internationales ne s’aventureront pas dans une zone qualifiée de disputée par l’ONU », a déclaré Mohammad Kabbani le 19 juillet à l’issue d’une réunion sur le sujet de la commission parlementaire qu’il préside.

Où en est le programme pétrolier du Liban ?

Le différend avec Israël ne remet pas en cause le calendrier du programme pétrolier du Liban, a affirmé au Commerce du Levant le ministre de l’Énergie, Gebran Bassil. Les décrets d’applications de la loi-cadre sur l’exploration et le forage au offshore approuvée en août 2010 par le Parlement sont prévus pour la fin 2011 et les premiers appels d’offres pour début 2012. Les résultats d’une étude sismique en trois dimensions de la société PGS sur une troisième zone potentiellement riche en gaz ainsi que ceux d’une deuxième étude en 2D sont attendus en octobre. Les précédents résultats s’étaient révélés « très prometteurs », selon le ministre de l’Énergie : « Une vingtaine de compagnies internationales, dont certaines des plus grandes mondiales, ont déjà acheté les données. »
 

Chronologie

2000 et 2002. La société Spectrum réalise à la demande du Liban des études sismiques en deux dimensions qui établissent la présence potentielle de gaz dans les fonds sous-marins du Liban.
2004. Lancement de la première plate-forme gazière Mari-B, dans le sud des eaux israéliennes, dont le potentiel de production n’est pas exceptionnel. La compagnie Noble Energy y a une part de 47 %.
2006. Première étude sismique en 3D effectuée par la société PGS dans la partie centrale du bassin levantin, dans les eaux libanaises, sur 1 550 km2.
17 janvier 2007. Conclusion d’un accord frontalier entre le Liban et Chypre. Transmis en Conseil des ministres, il n’a jamais été adopté.
2007. Deuxième étude sismique en 3D effectuée par la société PGS à cheval sur les eaux chypriotes et libanaises : avec 660 km2 couverts côté libanais.
2008. Étude sismique en 2D sur 5 000 km2 effectuée par PGS dans la ZEE libanaise.
29 avril 2009. Une commission libanaise définit les coordonnées de la zone économique exclusive du Liban.
13 mai 2009. La carte de la ZEE libanaise est approuvée en Conseil des ministres.
2009. Israël vend au consortium américano-israélien Noble Energy – Delek Drilling les licences pour l’exploitation des blocs de concessions Alon A, Alon B et Alon C situés dans le nord de sa zone maritime, mais pas ceux qui sont frontaliers du Liban, à savoir Alon D, E et F. La bordure nord des blocs  Alon est située à un angle de 291 degrés par rapport à la côte libanaise, ce qui correspond à l’angle de la frontière tracée par le Liban et pas à celle qu’a établie Israël en juillet 2010.
2009. Les forages réalisés par Noble Energy dans deux autres gisements au large d’Israël, Tamar 1 et 2, se révèlent très prometteurs. La capacité est estimée à 180 milliards de mètres cubes, soit au moins trois fois de plus que la demande de gaz en Israël. C’est le plus gros gisement de gaz naturel découvert cette année-là.
Avril 2010. US Geological Survey dit que le bassin levantin de la Méditerranée recèle potentiellement 3 500 milliards de mètres cubes de gaz, soit la moitié environ des réserves prouvées aux États-Unis.
2010. Noble Energy annonce que le champ Leviathan contient au moins 450 milliards de m3 de gaz.
17 août 2010. Le Parlement libanais approuve une loi-cadre sur l’exploration et le forage au large du Liban. Les décrets d’applications sont prévus pour la fin 2011 et les premiers appels d’offres pour début 2012.
Juillet et octobre 2010. Le Liban notifie au secrétariat général de l'ONU les coordonnées géodésiques du tracé ouest et sud de sa zone économique exclusive.
Décembre 2010. Accord entre Chypre et Israël qui est ratifié par les deux parties et entre en vigueur en février 2011.
Janvier 2011. La société israélienne Delek, partenaire de Noble Energy, propose à Chypre l’installation sur l’île d’infrastructures destinées à fournir au marché européen le gaz extrait du champ Leviathan.
2011. Deuxième étude sismique de PGS en 2D sur 3 814 km2 dans les eaux libanaises.
2011. Troisième étude sismique en 3D de PGS sur une zone de 1 395 km2 dans la partie sud des eaux libanaises, dont les résultats sont attendus en octobre.
19 mai 2011. Lettre de protestation du chef de la diplomatie libanaise Ali Chami adressée à Nicosie à l’issue de la signature de l’accord frontalier israélo-chypriote.
20 juin 2011. Le ministre des Affaires étrangères Adnan Mansour envoie une lettre de protestation au secrétaire général de l’ONU lui rappelant que le Liban considère que sa frontière avec Israël va du point 1B au point 23 et non pas au point 1 de son accord avec Chypre.
28 juin 2011. Lettre du chef de la diplomatie chypriote Marco Kyprianou à son homologue libanais dans laquelle il assure que l’accord israélo-chypriote ne porte pas atteinte aux droits du Liban car, à l’instar de l’accord libano-chypriote, il prévoit les mécanismes de révision des points définis dans l’accord à la lumière des accords conclus avec des parties tierces. Le ministre rappelle que les points tripartites ne peuvent être définis qu’en accord entre les trois États concernés et suggère la formation d’une commission libano-chypriote pour trouver une solution.
10 juillet 2011. Le gouvernement israélien adopte le tracé de sa zone économique exclusive qui considère le point 1 de l’accord avec Chypre comme son point frontalier avec le Liban.