En février 2013, c’est le fabricant de bouteilles de verre Soliver qui a à son tour déposé une plainte auprès du ministère de l’Économie et du Commerce pour obtenir une protection douanière. La société libanaise souhaite une augmentation de 30 % des taux de douane sur les bouteilles en verre importées, et ce pour une période de deux ans. Soliver invoque la forte hausse des importations ces trois dernières années (+38 % en volume et +31 % en valeur) ainsi qu’une concurrence étrangère déloyale sur les prix. « Nos coûts de production sont supérieurs aux prix des produits importés, alors que ces derniers comprennent le transport des marchandises. En Égypte, l’un des principaux exportateurs, les coûts de fabrication sont environ 35 % inférieurs aux nôtres », soutient Omar Kaddoura, le directeur général de Soliver. La société libanaise s’estime surtout pénalisée ces dernières années par le coût très élevé de l’électricité et l’envolée du prix des combustibles, qui représente entre 30 et 40 % du coût de fabrication d’une bouteille de verre. Entre janvier 2010 et janvier 2013, le prix du litre de fioul et de la tonne de gaz a augmenté de plus de 30 %, tandis que le litre de mazout a connu une flambée de 76 %. « Comment peut-on rivaliser quand nous payons le litre de fioul dix fois plus cher qu’en Égypte et douze fois plus cher qu’au Koweït ? » s’interroge le directeur général de Soliver. « Nous avons dû baisser nos tarifs de 6 % depuis 2011 pour ne pas prendre le risque de perdre des clients. Nos marges commerciales ne sont plus que de 2 à 3 % par an, alors qu’elles dépassaient les 10 % avant 2010 », explique Omar Kaddoura. La société n’est cependant pas menacée de fermeture : le nombre d’employés n’a pas diminué, sa part de marché s’est réduite, mais de « façon minime » en 2012, avec une stabilisation des ventes, selon la direction de Soliver.

Risque de “précédents”

La société jouit d’une position de monopole sur le marché libanais depuis le bombardement israélien de l’usine MaLiban en 2006 et produit 43 000 tonnes de bouteilles de verre par an, l’équivalent de 65 % de parts de marché, selon la direction de Soliver. « Si notre proposition de taxe est validée, nos coûts de fabrication ne seront plus supérieurs à ceux des produits importés, et notre production locale pourra être sécurisée. Dans le cas inverse, nous risquons de faire faillite ces prochaines années », affirme Omar Kaddoura. La nouvelle taxe pourrait cependant handicaper d’autres chaînons de l’industrie locale, notamment les fabricants de jus. « Le prix des bouteilles va nécessairement augmenter, et il nous sera plus compliqué de rester compétitifs, surtout dans la phase difficile que traverse le marché. Certains fabricants pourraient être tentés de se délocaliser à l’étranger ou même de se reconvertir sur le long terme dans l’utilisation de bouteilles en plastique », explique Alain Tabourian, PDG de la société Interbrand, fabricant des jus Libby’s et X-TRA jus, et principal client de Soliver. Pour l’ancien ministre de l’Énergie, la hausse des barrières douanières constitue surtout une solution de facilité, qui contredit les accords de Zone arabe de libre-échange (Gafta en anglais), sans être pour autant durable. « Il existe d’autres procédés pour rationaliser les coûts de production, en explorant des systèmes moins coûteux en énergie, ou en réalisant des innovations techniques, comme la fabrication de bouteilles plus légères pour diminuer le coût de revient, soutient Alain Tabourian, qui pointe le risque de dérives. Si chaque secteur intermédiaire de l’industrie libanaise demande des protections douanières, où va-t-on s’arrêter ? L’État risque de créer d’inquiétants précédents. »