L’économiste Toufic Gaspard a réalisé une étude sur la composition de la population et du marché du travail libanais par nationalité à la suite de l’afflux de réfugiés syriens au Liban qu’il a présentée lors d’une conférence de la Ligue maronite. Entretien.
Quelles sont les principales conclusions de votre étude ?
En 2016, les Libanais ne représentent plus que 44 % des personnes exerçant une activité au Liban, toutes nationalités confondues, contre 54 % en 2011, date du déclenchement du soulèvement en Syrie. Ils sont 1,039 million de Libanais à occuper un emploi, alors que 522 000 sont au chômage, ce qui correspond à un taux de chômage de 33 % de la population active libanaise, contre 11 % cinq ans plus tôt. Parallèlement, la part des ressortissants syriens est désormais de 31 % des personnes exerçant une activité (contre 22 % il y a cinq ans), ce qui correspond à 726 000 personnes, et celle des autres nationalités de 25 %.
Ce bouleversement du marché de l’emploi est la principale conséquence du changement démographique que vit le Liban : en 2016, les Libanais ne représentent plus que 61 % de la population établie dans le pays, contre 71 % en 2011 (un niveau déjà faible), tandis que la part des ressortissants syriens est passée de 11 à 24 % ; la part des autres nationalités passant de 18 à 15 % en 2016.
Je précise que ces estimations sont conservatrices, car pour chaque chiffre j’ai pris la partie la plus basse de la fourchette et il est probable que la part des étrangers soit plus importante encore en réalité.
Comment en êtes-vous arrivé à ces chiffres ?
À défaut d’enquêtes statistiques nationales sérieuses et détaillées sur la démographie et le marché de l’emploi, j’ai compilé les différentes données disponibles réalisées par différentes organisations internationales et je les ai complétées par des entretiens avec des responsables de la Sûreté générale. Dans l’annexe de mon étude, je précise mes méthodes de calcul en détail. Les études disponibles ne font jamais la part des Libanais et des non-Libanais dans la population active, alors que la part des étrangers a toujours été importante dans le pays. Or cette distinction est devenue cruciale ces dernières années en raison de l’afflux d’un grand nombre de réfugiés syriens au Liban qui en fait de loin le plus grand pays d’accueil de réfugiés au monde.
Les entreprises continuent de substituer des milliers d’employés syriens aux Libanais dans pratiquement toutes les activités économiques. Quelque 360 000 Libanais de plus ont été contraints au chômage sur la période 2011-2016. Sachant que, sur la base d’une estimation de la Banque mondiale en 2014, quelque 200 000 Libanais de plus ont franchi le seuil de pauvreté.
La substitution des employés syriens aux libanais atteint selon vous une ampleur inégalée. Comment l’expliquez-vous ?
Alors que les emplois syriens étaient jusque-là concentrés dans l’agriculture et la construction, ils sont désormais de plus en plus visibles dans l’industrie et toutes les entreprises de services : restaurants, hôtels, commerces de gros et de détail, hôpitaux et centres médicaux, cabinets d’ingénieurs et même d’avocats, etc. Il y a aussi des milliers de petites entreprises illégales appartenant à des Syriens opérant dans le commerce et les services.
En réalité, tous les Syriens établis au Liban ne sont pas de véritables réfugiés fuyant la guerre, car beaucoup d’entre eux sont attirés par les avantages économiques qu’ils y trouvent. Les Syriens les plus pauvres sont notamment attirés par les aides distribuées par les organisations internationales aux réfugiés. Et, surtout, les actifs syriens savent qu’ils peuvent aspirer à des revenus plus élevés au Liban ou tout simplement y trouver du travail alors qu’ils sont au chômage en Syrie. Et ce, même si les revenus qu’ils acceptent sont parfois inférieurs de moitié par rapport à ceux des Libanais. Comme, de plus, ces employés syriens ne coûtent rien aux employeurs en termes de cotisations sociales, ils trouvent côté libanais un terrain d’autant plus favorable que les lois sont mal appliquées. Les autorités libanaises ne disent et ne font rien pour résoudre cette situation dont les conséquences sont néfastes tant pour les Syriens que pour les Libanais. Cette politique de “laisser-faire” et de “laisser-aller” les rend tacitement complices d’employeurs qu’il s’agit implicitement d’indemniser pour les pertes subies depuis 2011, sans tenir compte de l’impact socio-économique et politique d’une telle attitude. C’est pourtant l’existence du Liban en tant qu’entité politique qui est en jeu.
Que recommandez-vous ?
D’abord, le Liban doit contrôler le nombre de réfugiés et d’actifs syriens qu’il accueille. Il devrait en particulier refuser ceux qui ne sont pas en danger dans leur région d’origine, mais ne viennent que pour des raisons économiques. C’est un principe appliqué par tous les pays du monde.
Ensuite, l’emploi de ressortissants syriens ou étrangers doit être soumis aux lois et aux réglementations libanaises sous peine de sanctions pour les entreprises contrevenantes. Aucun gouvernement n’accepterait, comme le fait celui du Liban, le licenciement d’employés nationaux, au profit d’une main-d’œuvre étrangère. L’établissement de quotas pourrait être un moyen de régulation à envisager.
Enfin, les employés syriens ont des droits. Un salaire minimum et des avantages sociaux sont considérés aujourd’hui comme des droits de base. Est-ce utopique de croire que les autorités libanaises et les entreprises doivent les accorder tant aux Libanais qu’aux employés de toutes nationalités ? Cela relève des droits humains les plus élémentaires, de l’application de la loi et de la promotion de la paix sociale.
En 2016, les Libanais ne représentent plus que 44 % des personnes exerçant une activité au Liban, toutes nationalités confondues, contre 54 % en 2011, date du déclenchement du soulèvement en Syrie. Ils sont 1,039 million de Libanais à occuper un emploi, alors que 522 000 sont au chômage, ce qui correspond à un taux de chômage de 33 % de la population active libanaise, contre 11 % cinq ans plus tôt. Parallèlement, la part des ressortissants syriens est désormais de 31 % des personnes exerçant une activité (contre 22 % il y a cinq ans), ce qui correspond à 726 000 personnes, et celle des autres nationalités de 25 %.
Ce bouleversement du marché de l’emploi est la principale conséquence du changement démographique que vit le Liban : en 2016, les Libanais ne représentent plus que 61 % de la population établie dans le pays, contre 71 % en 2011 (un niveau déjà faible), tandis que la part des ressortissants syriens est passée de 11 à 24 % ; la part des autres nationalités passant de 18 à 15 % en 2016.
Je précise que ces estimations sont conservatrices, car pour chaque chiffre j’ai pris la partie la plus basse de la fourchette et il est probable que la part des étrangers soit plus importante encore en réalité.
Comment en êtes-vous arrivé à ces chiffres ?
À défaut d’enquêtes statistiques nationales sérieuses et détaillées sur la démographie et le marché de l’emploi, j’ai compilé les différentes données disponibles réalisées par différentes organisations internationales et je les ai complétées par des entretiens avec des responsables de la Sûreté générale. Dans l’annexe de mon étude, je précise mes méthodes de calcul en détail. Les études disponibles ne font jamais la part des Libanais et des non-Libanais dans la population active, alors que la part des étrangers a toujours été importante dans le pays. Or cette distinction est devenue cruciale ces dernières années en raison de l’afflux d’un grand nombre de réfugiés syriens au Liban qui en fait de loin le plus grand pays d’accueil de réfugiés au monde.
Les entreprises continuent de substituer des milliers d’employés syriens aux Libanais dans pratiquement toutes les activités économiques. Quelque 360 000 Libanais de plus ont été contraints au chômage sur la période 2011-2016. Sachant que, sur la base d’une estimation de la Banque mondiale en 2014, quelque 200 000 Libanais de plus ont franchi le seuil de pauvreté.
La substitution des employés syriens aux libanais atteint selon vous une ampleur inégalée. Comment l’expliquez-vous ?
Alors que les emplois syriens étaient jusque-là concentrés dans l’agriculture et la construction, ils sont désormais de plus en plus visibles dans l’industrie et toutes les entreprises de services : restaurants, hôtels, commerces de gros et de détail, hôpitaux et centres médicaux, cabinets d’ingénieurs et même d’avocats, etc. Il y a aussi des milliers de petites entreprises illégales appartenant à des Syriens opérant dans le commerce et les services.
En réalité, tous les Syriens établis au Liban ne sont pas de véritables réfugiés fuyant la guerre, car beaucoup d’entre eux sont attirés par les avantages économiques qu’ils y trouvent. Les Syriens les plus pauvres sont notamment attirés par les aides distribuées par les organisations internationales aux réfugiés. Et, surtout, les actifs syriens savent qu’ils peuvent aspirer à des revenus plus élevés au Liban ou tout simplement y trouver du travail alors qu’ils sont au chômage en Syrie. Et ce, même si les revenus qu’ils acceptent sont parfois inférieurs de moitié par rapport à ceux des Libanais. Comme, de plus, ces employés syriens ne coûtent rien aux employeurs en termes de cotisations sociales, ils trouvent côté libanais un terrain d’autant plus favorable que les lois sont mal appliquées. Les autorités libanaises ne disent et ne font rien pour résoudre cette situation dont les conséquences sont néfastes tant pour les Syriens que pour les Libanais. Cette politique de “laisser-faire” et de “laisser-aller” les rend tacitement complices d’employeurs qu’il s’agit implicitement d’indemniser pour les pertes subies depuis 2011, sans tenir compte de l’impact socio-économique et politique d’une telle attitude. C’est pourtant l’existence du Liban en tant qu’entité politique qui est en jeu.
Que recommandez-vous ?
D’abord, le Liban doit contrôler le nombre de réfugiés et d’actifs syriens qu’il accueille. Il devrait en particulier refuser ceux qui ne sont pas en danger dans leur région d’origine, mais ne viennent que pour des raisons économiques. C’est un principe appliqué par tous les pays du monde.
Ensuite, l’emploi de ressortissants syriens ou étrangers doit être soumis aux lois et aux réglementations libanaises sous peine de sanctions pour les entreprises contrevenantes. Aucun gouvernement n’accepterait, comme le fait celui du Liban, le licenciement d’employés nationaux, au profit d’une main-d’œuvre étrangère. L’établissement de quotas pourrait être un moyen de régulation à envisager.
Enfin, les employés syriens ont des droits. Un salaire minimum et des avantages sociaux sont considérés aujourd’hui comme des droits de base. Est-ce utopique de croire que les autorités libanaises et les entreprises doivent les accorder tant aux Libanais qu’aux employés de toutes nationalités ? Cela relève des droits humains les plus élémentaires, de l’application de la loi et de la promotion de la paix sociale.