Drapeau libanais, hymne national et V de la victoire, un vent patriotique souffle sur le monde de la pub. L’actualité fait vendre. Phénomène éphémère ou tendance de fond ?
Depuis un an, la Révolution des cèdres tient le haut de l’affiche. Rythmant le quotidien des Libanais, elle s’est imposée comme une source d’inspiration majeure pour les créatifs
publicitaires qui l’ont déclinée en autant de visuels truffés de symboles nationaux. Mais s’inscrire dans une actualité hautement politisée est aussi un pari risqué. Les panneaux
aux couleurs libanaises s’estompent progressivement dans le paysage urbain.
L’affiche d’Exotica – une composition végétale en forme de drapeau – est la publicité phare de l’année 2005. Conçue par l’agence H&C Leo Burnett, elle a été plébiscitée par les professionnels du secteur qui lui ont attribué le Picasso d’Or 2005, le premier prix d’affichage au Liban, et l’Epica de bronze, le prestigieux prix européen décerné pour la première fois
à des Libanais. « Tout le monde a adoré, se souvient Omar Boustany, qui a travaillé sur le projet. Au début, cette campagne devait être relativement restreinte, mais son succès a été si grand et l’impact si fort pour l’annonceur que nous avons multiplié le nombre de visuels. »
À l’origine de cette success story, un petit groupe de créatifs qui se réunit chaque année pour proposer un concept original à un client. Le brainstorming coïncide avec l’effervescence
liée à la manifestation monstre du 14 mars 2005. À l’extérieur, les couleurs nationales ont déjà envahi les façades des immeubles. Exotica, justement, se prépare à commander une campagne pour promouvoir ses plantes de balcon. L’idée s’impose d’elle-même. Elle fait un tabac, car elle touche directement une population qui vit un drapeau libanais à la main. « Mais attention, précise Saïd Francis, de l’agence Saatchi and Saatchi, pour que le concept fonctionne, il ne faut pas qu’il soit gratuit. » Dans le cas d’Exotica, il l’est d’autant moins que l’entreprise a pour slogan : “Make a difference”.
La marque de vêtements Aïzone surfe aussi sur la vague. Sa cible étant la jeunesse libanaise, elle se positionne clairement, bien avant le printemps 2005, dans le créneau de la “pub à message” – en 2003, elle communique, au second degré, sur le thème “support censorship”. Peu avant l’intifada de l’indépendance, elle doit lancer de nouvelles affiches autour du mot “vote”. En mai, les citoyens s’apprêtent effectivement à déposer leurs bulletins dans les urnes pour les élections législatives et le moment semble idéal pour lancer la campagne. Là aussi, la référence est justifiée et se révèle porteuse pour la compagnie.
Quelques mois plus tard, Aïzone colle encore une fois à l’actualité avec un nouveau slogan : “Dependance 06”. « L’expression “Indépendance 05” était sur toutes les lèvres et les jeunes se sentaient concernés ; nous avons donc travaillé là-dessus, raconte Carma Andraos, de H&C Leo Burnett. Nous avons malgré tout gardé un côté léger, drôle et irrévérencieux. » La jeunesse adore, mais l’expérience devrait s’arrêter là. Selon un responsable d’Aïzone « aller plus avant dans ce créneau pourrait se révéler préjudiciable. Nous ne voulons pas que nos clients nous associent à un quelconque mouvement politique ».
C’est effectivement la ligne rouge à ne pas dépasser aux yeux de tous les créatifs. « Il est fondamental d’éviter l’amalgame entre le consommateur et le citoyen, analyse Nagi Boulos, directeur général de Memac Ogilvy. Nous sommes dans un pays où il y a beaucoup de sensibilités politiques et religieuses, certains symboles divisent, il faut être très prudent. » Son agence a proposé au printemps une campagne de communication originale aux vins “Domaines Wardy” : une cuvée spéciale baptisée “Cuvée du Liban” et numérotée de un à 10 452, en référence à la superficie du pays. « Elle a eu un impact énorme pour l’entreprise et généré beaucoup de ventes», se félicite le publicitaire. Et la règle fut respectée à la lettre, car difficile de voir dans le mot “Liban” une quelconque prise de position en faveur d’un parti ou d’un autre.
De manière générale, toutes les publicités ayant flirté avec l’actualité brûlante de ces derniers mois se sont astreintes à des slogans très généraux susceptibles de fédérer l’ensemble des consommateurs. Ainsi, la Byblos Bank a utilisé l’hymne national libanais, MTC Touch le V de la victoire et le Syndicat des consommateurs a repris les couleurs du drapeau.
L’idée étant, dans une période où l’avenir politique du pays s’impose comme la préoccupation numéro un de la population, de s’inscrire dans le mouvement sans basculer dans la prise de position. « Apporter sa contribution à un combat qui mobilise tout le monde suscite de la sympathie pour la marque, car nous avons l’impression qu’elle nous comprend
et qu’elle se tient à nos côtés, explique un créatif. Mais il faut aussi prendre garde à ne pas lasser les gens. »
Nombre de professionnels estiment que le phénomène, à l’image de la Révolution des cèdres, est en train de s’essouffler.