Certains empires se bâtissent dans la discrétion, comme en a témoigné le rachat quasi incognito de Madinat al-Mafrouchat par Salah Osseiran, patron de la holding BPC. Un groupe qui, désormais, cherche ailleurs les moyens de faire survivre ses employés libanais.
Tout allait pour le mieux chez BPC
(Business Projects Company), l’une des
holdings les plus dynamiques du Liban,
appartenant à Salah Osseiran. À 51 ans, cet
homme sans fioritures règne sur une quarantaine
de sociétés dans une dizaine de pays,
pour un chiffre d’affaires global de 450 millions
de dollars l’année dernière. Aujourd’hui,
selon Osseiran, BPC affiche d’ores et déjà un
manque à gagner de plus d’un million de dollars
au Liban, mais elle résiste autant que
possible à la tempête.
« Beaucoup de sociétés prennent des mesures
de plus en plus sévères : licenciements massifs,
réduction de salaires. Pour l’instant, je mets tout
en oeuvre pour éviter d’en arriver là », assure-til.
Il explique avoir toujours voulu gérer à partir
du Liban ses nombreuses entreprises dans le
monde, car il considère avoir ici une véritable
famille professionnelle. « Les pertes financières
sont graves, évidemment, mais elles sont
secondaires face au désastre humain. »
Des débuts inattendus
La réussite de Salah Osseiran repose sur
un principe simple : “Prendre son temps
pour comprendre la culture de chaque
pays”. Osseiran est bien placé pour
savoir combien cette philosophie est
importante ; en 1977, parti de pas
grand-chose (son père, originaire de
Saïda, travaillait dans le transport maritime)
avec un diplôme de droit en poche,
il quitte le Liban en pleine guerre civile
pour l’Arabie saoudite où il travaille en
tant que consultant auprès des géants
internationaux de l’industrie pétrolière
lourde. « Je conseillais les sociétés européennes,
américaines ou japonaises dans
leur approche du pays », explique
l’homme d’affaires qui, de son côté, thésaurisait.
Au milieu des années 1980, ses
économies lui permettent d’investir pour
la première fois aux États-Unis. Avec
deux millions de dollars, il achète en
1988 la majorité des parts du CTI
Group, un producteur de logiciels coté
au Nasdaq, et investit dans des projets
immobiliers ponctuels : hôtels, parcours
de golf, etc. Le hasard veut ensuite
qu’au moment du déclenchement des
hostilités dans le Golfe en 1990, une
société suédoise lui soit proposée en
règlement d’une dette. Avec un pied en
Europe, la machine était vraiment lancée…Les sociétés libanaises du groupe vivent
pour l’instant sur leurs réserves financières.
Elles bénéficient en outre de la solidarité
des autres entreprises d’une holding en
excellente santé : depuis 1993, le chiffre
d’affaires de BPC croissait de 20 % tous
les ans avec une régularité presque horlogère.
« Mon objectif final était un chiffre
d’affaires annuel de 1,5 milliard de dollars
d’ici à dix ans, pour que je puisse prendre
sereinement ma retraite, espérait
Osseiran. Rien qu’au cours des trois derniers
mois, nous avions finalisé l’acquisition
de six entreprises différentes. »
Fairford Holding (sa seconde holding,
chargée de l’Europe et de l’Amérique du
Nord) venait de racheter la société de balisage
française Thorn disposant de
bureaux en Australie, à Hong Kong et au
Qatar. Elle s’était implantée dans le même
temps en Hollande, avait acquis une filiale
de Shell et racheté à Emirates Airlines une
société commercialisant des chocolats...
Cette implantation diversifiée sur le plan
géographique et sectoriel a permis à BPC
de mettre en place des synergies efficaces.
Aujourd’hui, elles contribuent largement à
la résistance du groupe libanais à la crise.
Alors que beaucoup de sociétés locales
axées sur l’export sont dans l’incapacité de
fonctionner, certaines entreprises libanaises
de BPC travaillent à partir de l’étranger
vers d’autres marchés étrangers. C’est
le cas de l’usine Meico, productrice d’équipements
électroniques pour les opérateurs
de télécoms, basée à Charjah et à Dubaï et
qui exporte vers le Soudan et l’Algérie. Pour
appuyer ces opérations et continuer de
faire travailler ses équipes, BPC a envoyé
dans différents pays d’importants effectifs,
constitués en grande partie d’experts libanais
en export.
Car au Liban même, les autres entreprises
du groupe ont fortement ralenti leurs activités
quand elles n’ont pas purement et simplement
cessé de fonctionner. BPC est propriétaire
de six sociétés (Sabil, UNO,
Midco…) et détient des participations
minoritaires dans des groupes comme
Admic (9 % – enseignes BHV, Monoprix,
Géant), Homeline (33 %, distribution
d’électroménager), CFC (Crédit foncier et
commercial)… Le groupe est présent dans
la production de plastique comme dans la
vente en gros d’électroménager, l’agroalimentaire
ou les médias… Autant de secteurs
où l’activité est limitée en ces temps
difficiles.
« Pendant la guerre, CFC, dans lequel nous
sommes partenaires, tournait à 30 ou 40 %
de ses capacités, essentiellement pour la
collecte des dettes », dit Osseiran. De
même, Sabil devait se contenter de distribuer
son eau à Tripoli – qui ne constitue
que 10 % de son marché habituel –, les
accès à Beyrouth étant bloqués.
BPC supporte ainsi des coûts quasi
inchangés, alors que ses revenus ont
presque disparu.