L’année 2006 restera marquée par la fin du monopole exercé depuis 40 ans par l’État syrien sur le secteur des assurances. Cinq entreprises à capitaux privés ont ainsi vu le jour, dont quatre sont détenues en majorité par des sociétés libanaises.
Le secteur syrien des assurances reste l’un des plus modestes du monde arabe. La taille du marché s’établissait à 6,7 milliards de livres syriennes (LS) en 2005 (134 millions de dollars), soit sept dollars par habitant seulement, alors que la moyenne arabe est de 30 dollars et au Liban de 150 dollars. Le secteur ne représente que 0,6 % du PIB syrien contre une moyenne arabe de 1,65 %. L’entrée en lice du secteur privé ainsi que la libéralisation du secteur de l’assurance maritime ont permis une croissance de 11 % du marché en 2006 à 7,4 milliards de livres syriennes, soit 148 millions de dollars, dont 95 % reviennent à la Syrian Insurance Company, détenue par l’État.
Si cette dernière bénéficie d’une situation monopolistique depuis plus de 40 ans, elle souffre des déficiences traditionnelles du secteur public syrien : mauvaise formation des cadres, rigidités bureaucratiques, lenteur de la chaîne de décision, etc. L’arrivée de la concurrence l’a poussée cependant à se réformer et à étendre l’offre de ses services. L’année 2007, qui sera celle de la première année pleine d’activité pour les sociétés privées, permettra de juger des résultats de ces changements.
Le marché pourrait tripler ou quadrupler, d’ici à 2011, à 25 dollars par habitant selon les spécialistes. Mais il reste encore marqué par des déficiences structurelles. Ainsi, l’assurance automobile obligatoire a représenté l’année dernière 46 % du total des primes, alors que l’assurance-vie était encore quasiment inexistante. Les entreprises qui pénètrent le marché font face à des problèmes de plusieurs ordres : le pouvoir d’achat de la population reste faible avec des salaires mensuels moyens de l’ordre de 150 dollars ; comme dans les autres métiers de la finance, les cadres manquent ; enfin les entreprises font face à un obstacle d’ordre culturel, car peu de gens ont une connaissance des produits de l’assurance.
Les entreprises n’épargnent pas leurs efforts pour faire face à ces difficultés à travers des campagnes de promotion ainsi que la formation de jeunes diplômés de l’université. Les cadres supérieurs proviennent pour l’instant quasiment tous de l’étranger et en particulier des expatriés syriens dans le Golfe.
Le marché syrien est aussi encombré de lois prohibitives, comme par exemple l’obligation pour les compagnies d’encaisser les primes en monnaie locale et d’obtenir une autorisation spéciale pour transférer les fonds convertis en devises aux réassureurs.
La Commission de surveillance de l’assurance (SISC) qui réglemente le secteur a entrepris d’améliorer le cadre législatif et réglementaire. La loi réglementant le secteur autorise ainsi l’établissement de sociétés privées détenues entièrement par des capitaux étrangers. Le capital qui peut être détenu par une personne morale est cependant limité à 40 %, alors que les personnes physiques ont droit à un maximum de 5 %. Le capital minimal a été fixé à 850 millions de livres syriennes (17 millions de dollars).
L’ouverture du marché au secteur privé s’est accompagnée d’une interdiction de contracter des polices à l’extérieur du pays, rendant l’implantation en Syrie incontournable. C’est l’une des raisons du déferlement des entreprises libanaises. Plusieurs d’entre elles ont cherché à sauvegarder la clientèle syrienne captée à partir du Liban, tout en officialisant une volonté d’accroître leur portefeuille. En effet, des cinq premières sociétés qui ont débuté leurs activités en 2006 quatre sont détenues et gérées par des capitaux libanais. Ces entreprises veulent tirer profit de l’ouverture du secteur et de l’avantage dont peuvent bénéficier les premiers entrants. Elles profitent par ailleurs de leur proximité géographique, de leur savoir-faire qui fait défaut en Syrie et de leur connaissance relative du marché. Ces sociétés travaillaient depuis longtemps en Syrie où leurs activités étaient illégales mais tolérées par les autorités. On estime entre 40 et 50 millions de dollars les primes générées par les sociétés libanaises sur le marché syrien avant la libéralisation du secteur.
Par ailleurs, la SISC a également autorisé la création de sociétés d’assurances islamiques (takaful). Trois entreprises détenues par des capitaux du Golfe ont reçu une licence préliminaire et devraient commencer leurs opérations avant la fin de cette année : Noor Insurance (Koweït), al-Aqeela (Koweït) et Qatari Islamic Insurance Company. Comme dans le secteur bancaire, ces investisseurs espèrent capitaliser sur la religiosité croissante de la société syrienne.
Enfin, les autorités syriennes ont autorisé les sociétés d’assurances à proposer des polices d’assurance-vie en dollars afin d’encourager le développement de ce secteur. De plus, depuis le milieu de l’année dernière, la SISC a imposé aux importateurs syriens de contracter une assurance maritime avec une société locale, ce qui a permis un bond de ce secteur à 850 millions de livres syriennes en 2006 alors qu’il était quasiment inexistant l’année précédente. La SISC espère une croissance du marché à 500 millions de dollars à l’horizon 2010.


Jihad Yazigi. Rédacteur en chef du “Syria Report”.