Les travaux de reconstruction ont commencé le 16 juin dernier dans la banlieue sud de Beyrouth détruite par les bombardements israéliens de l’été 2006. Ils s’appuient sur le plan d’urbanisme élaboré par Waad, un groupe d’architectes et d’urbanistes en charge de penser la réhabilitation de la dahiyé. Son objectif : remettre sur pied 195 immeubles d’ici à la fin de l’année 2008, tout en améliorant les conditions de vie des habitants.
Un an après la fin de la guerre de l’été 2006, la reconstruction avance lentement à Haret Hreik, Chiyah, Bourj al-Brajné et Ghobeyri. Dans ces quartiers de la banlieue sud, 279 immeubles avaient été complètement rasés par les bombardements israéliens et 811 plus ou moins sérieusement endommagés. Quelques tas de gravats, témoins de la catastrophe, subsistent encore çà et là. « Il a fallu plusieurs mois pour enlever le gros des débris, explique Samir Daccache, président de la municipalité de Haret Hreik. Nous avons travaillé jour et nuit. » À Haret Hreik, ce sont l’Iran et le Programme de développement de l’ONU qui ont pris en charge l’aide d’urgence. Un million de dollars ont été versés pour la réhabilitation des routes, des égouts ainsi que des réseaux d’eau et d’électricité. Mais si les premiers travaux d’infrastructures sont achevés, le chantier de la reconstruction, lui, est à peine entamé.
En janvier dernier, le cabinet du Premier ministre, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), les partis Amal et Hezbollah, la Direction générale de l’urbanisme, l’ordre des ingénieurs, les quatre municipalités de la banlieue sud concernées, la Caisse et le ministère des Déplacés, ainsi que le ministère des Finances s’étaient mis d’accord pour confier la reconstruction de la banlieue à ses habitants. À l’époque, le Hezbollah avait refusé de déléguer les travaux à une société privée du même type que Solidere. L’option Elyssar, laissant à l’État la gestion du chantier, avait également été mise de côté sur pression du Parti de Dieu. Finalement, le gouvernement doit seulement s’occuper de la réhabilitation des infrastructures à hauteur de 20 millions de dollars, poursuivant le travail de réhabilitation de l’infrastructure routière et des réseaux d’eau et d’égout. Pour les habitations, il a décidé d’allouer un montant total de 300 millions de dollars aux familles sinistrées qui rebâtiront elles-mêmes leurs immeubles, chaque appartement étant indemnisé à hauteur de 53 000 dollars.
D’après un rapport officiel publié en juin dernier, 52 millions de dollars seulement ont été effectivement distribués, soit 30 % de la somme globale. « Certaines personnes n’ont pas demandé leur indemnité à l’État, de peur que le Hezbollah ne veuille plus les aider. Le Parti contrôle complètement le territoire et empêche toute action du gouvernement », déplore Ghassan Taher, conseiller du Premier ministre en charge de la reconstruction. Pour Samir Daccache, au contraire, la lenteur du processus d’indemnisation relève « d’une décision politique de punir les habitants de la banlieue pour leur soutien au Hezbollah ». Ce dernier a versé 10 000 dollars à chaque famille sinistrée pour payer un an de loyer. Hassan Nasrallah s’est d’ailleurs récemment engagé à payer 4 000 dollars supplémentaires à 5 000 familles pour l’année à venir. La plupart des déplacés vivent aujourd’hui chez des parents ou dans des appartements de location.
D’après Mona Fawaz, professeur d’urbanisme à l’AUB, « le gouvernement justifie le retard pris dans les indemnisations par la confusion des titres de propriétés. Il ne s’agit pas d’occupations illégales, puisque des actes notariaux existent dans presque tous les cas. Seulement, certains n’ont pas le titre final délivré par le registre foncier. De plus, souvent lorsque les actes notariaux ont expiré, les propriétaires ont oublié d’aller les renouveler ». À cela vient s’ajouter le problème des constructions en infraction avec le règlement urbain en vigueur depuis 1971. Une régularisation massive a eu lieu en 1994, mais elle ne tient plus au cas où l’immeuble concerné est détruit. En d’autres termes, si les bâtiments détruits pendant la guerre de juillet étaient remis sur pied à l’identique, ils seraient tout simplement illégaux. Un projet de loi d’exception a donc été adopté en Conseil des ministres pour permettre de reconstruire sans tenir compte des standards de hauteur ou d’occupation des sols, mais il n’a pas été voté par le Parlement en raison de la paralysie de l’institution.
Le casse-tête juridique entretenu par la confusion des titres et les infractions au règlement urbain n’aurait pas été réglé facilement, si les habitants avaient effectivement géré eux-mêmes la reconstruction. D’autres problèmes comme le détournement de l’usage des locaux se seraient également posés. La mise en place du comité Waad (promesse) a facilité le travail. Créé en décembre 2006 sous l’égide de Jihad el-Bina, la cheville ouvrière du Hezbollah, le groupe de travail rassemble des urbanistes et des architectes de toutes les confessions réunies pour penser la réhabilitation de la dahiyé. « En réalité, seuls 2 % des immeubles avaient fait l’objet d’une régularisation en 1994, explique Hassan Jachi, directeur de Waad. En ce qui concerne les titres de propriété, nous avons procédé au cas par cas et résolu les problèmes. »
Le rôle central du comité a donc été d’élaborer un plan d’urbanisme viable, tout en travaillant main dans la main avec les déplacés. « Notre projet est avant tout fondé sur l’échange et le dialogue. C’est une démarche sociale qui implique directement les familles », explique Hassan Jachi. Cinq mois de travail ont été nécessaires pour finaliser l’avant-projet. « Le plus difficile a été de contacter les gens et d’intégrer leurs demandes particulières au projet global », note Maher Assi, membre de Waad. Les sinistrés avaient le choix de confier la reconstruction de leur propriété à Waad ou de s’en occuper seuls. Quelque 92 % d’entre eux ont opté pour la première solution. Les 8 % restants rebâtiront leur logement eux-mêmes avec les indemnités versées par l’État et le Hezbollah. Les 67 immeubles concernés s’intégreront néanmoins au projet de Waad, dont les membres sont en contact permanent avec toutes les familles.
Pour rassembler l’ensemble des données (informations sur le bâti, titres de propriété) et tracer des plans précis tenant compte des normes internationales, la dahiyé a été divisée en 30 zones, chacune confiée à un bureau d’urbanisme et d’architecture libanais. Si l’objectif premier reste évidemment de reloger tout le monde, le projet Waad comporte également de nouveaux aménagements. « Nous voulions répondre à trois problèmes chroniques de la banlieue : le manque de parkings, d’espaces piétons et de jardins publics. Au bout du compte, il s’agit de recréer un espace de vie », insiste Hassan Jachi. L’accent est donc mis sur la valorisation du territoire. Le plan prévoit ainsi des ensembles architecturaux de couleurs différentes, avec des arbres dont le type varie selon les quartiers, créant une nouvelle signalétique urbaine.
La reconstruction des immeubles d’habitation sera confiée à 30 entreprises libanaises choisies sur appels d’offres, parmi lesquelles Zerok, Ebco ou Inma’a. C’est Waad, toujours, qui est chargé d’établir les contrats et d’organiser la sélection. « Les travaux ont commencé le 16 juin, 24 immeubles sont déjà en phase de reconstruction et nous signons une dizaine de nouveaux contrats chaque semaine », explique Hassan Jachi. Le chantier, qui concerne 195 bâtiments, rassemble 15 000 travailleurs (ingénieurs et ouvriers). Chaque bâtiment a une surface habitable de 4 000 m2 et revient à 250 000 dollars. Le coût total du plan s’élève à 370 millions de dollars. D’après le directeur du projet, « 60 % de la somme, soit 220 millions de dollars, sera versée directement au Hezbollah par des pays donateurs comme le Koweït, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Le reste viendra d’associations islamiques et arabes ». Le Hezbollah a promis qu’il complétera si ces fonds n’étaient pas suffisants. D’après le calendrier prévu par Waad, le chantier devrait s’achever à la fin du mois d’octobre 2008. « Nous disposons d’une marge de deux mois. Au pire, tout sera terminé au début de l’année 2009 », affirme Hassan Jachi. « Il ne faut plus traiter les habitants de la dahiyé comme des citoyens d’exception » Mona Fawaz, professeur d’urbanisme à l’Université américaine de Beyrouth, déplore les carences de l’État mises en lumière par le processus de reconstruction de la banlieue sud. Membre de la Haret Hreik Task Team, elle a publié une étude intitulée The Reconstruction of Haret Hreik : Design Options for Improving the Livability of the Neighborhood. « Nous souhaitons instaurer un débat autour du cas de Haret Hreik en insistant sur la notion d’espace public », explique-t-elle. « Je crois que si l’État avait vraiment voulu intervenir dans la dahiyé, il l’aurait fait. En réalité, il gère l’espace de manière très néolibérale, se comportant comme un entrepreneur, pas comme un gestionnaire public. Dans la reconstruction, son rôle se borne à signer les chèques et, éventuellement, à accorder des exemptions. Il continue donc de traiter les habitants de Haret Hreik comme des citoyens d’exception. Il n’y a pas de pacte entre l’État et les citoyens. »