Partie il y a 75 ans d’une petite boutique de 30 mètres carrés au centre-ville de Beyrouth, la Librairie Antoine est aujourd’hui lancée à la conquête du marché mondial à travers une filiale spécialisée dans la vente de livres sur Internet.
Ce virage majeur entamé en 2005 vers les nouvelles technologies et le commerce en ligne – qui est déjà un succès – n’est pourtant qu’une facette de ce groupe familial dont l’ampleur est bien supérieure à l’image de simple libraire qui prévaut dans le paysage libanais.
Avec un chiffre d’affaires total de plus de 80 millions de dollars, le groupe constitué autour de la Librairie Antoine opère dans différentes activités qui relèvent toutes du métier des imprimés : la vente de livres et de manuels au détail et en gros, et ce dans trois langues, la distribution de presse dans le monde entier et l’édition.
L’aventure a commencé en 1933, dans un local exigu de la rue de l’émir Béchir, au centre-ville, en face de Lazarié. Antoine Naufal, ancien employé de la librairie du Foyer, avait alors décidé de voler de ses propres ailes pour vendre un peu de presse et des livres achetés localement. Il est rapidement rejoint par ses deux frères Pierre et Émile. La librairie prend son essor véritable à partir de 1946, avec l’ouverture d’un deuxième point de vente à Bab Idriss. L’enseigne devient le rendez-vous des francophones, Antoine ayant acquis la représentation exclusive des éditions Hachette et Larousse, à une époque où la francophonie est reine et l’anglais peu développé, l’offre en arabe étant assurée par d’autres. « Les trois frères se rendaient régulièrement en France, ce qui supposait des voyages de dix heures en avion à hélices, pour entretenir des contacts avec les éditeurs français », raconte Sami Naufal, fils de Pierre, PDG actuel de la société.
Très tôt aussi, Antoine mesure le potentiel du marché scolaire auquel est consacré un espace de 400 m2 aménagé dans le sous-sol de la librairie de la rue de l’émir Béchir. Une deuxième enseigne inaugurée par la suite à Bab Idriss dédie tout un pôle aux ouvrages universitaires et techniques. Elle abrite aussi le siège administratif de la société. « L’expansion a longtemps été tirée par ce segment d’activité, car la Librairie Antoine a été la première à mettre en place un service de prospection des écoles, à prendre le risque des commandes à une époque où le droit de retour n’existait pas, étant donné les délais de livraison », explique Émile Tyan, directeur commercial.
En 1960, l’enseigne étend son réseau à Starco, en 1971 à Hamra, où elle devient le rendez-vous des intellectuels de gauche, à côté des célèbres cafés de la rue où on commente la presse achetée chez Antoine. Puis, comme beaucoup de commerces localisés au centre-ville, la librairie paie un lourd tribut à la guerre dès 1975-76 : trois enseignes sont entièrement calcinées.
Émile Naufal ouvre alors une antenne à Sin el-Fil tandis que Pierre continue de s’occuper de celle de Hamra. La librairie d’Achrafié est inaugurée en 1977. Après la mort d’Antoine Naufal en 1981, une société anonyme est créée. Sa fille Hoda Tyan en est le PDG et son gendre Georges Tabet le directeur général.
La nouvelle direction poursuit la stratégie d’expansion géographique en choisissant de se positionner dans des zones commerçantes en mesure de renforcer l’affluence de la clientèle, sachant que l’enseigne Antoine est elle-même un atout pour les centres commerciaux où elle s’implante. La librairie ouvre ainsi successivement à l’ABC Dbayé en 1983, dès l’inauguration du grand magasin, puis dans les centres Bou Khalil à Baabda et Tripoli, ainsi que le centre Métro à Maameltein et le centre Dunes à Verdun. En 2002, le réseau s’étend à l’ABC Achrafié. Une solderie-papeterie est inaugurée à Sin el-Fil en 2003. Une diversification qui encourage le groupe à prendre en 2007 la gestion de la librairie de l’Université américaine de Beyrouth, où la moitié des ventes concernent le rayon papeterie. Enfin, en novembre 2008, la Librairie Antoine s’installe dans une nouvelle aile de l’ABC Dbayé, avec une offre là aussi élargie à la papeterie, ainsi qu’aux DVD et aux CD.
Le groupe qui emploie aujourd’hui 160 personnes ne cesse de s’agrandir et réfléchit à se constituer en holding pour assurer sa pérennité. « Nous fonctionnons comme un conseil de famille. Mais chacune des sociétés sœurs du groupe est juridiquement indépendante de l’autre, explique Sami Naufal. Nous sommes 13 actionnaires à l’heure actuelle (les descendants de deux des trois frères Naufal, Émile ayant vendu ses parts), mais à 23, à la prochaine génération, le conseil deviendra ingérable. »
En attendant, l’organigramme des six sociétés du groupe répond à une logique de répartition par métier. Elle s’est imposée à partir de 1968, la Librairie Antoine assurant jusque-là la vente et la distribution des livres et de la presse.
À cette date, elle fonde les Messageries du Moyen-Orient en partenariat avec les Nouvelles messageries de la presse parisienne (qui appartient aujourd’hui au groupe Lagardère). Les MMO qui se sont implantées en Égypte il y a deux ans, distribuent la presse française au Liban, ainsi que les livres de grande diffusion (poche, folio, BD…) et certains produits jeunesse.
En 1970, les frères Naufal entrent parallèlement à 50 % au capital de Levant Distributors, une compagnie fondée en 1950 par Marco Hazan, qui réalise aujourd’hui la plus grosse part du chiffre d’affaires du groupe, soit 50 millions de dollars. Elle distribue la presse et les livres anglo-saxons au Liban et toute la presse dans 66 pays du Sud-Est asiatique jusqu’en Argentine, grâce à des filiales spécialisées dans la logistique à Londres et New York.
La même année, Pierre Naufal fonde les Éditions Naufal (Naufal Group) dont la gestion est en cours d’intégration au département édition de la librairie. (Voir l’article sur l’édition francophone page 40).
Les deux dernières sociétés du groupe sont beaucoup plus récentes. L’une, Antoine International Holding, née en 2004, chapeaute l’expansion géographique de la librairie, qui a commencé en Jordanie, avec l’inauguration de Prime Megastore, dans le Mecca Mall de Amman. L’autre, Cedar Books, est une joint-venture, chargée de piloter le développement sur un tout nouveau créneau, celui du commerce en ligne. Inaugurée en 2007, elle vise un chiffre d’affaires de 10 millions de dollars d’ici à 2010 et prépare un business plan pour lever des fonds en vue de le porter à 100 millions de dollars, ce qui doublerait la taille du groupe pour ses 80 ans.
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