En matière d’implantations commerciales, le choix de l’emplacement est-il le facteur le plus important ?
Tout dépend d’abord du type d’activité. Si l’on s’en tient à des produits de biens à la personne, les gammes de vêtements principalement, les stratégies d’implantation se distinguent selon la clientèle visée : un discounter et une enseigne moyen ou haut de gamme ne répondent pas aux mêmes critères. De manière générale, l’emplacement est cependant le premier élément à prendre en compte même si, au final, le choix est très limité dans les pays occidentaux, tant le marché y est sursaturé. Les termes du choix se posent, en fait, entre trois grandes catégories : les centres-villes, les centres commerciaux et des zones spécifiques, souvent à la périphérie des villes, qui ciblent des publics moins fortunés. Ces espaces ont en commun une “centralité” géographique et jouent sur une concentration de l’offre. Cette centralité est inhérente aux métiers du commerce : au Moyen Âge, les foires s’installaient déjà sur les trajectoires des pèlerinages, afin de bénéficier de ces flux captifs de passage.
Quels sont les choix qui s’imposent en matière d’emplacement ?
D’abord, les centres commerciaux. Mais les droits d’entrée y sont devenus inabordables pour les petits commerçants. Ce “droit d’entrée” représente la valeur symbolique de l’actif, c’est-à-dire l’attraction de sa zone de chalandise, sa localisation, son trafic… Il peut aller jusqu’à 500 000 euros en Europe. Un tarif élevé que seuls de grands groupes comme Zara, H&M peuvent payer. Aujourd’hui, le centre commercial du Forum des Halles (Paris) reçoit 43 millions de visiteurs par an. C’est un trafic gigantesque – à comparer avec le premier parc de loisirs européen, Disneyland de Marne-la-Vallée, qui lui n’attire que 15 millions de visiteurs par an.
Depuis quelques années, on assiste aussi à une montée en gamme des centres-villes, avec des enseignes plus qualitatives, davantage tournées vers la mode. Les villes ont fait un effort pour favoriser cette nouvelle attractivité : parkings, espaces piétons, parcs ou jardins paysagers ont ainsi été réaménagés. Le positionnement clientèle, en centre-ville, est cependant plus âgé qu’en centre commercial (seniors et jeunes adultes). On en vient même à avoir un “city management” des centres-villes pensés sur le modèle de celui des centres commerciaux. Il s’agit alors, comme pour un centre commercial, de mettre en conformité l’urbanisme commercial, l’identité visuelle, l’infrastructure et les flux de chalands.
Enfin, les “retail parks”, ou parcs d’activités commerciales. Ces zones plus ou moins discount ont, elles aussi, été repensées de façon à apporter des services à la clientèle : création de parkings, d’espaces verts, cursives aménagées pour donner un sentiment de convivialité.
De manière générale, on assiste à une montée en gamme des centres commerciaux qui deviennent, au-delà de la dimension marchande, de plus en plus des lieux de promenade, de vie, voire de projection symbolique et identitaire. On parle alors de “centres lifestyle”.
Quelles sont les logiques qu’on doit prendre en compte pour décider de son emplacement ?
Dans tous les cas, il s’agit de valoriser l’actif, c’est-à-dire la valeur future du site, une fois valorisée par la puissance de l’enseigne, du concept commercial proposé et par la complémentarité avec les points de vente voisins pour l’expérience d’achat des clients. Dans ce but, mieux vaut penser son choix d’emplacement en fonction d’une logique de “cluster”, soit par agrégat commercial. Le cluster est un mode d’organisation qui privilégie la centralité : les boutiques se regroupent dans un même espace, soit par catégorie de produits, soit en fonction des itinéraires des clients. On favorise alors des lignes de produits complémentaires.
Il faut ensuite prendre en compte les animations proposées. Depuis la création du West Edmonton Mall en Alberta au Canada ou du Mall of America à Minneapolis dans le Minnesota aux États-Unis, une tendance lourde est de prévoir des “parcs d’attractions” à destination des enfants. Pour les adultes, ce sont plutôt des animations ponctuelles, calendaires autour de thèmes porteurs comme la “nostalgie”, le “vintage”. Dans tous les cas, l’espace dans lequel on inscrit son enseigne commerciale doit vivre et respirer autour d’événements.
Lorsqu’on choisit un emplacement dans un centre commercial et lorsqu’on en a les moyens, faut-il encore réfléchir à quel centre spécifiquement ?
Tout dépend de la marque que vous représentez. Par exemple, Lush, une marque anglaise de cosmétiques à base de produits frais : par son positionnement marketing, cette chaîne est condamnée à s’implanter dans des lieux à la mode comme Carnegie Street (Londres), Queen Street (Toronto) ou Melrose Avenue (Los Angeles). Autre exemple : celui d’un centre commercial comme les Quatre Temps, à La Défense, en plein cœur de la city française. De facto, il s’est spécialisé sur le créneau des femmes et des hommes d’affaires : offre de snacking, de street-food… On trouve même un Castorama, la chaîne de distribution de bricolage, de jardinage et de décoration, mais avec une offre de produits “portables” », adaptés à des clients qui achètent sur le lieu de leur travail et qui repartent en métro.
N’y a-t-il pas un risque d’uniformisation de l’offre commerciale en regroupant ainsi par affinité de produits ou en privilégiant des espaces centraux ?
Oui et non. Oui, parce que les conditions financières liées aux droits d’entrée dans les centres commerciaux ne permettent pas à des “outsider” de s’implanter. Il y a donc banalisation de l’offre. Oui encore, car les commerces tels que nous les connaissions il y a 30 ans ont désormais cédé la place à des distributeurs. Oui encore, du fait de la concentration d’acteurs du même type, ayant tous, peu ou prou, le même business model de “mass market”. À ce titre, je m’amuse assez souvent avec mes classes à “décontextualiser” » certaines marques. Si on découpe l’étiquette d’un vêtement Zara, Stradivarius (groupe Zara), Mango, H&M et, peut-être même, Vuitton, on a ensuite bien peu de chance de parvenir à les réaffecter correctement à leurs marques d’origine. Toutes ou presque jouant sur le “trendy” accessible.
Cependant, en même temps, l’expérience client, elle, n’est jamais identique. L’un des enjeux alors, c’est précisément de savoir se différencier. La standardisation n’est pas inéluctable au prétexte que tous les commerces s’inscrivent dans un espace identique. Pour lutter contre l’effet de chaîne, la personnalisation des boutiques s’avère un élément-clé. Il faut également redonner du sens à l’échange. Trop aseptisée, la relation client perd de sa particularité. Certaines franchises parviennent à retrouver cette connaissance client.
Que vous inspire la géolocalisation des enseignes commerciales à Beyrouth ? Diriez-vous qu’elles respectent les standards internationaux ?
L’ABC d’Achrafié est aussi professionnel que beaucoup de centres commerciaux de par le monde. La localisation des boutiques et les itinéraires des clients y ont été étudiés pour fournir l’offre des produits la plus adaptée possible et son positionnement est très “lifestyle”. Au centre-ville, j’ai toutefois l’impression qu’il s’agit pour l’heure d’une “adresse vitrine”, avec une recherche, pour les marques présentes, de notoriété à tout prix. Les boutiques y manquent encore d’une véritable différenciation. Même type d’espace, même design d’intérieur… Ce qui ne signifie pas que cela ne fonctionne pas : au Liban, il existe une clientèle captive, dont les achats sont d’abord déterminés par la marque.
(*) Olivier Badot, professeur à l’ESA, Beyrouth, professeur à ESCP-EAP ainsi qu’à l’Université de Caen (IAE-NIMEC) Visiting Professor, Telfer School of Management, University of Ottawa. Consultant et expert en distribution.
Déjà abonné ? Identifiez-vous
Les articles de notre site ne sont pas disponibles en navigation privée.
Pour lire cet article, veuillez ouvrir une fenêtre de navigation standard ou abonnez-vous à partir de 1 $.
Pour lire cet article, veuillez ouvrir une fenêtre de navigation standard ou abonnez-vous à partir de 1 $.