Quartier excentré de Beyrouth, Bourj Hammoud attire une clientèle “originale”, qui ne correspond pas aux standards des autres espaces commerciaux de la ville. Très largement arménien, le quartier attire toutes les communautés. Sa clientèle provient de toutes les classes sociales et de tous les quartiers. Entre la rue d’Arménie (ex-route de Tripoli) et les quatre autres grandes artères commerçantes, Bourj Hammoud sert ainsi de marché global pour toutes les marchandises possibles, même si sa renommée provient d’abord des bijouteries, des ateliers de cuir et des commerces, des denrées alimentaires orientales. « Ce qu’on vient chercher à Bourj Hammoud, ce sont d’abord des marchandises diversifiées à des prix abordables », relève le géographe Tristan Khayat. Mais, note le chercheur, dans un article paru en 1998 dans la revue du Cermoc, les consommateurs s’y rendent également pour retrouver l’esprit du souk traditionnel : « Les marchandises proposées et le mode de vente évoquent en partie les spécialisations communautaires traditionnelles. »
Ce quartier a pris corps à partir des années 1920. Après l’incendie qui a ravagé le camp de réfugiés arméniens de Medawar en 1933, la communauté arménienne choisit de se rassembler en association afin notamment d’acheter les terres situées à l’est du fleuve de Beyrouth, au lieu-dit de Bourj Hammoud. Si la puissance mandataire facilite le transfert de ces terres (et le changement de leur inscription au cadastre de terres agricoles en terres constructibles), la structuration politique de la communauté autour du parti nationaliste Tachnag accélère la concrétisation du projet. En 1952, Bourj Hammoud est constitué en municipalité, sur un territoire plus vaste que les seules limites du quartier arménien. S’y développent assez vite des activités artisanales dans la production textile, la photographie et la joaillerie. On retrouve ensuite ces productions dans les souks ou les boutiques du centre-ville.
Avant la construction de l’autoroute, au milieu des années 60, la route de Tripoli (actuelle rue d’Arménie) était l’axe de circulation principal à la sortie nord-est de Beyrouth. Des commerces, liés au trafic routier, s’y sont développés. « On passait à Bourj Hammoud, on n’y allait pas, à moins de chercher des denrées strictement communautaires, en particulier alimentaires », rappelle Tristan Khayat. L’autoroute et le pont sur le fleuve terminés, Bourj Hammoud s’est ensuite retrouvé à l’écart des grands axes routiers de la capitale. Sa chance, c’est la destruction du centre-ville qui va la lui donner. Les commerçants arméniens, qui travaillent aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest, choisissent de revenir vers Bourj Hammoud pour continuer leurs activités commerciales en sécurité dès les premiers mois de la guerre. C’est ainsi que prend vie la rue Arax. Aujourd’hui, Bourj Hammoud sert de souks traditionnels à Beyrouth (on rencontre dans le secteur alimentaire beaucoup de commerçants originaires d’Alep), avec une spécialisation relative des commerçants liés à l’artisanat du cuir, des bijoux.