Périodiquement, des projets de reconstruction de notre réseau ferroviaire sont remis sur le tapis. Et avec la même régularité, ils sont enterrés. En attendant des jours meilleurs, peut-on profiter des anciennes gares comme curiosités touristiques?

C’est entre rouille et ronces que les visiteurs ont découvert avec nostalgie les wagons de la gare Mar Mikhaël livrés à l’abandon depuis le début de la guerre au Liban. Arrachées à l’oubli le temps d’un week-end, qui tombait les 18 et 19 septembre, à l’occasion des journées “Portes ouvertes”, ces machines ferroviaires ont servi de cadre à une exposition d’art contemporain, organisée par le Centre culturel français (CCF), en collaboration avec l’Office des chemins de fer et du transport en commun, l’Académie libanaise des beaux-arts ainsi que de l’Association des amis des chemins de fer au Liban (section de l’Association française). Un groupe d’artistes et d’hommes de bonne volonté réunis par un intérêt commun, soit le chemin de fer, le décrit comme étant “la plus belle et la plus vivante des machines”.
«Il y a comme une amnésie de cette époque du chemin de fer au Liban. Même dans le quartier de Mar Mikhaël les plus vieux semblent avoir relégué le train aux oubliettes. Et c’est justement pour cette raison, que nous déployons tous nos efforts en vue de sa réhabilitation», confie Jean-Claude Voisin, directeur du CCF.
Quand les jeunes s’y mettent

Et, paradoxalement, le passé glorieux de cette “pouliche de la technologie” c’est un tout jeune homme qui en fait son affaire. Tatig Tendjoukian est en effet le principal pilier de l’Association française des amis des chemins de fer, section Liban. L’entendre parler du patrimoine ferroviaire libanais avec toute la ferveur que fait naître une passion ne peut être que contagieux.
La reconstruction est malheureusement passée à côté de la réhabilitation du train au Liban. Une tentative a certes eu lieu dans les années 92-93, mais l’infrastructure était trop fragile et trop ancienne. Ceux qui s’étaient réjouis à l’idée d’entendre à nouveau le sifflement de la locomotive ont dû très vite déchanter. Aujourd’hui, on parle d’un projet d’une double voie électrique à 25 000 volts, sur la ligne côtière entre Tripoli et Tyr et d’une zone d’échanges de conteneurs à Rayak… mais rien n’est encore concret.
Pourtant, il ne faut pas être spécialiste pour recenser les avantages du chemin de fer qui est l’un des moyens de transport les plus économiques et les plus écologiques. En somme, les deux urgences de ce troisième millénaire.

Histoire de lignes

«Cette perspective d’avenir nous renvoie à notre passé, raconte Tatig Tendjoukian, avec la construction de la première ligne de chemin de fer libanaise créée à l’initiative des Français en 1895, alors que la première ligne dans le monde remonte à 1824. Cette première ligne reliait le port de Beyrouth à Damas. Elle quittait la gare de Mar Mikhaël pour grimper jusqu’à Aley en traversant bravement le col de Dahr el-Baïdar et arriver au nœud ferroviaire de Rayak. De là, une ligne à voie normale passait par Baalbeck pour atteindre Homs, alors qu’une autre escaladait la chaîne de l’anti-Liban pour atteindre la frontière avant de replonger dans l’oasis de Damas.
Une autre ligne Tripoli-Hama a été construite en 1911. C’est à partir de 1930 que le train de luxe, le Taurus Express, desservait Beyrouth, Rayak et Damas ainsi que Tripoli et Alep. Tous ces services ont été cependant interrompus durant la Seconde Guerre mondiale et n’ont jamais pu être rétablis en Orient à cause du conflit israélo-arabe…».
Une histoire dont témoignent les locomotives à vapeur, qui croupissent justement dans les gares de Mar Mikhaël, Rayak, Tripoli, écaillées, rouillées, endommagées, elles n’en gardent pas moins une allure qui ne demande qu’à être magnifiée. «Regardez les banquettes en bois, confie un habitué des lieux, il n’y a pas si longtemps elles étaient encore intactes, mais des vandales ont cru bon en arracher des morceaux et les casser pour en faire des feux de bois durant l’hiver!»
Ce matériel de grande valeur mérite-t-il de terminer ses jours en cendres ou en ferrailles? Il serait dommage de laisser une telle richesse aller en perdition… D’où l’idée d’une association dont le but serait de préserver ce matériel de manière vivante en l’exploitant à nouveau sur une ligne touristique et dans un musée. À l’instar de ce qui se fait en France, comme le chemin de fer de la baie de Somme où les touristes se pressent dans ses gares et se réjouissent de pouvoir découvrir de manière originale le beau paysage qu’offre la Picardie.

Sur les chemins de l’investigation

Et heureuse coïncidence, une jeune étudiante, major de sa promotion à l’Alba en architecture d’intérieur, a présenté comme projet de diplôme en juin 1999 “La réhabilitation des anciennes gares au Liban” qu’elle a baptisé “La que leuleu”.
Pour Nathalie Maroun, le but du projet est de sauvegarder les sites et les bâtiments du réseau ferroviaire qui sont de toute beauté.
«J’ai pensé donc à une promenade touristique en locomotive qui prend son départ de Jounieh pour aboutir à Sofar, après une première escale à la gare de Mar Mikhaël (où sera construit un musée du chemin de fer), et une seconde escale à la gare de Bhamdoun (qui se verra dotée d’une salle de bibliothèque et de projection). La destination finale du parcours, soit la gare de Sofar, sera agrémentée d’un restaurant. Ce circuit passera donc par des villes au passé glorieux et peut servir à leur développement».
«Défricher l’époque du chemin de fer n’a pas été facile, raconte Nathalie. Personne ne semblait vouloir en parler… J’ai donc moi-même emprunté des sentiers broussailleux en suivant les traces des rails qui me menaient à des signaux et des châteaux d’eau. J’ai même découvert au cours de mes “investigations” une superbe petite gare dans la région de Nahr Ibrahim».
C’est cette même curiosité qui a poussé Imad el-Khoury, prix du jeune talent pour le “Mois de photo” en juin 1998, de pénétrer dans la gare de Mar Mikhaël, au mépris des difficultés qu’il a pu rencontrer.
«C’était il y a plus d’un an, j’habitais ce quartier et j’avais envie de le connaître davantage. Une fois à l’intérieur, j’ai réalisé une série de photos de mode dans cet espace pittoresque, qui sont aujourd’hui exposées à l’intérieur même des wagons. Mon objectif était d’effectuer des clichés qu’il est difficile de pouvoir localiser… Beyrouth, Paris, New York?… Il n’est pas facile de dire où ont été prises ces photos… L’important reste la symbiose entre l’élément humain et la carcasse ferroviaire qui transparaît dans l’image».
Encore une manière de tirer profit, peut-être, de cet héritage, sinon pour le transport, du moins comme une curiosité touristique.