Entretien avec le ministre des Télécommunications Charbel Nahas, principal interlocuteur de la ministre des Finances Raya el-Hassan sur les questions budgétaires au sein du gouvernement d’union nationale. 

Vous accordez beaucoup d’importance aux modifications apportées à la loi de finances 2010, pourquoi ?
Bien qu’elle n’ait pas été facile, la formation du gouvernement d’union nationale est une occasion selon moi de restaurer l’État libanais qui a commencé à s’effriter dès la fin des années 1960. Restaurer l’État c’est d’abord redéfinir des formes acceptées par tous les acteurs politiques économiques et sociaux. En ce sens, l’avancée réalisée sur le plan du budget n’est pas juste formelle.
L’objectif est de restaurer l’État dans ses structures sans recourir aux parrainages extérieurs sollicités constamment pour concilier les intérêts des divers groupes subétatiques qu’il est commode d’appeler communautés.
Ce n’est pas facile, car les habitudes sont installées de longue date dans des structures organisées. Ce n’est pas simple non plus de relever le niveau de confiance pour que des tractations fondatrices puissent avoir lieu.

Les réalisations de ce gouvernement sont pourtant maigres…
Il a tout de même quelques réalisations à son actif ! La décision de lancer un certain nombre d’actions en termes d’investissement public en est une. C’est notamment le cas en matière de fibre optique dans les télécoms. Mais aussi dans les domaines de l’électricité et de l’eau.
Ces investissements publics ont une place majeure. Il s’agit d’une part de rattraper les retards flagrants, inadmissibles, et incompréhensibles s’ils ne reflétaient pas justement l’effritement de l’État libanais. Leur rôle est d’autre part très important pour l’économie. Car les mécanismes de substitution du privé au public, souvent salués comme des prouesses, engendrent une déperdition immense et des coûts élevés pour l’économie.
Ces investissements participent enfin de la restructuration de l’État, car si ce n’est pas à lui que revient d’assurer les infrastructures de base d’un pays à quoi sert-il ?

La situation actuelle de l’administration publique permet-elle à l’État d’assumer ce rôle ?
L’État comme cadre formel organisé de gestion des affaires de la population n’a cessé de reculer, que ce soit en termes de qualité des prestations ou d’emprise sur la population libanaise. Rétablir le niveau de l’administration publique est un véritable défi.
Dans les années 1990, l’ampleur des dégâts a été masquée par le fait que certains des éléments recrutés dans les années 1960 étaient encore là. Avec les vagues de départ à la retraite ne restent désormais que les nouvelles générations, peu qualifiées.
L’administration subit de plein fouet le déséquilibre du marché de l’emploi libanais : d’un côté la main-d’œuvre qualifiée est aspirée par l’émigration, de l’autre les professions peu qualifiées sont concurrencées par la main-d’œuvre étrangère. La demande pléthorique non qualifiée exerce donc une très forte pression sur l’administration dont la structure reflète ce déséquilibre.
La réponse à apporter est double : corriger les distorsions de prix qui affectent le pouvoir d’achat des salariés afin de réduire leur propension à émigrer ; augmenter la qualité des services publics afin de réduire la fonction redistributrice de l’administration et de l’emploi public.

Ce chantier est-il possible ? La volonté politique existe-t-elle ?
Quand un pays fonctionne avec un niveau minimal d’État, les structures sociologiques communautaires fonctionnent seules. Cela signifie une appréhension exacerbée des risques qui les pousse soit à l’affrontement à travers notamment l’accompagnement et la transposition des tensions régionales, soit à des tractations fondatrices pour restaurer l’État.
J’espère que c’est la seconde option qui prévaudra.
D’autant qu’on en est arrivé à un point où la dette est tellement énorme que même la fonction redistributrice de l’État ne fonctionne plus, car elle absorbe tous les capitaux entrants.
Le dernier choc pétrolier offre un nouveau sursis. Les flux de capitaux qui entrent au Liban sont une occasion exceptionnelle de réaliser des investissements publics massifs. Le problème c’est qu’en l’état, on ne sait pas comment utiliser ces capitaux. C’est le défi majeur auquel est confronté le Liban aujourd’hui.