L’adoption du projet de budget 2010 en Conseil des ministres est un premier pas, le Liban ayant fonctionné sans budget depuis 2004. Mais il reste beaucoup à faire pour que cette loi de finances soit conforme aux bonnes pratiques internationales.
Le projet de budget 2010 a fait l’objet d’un débat sérieux en Conseil des ministres, portant sur la forme aussi bien que le fond. C’est une première au Liban où ce genre de discussions vont rarement au-delà de l’allocation des dépenses à tel projet ou telle région favorisée par tel ministre ou tel parti. La version adoptée par le gouvernement a ainsi introduit des améliorations sensibles au projet initial, bien que de nombreuses lacunes y demeurent au regard des bonnes pratiques internationales.
La portée du document budgétaire doit couvrir l’intégralité du secteur public
Première lacune : par son étendue et sa portée, le document budgétaire doit couvrir, sans exception, toutes les transactions du secteur public, recettes aussi bien que dépenses. Le budget consolidé de l’État ne doit pas se restreindre à certaines entités à l’exclusion d’autres, comme cela est le cas au Liban jusque-là. Alors que nos budgets incluent en annexe trois entités publiques – Loterie nationale, Office du blé et de la betterave, et “Télécommunications” –, d’autres organismes en charge d’investissements publics majeurs, notamment le Conseil du développement et de la reconstruction, la Caisse du Sud et la Caisse des déplacés, demeurent hors budget. L’exclusion du CDR était justifiée par le fait que ses opérations sont financées par des sources externes, elles aussi exclues du budget. Cette aberration a été rectifiée en partie dans le projet de budget 2010, avec l’accord de principe de suivre la bonne pratique dans le budget. Arguer du besoin de flexibilité qui doit être consentie à un organisme public ne peut être un prétexte pour le soustraire au contrôle budgétaire du législatif, quelles que soient les sources de financements dont cet organisme est bénéficiaire.
Les bonnes pratiques budgétaires supposent aussi que tout engagement du secteur public pouvant se traduire par une dépense, de quelque nature qu’elle soit, doit figurer au budget. Les dépenses peuvent être tangibles et en espèces, ou de nature “quasi fiscale”. Les subventions de taux d’intérêt consenties par l’État aux activités qu’il cherche à encourager ou protéger appartiennent à cette dernière catégorie ; de même que les coûts associés aux restructurations bancaires menées par la Banque centrale ; ou d’autres engagements pris par le Trésor, tels que les garanties accordées aux emprunts par des tiers. Ces exigibles potentiels ne figurent pas dans le projet de budget.
Les principes de comptabilité nationale requièrent enfin que dépenses et recettes soient inscrites séparément en montant “brut”, et non en valeur “nette” – après soustraction des dépenses aux recettes –, ceci afin de permettre une évaluation plus précise de la performance des diverses administrations et de l’efficience avec laquelle elles gèrent leurs affaires.
Le principe d’allocation des fonds publics doit être précisé
Le projet de budget est bien entendu un compromis entre les desiderata des divers ministères, les demandes des régions, les besoins de l’ensemble des secteurs allant des services sociaux à la défense et l’infrastructure, etc. Ces contraintes réduisent l’efficience économique dans l’allocation des fonds publics. Il n’en demeure pas moins que le budget devrait prendre en compte et refléter les priorités et les besoins de financement de certains secteurs-clés (à l’instar aujourd’hui de celui de l’électricité), dont les carences peuvent, à l’occasion, présenter des entraves majeures à la croissance. La solution est d’inscrire les dépenses publiques proposées dans un schéma plus rigoureux de développement économique et régional, où les priorités seraient établies en fonction de critères économiques, financiers et sociaux bien définis – plutôt que de les aligner dans des listes sous-optimales de projets disparates et divers, selon une conception viciée du “développement équilibré” et résultat d’arbitrages entre secteurs, régions et partis.
De l’avis presque unanime, le secteur de l’électricité est une priorité. Bien que le projet de budget 2010 prévoit, par rapport aux années précédentes, une allocation relativement importante – 1,2 milliard de dollars, sur la période 2010-2013 –, les responsables avertissent déjà que les crédits alloués à l’infrastructure sont de nature exceptionnelle et au seul titre du budget 2010. Le retour à l’austérité fiscale est promis dès l’année 2011 afin de réduire le déficit budgétaire. Compte tenu du fait que les dépenses capitalistiques, dont l’investissement en infrastructure, sont, dans la tradition budgétaire libanaise, considérées comme des dépenses résiduelles – au rang subalterne à celui du service de la dette (incompressible) et des dépenses courantes (prioritaires) –, les espoirs s’amoindrissent de voir dans les prochains budgets les allocations nécessaires à la mise à niveau de l’infrastructure défaillante, dans le secteur de l’énergie mais aussi du transport, de l’eau, de l’assainissement… Alors que certains secteurs (électricité et télécommunications) peuvent mobiliser des financements privés si les conditions institutionnelles propices se trouvent réalisées, l’option du financement privé paraît moins réaliste dans d’autres secteurs tels que les services sociaux ou l’environnement.
Un budget encombré
Le projet de budget 2010 présente, dans la lignée des budgets précédents, une longue série de propositions d’amendements fiscaux ad hoc – une soixantaine sous la rubrique “amendements fiscaux et exonérations”, et une quinzaine sous les rubriques “mesures exceptionnelles pour tenir compte des séquelles de la guerre” et “articles divers”. Sans justification apparente, autre certes que d’augmenter les recettes, et sans homogénéité entre propositions diverses, ces amendements vont du plus anodin au plus important.
Or un budget ne saurait servir d’outil pour altérer, chemin faisant, la politique fiscale d’un pays en l’absence d’un plan homogène et cohérent à cet effet. Si telle était la pratique d’exercice en exercice, elle pourrait aboutir en quelques années à transformer radicalement la politique et le code de la fiscalité sans que cela ne soit effectivement l’objectif, ou sans que nul n’y prenne garde. La conclusion qui ressort à l’observation de ces pratiques est que les amendements proposés ne sont que des palliatifs pour essayer d’enrayer un déficit chronique. Parfois même, au lieu de viser à simplifier, alléger et uniformiser les procédures fiscales, certains des amendements proposés ramènent à des pratiques archaïques qui alourdissent la gestion fiscale. Par exemple, l’article 90 du projet de budget introduit une nouvelle redevance sur les plaques minéralogiques à trois ou quatre chiffres – avec des taux plus sévères, soyez bien avisés, au cas où les chiffres seraient identiques. Voilà un code fiscal qui prévoit une clause spéciale pour couvrir 18 cas en mesure de fournir 4 500 dollars de recettes annuelles supplémentaires à l’État. À l’évidence il n’est pas de menues économies pour qui doit rembourser une dette de 60 milliards !
Les réformes fiscales, dont le Liban a grand besoin, doivent pour réussir être préparées, discutées et approuvées indépendamment des échéances budgétaires. Elles doivent être élaborées en concertation avec toutes les parties prenantes, de préférence en parallèle avec d’autres mesures – par exemple l’amélioration des prestations et des services publics – qui rendraient une hausse des taxes plus acceptable ou même justifiée. Sinon, devenant otage des tensions et des arbitrages budgétaires, les réformes fiscales risquent d’être controversées ou simplement rejetées. À titre d’illustration, la proposition, parfaitement justifiée, visant à porter de 5 à 7 % les prélèvements sur les intérêts bancaires : les remous provoqués par cette idée démontrent qu’elle a été avancée dans le but d’augmenter les rentrées du Trésor sans, en parallèle, être insérée dans le cadre plus global de la refonte de l’impôt sur le revenu. En effet, dans un système d’imposition équitable et efficient, les intérêts des dépôts bancaires seraient ajoutés au revenu imposable du déposant et assujettis au taux de taxation auquel ce contribuable est passible sur son revenu. Alors que les salaires sont imposés jusqu’à des taux de 20%, selon les tranches, le contribuable (particulièrement le salarié) libanais comprendrait sans peine qu’on prélève 5 et même 7 % sur les intérêts.
La dette publique, grand absent du budget Au-delà de sa double dimension comptable et fiduciaire, le budget est l’outil primordial qui permet au gouvernement d’affiner la gestion des finances publiques à l’horizon de l’année fiscale en cours, mais aussi dans le moyen terme. De ce fait, les obligations qui engagent la responsabilité financière de l’État, au présent et à l’avenir, doivent être dûment enregistrées et détaillées au budget. Cela devrait s’appliquer en premier lieu à la dette publique qui au Liban représente l’engagement financier le plus significatif de l’État, et dont le service est le poste le plus important de dépenses. |