On qualifie le nouvel ordre économique mondial d’américain. Mais est-ce si sûr ? Ne serait-il pas plutôt aux couleurs du drapeau libanais ? À voir les hommes et les femmes qui en font tourner la machinerie compliquée, c’est bien le troisième monde qui domine. Parmi eux, une communauté se singularise : les Libanais. Il suffit de quelques noms pour se rendre compte de leur extraordinaire influence sur le cours de la finance internationale et, plus particulièrement, américaine. Parmi les plus connus, citons : John Mack (président de Morgan Stanley), Philippe Jabre (fondateur et président de Jabre Capital Partners), George Boutros (président des fusions et acquisitions du pôle high-tech chez Crédit suisse), Youssef Nasr (président de la région Moyen-Orient pour HSBC), Tom Barrack (président et fondateur de Colony Capital), Habib Kairouz (associé Rho Capital Partners), Samir Assaf (responsable mondial des marchés pour HSBC)...
Faut-il voir là un nouvel avatar de la légendaire bosse du commerce libanaise ? « Nous sommes des commerçants dans l’âme, c’est vrai. Au Liban, qui plus est, existent des filières scientifiques d’excellence », explique Youssef Dib, responsable des grands comptes de la banque privée chez BNP Paribas (Paris). Beaucoup des hommes interviewés pour ce dossier (qui ne compte qu’une seule femme) comparent d’ailleurs leur métier à celui des marchands des temps anciens. « Le but est le même, les moyens simplement différents », avance ainsi Paul Raphaël, responsable des investissements du Crédit suisse pour la région asiatique (Hong Kong).
Au-delà cependant de l’image d’Épinal, et peut-être de cette fameuse “wasta” qui leur permet une fois l’un d’entre eux en place d’ouvrir aux autres les portes des entreprises, des considérations historiques interviennent. Car tous ces hommes ont au moins en commun d’avoir dû fuir le Liban. Entre 1975 et 1980. “Expatriés” ou “immigrés”, à Paris, Londres, Genève, New York ou San Francisco, leur rage de réussite les a poussés, pour beaucoup d’entre eux, à se surpasser.
Sans doute avaient-ils besoin de se prouver à eux-mêmes, comme aux pays qui les accueillaient, puis, plus tard, aux entreprises qui leur faisaient confiance, leur indéfectible loyauté. « Nous autres Libanais ne sommes jamais meilleurs qu’à l’étranger. Pour réussir, il faut savoir partir », assène, amusé, Ziad Makkawi, fondateur d’Algebra Capital, un cabinet de conseils en investissements (Dubaï). Cette extraordinaire connexion libanaise, dominant la finance internationale, trouve toutefois aussi son origine dans une explication plus terre à terre. Il y a peu de place au Liban pour qui veut faire carrière dans la finance au plus haut niveau, même si le secteur bancaire local est l’un des meilleurs de la région. Un Américain, un Français ou un Espagnol peuvent, eux, espérer rester dans leur pays natal et évoluer au sein d’entreprises locales aux ambitions internationales. Un Libanais, lui, devra nécessairement envisager le départ s’il entend progresser.
Mais, autre point commun de ces hommes, le lien avec le Liban demeure vivace. Certains, à l’instar de François Kayat, responsable mondial des fusions et acquisitions du groupe français Calyon, peuvent considérer « être passé à autre chose, sans nostalgie aucune ». Pourtant, il avoue également, à l’image de Fady Abouchalache, président de Quilvest Group (Paris) « la charge émotionnelle », qui toujours le relie à sa terre. Être libanais alors les distingue. « C’est cet espace qui me construit », avance ainsi Samir Assaf, responsable mondial des marchés du groupe HSBC (Londres). Même un Tom Barrack, fondateur et président de Colony Capital (Los Angeles), pourtant deuxième génération d’immigrés, revient à chaque interview sur ses origines libanaises pour expliquer son succès : « Mon éducation est américaine, mes origines au Moyen-Orient. » Ce dossier ne prétend pas à l’exhaustivité. Ce n’est surtout pas un palmarès. Il s’agit plutôt d’un aperçu de quelques très belles “success-stories” qui racontent, au-delà des titres ou du rang social des uns et des autres, l’incomparable réussite des Libanais de l’étranger.