Ils seraient 3 000 à Dubaï… Peut-être 20 000 dans le monde voire, si l’on tient compte de certaines projections publiées dans la presse, 60 000 d’ici à fin juin… La rumeur ne cesse d’enfler à propos du retour attendu des Libanais expatriés, forcés de revenir à Beyrouth en raison de la crise économique mondiale et de la perte de leur emploi. À mesure que la crise financière se transforme en une récession mondiale, les estimations s’amplifient sans qu’aucune étude sérieuse ne vienne les étayer. « Toute projection chiffrée est, à l’heure actuelle, pure spéculation. Rien ne permet de fournir des statistiques crédibles. Même si on peut estimer que les Libanais de la diaspora sont et seront touchés, peut-être plus que d’autres communautés, du fait d’une plus grande implication dans les métiers liés à la finance ou à l’immobilier, deux secteurs en crise », fait valoir, très prudent, l’économiste Marwan Iskandar. Un autre chiffre circule : la finance mondiale aurait déjà réduit ses effectifs de 20 à 25 %, tous métiers et toutes places confondus. « Certains départements comme ceux de la titrisation, des crédits structurés, etc. ont été décapités. Les licenciements pourraient continuer en 2009. Mais dans quel ordre de grandeur ? On avance, au final, une compression du business de 30 à 40 %, et donc potentiellement des réductions d’effectifs du même ordre, soit un retour au périmètre d’il y a cinq ans. « Mais prévoir est impossible », avance un banquier londonien, toujours en place, qui tient à garder l’anonymat.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) affirme que la crise économique générera 20 à 25 millions de chômeurs en plus d’ici à 2010, portant leur nombre à quelque 210 millions de personnes dans le monde. Parmi eux combien de Libanais ? Et combien d’entre eux ont gardé suffisamment de liens avec leur pays d’origine pour y revenir ? Et, le cas échéant, combien susceptibles de réfléchir à un projet professionnel, qui les ancrerait à nouveau au Liban ? La réponse n’est pas aisée. Car, si des Libanais expatriés sont bien de retour – beaucoup de personnes interrogées se prévalent de relations ou d’amis dans ce cas –, leur nombre s’avère impossible à jauger. « Certains Libanais viennent de rentrer définitivement après 10 ou 20 ans à l’étranger, alors que leur retour semblait peu probable du fait de cette absence prolongée. À la perte de leur emploi, s’ajoutent des raisons personnelles : besoin de faire le point, sensation d’avoir épuisé les “joies de la vie occidentale”… D’autres, au contraire, qui n’ont effectué que trois ou quatre ans en Europe ou aux États-Unis, restent dans leur pays d’adoption dans l’espoir de retrouver un poste rapidement. Trouver des motivations communes, fournir un portrait-robot du candidat au retour est très difficile », reprend un autre banquier.
Les expats tâtent le terrain
Seule solution : sonder différents secteurs professionnels afin de savoir s’ils ont été approchés par des Libanais, désireux de se rapatrier à Beyrouth. Du côté de la banque, l’assaut tant annoncé n’est pas encore survenu.
« Nous sommes continuellement contactés par différents profils vivant au Liban ou à l’étranger, et nous n’avons pas ressenti un accroissement particulier de la demande d’emploi depuis le début de la crise », fait valoir Renalda Hayek, directrice générale adjointe et directrice de la division des ressources humaines de la Banque Byblos. Au sein de la Bank Audi, le constat est identique. La banque avance ainsi : « Nous n’avons pas reçu un nombre exceptionnel de demandes d’emploi de la part de Libanais installés à l’étranger, même s’ils sont en hausse significative ces derniers mois : si l’on compare avec l’année 2007, on s’aperçoit que le nombre de CV reçus en 2008 de la part des Libanais de l’étranger, notamment des Émirats arabes unis, d’Arabie saoudite, du Qatar et du Koweït, a triplé par rapport à 2007. Plus particulièrement, durant le dernier trimestre de l’année 2008. Une période où nous avons reçu autant de CV d’expatriés qu’au cours de toute l’année 2007. Attention toutefois, ce nombre ne correspond même pas à 1 % du nombre total de CV reçus. »
Du côté du bâtiment, les entreprises interrogées affirment sentir un regain d’intérêt. « Des Libanais en dehors du Liban sont en train de tâter le terrain au cas où leur entreprise devrait les licencier », témoigne une responsable d’une grande entreprise de construction. Les chasseurs de têtes confirment des contacts accrus. « Depuis deux mois, nous constatons une plus grande attention de la part de Libanais expatriés pour des offres d’emploi basées au Liban, dans les pays du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord. Une centaine de Libanais nous ont fait connaître directement leur intérêt pour nos services. Et notamment des seniors. Auparavant, il existait un verrou : soit une exigence salariale trop importante, soit un souhait unique de localisation, à savoir Dubaï. Aujourd’hui, ils sont bien plus raisonnables et flexibles », explique Patricia Zahr, responsable du recrutement chez Near East Consulting Group (NECG). De là à parler d’un phénomène avéré ? « Cela n’a rien d’un raz-de-marée. Juste une tendance qui va se confirmant au fil des semaines », reprend-elle. Même si un certain nombre d’entreprises ont immédiatement vu le profit qu’elles pouvaient tirer de ce transfert de compétences. « Certaines nous ont donné un ordre clair : nous voulons des licenciés de Dubaï. La crise leur permet d’espérer attirer un personnel qui autrement aurait refusé », mentionne Patricia Zahr.
Absorber ces expats ?
Henri Chaoul, fondateur du fonds spéculatif Master Trend Capital, un hedge-fund doté d’un capital de 110 millions de dollars, basé à Beyrouth, a passé ses dernières semaines à recevoir des candidats. Pour lui, les Libanais de retour sont une véritable aubaine. « J’ai d’abord testé le marché local. Mais le niveau de qualifications, les attentes des candidats m’ont déçu. Lorsque Londres a commencé à vaciller, j’ai su que je tenais ma chance. J’allais pouvoir attirer des candidats avec de l’expérience, qui n’auraient jamais envisagé de rentrer s’ils n’étaient pas conscients de la profondeur et de la durée de la crise économique. » Henri Chaoul, qui a vécu quelque 20 ans à Paris, Londres ou Chicago avant de revenir à Beyrouth il y a moins d’un an pour créer sa propre structure, sait que, pour les fidéliser, il faudra plus que le simple charme de la terre natale. « Il y a un risque qu’ils n’acceptent de rester que le temps de la crise. Mais qui sait combien elle durera ? J’offre un salaire leur permettant de maintenir le train de vie qu’ils avaient à l’étranger, un environnement de travail international dans lequel, à plus petite échelle, ils peuvent retrouver leurs anciens challenges professionnels. Peu d’entreprises libanaises sont susceptibles de proposer pareil cadre : une poignée de banques privées tout au plus. »
Eli Mourad, directeur du cabinet de conseil en recrutement Head Hunter, n’en démord pas lui non plus : quelle que soit l’ampleur du phénomène, le marché du travail libanais n’a pas les moyen d’absorber ces nouveaux chômeurs. « L’espoir repose sur les marchés régionaux : une redistribution des ressources humaines à l’échelle régionale avec la montée en puissance de l’Arabie saoudite, du Qatar, d’Abou Dhabi ou encore du Koweït. Ces marchés toutefois ne pourront pas absorber tout le monde. » D’autres solutions pourraient-elles émerger au Liban ? « Les banques d’investissement n’ont pas d’emploi à proposer. Un renforcement des effectifs est encore possible dans les banques commerciales ou les départements d’analyses financières », avance Waël Sanyoura, directeur de la branche corporate de l’Arab Bank.
Certains hommes politiques ont lancé des appels au gouvernement pour un “plan Marshall”, afin de préparer le Liban au retour de ses enfants. « Relancer l’industrie…» ; « Aider l’agriculture… » Des mots d’ordre, qui, aussi louables soient-ils, ont bien peu de chance de se concrétiser tant ils s’inscrivent dans une réforme de très longue haleine. À défaut, on peut cependant envisager une “aide au retour” qui favoriserait, par exemple, la création d’entreprises : facilité d’accès au crédit, formalités allégées… « Ces jeunes – ou ces moins jeunes – ont acquis une expérience significative. Il serait dommage de ne pas canaliser leur énergie. Un programme d’accès au crédit afin de faciliter la création d’entreprises serait un premier pas », fait valoir Joe Saddi, président du conseil d’administration et directeur de la zone MENA du groupe Booz & Company. Adel Afiouni, responsable des marchés internationaux au Crédit suisse pour la zone MENA, parie sur l’initiative privée. « Faire de Beyrouth une place financière « alternative »... Je crois cela possible. La finance a toujours la capacité de se transformer et de créer de nouvelles opportunités, de nouveaux métiers... Le Liban pourrait attirer des structures, qui à l’image de la gestion d’actifs des banques privées, des boutiques de gestion, ou des métiers de conseils financiers nécessitent peu de capitaux, mais beaucoup d’intelligence, de technicité et d’expérience. » Même conviction de la part de Henri Chaoul, patron de Master Trend Capital, qui reste convaincu que la crise est une chance « historique » pour l’économie libanaise.
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