Nada a tout de la beauté d’une Anglaise. Un corps filiforme sur lequel est posé, comme par mégarde, un petit pull de cachemire gris et un jean déchiré. Une peau de porcelaine qu’agrémente à peine un soupçon de maquillage. « J’ai quitté le Liban à l’âge de sept ans avec mes parents. Nous sommes partis à Londres où j’ai fait toute ma scolarité, puis ma carrière. Je me sens anglaise. » Aujourd’hui pourtant, Nada est assise dans le bel appartement de sa famille, pas très loin du jardin de Sioufi. Juste des vacances ? Non, car pour elle ce retour à Beyrouth prend désormais l’allure d’une installation définitive. « J’ai derrière moi presque 10 ans d’expérience sur les marchés financiers. Spécialiste, de surcroît, des produits structurés… Ceux-là même à l’origine du déclenchement de la crise », dit-elle dans un sourire triste. Son appartement londonien vendu, sa voiture bradée, son passé se veut rangé dans des cartons. « J’étais directrice du desk des revenus fixes pour une banque allemande, installée à Londres. Auparavant, j’intervenais sur ce même secteur chez Mitsubishi Trust et Merrill Lynch. Juste avant que la crise ne démarre, en mars 2007, j’ai décidé de m’octroyer quelques mois de vacances. J’étais épuisée. Je voulais juste faire une pause de quelques mois. Je pensais retrouver un emploi sans difficulté ensuite. » La City en pleine déroute, Nada a bien essayé de rentrer à Londres, mais la situation des banques lui a interdit tout espoir. Par instants encore, Nada a le sentiment d’être coincée, loin, très loin de sa vie véritable, à Londres. « Même si mon environnement a toujours été libanais, je me rends compte que je n’ai pas tous les réflexes nécessaires pour vivre dans ce pays. J’apprends à être patiente. » Rester à Beyrouth, mais pour quoi y faire ? Voilà bien l’éternelle question. Tâter des banques libanaises ? « Inenvisageable. Mes compétences peu exploitables ici. » Après quelques mois de villégiature, la voilà qui tourne en rond. « C’est là que j’ai eu l’idée : et si je me remettais à ce qui me plaisait tant à Londres ? Ce hobby qui me calmait, me relaxait : la cuisine ? À Londres, je prenais même des cours. » Pas besoin de beaucoup d’investissements pour démarrer. Quelques kilos de farine, du beurre, un zeste de levure et pas mal de bonne volonté suffisent. « J’ai voulu mélanger la culture américaine des coffee-shop où l’on boit un thé en dégustant des cakes ou des muffins fait maison à la tradition française, tartes élaborées, saveurs mélangées. » La cuisine de ses parents squattée, Nada revisite ces desserts classiques tout en les adaptant au goût libanais. Au fil des mois, elle professionnalise sa carte dont le clou, une tarte de citron meringuée, présentée dans des verrines, commence à connaître un beau succès. Avec sa jeune cousine, elle vient de créer son entreprise de délices sucrés “Frost Cake” (1), désormais installée dans un atelier de Sioufi « Au début, ce n’était que notre propre réseau, le bouche-à-oreille. Nous écumons désormais les bazars, les marchés pour présenter nos services et petit à petit cela fonctionne. Anniversaires, buffets… Nous commençons à nous faire connaître. »