Aux États-Unis, le poker, dans sa version dite du Texas Hold’em – deux cartes par joueur, cinq autres découvertes sur le tapis –, s’est imposé comme “le” jeu par excellence. Le développement des sites de jeux en ligne au tournant des années 2000 y est pour beaucoup. Leur nombre total s’élève à environ 15 000 dans le monde (400 francophones), selon le cabinet français d’audit en sécurité informatique, CERT LEXSI, qui a diligenté un rapport sur la Cybercriminalité. Le secteur est en effet sous surveillance, car « largement contrôlé par des groupes criminels ou des sociétés qui s’affranchissent de toute conformité aux législations internationales ». Pour jouer sur Internet, rien de plus facile (du moins quand la loi n’intervient pas) : il suffit d’ouvrir un compte en inscrivant ses coordonnées bancaires. Le site prélève généralement une commission d’environ 5 % sur les mises pour se rétribuer. À la clef, un joli pactole : le “produit brut de jeux”, soit le différentiel entre le montant des mises des joueurs et les sommes gagnées qui leur sont reversées, avoisinait les 20 milliards de dollars en 2008. Cet indicateur permet de calculer le chiffre d’affaires du secteur. Grosso modo, 10 à 15 % des revenus mondiaux de l’industrie des jeux de hasard et de paris passent aujourd’hui par le web. Petit hic, la majorité des sites est illégale : 86 % de l’offre disponible sont ainsi des opérateurs “sauvages”. Le numéro un mondial, pokerstars.com en fait partie. Ses serveurs sont hébergés dans la réserve indienne de Kahnawake (Canada), un mini-paradis fiscal, qui lui permet aussi de contourner la loi sur les jeux aux États-Unis où seuls sont légaux les casinos sous licences d’État. En octobre 2007, le gouvernement américain a même adopté une loi qui rend illégaux les sites de jeu en ligne. Depuis, les banques américaines n'ont plus le droit d'accepter les transactions vers des casinos virtuels. Les Américains ne peuvent donc plus utiliser leurs cartes de crédit pour jouer sur Internet. Ils ne peuvent qu’utiliser des cartes prépayées. Ce qui explique que Pokerstars.com, qui organise quelque 3 700 tournois et où 100 000 à 150 000 internautes jouent en simultané 24 heures sur 24, mise sur son développement à l’international pour compenser les restrictions légales du marché américain.
Le monde en ligne et celui des casinos traditionnels se sont ensuite croisés lorsque les sites ont organisé des tournois avec la promesse d’une qualification aux plus grandes parties de Las Vegas (séjour et frais d’inscription offerts). Un conte de fées en particulier a mis le feu aux poudres. L’histoire de ce “pauvre” comptable du Tennessee, Chris Moneymaker (son vrai nom), qui, en 2003, a remporté l’épreuve du tournoi principal du championnat du monde (World Series of Poker de Las Vegas, ou dans le jargon WSOP). Le champion y a empoché un gain de 2,5 millions de dollars après s’être qualifié sur Internet moyennant une inscription initiale de 40 dollars… À la même époque, les télévisions ont commencé à retransmettre les finales des gros tournois avec juste ce qu’il faut de mise en scène (jeune femme sexy en minijupe et bottes de cow-boys, argent tombant du ciel comme par miracle) pour en faire un spectacle très grand public. Une émission en particulier “High Stakes” (“gros enjeux”) a monté en épingle des parties de “cash” à enjeux colossaux, la mise initiale donnant le droit de participer, étant de 100 000 à 500 000 dollars. Du coup, des joueurs, comme Phil Ivey, Doyle Brunson, sont devenus des “peoples” tandis que les stars d’Hollywood, tels Ben Affleck ou Tobey Maguire, Monsieur Spiderman, affichent, sans complexe, leur addiction au bluff.
Amateurs ou semi-pros, stars ou illustres inconnus, tous ne rêvaient que d’une chose : se retrouver au “Main Event” de Las Vegas, le plus gros tournoi de la planète. En 2006, celui-ci a attiré quelque 9 000 joueurs (le ticket d’entrée se jouait à 10 000 dollars par tête). Le vainqueur a quitté Las Vegas avec la coquette somme de 12 millions de dollars en poche. Mais depuis, rien ne va plus. En 2008, l'emblématique MGM Mirage a connu une année noire avec un chiffre d'affaires de 1,8 milliard de dollars, en baisse de 6 % quand l’autre grand groupe, le Las Vegas Sand, lui, est passé à un fil de la banqueroute pure et simple. Une enquête du New York Times pointe plusieurs raisons. Pour le quotidien américain, les casinos ont été pris de folie des grandeurs : ils ont développé une offre pléthorique, alors que de plus en plus de joueurs s’adonnent à leur passion sur Internet.
Qu’à cela ne tienne : les marchés européen, latino-américain ou asiatique représentent désormais le nouvel eldorado. En Europe, on compte beaucoup sur les retombées de l’EPT (European Poker Tour), organisé depuis 2004, sur le modèle du WSOP américain et sponsorisé par Pokerstars.com. Dans l’Hexagone, l’ex-chanteur pour minettes Patrick Bruel mène, depuis 2005, une carrière parallèle de joueur semi-professionnel, voire d’homme d’affaires averti. Bruel coproduit notamment une émission de poker sur Canal+ qui cartonne avec 400 000 téléspectateurs (dont 30 % de femmes). Et surtout fait tache d’huile : les chaînes câblées voulant toutes leur émission spéciale. Le marché est, il est vrai, porteur : 500 000 à 600 000 personnes s’adonnent au poker dans les casinos de France, tandis que 300 000 à 400 000 sont des accros des mises en ligne, selon le cabinet CERT LEXSI. Une vague qui ne se limite d’ailleurs pas au poker. En 2008, l’activité Internet de la Française des jeux (Loto, entre autres) représentait 550 millions d’euros (1,6 % de son produit brut de jeux) tandis que le PMU, qui monopolise le créneau des paris sportifs et turfistes, récoltait quelque 200 millions d’euros de son activité en ligne (4,1 % de son produit brut de jeux). Sans compter les sites offshore, localisés au Costa Rica, Malte, Chypre, ou Gibraltar dont l’activité aurait généré quelque 400 millions d’euros en 2005, dernière estimation connue, fournie par le cabinet d’expertise CERT LEXSI.
Pour tous les acteurs, l’avenir est à chercher du côté d’Internet. Le premier groupe de casinos Partouche n’a pas attendu le feu vert des autorités françaises pour lancer partouche-game.com (serveur hébergé à Gibraltar). De nouveaux petits génies d’Internet, à l’image de Marc Simoncini, le fondateur du site de rencontres Meetic, a lui aussi lancé Wan-Poker. Gratuit, il sert d’antichambre à un autre site, payant cette fois et hébergé au Royaume-Uni, winamax.com, pour lequel Patrick Bruel, toujours lui, joue les têtes d’affiche. Face aux pressions de la Commission européenne, qui entend mettre fin au monopole des États, la France a décidé d'ouvrir le marché des jeux en ligne d’ici à la mi-2009. Pour l’heure toutefois, son gouvernement n’en a pas indiqué le périmètre, ni le niveau de taxation envisagé : aujourd’hui, l’activité des casinos “en dur”, du PMU et de la Française des jeux, lui rapporte tout de même 5,5 milliards d’euros. De quoi réfléchir avant de parier.