1946-1958 : un processus d’autonomie chaotique
Au départ de la France en 1946, si leurs chemins se sont séparés, le Liban et la Syrie sont restés économiquement siamois. Une même monnaie – la livre libano-syrienne – les liait. Une Commission mixte supranationale d’intérêts communs chapeautait les douanes, les postes et les communications. Cet organisme, doté de pouvoirs législatif et exécutif importants, empêchait les deux pays de voler de leurs propres ailes. Pourtant, leurs habitudes économiques étaient et sont toujours aujourd’hui profondément différentes : commerçant et maritime par tradition, le Liban favorise la libre entreprise et le libre-échange. À la fin des années 1940, la Syrie est davantage tournée vers l’intérieur et a du mal à trouver sa voie après des années sous autorité ottomane.
Ces divergences mettent à mal l’union douanière entre les deux pays. L’accord, conclu en 1945, prévoyait la levée des barrières douanières pour les produits libanais et syriens, l’uniformisation des tarifs sur les importations de l’étranger et la coordination des politiques de protection des industries locales. Mais cet accord « généra des déséquilibres et des tensions dès les premières phases d’application », souligne le président du centre de recherche de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth, Albert Nasr. Par exemple, les Syriens souhaitaient maintenir les taxes sur l’importation de la farine et du textile, alors qu’elles pèsent lourd sur les revenus des ménages libanais.
Très vite, des protestations s’élèvent dans les milieux nationalistes beyrouthins contre le déficit de la balance commerciale libanaise au profit de la Syrie. « C’était la Syrie qui produisait et le Liban qui consommait », souligne l’économiste Youssef Chaitani dans son ouvrage “Post-colonial Syria and Lebanon : the decline of Arabnationalism and the triumph of the State”.
Les deux pays échouent à uniformiser leurs tarifs douaniers sur les importations et adoptent deux approches différentes face au secteur industriel : la Syrie opte pour un soutien massif à l’industrie, tandis que le Liban se focalise sur les services.
La mise en concurrence des deux pays pour l’embouchure de l’oléoduc Tapline de la compagnie Aramco, qui devait s’étirer du golfe Persique jusqu’à la Méditerranée, attise également les rancœurs. Ce dernier traverse la Syrie sur 600 kilomètres, mais l’entreprise américaine choisit finalement Saïda comme port d’exportation vers l’Europe et les États-Unis.
La signature de l’accord monétaire de 1948 entre le Liban et la France est une nouvelle cause de rupture entre les deux voisins. La livre libanaise et la livre syrienne appartenaient à la zone franc, mais restaient librement convertibles en livres sterling à un taux garanti contre les dévaluations du franc. Après la Seconde Guerre mondiale, la France se déclare hors d’état de continuer d’assumer cette garantie de change. L’accord de janvier 1948 libère la livre libanaise de ses liens avec l’ancienne puissance mandataire et du voisin syrien.
Damas décide alors également de faire de même. Une catastrophe pour les marchands libanais, car la devise syrienne devient non convertible. « Le conflit monétaire a été considéré par la plupart des gens comme le coup de grâce, accélérant une séparation devenue inévitable », note Youssef Chaitani. À quelques exceptions près, le Liban n’impose plus aucune restriction sur les importations et finance son déficit commercial à travers l’exportation de services et les transferts de capitaux. Dans un système de change contrôlé, la Syrie veut au contraire économiser ses réserves de change en créant des industries de substitution aux importations et en favorisant les exportations.
Le décret 12 adopté par Damas en août 1948, qui assoit la mainmise du gouvernement sur le commerce et les transactions financières extérieurs, est assorti d’un embargo sur les marchandises à destination du Liban. Le coup d’État de 1949 en Syrie marque ensuite la fin de l’union douanière entre les deux pays.
Le divorce économique est définitivement prononcé en mars 1950. En cause, l’idée évoquée par Damas d’une fusion totale des deux économies. Cette perspective déplaît fortement aux Libanais, jaloux de leur indépendance fraîchement acquise. Les répercussions ne se font pas attendre : la Syrie, principal fournisseur de nourriture au Liban, instaure une sorte de blocus aux frontières. « Les graines étaient l’arme choisie par le gouvernement syrien dans sa dispute monétaire avec le Liban, rapporte Youssef Chaitani. Ces signes protectionnistes de la Syrie n’étaient pas acceptables pour le Liban, très attaché à sa culture entrepreneuriale et au principe du “laissez-faire”. »
La fermeture des frontières économiques de la Syrie s’explique également par la concurrence déloyale des produits étrangers, certains très bon marché, qui transitaient par les ports libanais. Selon Youssef Chaitani, les coûts de production en Syrie étaient sept fois supérieurs à ceux calculés aux États-Unis, en Égypte et en Irak. « La fermeture du marché syrien a été un acte de souveraineté pour protéger notre industrie », justifie Mtanios Habib, ancien ministre du Pétrole du régime d’Assad père et professeur d’économie.
Un accord a minima est finalement signé entre les deux pays en 1953. Le texte exempte une série de produits industriels et agricoles de taxes douanières et impose des tarifs minimums sur certains produits importés de l’étranger.

1958-1970 : la socialisation massive de la Syrie l’éloigne du modèle libanais
Entre 1958 et 1961, l’adhésion de la Syrie à la République arabe unie de Nasser popularise ce qu’on appelle à l’époque le “socialisme arabe” dans le pays et pose les bases de l’orientation économique des cinquante années à venir.
Au cours des années 1960, plus d’une centaine d’entreprises sont nationalisées, dont des activités de distribution de pétrole et de transformation de coton. Près de 70 % des activités d’import-export passent également sous la coupe de l’État. Le pays se dirige vers une économie providence, axée sur les classes populaires. Mais ce tournant déplaît aux propriétaires terriens et au secteur privé, qui font pression pour conserver leurs activités en l’état. Le gouvernement gèle alors les nationalisations et leur laisse le champ libre dans les secteurs de l’immobilier et la construction. En 1963, le parti Baas prend le pouvoir à Damas. Commence alors une période de socialisation radicale de l’économie. Soutenu par des partisans majoritairement issus des classes rurales et populaires, le parti adopte une politique économique inspirée du régime soviétique, dont l’État est l’acteur principal. C’est de cette époque que date la migration d’une partie importante de la bourgeoisie syrienne vers le Liban où elle s’implante durablement et y développe de nouvelles affaires, avec, souvent, beaucoup de succès.
De son côté, le Liban continue sa politique de développement axée sur le commerce triangulaire et les services. En 1963, le “code de la monnaie et du crédit” instaure la création d’une banque centrale à l’expiration du privilège d’émission de la Banque de Syrie et du Liban en 1964. Cet accord fait de la livre libanaise la seule monnaie ayant pouvoir libératoire au Liban, une décision contestée par la Syrie. Le pays devient alors le refuge pour les capitaux et les entrepreneurs de la région, ce qui lui vaut le surnom de “Suisse du Moyen-Orient”.
Dès 1969 en Syrie, une dette extérieure galopante et une croissance en berne remettent la frange plus libérale du parti sur le devant de la scène. Après 13 coups d’État en 17 ans, la Syrie n’a toujours pas de politique économique claire. L’arrivée de Hafez el-Assad au pouvoir ouvre en 1970 l’ère du “infiraj” (détente), qui marque le début de l’ouverture et le recentrage sur la nation au détriment de la région arabe.

1970-1991 : l’infiraj, selon Hafez el-Assad
Le nouveau président tend la main au secteur privé en facilitant l’octroi de licences industrielles, en soutenant l’emprunt et en entamant la dérégulation des secteurs commerciaux et industriels. Des zones franches voient le jour à Tartous et Alep, et de nombreuses restrictions sur l’import-export sont assouplies. Un décret de mars 1974 autorise les entreprises privées à contracter des emprunts auprès d’investisseurs privés pour développer leurs activités. En 1973, 32 % du commerce extérieur est contrôlé par le secteur privé, selon les conclusions de Syed Aziz el-Ahsan dans son ouvrage “Economic policy and class structure in Syria : 1958-1980”. Néanmoins, la création d’un code pénal économique place une épée de Damoclès au-dessus des importateurs, qui risquent la prison au moindre écart par rapport aux réglementations.
L’arrêt de l’activité du pipeline venant du nord de l’Irak en 1976, qui était une large source de devises étrangères en taxes de transit depuis les années 1940, affecte les finances du pays. Puis la détérioration du niveau de vie des classes populaires, terreau politique du régime, pousse Hafez el-Assad à revenir en 1977 aux recettes éprouvées de l’économie socialiste, en taxant lourdement les entreprises privées tout au long des années 1980. La chute des prix du pétrole assèche les revenus de l’État, qui doit alors faire face à l’inflation et une dette extérieure qui atteint 2,3 milliards de dollars en 1983. Entre 1982 et 1987, le PIB par habitant chute de 15 %. Plutôt que de demander de l’aide aux institutions financières internationales, Assad mise alors sur le secteur privé. Le gouvernement favorise les exportations à tous prix, au détriment des besoins du pays.
Cette tendance va aboutir à la loi 10 de 1991 sur l’investissement, tournant dans l’histoire économique syrienne.
Pendant que la Syrie cherche à accommoder l’idéologie socialiste, l’économie libanaise est de son côté en proie avec les affres de la guerre. Destructions des infrastructures, pertes matérielles et humaines, les forces vives du pays sont atteintes. Le coup le plus rude vient de la dévaluation monétaire dans les années 1980 qui appauvrit des pans entiers de la population. Bien que le secteur privé ait continué de faire preuve d’un très grand dynamisme tout au long du conflit, l’économie en sort exsangue et le “modèle” libanais doit être entièrement revu à la fin de la guerre.

1991-2005 : timide ouverture syrienne, un Liban sous influence
Au début des années 1990, l’impossibilité du secteur public à générer suffisamment de croissance pousse le régime de Hafez el-Assad à sortir progressivement du modèle d’économie dirigée (voir interview Jihad Yazigi). L’émergence d’une nouvelle bourgeoisie contribue par ailleurs à différencier les acteurs économiques et politiques, auparavant étroitement liés. Les entrepreneurs libanais mettent alors le pied dans la porte. Ils commencent à investir dans un marché économiquement vierge en termes de services et où tout est à moderniser.
Au niveau macroéconomique, les relations économiques entre les deux voisins sont codifiées dès 1991 par une série d’accords placés dans le cadre du traité de fraternité, de coopération et de coordination.
Au-delà de ce cadre global, les flux financiers entre les deux pays empruntent souvent des voies aux frontières de la légalité. Trafics et prises d’intérêts dans diverses activités illicites auraient rapporté jusqu’à un milliard de dollars par an à la Syrie, selon un rapport américain de 1992.
Pendant cette période de “reconstruction” au Liban, les besoins de l’économie libanaise à l’égard de la Syrie (main-d’œuvre bon marché, électricité, produits alimentaires…) sont en phase avec les intérêts économiques de la Syrie et sa volonté d’ingérence dans les affaires libanaises.

Depuis 2005 : une nouvelle ère ?
Arrivé au pouvoir en 2000, Bachar el-Assad poursuit la désétatisation de l’économie syrienne. Le jeune président « souhaite instaurer un changement radical rendu nécessaire par deux choses : la montée en puissance du chômage et la réduction des revenus pétroliers qui représentaient 70 % du budget du gouvernement en 1991, contre moins de 30 % aujourd’hui », explique Fuad Lahham, directeur général de FL Management Consultants à Damas.
Le président transfère peu à peu la prise de décision au ministère des Finances et à la Banque centrale. En 2005, le 10e Congrès du parti Baas lance officiellement le processus de transition visant à passer d’une économie planifiée à une économie “sociale de marché”. Ce signe d’ouverture reste toutefois limité, car le processus est freiné par les blocages et les lenteurs de l’administration syrienne.
Parallèlement, au Liban, 2005 marque la fin de l’occupation syrienne. Les tensions politiques entre les deux pays paralysent le Haut Comité syro-libanais et entraînent des mesures de rétorsion à la frontière. Cela se traduit par une chute des échanges commerciaux entre 2005 et 2006. Mais l’année suivante, le volume d’importations et d’exportations entre les deux pays a dépassé son niveau de 2005, et il n’a cessé d’augmenter depuis. En juillet 2008, le Syria Report soulignait que « les échanges commerciaux bilatéraux ont en réalité augmenté après la mort en février 2005 de Rafic Hariri. En 2007, ils ont atteint un niveau inégalé depuis seize ans ».
L’implantation d’entreprises libanaises en Syrie augmente : banques, assurances et entreprises de services du pays du Cèdre occupent une place de choix sur la place de Damas. Les spécialistes voient le libéralisme économique du Liban comme une soupape de sécurité indispensable au régime de Damas pour freiner la sortie de son système autocentré et ainsi conserver une certaine stabilité sociale. « Le taux de chômage officiel est aujourd’hui d’environ 15 %, mais le chômage réel est plutôt de l’ordre de 54 % », s’inquiète Mtanios Habib, qui n’ose pas imaginer la situation si le pays s’ouvre trop vite à l’économie de marché. En parallèle, la Syrie apparaît aux entrepreneurs libanais comme un marché naturel pour leur expansion géographique. Si elles n’ont jamais été complètement rompues, même au plus fort des tensions politiques, les relations économiques et commerciales entre les deux voisins sont désormais en phase d’intensification.



Fraternité, coopération et coordination : du traité à la réalité

Sahar al-Attar

Depuis la fin de la guerre civile, les relations entre le Liban et la Syrie sont régies par le traité de fraternité, de coopération et de coordination, signé le 22 mai 1991 à Damas par les présidents Élias Hraoui et Hafez el-Assad. Selon le deuxième article de ce traité, les deux États sont tenus de « coopérer et coordonner leur action dans les domaines de l'économie, de l'agriculture, de l'industrie, du commerce, des transports et communications et des douanes, entreprendre des projets communs et coordonner leurs plans de développement ».
Pour réaliser cet objectif, le traité prévoit la création d’un haut conseil syro-libanais, composé des présidents, des Premiers ministres, des vice-Premiers ministres et des présidents de la Chambre des deux pays. Cet organe, qui doit se réunir une fois par an et dont les résolutions ont force obligatoire, est assisté par les commissions ministérielles (se réunissant tous les deux mois), ainsi que par un secrétariat général basé à Damas et dirigé par Nasri Khoury.
Du traité de fraternité découleront une quarantaine d’accords bilatéraux et plus de quatre-vingts protocoles, contrats, memorandums d’entente et autres outils de coopération, couvrant tous les aspects des relations entre les deux pays.
Au niveau économique, un accord-cadre est conclu en 1993, consacrant le principe de la liberté de circulation des hommes, des marchandises et du capital, en vue de l’établissement d’un marché commun. Une dizaine d’autres accords suivront. Pas un domaine ne sera dispensé : industrie, agriculture, transport maritime, aérien et ferroviaire, travail, tabac, électricité, eau, fiscalité, poste, télécommunications, investissements…
En théorie, la coopération entre pays voisins est un objectif louable, à condition d’avoir été négociée dans l’intérêt des deux États. Or, le pouvoir de négociation de la partie libanaise était sérieusement limité à l’époque, ne serait-ce que par la présence de soldats syriens sur le sol libanais.
Un acteur des négociations se souvient de comment se déroulaient les réunions : « La plupart du temps, la délégation libanaise arrivait à la table sans aucune préparation et repartait après avoir paraphé un texte entièrement élaboré par les Syriens. »
Ce déséquilibre dans le rapport de force s’est fait notamment sentir dans l’accord sur le partage des eaux de l’Oronte, signé en 1994. Avant d’être amendé en 2002, le texte privilégiait clairement les intérêts syriens.
Cette époque est-elle révolue ? Le gouvernement actuel veut le croire. Cinq ans après le retrait des troupes syriennes, l’État libanais s’estime en mesure de (re)négocier avec son voisin. Après sa visite à Damas, le Premier ministre Saad Hariri a demandé aux membres du gouvernement de se pencher sur les accords libano-syriens relevant de leurs compétences. Des pourparlers avec les autorités syriennes devraient commencer à partir de mars, en principe.
Le travail de préparation est loin d’être terminé. Mais selon une source ministérielle, le Liban ne réclamera sans doute pas la révision d’accords à caractère économique. « En général, les textes sont équitables et respectent le principe de réciprocité. Les problèmes se situent surtout au niveau de l’application. C’est de cela que nous parlerons avec les Syriens », explique-t-elle.
Quand les textes sont appliqués, et ce n’est pas le cas de tous, ils ne le sont que partiellement. Dans les accords de coopération industrielle et agricole, par exemple, seul le volet relatif à l’abaissement des droits de douane a été mis en œuvre. Le rapprochement prôné au niveau des politiques sectorielles des deux pays ainsi que l’appel à entreprendre des projets communs sont restés lettre morte.
Ce manque de coordination a produit des effets indésirables, comme l’a expliqué Georges Corm lors de son intervention à un congrès sur les relations syro-libanaises l’année dernière à Damas. « Les divergences croissantes au niveau des politiques économiques dans les deux pays ont engendré une grande différence dans la structure des prix, des rémunérations et des salaires entre les économies libanaises et syriennes. Cela a eu des répercussions négatives », a souligné l’ancien ministre des Finances, en citant la contrebande, l’afflux massif d’ouvriers syriens sans couverture sociale et le coup porté à la compétitivité des produits libanais par la politique de subventions agricoles et industrielles en Syrie. Inversement, les banques libanaises ont longtemps profité de la faiblesse du secteur bancaire syrien. Mais « depuis la libéralisation partielle, les banques libanaises sont présentes en Syrie en partenariat avec le secteur privé syrien. C’est un premier pas vers une complémentarité saine », a-t-il ajouté. Cette situation reste toutefois exceptionnelle.
L’ancien ministre des Finances s’est ainsi étonné que les secteurs productifs libanais et syriens n’aient pas profité davantage de l’écart dans la structure des coûts entre les deux pays pour accroître leur compétitivité. Il a cité le cas des producteurs de vin libanais qui importent des raisins syriens. Mais « dans l’industrie textile, qui s’est pratiquement effondrée au Liban en raison de la concurrence asiatique, je ne suis pas au courant d’un partenariat libano-syrien, ni dans le secteur pharmaceutique en plein développement en Syrie contrairement au Liban », a-t-il déploré.
Pourtant le contexte est favorable à des partenariats, car les différences dans les orientations économiques des deux pays tendent à s’estomper, note pour sa part le directeur du centre de recherche de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth, Albert Nasr. « Au Liban, la vision d’une économie complètement dépendante des services fournis à la région est remise en question », affirme-t-il, en soulignant l’érosion de la compétitivité du Liban au niveau du commerce triangulaire et des services financiers, en raison de l’émergence d’autres acteurs régionaux, comme Dubaï.
Pour assurer une croissance durable, le Liban devra encourager aussi ses secteurs industriel et agricole.
De son côté, la Syrie a avancé sur la voie de la libéralisation. Mais son industrie, comme celle du Liban, a besoin de capter davantage de marchés à l’export, à travers les économies d’échelle, les technologies et l’amélioration de la qualité.
« Les différences de conceptions, d’aspirations et de politiques, qui avaient mis les deux économies sur des voies divergentes, n’ont pas résisté à quatre décennies d’évolution économique : les économies syriennes et libanaises doivent relever aujourd’hui les mêmes défis », conclut Albert Nasr.


Une longue liste de textes bilatéraux

Accords à caractère économique :
- Accord de coopération et de coordination économique et social (Beyrouth 1993).
- Accord sur la circulation des personnes et des biens (Beyrouth 1993).
- Accord de coopération et de coordination dans le domaine agricole (Beyrouth 1993).
- Accord sur la distribution des eaux de l’Oronte (Damas 1994).
- Accord bilatéral sur le travail (Beyrouth 1994).
- Accord sur la double imposition et l’évasion fiscale (Damas 1997).
- Accord sur la promotion et la protection des investissements (Damas 1997).
- Accord sur l’établissement de postes frontières communs (Damas 1997).
- Accord sur la navigation maritime commerciale (Damas 1999).
- Accord sur les principes de livraison et de vente de gaz brut entre le Liban et la Syrie (Beyrouth 2001).
- Accord bilatéral sur la connectivité électrique (Beyrouth, 2001).
- Accord sur les services aériens (Damas, 2001).
- Accord de partage des eaux du Nahr el-Kébir (Beyrouth 2002).
- Accord de coopération douanière (Damas 2004).
- Accord sur le transport aérien (Beyrouth 2004).
- Accord pour faciliter la création de compagnies maritimes communes (Beyrouth 2004).
- Accord de création d’une compagnie libano-syrienne pour les industries du tabac (Beyrouth 2005).

Exemples de protocoles
et mémorandums d’entente :
- Protocole de coopération industrielle (Damas 1993).
- Protocole de coopération végétale et animale (Damas 1993).
- Contrat d’approvisionnement électrique du village libanais de Tufayl (Damas 1995).
- Accord de création du Conseil des affaires syro-libanais (Damas 1995).
- Protocole de coopération sur les services postaux (Damas 1995).
- Accord de coopération entre les Chambres d’industrie de Damas et d’Alep, et l’Association des industriels libanais (Damas 1998).
- Accord de coopération dans le domaine des télécommunications (Beyrouth 1999).
- Mémorandum d’entente entre Syrian Arab Airlines et Middle East Airlines (Beyrouth 1999).
- Accord entre les deux ministères de l’Industrie sur les certificats d’origine (Damas 2000).
- Accord de fraternité et de coopération entre les ports de Tartous et de Tripoli (Tartous 2002).
- Accord de fraternité et de coopération entre les ports de Lattaquié et de Beyrouth (Lattaquié 2002).
- Mémorandum d’entente sur l’unification des principes de transport de marchandises des camions libanais, syriens et jordaniens (Beyrouth 2002).
- Protocole de coopération dans le domaine de l’exploration de gaz et de pétrole (Damas 2002).
- Mémorandum d’entente sur l’échange d’informations financières relatives au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme (2006).



Partage des eaux fluviales : des accords controversés

S. A.

Le Liban et la Syrie partagent deux fleuves : l’Oronte appelé Nahr el-Assi (le rebelle en arabe parce qu’il coule du Sud vers le Nord contrairement à tous les autres fleuves du Moyen-Orient) et le Nahr el-Kébir.
L’Oronte, qui prend sa source dans la région du Hermel au Liban avant de traverser la Syrie et de déboucher en Méditerranée via la Turquie, est un fleuve important pour la Syrie. Son exploitation est prioritaire pour l’eau potable, notamment pour alimenter la ville de Hama, et pour l’irrigation de nombreuses cultures dans les plaines syriennes. Au Liban, en revanche, son utilisation s’est longtemps limitée à la pisciculture et à des petites parcelles irriguées par des forages localisés dans la région de Kaa, souligne le directeur général des Ressources hydrauliques et électriques, Fadi Comair, dans son ouvrage “Gestion et hydrodiplomatie de l’eau au Proche-Orient”.
Les négociations sur le partage de ces ressources ont commencé dès les années 1940. Le Liban réclamait alors 126 millions de mètres cubes sur les 400 millions que compte en année moyenne le débit de l’Oronte, tandis que la Syrie ne souhaitait en concéder que 60. Un accord est signé soixante ans plus tard, dans un contexte de mainmise syrienne sur le Liban. En 1994, le ministre de l’Énergie et de l’Eau de l’époque, Élias Hobeika, signe un texte accordant à l’État libanais un droit de prélèvement de 80 millions de m3/an, répartis par périodes, à condition que le débit du fleuve soit supérieur à 400 mm3. Si le volume est inférieur à 400 mm3, le Liban ne bénéficie que de 20 % du débit annuel.
Cet accord a été dénoncé par certains experts ainsi que par le patriarche maronite comme allant à l’encontre des intérêts libanais.
« Un tiers des quantités sont allouées au Liban en période d’hiver donc hors période d’irrigation, explique Fadi Comair dans son ouvrage. Le texte ne dit rien concernant les infrastructures de stockages comme les barrages de dérivations ou d’accumulation pour exploiter la quote-part libanaise au printemps et en été, lorsque l’irrigation est nécessaire à l’agriculture. »
Les négociations reprennent donc en 1999. La partie libanaise réclame l’introduction des principes de la convention internationale des Nations unies sur le partage des cours d’eau internationaux de 1997, ratifiée par les Parlements libanais et syrien : utilisation équitable et raisonnable de l’eau, obligation de ne pas causer de dommages significatifs, coordination entre pays riverains, protection de la qualité de l’eau, etc.
Le Liban exige également le droit de construire un barrage de dérivation et une station de pompage directement auprès des sources de Aïn Zarka et Daffash, ainsi qu’un barrage de stockage en amont du pont de Hermel. Ces projets devaient permettre d’irriguer une superficie de 7 000 hectares dans la région pauvre du Hermel et de produire jusqu’à 50 mégawatts d’électricité hydraulique. Malgré la réticence de la Syrie à accorder au Liban le contrôle du débit en amont du fleuve, un nouveau texte est signé en 2002. En plus des 80 millions de mètres cubes, le Liban obtient 16 millions supplémentaires correspondant aux eaux extraites par les forages réalisés avant la signature de l’accord. « Nous sommes passés d’un accord perdant-gagnant à un accord gagnant-gagnant », affirme Fadi Comair, l’un des principaux acteurs des négociations. Mais certains chercheurs, comme le professeur à l’Université libanaise Issam Khalifé, réfutent cette affirmation et réclament une reprise des négociations sur de nouvelles bases.
« Il est clair que les discussions entre les présidents Assad et Frangié dans les années 1970 avaient lieu sur des bases plus équitables, puisque le rapport des forces n’était pas le même, tempère Moussa Nahmé, professeur à l’AUB. Mais au lieu de réclamer aujourd’hui des quantités supplémentaires, il faudrait s’interroger sur ce qu’ont fait les autorités libanaises des quantités allouées. » Rien.
Car aucun barrage n’a encore vu le jour côté libanais, tandis que la Syrie a entrepris tous les aménagements nécessaires pour exploiter les eaux de l’Oronte.
Ces barrages étaient prévus dans le cadre de la stratégie décennale de l’eau de l’État libanais, financée par le budget et programmée pour 2000 à 2010. Mais cette stratégie est sans cesse reportée faute de financements et d’intérêt pour les projets hydrauliques.
Les travaux du barrage de dérivation avaient pourtant débuté quelques mois avant la guerre de juillet. Le chantier dont le coût s’est élevé à 27 millions de dollars a subi des dégâts importants durant l’offensive israélienne. La société chinoise en charge du projet a réclamé au Haut Comité de secours 800 000 dollars d’indemnités, sans succès. La compagnie a donc porté plainte et réclame désormais plus de quatre millions de dollars de dédommagements. En attendant le chantier est au point mort.
Quant au deuxième projet, le barrage de stockage, il vient d’être envoyé pour adjudication. Initialement prévu en juin 2007 pour 39 millions de dollars, ce barrage devrait désormais coûter 135 millions de dollars.
Le scénario est quasi identique en ce qui concerne le fleuve Nahr el-Kébir. Alors que, de son côté de la frontière, la Syrie a déjà construit deux barrages sur ce fleuve, le Nahr el-Kébir reste inexploité au Liban. Un accord présenté par Fadi Comair comme un « exemple de coopération entre deux pays riverains » a pourtant été signé en 2002. Le texte alloue 40 % des eaux au Liban et 60 % à la Syrie, en fonction de la surface des bassins versants dans les deux pays. L’accord prévoit également la construction d’un barrage financé par les deux parties à égalité, alors que le Liban en profite davantage, puisque la Syrie stocke déjà plus de la moitié des eaux allouées dans les deux barrages situés sur son territoire. Côté libanais, ce barrage peut « augmenter la surface irriguée dans la région du Akkar d’environ 10 000 hectares », selon l’ouvrage de Fadi Comair.
Le coût initial du projet était estimé à 50 millions de dollars, dont la moitié devait être assurée par le Liban.
Mais l’adjudication qui devait avoir lieu en 2005 n’a pas été signée par le ministre de l’époque et la société ayant réalisée l’étude préliminaire réclame des indemnités de 600 000 dollars. Le versement de cette somme, qui doit être partagée entre le Liban et la Syrie, doit encore faire l’objet d’un accord entre les deux parties.


Transport ferroviaire : deux anciens projets à nouveau sur les rails

S. A.

En 2002, les ministres libanais et syrien des Transports ont posé la première pierre d’un projet conjoint de réhabilitation d’une ligne ferroviaire de 36 kilomètres reliant le port de Tripoli au village frontalier de Abboudiyé, tête de ligne du réseau syrien. Mais le projet n’a jamais été mis en chantier.
Il a été réactivé cinq ans plus tard, au moment de la reprise des travaux de modernisation du port de Tripoli. Fin 2007, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a donc été chargé de trouver les 35 millions de dollars nécessaires au projet, qui prévoit le remplacement d’une ancienne ligne à large voie par une ligne moderne aux normes internationales. Un train électrique devrait ainsi permettre de relier les quais du port de Tripoli au réseau ferroviaire syrien (lui-même connecté aux réseaux turc, jordanien et iranien), à une vitesse de 160 kilomètres par heure.
« Cette ligne contribuerait à relancer l’activité de transit du port de Tripoli, notamment vers l’Irak, au moment où les ports de Tartous et Lattaquié commencent à être saturés », souligne une source informée.
Selon l’accord libano-syrien, la nouvelle ligne sera la propriété de l’Office des chemins de fer et du transport en commun libanais (OCFTC) mais les travaux seront exécutés par l’Office des chemins de fer de Homs. Ce dernier sera éventuellement appelé aussi à exploiter la ligne, étant donné le manque de savoir-faire côté libanais. L’OCFTC compte en effet une vingtaine d’employés, uniquement chargés de protéger les propriétés de l’office.
Le choix de cette formule, au détriment de l’organisation d’un appel d’offres pour un contrat BOT par exemple, a été déterminé par « la nécessité de s’assurer la coopération syrienne, puisque le moindre problème de l’autre côté des frontières peut paralyser la ligne », explique la source précitée.
Selon l’étude de faisabilité réalisée par l’OCFTC, cette ligne pourrait rapidement devenir rentable et pourrait à terme être reliée à Chekka.
Encore faut-il trouver les financements. L’année dernière, le ministre Ghazi Aridi avait déclaré être en contact avec le Fonds koweïtien pour le développement à ce propos, mais pour le moment aucune annonce officielle n’a eu lieu. Une fois les fonds levés, les travaux devraient durer 18 mois.
En attendant, un autre projet est également sur les rails. Il s’agit de réhabiliter une petite voie d’environ 17 kilomètres reliant Riyak, dans la Békaa, à la ville frontalière de Serghaya en Syrie, elle-même reliée à Damas. Contrairement à la ligne Tripoli-Abboudiyé, essentiellement à caractère commercial, ce projet vise plutôt le transport de passagers. La vitesse du train, à vapeur, ne dépassera pas les 40 kilomètres par heure. Les travaux seront également menés par l’Office des chemins de fer syrien et financés par le Trésor libanais. Le coût du projet est estimé à environ un million de dollars. Selon la source précitée, trois kilomètres de rails ont déjà été réhabilités.


Les ouvriers syriens, une main-d’œuvre bon marché

S. A.

Les Syriens sont incontestablement la main-d’œuvre étrangère la plus importante au Liban. Combien sont-ils actuellement ? Difficile à dire. Théoriquement, selon l’accord bilatéral signé en 1994, les Syriens doivent obtenir un permis de travail annuel, ou un titre temporaire pour les travailleurs saisonniers. Or, l’Administration centrale de la statistique n’a recensé que 275 nouveaux permis de travail accordés à des Syriens et 370 permis renouvelés en 2008, contre plus de 15 000 permis renouvelés à des Égyptiens. De son côté, la direction de la Sûreté générale a comptabilisé en 2008 plus de 2,5 millions d’entrées de ressortissants syriens et 2,09 millions de sorties.
C’est en se basant sur les chiffres de la Sûreté générale (qui ne font toutefois pas de distinction entre travailleurs et touristes, et ne permettent pas de détecter les entrées multiples d’une même personne) que des professeurs comme Bassam el-Hachem ou Michel Morkos ont estimé la main-d’œuvre syrienne dans les années 90 à plus d’un million d’individus. Ces estimations avaient suscité un tollé général, alors que le Haut Comité libano-syrien avançait le nombre de 253 000 en 1998. Début 2005, Amnesty International parlait de 400 000 à 600 000 ouvriers syriens.
Selon différentes sources, aujourd’hui ils seraient environ 300 000 à travailler au Liban, avec ou sans carte de séjour temporaire, sans permis de travail, sans couverture sociale, dans des logements insalubres. « Leur nombre a clairement baissé d’abord grâce à une amélioration des conditions économiques en Syrie, explique le professeur à l’Université libanaise Bassam el-Hachem. Il y a aussi la disparition de la “voie militaire” par laquelle passaient beaucoup de Syriens sans aucun contrôle. »
Il y a quelques années, les Syriens pratiquaient tout genre de métiers : vendeur ambulant, coursier, pompiste, employé de supermarché, gardien d’immeuble… Aujourd’hui leur présence semble davantage limitée à quelques secteurs qui continuent de profiter, voire d’abuser, de cette main-d’œuvre bon marché. « 85 à 90 % des ouvriers non qualifiés sur les chantiers sont syriens », reconnaît un entrepreneur libanais. Leurs salaires ont été tirés vers le haut par le boom de la construction dans la région, mais ils restent avantageux. « Autrefois, nous payions 8 à 9 dollars par jour. Aujourd’hui, un Syrien est rémunéré entre 12 et 15 dollars, contre 20 dollars minimum pour un Libanais, si on en trouve », poursuit-il. Le mode de recrutement est simple, « nous négocions avec des “chefs de gang”, qui représentent des villages entiers en Syrie », explique l’entrepreneur.
Outre son prix imbattable, la main-d’œuvre syrienne a l’avantage d’être “flexible”. N’étant liés par aucun contrat de travail, ces ouvriers sont embauchés puis renvoyés selon le taux d’activité et les jours chômés ne sont évidemment pas payés. Cette flexibilité séduit également les exploitants agricoles qui cherchent une main-d’œuvre saisonnière. Dans l’industrie, en revanche, « les ouvriers syriens représentent moins de 5 % de la masse salariale, car ils ne sont pas stables. À peine formés, ils repartent en Syrie », affirme Fadi Abboud (actuel ministre de l’Industrie, il a été interrogé en tant que président de l’Association des industriels).
Les employés d’autres nationalités viennent le plus souvent sous des contrats de trois ans, mais ils ont l’inconvénient de coûter cher.
« Pour un Égyptien, l’entreprise doit payer 490 000 livres pour le permis de travail, 400 000 livres pour la carte de séjour, 130 000 livres le contrat chez le notaire, 300 000 livres d’assurance, 900 000 livres pour la CNSS, 1 000 dollars de dépôts à la Banque de l’habitat et le coût de la procédure qui est de 300 dollars », détaille Fadi Abboud. Soit un total de plus de 2 700 dollars.
La régularisation de 300 000 travailleurs syriens pourrait ainsi rapporter plus de 170 millions de dollars par an au Trésor libanais en permis de travail et de séjour, sans parler de la CNSS et des impôts sur le revenu.
Au-delà de l’aspect financier, « ce n’est pas normal qu’un pays ne puisse pas réguler la main-d’œuvre étrangère sur son territoire grâce aux permis de travail », estime Bassam el-Hachem.
La Syrie, en revanche, n’hésite pas à intervenir dans ce domaine, comme en témoigne la décision récente des autorités de limiter le taux d’emploi des étrangers dans les banques syriennes à 3 %, une décision qui a notamment touché des Libanais.
Mais une régularisation de la main-d’œuvre syrienne au Liban signifierait la fin du privilège accordé à nos voisins par rapport aux autres travailleurs étrangers. Pour justifier ce privilège, l’argument le plus souvent avancé est celui de la compétitivité de l’économie libanaise, dopée par la main-d’œuvre syrienne, très bon marché et corvéable à merci. Cela était peut-être vrai à l’époque où l’agriculture libanaise avait un poids.
Selon une étude réalisée en 2008 par InfoPro, 75 % des Syriens au Liban travaillent dans le bâtiment, un secteur dont la contribution globale à la compétitivité de l’économie est faible. Pour les professionnels du secteur, une régularisation augmenterait les coûts de construction, « mais ce ne serait pas catastrophique, surtout que les ouvriers du bâtiment ne bénéficient pas de la CNSS, affirme l’un d’entre eux. J’emploie aujourd’hui quelques Indiens sur le chantier qui me coûtent 14 à 15 dollars par jour à cause des permis de travail et de séjour, contre 12 à 13 dollars au noir ».
En fermant les yeux, les autorités libanaises incitent donc les entrepreneurs à recruter des Syriens, alors que ces derniers consomment très peu au Liban, renvoyant la quasi-totalité de leurs salaires en Syrie.
Le régime baasiste a donc tout intérêt à conserver cet avantage. Dans un article publié en 2007, le chercheur Fabrice Balanche affirme qu’« une année normale, c'est-à-dire sans guerre ou dépression économique au Liban, les remises des travailleurs syriens provenant du Liban peuvent être estimées approximativement à un milliard de dollars ». « Selon les années, ce sont entre 10 et 15 % des actifs syriens qui travaillent au Liban. Sans le Liban, le chômage passerait en Syrie de 20 % à plus de 30 % de la population active », ajoute-t-il.
Depuis 1991, tous les ministres du Travail libanais étaient d’ailleurs membres de partis politiques proches de la Syrie… jusqu'à l’arrivée récente de Boutros Harb.


Les millions de la contrebande

S. A.

Dans un rapport publié en 2007, des experts onusiens chargés d’évaluer la situation à la frontière libano-syrienne (LIBAT – Lebanon Independant Border Assessment Team) ont noté « qu’au cours des presque 30 ans de présence et d’influence syriennes au Liban, aucune mesure de sécurité à la frontière n’a jamais été mise en œuvre. Cette situation a (…) débouché sur la création de réseaux politico-commerciaux des deux côtés de la frontière qui n’étaient pas obligés de respecter la législation sur la circulation des biens ».
Ces réseaux ont survécu au retrait des troupes syriennes et continuent d’ignorer les lois en toute impunité.
« Les affaires se portent très bien », confirme Hassan*, un contrebandier du Akkar qui affirme gagner plus de 6 000 dollars nets par mois. « Les militaires sont partis, mais les mêmes personnes, au Liban et en Syrie, assurent la continuité du trafic », ajoute-t-il.
Dans le Nord, comme dans d’autres régions frontalières, la contrebande est tellement banalisée que les passeurs se font appeler “commerçants”. « Je ne travaille pas vraiment dans la clandestinité, explique-t-il. J’ai un bureau qui a pignon sur rue, neuf fourgonnettes qui font le trajet vers la Syrie tous les jours et deux camions frigorifiques. J’emploie dix-sept personnes. »
Et il n’est pas seul à frauder l’État tous les jours. « Il y a environ 700 contrebandiers “connus” au Liban », affirme Hassan.
Selon lui, la contrebande a commencé à « s’institutionnaliser » à partir des années 1990. « Lorsque j’ai commencé, en 1986, les paquets étaient transportés à travers le fleuve el-Kébir [qui sert de frontière naturelle entre les deux pays au Nord]. Puis j’ai développé des contacts qui m’ont permis d’emprunter les points de passage officiels sans être inquiété. »
Des “contacts” au prix fort : Hassan consacre 5 500 dollars par mois pour s’acheter la complicité de hauts responsables douaniers et militaires, sans parler des petites sommes versées directement aux postes frontières.
Alors qu’au début des années 90 le protectionnisme du régime baassiste alimentait la contrebande du Liban vers la Syrie, le sens du trafic s’est progressivement inversé.
« À l’époque, nous faisions passer des cigarettes, des pneus, du sucre, des appareils électroménagers… bref tout ce qui était interdit d’importation en Syrie », se souvient-il.
Aujourd’hui, certains produits fortement taxés en Syrie, notamment l’alcool, continuent de passer illégalement la frontière.
« Les commerçants libanais qui veulent exporter de petites quantités, inférieures à une tonne, vers la Syrie, la Jordanie ou l’Irak, ont également recours aux passeurs pour éviter les formalités douanières et gagner du temps », ajoute un responsable d’une société de transports.
Mais selon Hassan, la valeur des biens de contrebande introduits chaque jour en Syrie ne dépasse pas 300 000 dollars, alors que le chiffre d’affaires des contrebandiers dans l’autre sens est de l’ordre de trois millions de dollars par jour. « Avec le mazout, ça peut aller jusqu'à quatre millions de dollars par jour », ajoute-t-il. « Globalement, la contrebande de la Syrie vers le Liban représente plus de deux millions de dollars par jour », confirme un homme d’affaires syrien.
À part la contrebande traditionnelle de combustibles, tout est bon à rapporter du pays voisin étant donné la différence des prix des biens de consommation entre les deux pays. « Le kilo de sucre est à 700 livres en Syrie contre 1 250 livres au Liban. Le carton de 50 cartouches de cigarettes gauloises rouges coûte 330 dollars en Syrie contre 500 dollars au Liban. Il y a même des agriculteurs qui achètent du tabac de Syrie et le revendent à la Régie ! » affirme Hassan, qui “importe” également du liquide vaisselle, du gaz, du shampoing, de la viande d’agneau, des vêtements, des vis, des équipements industriels, du blanc de poulet... Une grande partie des produits syriens sont pourtant exemptés de droits de douane. La contrebande apparaît ainsi comme un moyen d’éviter la TVA et les formalités douanières, sans prendre de risques réels.
« Des fonctionnaires de tous les niveaux ont informé l’équipe (LIBAT) qu’ils avaient eu connaissance de cas de contrebande d’essence, de vêtements et autres biens de consommation, et que dans une grande mesure ce type de contrebande était toléré et considéré comme relativement sans importance », lit-on dans le rapport des experts onusiens remis au Conseil de sécurité.
De l’aveu même des autorités, la contrebande n’est donc pas combattue, malgré un manque à gagner important pour le Trésor libanais, qu’il soit direct (TVA) ou indirect, puisque le trafic alimente une économie parallèle.
Selon Albert Nasr, directeur du centre de recherche de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth (CCIAB), la contrebande soulève aussi un problème de santé publique, car beaucoup de produits alimentaires en vrac sont introduits de Syrie (confiture, labné, kabiss…), empaquetés par de petites entreprises libanaises non déclarées et revendus sur le marché, sans aucun contrôle hygiénique.
Mais la lutte contre la contrebande engendrerait aussi un problème de taille : celui des familles entières vivant de ces trafics le long des 320 kilomètres de frontière.

(*) Le prénom a été changé.


La contrebande de mazout
Le mazout, principal carburant de chauffage, est largement subventionné en Syrie. La flambée du pétrole en 2008 a contraint Damas à augmenter les prix des combustibles et à privilégier les subventions directes aux ménages, mais les prix du marché restent inférieurs à ceux du Liban. Le bidon de mazout est vendu en Syrie 400 livres syriennes, soit 13 200 livres libanaises. Et il arrive au Liban à 13 600 livres, alors que le prix officiel y est de 16 400 livres, avec la subvention de 3 000 livres par bidon accordée chaque hiver. Une différence qui alimente la contrebande.



Jihad Yazigi : « L’enjeu aujourd’hui est l’application des lois »

Propos recueillis par C. F.

Entretien avec Jihad Yazigi, rédacteur en chef de la lettre d’information économique “The Syria Report”.

L’économie syrienne montre de plus en plus de signes d’ouverture. Quand a commencé cette libéralisation ?
L’ouverture graduelle de l’économie syrienne a commencé dans les années 1980, alors que le pays était en quasi-cessation de paiements. Pour se procurer les devises étrangères nécessaires à la relance des échanges commerciaux, les autorités ont ouvert les frontières aux investissements étrangers dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture.

Quelles ont été les grandes étapes de cette ouverture ?
L’ouverture progressive a allégé la pression fiscale sur le secteur privé à la fin de la décennie, pour aboutir à la loi 10 sur les investissements de 1991, un tournant dans l’histoire économique du pays. Cette loi a en particulier permis aux investisseurs privés d’accéder au secteur de l’industrie. Mais la découverte de champs pétroliers peu après a fortement ralenti le processus de réformes au cours des années 1990. La production pétrolière a atteint un pic à 600 000 barils par jour en 1996, pour retomber graduellement à 400 000 barils quotidiens. Cette contrainte économique a poussé Bachar el-Assad, arrivé au pouvoir en 2000, à sortir progressivement de cette période de stagnation. La libéralisation du commerce extérieur s’est traduite par la levée de certaines interdictions d’importation, puis des taxes douanières. Ces dernières ont été significativement réduites en 2002, puis supprimées en 2005 dans le cadre de la zone arabe de libre-échange. Les pressions internationales exercées sur le pays au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 ont relancé la machine réformatrice. En 2007, la loi sur les investissements est remaniée, parallèlement à la modernisation du code du commerce et à la création de comités de protection des consommateurs et de la garantie de la concurrence. La Syrie a aussi signé un accord de libre-échange avec Istanbul, ce qui lui a ouvert les marchés du nord de la Méditerranée.
De nombreuses réformes spécifiques aux différents secteurs d’activité ont par ailleurs participé à libéraliser l’économie ; comme l’ouverture à la concurrence des marchés du ciment et du sucre : la Syrie est l’un des plus gros consommateurs mondiaux par habitant de sucre et elle importe les trois quarts de sa consommation. La “National Sugar Refinery”, créée en 2008, est le premier producteur privé de sucre raffiné. Elle appartient à la « Syrian Sugar Refinery Holding Limited », possédée à 51 % par l’homme d’affaires syrien Najib Assaf, également à la tête de la National Sugar Company. Il s’est associé à des partenaires étrangers comme Cargill et The Wellington Group.

Quels ont été les changements en termes d’investissement ?
Sur la question centrale des investissements, la loi 8 de 2007 remplace la loi 10, considérée comme trop permissive. La nouvelle version instaure un impôt sur les sociétés de 28 %, qui peut toutefois rapidement devenir dégressif. Bien que certains avantages fiscaux de la loi 10 soient supprimés (exemption d’impôt sur les sociétés pendant 5 à 7 ans) d’autres demeurent, telle l’exemption de tarifs douaniers sur l’importation d’équipements. Le nouveau texte met par ailleurs tous les investisseurs au même plan, qu’ils soient dans le secteur industriel ou dans un autre et quel que soit le niveau de leur investissement.
En 2008, le code du commerce de 1949 a été modernisé. Il est suivi par la création d’une commission sur la concurrence et les monopoles. Les investisseurs étrangers sont légalement libres de développer leurs activités en Syrie. Seul le système bancaire est encore astreint à la participation d’investisseurs locaux. Jusqu’alors monopole de l’État, l’activité bancaire s’est ouverte aux capitaux privés en 2003. Les assurances ont suivi en 2006. En 2009, un autre cap dans la libéralisation est franchi avec la création de la place boursière de Damas, en projet depuis 2003. En janvier 2010, la Banque centrale a autorisé les institutions internationales à détenir une majorité de parts dans les banques locales, une mesure qui devrait aider à attirer les grands groupes bancaires régionaux et internationaux.

Y a-t-il actuellement des freins à la libéralisation du marché syrien ?
Le poids de l’administration et les intérêts de certains acteurs économiques du pays peuvent parfois ralentir la tendance. Certains membres de la “nomenklatura” ont peu d’intérêt à soutenir l’ouverture du marché syrien, car ils gèrent les contrats exclusifs avec l’État d’importation du sucre, du riz et des produits chimiques ; trois des plus gros marchés. En 1991, l’adoption d’une loi facilitant l’investissement privé dans les secteurs manufacturiers et des transports a libéralisé un secteur auparavant géré par une poignée d’acteurs. Mais la situation évolue progressivement, certains réalisent aujourd’hui qu’ils peuvent gagner à soutenir l’ouverture économique du pays, mais cela implique une adaptation à l’économie de marché.
Du côté de l’import-export, il existe encore certaines restrictions sur les tarifs douaniers ou des blocages de certains types de denrées comme le ciment, en dépit des accords. La liberté de circulation des biens régionaux à la frontière peut encore être entravée par les habitudes de taxation informelle pratiquée sur les biens importés.
En 2009, la forte chute du pays dans les classements du Forum économique mondial et de la Banque mondiale a mis en lumière le frein mis aux réformes depuis deux ans. Depuis 2008, la Syrie a même fait quelques discrets pas en arrière. La loi qui limite à 3 % la part des salariés étrangers dans le secteur bancaire en est un exemple. Cette mesure concerne finalement peu de gens, mais elle n’est pas un signe positif pour les investisseurs étrangers. L’augmentation de la mise de fonds requise pour l’implantation de nouvelles banques privées – de 30 millions de dollars à 200 millions de dollars – montre en outre les inquiétudes de certains face à une ouverture trop rapide du secteur financier. Même tendance pour la Bourse, de taille encore très modeste mais déjà sujette à de lourdes restrictions, comme l’interdiction pour les titres de fluctuer de plus de 2 % par journée de transactions.
Le marché immobilier est également un frein au développement. Les tarifs d’achat et de location sont chers, en particulier sur la propriété commerciale et les locaux à usage professionnel, à cause de taxes élevées et d’une offre très limitée. Par ailleurs, dans le centre des villes, les immeubles construits sont bas, ce qui entrave l’implantation de services dans les zones urbaines.

Quels sont les enjeux à venir ?
L’enjeu aujourd’hui est l’application des lois. Le cadre législatif modernisé pour la libre concurrence existe, mais n’est pas toujours appliqué dans les faits. Le poids de la bureaucratie et la corruption persistante ralentissent l’évolution du marché. Il est donc nécessaire de réformer le secteur public et de réduire son poids, ainsi que de renforcer l’indépendance du secteur judiciaire et d’alléger la pression fiscale sur l’immobilier.
Il faut par ailleurs attirer davantage d’investissements étrangers, qui sont encore timides (2,1 milliards de dollars en 2008), compte tenu de l’importance du marché. Aujourd’hui, il est encore sage de s’associer avec un entrepreneur local, qui facilite l’obtention des autorisations et passe-droits. Cette situation dissuade de nombreuses entreprises.
Enfin, un accord d’association en projet avec l’Union européenne ouvrirait la porte des marchés occidentaux, mais surtout imposerait des normes économiques plus strictes et placerait le pays dans une dynamique d’ouverture résolue. Sa signature, initialement prévue en octobre 2009, a pour le moment été reportée sine die.


Les différentes étapes de la constitution d’une SARL en Syrie

C. F.

1) Retirer au ministère de l’Économie la copie réglementaire des statuts.
2) Remettre les statuts personnalisés au ministère de l’Économie pour contrôle.
3) Rectifier éventuellement les statuts à la demande du ministère.
4) Se présenter au ministère de l’Économie pour signer les statuts devant le directeur des sociétés commerciales.
5) Porter les statuts auprès des services du ministre de l’Économie pour qu’il y appose sa signature et payer le droit de contrôle des statuts (10 000 livres syriennes, soit xxx dollars).
6) Attendre la décision formelle du ministre de l’Économie autorisant la création de la société.
7) Remettre une copie des statuts au département fiscal spécialisé du ministère des Finances.
8) Payer le droit de timbre sur les statuts calculé sur le montant du capital social.
9) Ouvrir obligatoirement un compte en banque au nom de la société en cours de constitution.
10) Déposer le capital social sur le compte en banque.
11) Obtenir un certificat de dépôt du capital social.
12) Publier les statuts dans le Journal Officiel aux frais de la société en cours de constitution.
13) Présenter un contrat de bail ou un titre de propriété du siège de la société au registre du commerce.
14) Obtenir un certificat d’immatriculation et le remettre à la banque de la société.

Chaque étape peut prendre une journée et les étapes 2, 3 et 6 peuvent durer 15 jours. Commerce : l’accès au marché syrien limité par les obstacles non tarifaires

S. A.

Dans le cadre de l’accord de coopération économique signé en 1993, le Liban et la Syrie se sont engagés à libéraliser progressivement leurs échanges commerciaux dans l’objectif d’établir, à terme, un marché commun.
Cela s’est traduit par une baisse graduelle des tarifs douaniers à partir de 1999. Les droits de douane sur les produits industriels ont été réduits de 25 % par an, tandis que les droits sur les produits agricoles ont baissé de 50 % en 1999, puis de 10 % par an. Les barrières tarifaires ont ainsi disparu pour la grande majorité des produits échangés entre les deux pays, mais d’autres obstacles demeurent.
« Le Liban a toujours opté pour un régime libéral et l’accord de libre-échange avec la Syrie n’est qu’un accord parmi tant d’autres conclus ces 20 dernières années », note le directeur du centre de recherche de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth (CCIAB), Albert Nasr.
La Syrie, en revanche, a longtemps pratiqué une politique protectionniste. Le régime commercial syrien s’est certes beaucoup assoupli ces dernières années, mais les autorités continuent de protéger des secteurs-clés. « Il reste de nombreuses barrières non tarifaires, notamment certaines taxes qui peuvent majorer les prix des produits libanais en Syrie de l’ordre de 20 % », déplore Fadi Abboud (interrogé en tant que président de l’Association des industriels, avant de devenir ministre du Tourisme). Dans un rapport élaboré en 2008, la CCIAB a identifié des dizaines d’obstacles côté syrien, allant des autorisations d’importation aux mesures de sauvegarde, en passant par les monopoles publics d’importation de certains produits, la priorité accordée à la production locale dans les appels d’offres… etc.
« Je me souviens que lors du dernier round de négociation commerciale tenu en 2005, le ministre syrien du Commerce a souligné que son pays était engagé sur la voie des réformes. Mais il a prévenu que cela prendra du temps et qu’il n’y aura pas d’ouverture totale du marché avant que le processus n’ait abouti », raconte Albert Nasr.
Les commerçants libanais déplorent également la complexité des démarches administratives et la lenteur des formalités douanières en Syrie.
« Aujourd’hui ça prend du temps et ça coûte donc de l’argent d’exporter en Syrie, explique le PDG d’une société de transports, Mourad Aoun. D’un côté, il y a le problème de la bureaucratisation et du manque d’informatisation des autorités syriennes, et cela n’a rien à voir avec les produits libanais en particulier. De l’autre, il y a eu les tensions politiques entre les deux pays qui ont parfois entraîné des mesures de rétorsion aux frontières et qui ont surtout gelé la coopération entre les deux parties. »
Mais ces obstacles n’ont pas empêché les produits libanais de percer sur le marché voisin, du moins dans les chiffres. Alors que la Syrie s’est placée à la 17e place sur la liste des fournisseurs du Liban en 2008, elle a été le quatrième marché le plus important pour les produits locaux.
Selon les douanes libanaises, depuis 1993 les exportations vers la Syrie ont plus que quadruplé. Sur les onze premiers mois de 2009, dans un contexte de crise mondiale, les exportations vers la Syrie ont baissé de seulement 1,95 % par rapport à la même période de 2008, contre une baisse des exportations totales du pays de 3,28 % sur un an.
Les exportations libanaises vers la Syrie sont toutefois surestimées, car les chiffres des douanes incluent le transit et le réexport, souligne Fadi Abboud.
Parallèlement, les importations de Syrie n’ont cessé de reculer depuis 2003. Sur les onze premiers mois de 2009, la valeur des produits importés du pays voisin a baissé de 17,7 % par rapport à la même période de 2008, tandis que l’ensemble des importations libanaises a reculé de seulement 0,93 %. En termes relatifs, la part de la Syrie dans le total des importations du Liban est passée de 4,55 % en 2000 à 1,7 % en 2008.
La tendance baissière pourrait s’expliquer par le tarissement des ressources pétrolières syriennes, tandis que le tissu industriel local est sous-développé. « La production syrienne pâtit de problèmes de qualité, ou du moins d’une perception négative de la part des consommateurs libanais », souligne un homme d’affaires syrien.
Mais pour Fadi Abboud, les importations mesurées par les douanes libanaises sont loin de refléter la réalité. « Les exportateurs syriens minorent les factures pour payer moins de TVA. En ce qui concerne les produits de consommation courante, la réalité est cinq fois plus importante, en valeur », affirme-t-il. Et c’est sans compter la contrebande, ni les achats de particuliers évalués à environ 90 millions de dollars par an.
Sur les onze premiers mois de 2009, le taux de couverture des importations de la Syrie par les exportations vers la Syrie a été de 96,2 % contre un taux de 21,5 % pour l’ensemble des échanges commerciaux du Liban. Dans les chiffres, la Syrie est donc l’un des rares partenaires avec lesquels le Liban entretient des relations relativement équilibrées. Mais dans la réalité, il est difficile de savoir dans quel camp penche vraiment la balance.