Twitter, Shazam, Aka-Aki, Friendfeed, Radian6, ou encore FourSquare, Woopra… Ces noms vous disent-ils quelque chose ? Non ? Ce sont toutes des start-up innovantes dont le succès bouscule notre quotidien. Elles s'inscrivent dans cette nouvelle économie de l’innovation dans laquelle Internet, et plus spécialement le Web 2.0 (voir encadré), fournit l’ossature technologique. Avec plus de 1,4 milliard d’utilisateurs dans le monde, Internet transforme le tissu industriel, stimule la productivité, permet l’innovation en matière de nouveaux produits. Les entreprises, qui misent sur Internet, représentent aujourd’hui près de 20 % du PIB de la zone OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), et cette part est en augmentation constante. Certains d’ailleurs n’hésitent pas à parler de la naissance d’un “écosystème”, où le réel comme l’immatériel coexistent. « Une start-up, c’est une idée simple qui rencontre un besoin insatisfait. On devance le besoin. Il y a innovation, même si cette innovation représente un simple “petit pas” », affirme Hervé Cuviliez, patron du groupe Diwannee, qui rassemble des entreprises dédiées aux e-business dont Wikeez, le site d’informations dédiées au “people” du monde arabe. Si l’on en croit les projections des analystes de Google, le Moyen-Orient serait la prochaine zone à connaître sa révolution technologique. Omar Cristidis, ex-conseiller financier d’une riche famille new-yorkaise, qui désormais arpente la région au nom d’ArabNet, le premier forum arabe des entreprises du Net qui a réuni une quarantaine de start-up régionales à Beyrouth fin mars, ne dit pas autre chose. Son bâton de pèlerin en main, Omar Christidis tente de convaincre l’ensemble des acteurs de se regrouper en une seule communauté. « C’est maintenant que tout se joue », dit-il avec des airs inspirés de néogourous. Et d’énoncer des chiffres appris par cœur : « La région MENA compte aujourd’hui 56 millions d’utilisateurs Internet. 17 % de la population régionale est connectée. Pour le seul Moyen-Orient, on dénombre 6 millions d’utilisateurs Internet, soit 12 % du total de la population. Selon Vinton Cerf, l’un des vice-présidents de Google, chargé de suivre les évolutions des nouvelles technologies sur le Net, la région MENA devrait atteindre un taux de croissance record, de l’ordre de 50 %, avec 82 millions d’utilisateurs en 2013. » Cette croissance explique l’intérêt croissant des géants du Web. Pour Google, par exemple, la région représente sa plus forte croissance, en nombre d’utilisateurs comme en revenus générés devant l’Amérique du Sud. Moteur de cette croissance ? L’augmentation des dépenses publicitaires en ligne. Aujourd’hui, la publicité en ligne représente moins de 1 % des budgets des annonceurs, soit 56 millions de dollars estimés (contre 10 % de parts de marché dans le monde et un périmètre financier de 65 milliards de dollars estimés en 2009). Selon différentes études, dont le rapport Arab Media Outlook 2008-2012, publié par le Club de la presse de Dubaï en collaboration avec PricewaterhouseCoopers, la part de la publicité en ligne devrait s’accroître, passant à 4,5 % du total des dépenses d’ici à cinq ans. Au Moyen-Orient, cet “écosystème” commence à se matérialiser. Un indice sûr : l’intérêt des investisseurs, qu’il s’agisse de particuliers (business angels) ou de fonds d’amorçage (seed capital), voire des fonds de capital-risque. « La crise financière mondiale, qui a en particulier touché Dubaï, a eu plusieurs conséquences positives. Elle a d’abord permis le rapatriement de fonds de la région qui auparavant ciblaient les économies occidentales. Certains investisseurs, qui privilégiaient la spéculation immobilière et la Bourse, recherchent désormais des placements à valeur ajoutée dans des industries porteuses. Les entreprises du Net sont en ce sens une nouvelle cible », fait valoir Walid Hanna, qui vient de fonder un fonds de capital-risque pour le Moyen-Orient, Middle East Venture Partners, à partir de Beyrouth après avoir été le responsable d’un fonds identique, ABAN, pour le compte de Dubai International Capital pendant plusieurs années. Autre preuve : la consolidation des acteurs financiers régionaux. Abraaj Capital, le fonds de capital-risque de Dubaï créé en 2002, a racheté en novembre 2009, Riyada Venture, un broker chargé de construire le plan de développement des jeunes start-up et de les mettre en relation avec leurs investisseurs. Ce rachat montre désormais l’intérêt des grands fonds régionaux pour les PMI-PME innovantes, la cible des investissements de Riyada Venture. « On peut tester son concept dans un pays. On ne peut développer un business à l’échelle d’un pays. Mais tout l’enjeu repose sur l’émergence de cet écosystème régional, car un seul pays est un marché trop mince », explique Fadi Bizri, ancien “startuppeur” londonien, revenu au Liban pour lancer son site social Iltaqi, qui permet de contrôler et de mieux structurer les informations qu’on fait circuler sur le web vers ses contacts. Fadi Bizri poursuit : « Il nous manque encore le trio gagnant : universités-communauté-argent. Le Liban bénéficie d’un bon réseau académique même s’il n’y a pas encore de centres de recherches d’envergure dédiés aux nouvelles technologies. La Jordanie possède les informaticiens et les Émirats l’argent. Mais ce sont encore des éléments disparates qui ne constituent pas une communauté. » Pas d’innovation, de l’adaptation Mais la région fait face à plusieurs problèmes majeurs. D’abord, une offre encore mal adaptée aux cultures locales. « Nous avons besoin de contenus en arabe », tambourine l’incontournable Samer Karam, créateur de Cooki3man, le premier service de livraison de cookies fait maison via Twitter (service aujourd’hui en sommeil) ou de Livetwitting, une application en temps réel pour traduire et organiser des milliers de twits de l’anglais vers l’arabe, à partir d’un réseau de traducteurs bénévoles. Moins de 1 % du contenu sur la Toile serait disponible en arabe, alors que cette langue est commune à quelque 300 millions d’individus. C’est sans doute pour cette raison que nombre de start-up régionales ont fait le pari de l’adaptation – copies pures et voire simples – de sites ou de modèles déjà existants. L’exemple le plus emblématique ? Maktoob, qui figure au top 10 des sites arabes les plus visités, n’est au final qu’un portail d’informations régional, copie conforme de Yahoo! ou d’AOL…. Les exemples sont légions : Banady imite Facebook si parfaitement que l’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il en est de la propriété intellectuelle… Quant à Ikbis, il copie Youtube ; Watwet, Twitter, In the loop me le réseau social professionnel LinkedIn… La faiblesse du nombre de brevets enregistrés au Moyen-Orient témoigne des carences en matière d’innovation. C’est Israël qui caracole en tête de la région avec plus de 16 000 brevets enregistrés ces dernières dix années. Israël, il est vrai, dépense entre 4,5 et 4,7 % de son PIB en recherche scientifique. Son objectif ayant toujours été de créer des systèmes de défense que l’État hébreu n'avait pas les moyens d'acquérir à l'extérieur. Mais les découvertes qui n’alimentent pas le champ militaire aident à la création d’entreprises. En 2008, l’État hébreu a breveté quelque 1 166 inventions. Ce qui lui permet de se glorifier de l’existence de quelque 3 850 start-up sur son sol… Par comparaison, l’ensemble des pays arabes sur la même période ont enregistré quelque 838 brevets. Et seulement 71 pour l’année 2008. Parmi eux, l’Arabie saoudite a déposé 43 brevets, l'Égypte 40, la Jordanie 22, le Maroc et les Émirats arabes unis 18 chacun. Selon Khalil Saïd, professeur à l’Université arabe américaine de Jénine (Palestine), qui a mené cette comparaison, les pays arabes dépensent en moyenne 0,2 % de leur PIB en R&D. Google attaque le Moyen-Orient Impossible ou presque donc de trouver des start-up “arabes” sur des secteurs comme les nanotechnologies, les énergies renouvelables, les technologies vertes… Seul secteur à se sortir de ce marasme : les technologies web. Avec l’arrivée des géants du web, Google en tête, la compétition s’est renforcée. Quant à Yahoo!, le groupe américain a racheté, courant août, le portail jordanien Maktoob, pour un montant qui n’a pas été révélé, mais estimé par la presse à 100 millions de dollars. Avec cet accord, Yahoo! profite de la base de données d’e-mails de Maktoob, estimée à plus de 30 millions d’adresses pour démarrer en force sur le monde arabe. « Depuis ce rachat, tous les geek (les fous de nouvelles technologies, NDLR) de la région ne rêvent plus que de se faire racheter par un des géants du Net pour 50 millions de dollars », s’amuse Ghady Rayess, l’un des deux fondateurs de Foo-me, une plate-forme d’applications pour téléphone mobile. C’est sans doute en partie ce qui explique l’engouement pour des “versions arabes”. Mais cette présence accrue des grandes sociétés du web mondial devrait aussi pousser les start-up de la région à jouer la carte de l’innovation pour se distinguer. Car ces stars du web développent de plus en plus leurs contenus en arabe elles-mêmes. Facebook aura-t-il vraiment besoin de racheter Banady pour prendre pied sur la Toile arabe ? Pas sûr du tout. « Nous avons besoin d’exemples de réussite qui motivent », reprend Samer Karam. En cela, les deux grandes success stories libanaises pourraient servir de moteur : Woopra, qui a construit un outil d’analyse d’audience et de suivi statistique en temps réel ou Yamli, qui permet d’utiliser la transcription latine des mots pour les obtenir en arabe. Deux nouvelles entreprises toutefois qui ont trouvéhors du Moyen-Orient l’appui dont elles avaient besoin. Les grandes success stories du Web 2.0 Nouvelle étape dans la révolution numérique : le web social (ou Web 2.0), censé promouvoir la collaboration entre acteurs du Net, le partage et la transparence. Souvenez-vous : il y a encore quelques années, les fleurons de la Net économie s’appelaient Yahoo!, AOL, MSN, IC Q… Si YouTube perdure encore, les autres semblent (presque) passés dans les limbes de l’histoire… Désormais, les Facebook et autres Twitter constituent les pépites du 2.0, répondant à la globalisation des échanges (et des moyens en place pour leur propagation sur Internet). Les stratégies, les techniques et les outils de veille médiatique, d’image ou de musique voire d’opinion commencent à suivre la tendance avec l’apparition de nouveaux acteurs. Grâce à Shazam, une application de reconnaissance auditive pour l’iPhone (et les autres produits Mac), votre téléphone identifie la musique jouée. L'allemand Aka-Aki, de même que l’américain FourSquare sont les nouveaux réseaux sociaux mobiles “géolocalisés” qui permettent à ses membres de “se détecter” dans leur ville et de communiquer entre eux en temps réel. Friendfeed, créé par deux anciens de Google (et racheté par Facebook en 2009), regroupe vos comptes de vos divers réseaux sociaux (blogs, Twitter, Facebook, flux RSS…) de façon à ce que vos amis puissent vous suivre en permanence à partir d’un seul outil. Le canadien Radian6 est un éditeur de veille sur Internet. Côté Moyen-Orient, un seul site figure parmi les entreprises les plus influentes du Net : le libano-américain Woopra qui propose de l’analyse d’audience de sites en temps réel. Il est classé parmi les 25 meilleures créations web par le très influent site ReadWriteWeb.