C’est une première depuis de longues années, le débat sur le projet de budget 2011 s’engage dans les délais constitutionnels. Le caractère exceptionnel du projet de loi de finance pour l’année prochaine ne s’arrête pas là. Il prévoit pour la première fois depuis des années des dépenses d’investissements importantes, alors que ce poste a longtemps été sacrifié sur l’autel de l’austérité budgétaire. Il s’applique à respecter les principes d’universalité et d’unicité du budget, en réintégrant notamment toute une série de dépenses publiques auparavant effectuées hors budget. Il vise à apurer les arriérés de l’État accumulés au cours des années. Ces deux derniers points sont le fruit d’un consensus formulé au moment de l’adoption en Conseil des ministres du projet de budget pour 2010, encore à l’examen au Parlement.
Sur le fond aussi, l’État retrouve pour la première fois depuis des années, en raison d’une conjoncture externe favorable, une marge de manœuvre financière inégalée : sur les sept premiers mois de 2010, l’excédent primaire (hors service de la dette) est en hausse de 277 %, à 2 900 milliards de livres (1,9 milliard de dollars). Quant au déficit global, il a diminué de 80 %, à 500 milliards de livres (331 millions de dollars) fin juillet.
Ces chiffres sont communiqués par le ministre des Télécoms Charbel Nahas qui a ajouté à ceux du ministère des Finances les excédents dont il dispose mais qu’il ne transfère pas encore en attendant que soit réglée la question de sa dette envers les municipalités (voir page 32). Nahas insiste pour saisir cette occasion afin d’engager le débat sur les grandes orientations de la politique budgétaire qui est censée être la traduction de la politique économique et sociale du gouvernement. Lors d’une conférence de presse organisée quelques jours après la présentation du projet de loi de finance en Conseil des ministres, il a donné les principales lignes directrices de ses propositions de réforme.
Son premier souci est, conformément aux engagements du gouvernement, de réduire le poids du service de la dette sur l’économie. « La baisse des taux d’un côté et l’augmentation du solde primaire de l’autre ont été bien au-delà des prévisions. Le Liban se retrouve avec un excédent financier combiné à la stabilité monétaire qui nous impose des choix ; sachant que l’absence de choix en est un, pas forcément le meilleur », a déclaré Nahas.
La flambée des cours de l’immobilier et les distorsions économiques induites par les transferts de capitaux particulièrement élevés au cours des deux dernières années dictent l’instauration de nouveaux impôts sur les revenus du capital, plaide le ministre. « L’impôt sur la plus-value foncière rapporterait à lui seul un milliard de dollars de recettes au Trésor, tout en produisant des effets bénéfiques pour l’économie », dit-il.
Une réunion entre la ministre des Finances Raya el-Hassan, son homologue des Télécoms et le Premier ministre Saad Hariri est prévue pour engager la discussion.
Présenté début septembre au Conseil des ministres, le projet de budget pour 2011 prévoit un déficit de 3,59 milliards de dollars, en baisse de 18,7 % par rapport au projet de budget 2010.
Il prévoit des recettes de 9,53 milliards de dollars, en hausse de 11,5 %, contre des dépenses de 13,12 milliards de dollars (+1,2 %), dont 2,2 milliards de dépenses d’investissement. Le service de la dette qui représente traditionnellement un très gros poste de dépenses (27 % du total en 2011) est en baisse de 216 millions de dollars, à 3,85 milliards de dollars, en raison surtout d’une baisse d’environ trois points des intérêts sur la dette en livres.
L’objectif principal est de contenir la croissance de la dette par rapport au PIB à 129 % fin 2011 et à 126 % fin 2013. La ministre se fonde sur une hypothèse de croissance réelle de 5 % l’année prochaine.
Selon le ministère des Finances, le budget 2011 sert cinq objectifs principaux : investir dans les infrastructures, levier de la croissance économique ; renforcer les prestations sociales, notamment en matière d’éducation et de santé, en particulier pour les classes les plus défavorisées ; régler les arriérés de l’État ; ajuster la fiscalité afin qu’elle soit plus équitable ; et enfin renforcer la sécurité, avec le recrutement prévu de 6 500 personnes en 2011.

Désaccord sur le projet de loi de règlement pour 2006-2009

L’article 87 de la Constitution prévoit qu’il n’est pas possible de promulguer le budget d’une année n donnée si la loi de règlement pour l’année n-2 n’a pas été approuvée par le Parlement. Concrètement, cela signifie que l’État ne peut pas prévoir de nouvelles dépenses et recettes sans avoir arrêté les comptes des années précédentes et les avoir fait valider.
Étant donné que le pays fonctionne sans budget depuis 2005, les lois de règlement correspondant à cette période n’existent pas davantage. Il a été convenu en Conseil des ministres de trouver une solution à ce vide juridique et une commission spéciale a été nommée à cet effet.
Sur cette base, le ministère des Finances a envoyé début septembre au Conseil des ministres un projet de loi de règlement pour 2004-2005, et un autre projet de loi pour les années 2006-2009.
Le premier des deux textes est très détaillé (plusieurs dizaines de pages énumérant les dépenses de l’État poste par poste) tandis que le second se résume en quelques lignes accompagnées d’un petit tableau consolidant tous les chiffres. Le montant total pour les quatre années concernées s’élève à 56,6 milliards de livres (37,7 milliards de dollars).
Nabil Yammout, conseiller de la ministre, justifie cette différence par le fait qu’il existe des textes budgétaires de référence pour 2004 et 2005, alors que ce n’est pas le cas pour les années suivantes. « La commission ministérielle propose cette formule, adaptée à une situation exceptionnelle, sachant que les chiffres détaillés sont à la disposition du Conseil des ministres s’il souhaite les obtenir », précise-t-il.
L’ancienne opposition qui ne reconnaissait pas la légitimité du gouvernement de Fouad Siniora et qui appartient aujourd’hui au gouvernement d’union nationale réclame ces détails. « S’il n’y a pas eu de budgets pendant toutes ces années, c’est une raison de plus pour publier les comptes de l’État », affirme le ministre Charbel Nahas. Il s’étonne que même « le communiqué du ministère des Finances publié il y a quelques mois sur les dépenses des dernières années ait été plus détaillé que le projet de loi envoyé au Conseil des ministres. » (Voir à ce sujet Le Commerce du Levant de juillet 2010).

 

Les postes de recettes et de dépenses du projet de budget pour 2011

En millions de dollars

2011 2010 Variation %
Total recettes 10032 8653 15,9
- Recettes du budget 9526 8171 16,6
dont Recettes fiscales 7608 6822 11,5
dont Impôt sur le revenu 1777 1372 29,5
dont Impôt sur les biens immobiliers 828 756 9,5
dont TVA 2364 2168 9,0
dont Taxes à l'importation 2023 1887 7,2
dont Recettes non fiscales 1918 1349 42,2
dont Transferts du ministère des Télécoms 1194 663 80,1
- Recettes du Trésor 505 482 4,8
dont Dons - - -
       
Total des dépenses 13686 12141 12,7
- Dépenses du budget 8539 7062 20,9
dont Dépenses financées par des sources externes 348 202 72,3
- Dépenses du Trésor 1100 937 17,4
- Service de la dette 3694 3936 -6,1
Solde primaire 44 451 -90,2
Déficit 3650 3485 4,7

 Source: ministère des Finances

 

Répartition des efforts budgétaires programmés pour 2011
En millions de dollars 2011 2010 Var. %
Enseignement      
Soutien au plan pédagogique décidé par le Conseil des ministres 20    
Contribution de l'Etat au budget de l'Université libanaise 139 136  2,2
Ecoles gratuites 55 30  83,3
Adaptation des locaux scolaires aux besoins des handicapés 2    
Frais d'inscriptions des élèves (couverts auparavant par un don saoudien) 7,3    
Création d'un réseau informatique entre les écoles publiques et la direction centrale du ministère de l'Education 3,4    
Santé      
Médicaments, ministère de la Santé 73 60  21,7
Dépenses de santé - secteur privé 219 212  3,3
Sécurité      
Recrutement de 4000 éléments pour les Forces de sécurité intérieure (FSI) 28    
Recrutement de 2000 éléments supplémentaires pour les FSI 14    
Recrutement de 500 éléments pour la Direction générale de la sécurité générale (DGSG) 8    
Développement des infrastructures      
Electricité (production de 700 MW) 571 275  107,6
Elargissement du réseau de gaz naturel 20    
Etudes pour des barrages 2    
Routes (Loi-programme) 73 66  10,6
Routes (entretien) 119 116  2,6
Aéroport Rafic Hariri, équipements 6,6    
Port de Tripoli - phase II 25    
Construction d'un port touristique à Jounieh 6,6    
Constructions d'immeubles pour la direction générale du transport terrestre et maritime 1,3    
Projets financés par des prêts externes 332 298  11,4
Divers      
Indemnisations expropriations 133 100  33
3ème versement à la CNSS 53    
Déficit de la caisse facultative de la CNSS 53    
Arriérés dus aux hôpitaux 27    
Indemnités aux propriétaires de terrains dans les camps 26    
Réévaluation des travaux des entrepreneurs 66    
Indemnités guerre de juillet 2006 116    

 Source: ministère des Finances