Coûts d’approvisionnement faibles, production moins polluante… et image de marque valorisante. Les industries du recyclage se banalisent dans le monde. Mais pas au Liban, où les acteurs du secteur sont en nombre insuffisant et la filière embryonnaire.
Depuis le sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique, le recyclage a le vent en poupe. Chaque jour ou presque, on apprend qu’un groupe industriel de référence se lance dans “l’éco-responsable” : British Airways devrait ainsi faire voler l’ensemble de sa flotte au biofuel d’ici à 2014 ; Renault utilise des plastiques refondus dans la construction de ses modèles ; les cannettes de coca sont fabriquées à partir d’aluminium recyclable… Pour tous, l'intérêt est triple : le coût des matériaux recyclés est généralement inférieur à celui des matières premières vierges, leur production est moins polluante, ce qui in fine valorise l’image de marque de groupes internationaux, par ailleurs très polluants. Ainsi, la production d'une tonne d'acier recyclé émet environ quatre fois moins de CO2 que celle d'une tonne d'acier de première fusion. En France, en 2009, le recyclage du verre (près de deux millions de tonnes) a permis d'économiser l'équivalent de la consommation d'électricité annuelle de 270 000 personnes.
Mais les avantages du recyclage ne s'arrêtent pas là. Il offre également la possibilité de limiter les importations de matières premières, comme le pétrole pour la fabrication du plastique, la bauxite pour l'aluminium ou le minerai de fer pour l'acier. Sans compter que la filière est un formidable vivier pour l’emploi. Dans le monde, le chiffre d’affaires global de cette industrie serait de 160 milliards de dollars et emploierait environ 1,5 million de personnes. « Nos poubelles valent de l’or. C’est une matière première au même titre que l’acier, le bois… », s’amuse Lama Abdul Samad, consultante indépendante, spécialiste de la gestion des déchets. Pour autant, moins de 15 % des matières plastiques, 20 % du zinc, 15 % du cuivre sont recyclés dans le monde, laissant à ce marché des marges appréciables de croissance.
Au Liban, aucun chiffre ne permet d’analyser le périmètre du secteur. Tout au plus peut-on faire un constat : alors que la quantité d’ordures produites ne cesse d’augmenter (voir article sur le traitement des déchets page 48), seule une très faible partie de nos déchets sont recyclés. Moins de 10 %, si on en croit la Banque mondiale. Avec une conséquence : les décharges sont débordées par l'afflux d'ordures, sans capacité de les éliminer ou, mieux, de les recycler. L’industrie du recyclage reste très embryonnaire. Une vingtaine d’entreprises industrielles auraient choisi ce secteur d’activité. Trois dans le recyclage du verre ; une dizaine dans la récupération de l’acier et une poignée dans celle du papier et du carton, si l’on en croit le ministère de l’Environnement. Des ONG ou des associations ont également investi ce champ d’activité. « Mais au regard des enjeux, ces initiatives semblent ridicules », fait valoir Lama Abdul Samad.
Civilisation plastique
Pourtant, beaucoup de choses se recyclent : les bouteilles, les boîtes, les barquettes, les briques, notamment… en verre, en papier, en carton ou encore en plastique. Pour être réutilisées, ces matières doivent être traitées de manière distincte. D'où la nécessité de trier, en amont, c’est-à-dire d’instaurer un tri sélectif à la source, chez les particuliers. « Cette habitude ne fait pas partie de notre culture », déplore Bassam Sabbagh du ministère de l’Environnement, qui poursuit : « Les libanais ont de surcroît une connaissance superficielle du recyclage et, surtout, de son utilité. » Faute de tri sélectif susceptible de permettre la récupération des matières en amont, l’industrie du recyclage peine à s’organiser au Liban. C’est ainsi que les entreprises spécialisées dans le retraitement des papiers et des cartons comme Sicomo ou Solicar sont dans l’obligation d’acheter à l’étranger les matières nécessaires à la fabrication de leurs produits. Ou tentent sans trop de résultats d’organiser par elles-mêmes la collecte des matières dont elles ont besoin (voir articles sur ces entreprises pages 78-83).
À défaut, le “tri à la source” est souvent le fait de centaines de Syriens, d’Égyptiens ou de Palestiniens, plus rarement de Libanais, qui n’hésitent pas à “faire les poubelles” des quartiers pour récupérer l’aluminium, les cartons, ou les câbles (contenant du cuivre), afin de les revendre à des intermédiaires ou à des entreprises spécialisées, une fois une masse critique suffisante atteinte. Selon Federico de Nardo, spécialiste de la gestion de déchets, qui a mené une étude sur cette filière, ces “scarvengers”, le terme anglo-saxon pour les désigner, peuvent espérer un revenu de 400 à 530 dollars par mois. Les entreprise à qui ils revendent leur moisson les retraitent directement, à l’instar des entreprises spécialisées dans la transformation de papiers et de cartons déjà utilisés, ou l’exportent comme c’est le cas des entreprises spécialisées dans l’aluminium, une matière qui s’échange autour de 1 000 dollars la tonne, vers des pays très demandeurs telle la Chine. Certaines municipalités également utilisent les matières recyclables ou le compost produit afin de payer en partie le contrat d'entretien qui les lie au prestataire, chargé de gérer l’usine de traitement installée sur leur territoire. Mais la plupart des municipalités – ou des entreprises de nettoyage – n’ont qu’une très vague idée du prix des matières recyclables. C’est ainsi que la tonne de verre récupéré se vend entre 10 et 80 dollars « sans connexions avec les prix réels, plutôt à la tête du client », précise Federico de Nardo. Par comparaison pour le verre, le prix sur le marché mondial varie entre 75 dollars et 150 euros la tonne selon qu'il est ou non recyclé. « Ces entreprises ne respectent pas les prix du marché. Elles sont encore trop rares sur le marché, en position de quasi-monopole. Car la filière manque d’acteurs : depuis le bombardement de l’usine de Maliban en 2006, par exemple, il n’y a plus que trois acteurs en mesure de recycler le verre : al-Zoujaj à Sarafand ; Soliver à Beyrouth et United Glass Products à Tripoli. « Si nous voulons que notre verre soit recyclé, nous devons nous-mêmes affréter un camion jusqu’à la capitale. Le prix perçu, de l’ordre de 50 dollars la tonne, ne compense qu’en partie les frais de transport », déplore Zeinab Mokalled de l’association Nidaa ar-Ard qui assure le recyclage dans le village d’Arab Salim.
Du nuisible, faire de l’utile
Parmi les matières recyclables : les matières biologiques. Nos poubelles se composent dans leur majorité de “biodéchets”, c'est-à-dire de déchets organiques de cuisine et des déchets végétaux. Une bonne nouvelle car ces matières se transforment en compost, susceptible de servir ensuite de fertilisant agricole entre autres. « Il y a un vrai marché potentiel si le Liban parvient à fabriquer un compost de qualité. Faute de troupeaux, les paysans manquent d’engrais naturels, de fumiers pour fertiliser leurs champs. Le compost est une solution alternative », fait valoir Federico de Nardo. D’autant que si l’on recycle les matières organiques, on allonge la durée de vie des décharges et on améliore les risques sanitaires.
Les différentes estimations parlent de 65 % d’organique dans nos ordures, au contraire des pays développés chez lesquels la moyenne tourne autour de 20 à 25 %. Au Liban pourtant, même dans les campagnes, le compost individuel – celui qu’on réalise dans un coin de son jardin à partir des détritus organiques de sa maison– est rare. Quant au compost industriel (fabriqué dans les déchèteries), il comporte encore trop souvent des matières dangereuses pour la santé et l’environnement comme les métaux lourds. En Europe ou aux États-Unis, les législations imposent des valeurs limites comprises entre 0,7 et 1,5 milligramme de ces métaux par kilo de matière sèche. Au-delà, l'utilisation du compost engendre une accumulation dans les sols atteignant des niveaux inquiétants en 50 ans. C’est pourquoi l’usage de ce type de compost n’est autorisé en Europe que pour l’épandage dans des terres non agricoles, des opérations de remblayage d’axes routiers ou pour servir de “membranes de protection” afin de sceller et d’étanchéifier les parties d’une décharge entre elles. Au Liban, aucune loi ne détermine son usage. « Nous avons essayé de fabriquer du compost », explique ainsi Bilal, chargé de superviser l’usine de traitement de Zahlé. « Pour retarder, d’une part, le moment où il nous faudra fermer la décharge et trouver un autre terrain. Pour créer, d’autre part, une filière qui permette de vendre un compost de qualité aux paysans de la région qui en ont besoin. Mais les tests ont révélé que notre produit était impropre à la vente. » La raison ? Malgré de réels efforts, la municipalité de Zahlé n’a pas réussi à imposer un tri à la source, seule solution pour fabriquer un compost de qualité. « Les matières organiques se mélangent à des produits toxiques – débris de verres, résidus de peintures industrielles, de piles… – qui rendent impossible sa commercialisation », déplore-il.
Pourtant, d’autres semblent être parvenus à produire un compost respectant les règles internationales. Et plus important encore à le vendre. Cedar Environmental (voir son portrait page 82), qui gère notamment le traitement des déchets dans le caza de Jbeil, produit quelque 9 000 tonnes par an de compost végétal et animal. Son produit a même été labellisé bio (Libancert) en 2009. Ce fertilisant est vendu autour de 120 dollars la tonne (compost végétal) et 225 dollars la tonne (compost animal), contre 450 dollars en moyenne pour un fertilisant biologique importé, selon Ziad Abichaker, le fondateur de Cedar Environmental. Mais pour y parvenir, le groupe impose aux municipalités, avec lesquelles il travaille, un circuit de production précis : les bennes ou les camions, qui ramassent les ordures ménagères dans chacune des villes sous contrat, ne compactent pas les déchets afin de pouvoir ensuite les trier à l’usine manuellement. « C’est plus de temps, mais ainsi nous sommes en mesure de dissocier réellement les différents types de détritus », précise Ziad Abichaker.
Si chacun d'entre nous doit apprendre à moins jeter et à mieux trier, une réforme globale du système est nécessaire : la responsabilité laissée, depuis 1977, à chaque municipalité et à quelques grands groupes industriels de la collecte et du recyclage comme Averda (Sukleen) montre ses limites. L'absence de vision globale empêche d'être efficace et laisse la place aux seules initiatives locales. L'absence d'intérêt politique a aussi un coût : la préservation des ressources naturelles du pays se trouve en danger.