La croissance libanaise est très concentrée dans des secteurs où l’investissement est faible, analyse le Fonds monétaire international, sur la base des comptes nationaux pour 2009. Entretien avec Éric Mottu, représentant résident du FMI à Beyrouth.

Le commerce et la construction contribuent à 5,8 points sur les 8,5 % de croissance enregistrés en 2009, constate le représentant résident du FMI à Beyrouth, Éric Mottu, dans une interview au Commerce du Levant. Le PIB s’est établi à 52 640 milliards de livres fin 2009, soit 34,9 milliards de dollars, contre 30,09 milliards en 2008, selon les chiffres des comptes nationaux.
En 2009, la croissance est restée très concentrée dans les services et la construction qui ont constitué respectivement 68 % et 13,6 % du PIB, selon le Fonds monétaire international. Par comparaison, ces parts étaient respectivement de 60 et 8,8 % en 1997. En contrepartie, la part de l’industrie est tombée à 6,9 % en 2009, contre 12,5 % en 1997, tandis que l’agriculture ne représente plus que 5 % de la production nationale en 2009, contre 6,7 % en 1997.
Cette étude du FMI qui n’est pas encore publiée est une actualisation de la note d’analyse de la structure de la croissance libanaise qui était parue en juillet 2008 et couvrait la période 1997-2008.

Très forte concentration

« Le diagnostic reste le même : la croissance est très concentrée sectoriellement et géographiquement, autour de Beyrouth essentiellement. Les secteurs concernés sont ceux qui requièrent le moins d’investissement, ces derniers étant difficiles dans le contexte libanais », dit Éric Mottu.
« Ce modèle de croissance est adapté à la situation libanaise, mais il n’est pas créateur d’emplois, de valeur ajoutée et de revenus en volume suffisant pour atténuer les problèmes sociaux. »
Sur dix ans, la moyenne de croissance libanaise est inférieure à celle des autres pays de la région MENA. Cela s’explique en partie par les chocs qui ont coûté des points de croissance et créé de la volatilité, mais pas seulement, estime Éric Mottu.
Parmi les services, c’est le commerce qui se taille la part du lion, avec une part de 28,1 % en 2009, alors qu’elle était de 21,2 % en 1997. Les transports et télécommunications arrivent en deuxième position, mais loin derrière, à 7,8 % contre 5,4 % en 1997, sans que l’on sache cependant exactement comment est calculée la contribution du secteur des télécoms dont le chiffre d’affaires a une composante fiscale majeure. Les services financiers sont en troisième position avec 7,2 % du PIB en 2009, contre 6,5 % en 1997.
Signe de la crise structurelle du secteur, l’énergie et l’eau ont une part négative dans le PIB, c’est-à-dire que ces secteurs majeurs de l’économie ne produisent pas de richesse pour le pays : leur part est de -2,7 % en 2009, contre 0,9 % en 1997.

Tout part en consommation

Si on regarde les chiffres du côté des composantes de la demande, il apparaît qu’en 2009 les exportations nettes de biens et services non financiers (c’est-à-dire la balance commerciale) sont négatives de 36,6 %, un plus haut depuis 1997. Sur l’ensemble de la période, leur part est négative de 29 %. Par comparaison, la consommation (publique et privée) représente 103,1 % du PIB entre 1997 et 2009. Le fait que le chiffre soit supérieur au PIB s’explique par la différence entre le revenu net disponible, alimenté par des transferts de capitaux de l’extérieur, et le produit intérieur brut. Cette différence était de 30 % pour la seule année 2009, contre 20 % en 1997.
« Les entrées financières sont une opportunité pour un pays, à condition de bien les gérer », note Éric Mottu. Au Liban, l’essentiel de ces flux se traduisent en demande additionnelle qui alimente les importations (en 2009 par exemple, les importations ont augmenté de 20,7 % contre une hausse de 8,5 % du PIB) : en terme d’analyse économique, la création de valeur que ces flux impliquent se retrouve juste dans les marges commerciales, ce qui n’est pas suffisant. « Il ne se passe rien en terme d’investissements, tout ou presque part en consommation. »
Sur la période 1998-2009, l’investissement public et les exportations nettes ont des contributions négatives à la croissance qui sont respectivement de -2,8 % et de -4,6 %, souligne Éric Mottu. Ceci reflète d’une part l’absence d’investissements en infrastructure par le secteur public et, d’une autre part, un déséquilibre extérieur persistant, une croissance lente des exportations et une prédominance de l’import dans le PIB.

Relance de l’investissement public

Selon le représentant du FMI à Beyrouth, le Liban a besoin de réformes structurelles : de l’investissement public dans l’électricité, l’eau, les télécoms, les transports, les services sociaux et l’environnement. « C’est le seul moyen pour parvenir à une croissance diversifiée, créatrice d’emplois et d’amélioration des conditions sociales. »
La relance de l’investissement public est d’autant plus importante que l’investissement privé est lui aussi en panne.
Selon les chiffres des comptes nationaux, l’investissement privé a contribué à hauteur de 23,6 % à la croissance du PIB sur la période 1998-2008, ce qui le place juste après la consommation privée (+41 %) comme le principal moteur de l’économie. Mais en fait l’essentiel de cet investissement privé est attribuable au bâtiment et aux travaux publics d’une part et à l’acquisition de voitures et de camions d’autre part.
« En réalité, la majorité de ce qui est considéré comme de l’investissement dans les comptes nationaux, par convention comptable, ne correspond pas à de l’investissement au sens économique. » Les achats immobiliers sont en fait de la consommation étalée dans le temps que par convention comptable on a choisi internationalement de classer dans les investissements.

Améliorer l’outil statistique

L’analyse macroéconomique de la croissance libanaise reste cependant limitée en raison de l’insuffisance des comptes nationaux publiés depuis quelques années, déplore Éric Mottu. Le FMI appelle le gouvernement à développer son appareil statistique.
« Les comptes nationaux sont fondés sur des méthodes indirectes de calcul, à partir des statistiques du commerce extérieur et non pas des enquêtes directes sur l’activité des entreprises. Il faudrait réaliser de telles enquêtes tous les ans et les compléter par des enquêtes trimestrielles, ainsi que certains indicateurs de plus haute fréquence. »
A minima, il faudrait que le Liban dispose d’indicateurs d’évolution de l’emploi et des salaires, de la production industrielle, de l’activité de certains secteurs-clés comme les services, les télécoms, le commerce… « Il faudrait aussi réfléchir à la notion de résidence, qui est fondamentale au plan de l’économie et pourtant très floue dans le cadre libanais. »