Le secteur de l’aviation au Moyen-Orient croît plus vite que dans le reste du monde. Mais l’absence de politique de ciel ouvert limite encore son expansion et freine le développement des low cost.

« La population du Moyen-Orient est estimée à 338 millions de personnes, soit plus que les 308 millions d’Américains, mais moins que les 491 millions d’Européens. Or, la taille de l’industrie aéronautique est plus grande aux États-Unis qu’en Europe et plus grande en Europe qu’au Moyen-Orient. » C’est le constat dressé par Adel Ali, PDG de la compagnie d’aviation à bas coûts (low cost) Air Arabia, lors du premier sommet sur l’aviation et les médias au Moyen-Orient organisé en janvier à Dubaï avec la chaîne télévisée CNBC Arabia.
La libéralisation du ciel aux États-Unis et en Europe explique cette différence. Celle-ci a commencé en 1978 aux États-Unis et en 1993 en Europe (création du ciel unique européen). Selon un rapport de 2006 de la compagnie d’experts en tourisme et transport Intervistas, cette libéralisation a permis le développement des compagnies à bas prix, l’émergence de hubs et l’expansion des routes internationales.

Au Moyen-Orient, seuls les Émirats ont adopté une politique complète de ciel ouvert, résultant en la création du hub de Dubaï, le plus grand aéroport de la région et 14e au monde (source ACI, à octobre 2010). « Mais les pays du Moyen-Orient ont fait des efforts de libéralisation ces dernières années, souligne Ali. L’aéroport d’Amman est celui de la région qui a enregistré la plus forte croissance en 2010. »

Le Moyen-Orient, en position de hub

Le Moyen-Orient bénéficie d’une position idéale de passage entre l’Asie et l’Europe. En 2010, le trafic des passagers y a augmenté de 12 %, à 228 millions. Les compagnies d’aviation du Moyen-Orient ont enregistré une croissance de 20 % la première moitié de l’année 2010 ; à comparer à 12 % pour les compagnies africaines et asiatiques, 15 % pour les compagnies d’Amérique du Sud, 4,8 % pour celles en Amérique du Nord et 2,3 % pour les compagnies européennes. On estime que le marché de l’aviation au Moyen-Orient vaudra plus d’un milliard de dollars en 2012 et devrait connaître une croissance annuelle de 12 à 15 % sur les cinq prochaines années. Les pays de la région ont bien compris le potentiel du secteur : ils ont investi en ressources techniques et humaines, ont agrandi leur flotte de 12 % en 2010, à 865 avions, et prévoient d’acheter près de 700 avions d’ici à 2019. Sans grande surprise, ce sont les pays du Golfe, et notamment les Émirats, qui mènent la danse : « Les Émirats ont passé la troisième plus grosse commande d’avions après les États-Unis et la Chine, alors que leur population est beaucoup plus réduite », souligne Ali. D’ici à 2018, la capacité d’accueil des passagers aux Émirats arabes unis et au Qatar devrait atteindre 200 millions.

Les low cost à la traîne

Quant à l’aviation à bas coûts au Moyen-Orient, elle en est encore à un stade embryonnaire. Les chiffres montrent que seuls 6,5 % du trafic aérien au Moyen-Orient est le fait de compagnies à bas prix ; en comparaison en Europe de l’Ouest, ce chiffre monte à 25 %. « Aujourd’hui, souligne Adel Ali, il existe plus de 60 compagnies à bas prix en Europe, et uniquement sept dans la région MENA. La compagnie à bas prix la plus petite d’Europe a une flotte de plus de 50 avions. La plus grande du monde arabe a une flotte inférieure à 30 avions. Dans d’autres parties du monde, un passager se demande à quelle heure il va voyager. Ici, il se demande encore quel jour. » Pourtant les opportunités de développement des low cost sont considérables au Moyen-Orient, car « deux milliards de personnes, réparties entre le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie, sont situées à une distance de vol de quatre heures des pays du Golfe », souligne Ali. Ces économies émergentes en forte croissance sont en général mal desservies, notamment par les compagnies d’aviation à bas prix. Par ailleurs, et contrairement à l’Europe et les États-Unis, les low cost de la région n’ont pas à faire face à la concurrence des trains.

Investissements et création d’emplois

Mais ils ont besoin d’investissements, notamment dans des terminaux ou des aéroports low cost efficaces, pour pouvoir se développer. Adel Ali avance l’exemple de l’Égypte, qui « a ouvert ses aéroports domestiques aux vols à bas coûts internationaux ; depuis, la durée des trajets vers le nord de l’Égypte a été réduite de plus de moitié ». Le PDG d’Air Arabia conclut en avançant le cas de l’aéroport de Charjah : « Lorsque nous nous y sommes installés en 2003, quelque 200 personnes y travaillaient et une dizaine de taxis attendaient des passagers. Aujourd’hui, Charjah a ouvert un nouveau terminal, emploie plus de 5 000 personnes et la flotte de taxis atteint les 300 voitures. » « C’est le résultat de la libéralisation, souligne-t-il, même si parfois les compagnies nationales souffrent de l’ouverture du ciel, les emplois supprimés sont plus que compensés par ceux créés. »


De Dubaï.

Air Arabia

Air Arabia est une compagnie émirienne créée en 2003. Basée à Charjah, elle a également deux hubs au Maroc et en Égypte, et prévoit l’ouverture d’un quatrième à Amman (Jordanie) vers juin 2011. Avec sa flotte de 26 avions (tous des Airbus), elle dessert 56 destinations au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe. Elle prévoit d’acheter plus de 40 avions sous peu pour atteindre ses prévisions de croissance annuelle de 13 à 15 % sur les quatre prochaines années. Air Arabia est cotée à la Bourse de Dubaï depuis 2007. Son capital est de 4 666 700 000 dirhams (1,3 milliard de dollars) divisés en autant d’actions d’une valeur nominale d’un dirham chacune. Ses concurrents principaux sont les compagnies à bas coûts européennes (comme Air Berlin) et Fly Dubai.

Qu’est-ce qu’une politique de ciel ouvert ?

Un accord de ciel ouvert crée un marché libéral entre les deux nations signataires. Alors que normalement les compagnies aériennes ont droit à un nombre limité de vols par semaine vers une certaine destination, ces accords bilatéraux ou multilatéraux, signés entre les États (et non les compagnies elles-mêmes) leur permettent de voler sans restriction de capacité ni de prix vers n’importe quelle destination de l’autre pays signataire. En outre, ils accordent ce qu’il est convenu d’appeler les troisième, quatrième, cinquième et sixième « libertés » (sur une échelle de neuf), à savoir notamment le droit de charger des passagers d’un deuxième pays vers une destination tierce. Les accords les plus libéraux autorisent le cabotage, c’est-à-dire la possibilité pour une compagnie aérienne d’assurer les vols domestiques d’un autre pays.

Où en est le Liban ?

Le gouvernement avait approuvé en 2001 une politique de ciel ouvert au Liban, afin d’encourager la concurrence et attirer les touristes. Des accords bilatéraux ont été signés avec de nombreux pays, permettant la multiplication des liaisons aériennes des compagnies étrangères entre Beyrouth et le reste du monde. Et si en théorie le Liban autorise les compagnies aériennes à faire escale chez lui, peu de compagnies ont mis cette autorisation à profit. Mohammad el-Hout, PDG de la Middle East Airlines (MEA), dénonce cette politique de ciel ouvert car, selon lui, le principe de réciprocité n’est pas vérifié. Il donne l’exemple de Turkish Airlines, qui opère 21 vols par semaine au Liban en hiver et 30 en été, alors que la MEA n’opère que sept vols hebdomadaires vers la Turquie et que les autorités turques imposent des conditions à l’augmentation de cette fréquence. La MEA, propriété de la Banque centrale depuis 1996, bénéficie d’une exclusivité depuis 1969 qui a été prorogée jusqu’en 2012 : c’est la seule compagnie libanaise régulière autorisée à opérer à partir du territoire national. Les charters sont autorisés, mais à des conditions précises qui ont découragé les investisseurs.