Difficile de prévoir la croissance d’une économie aussi exposée à la volatilité des flux de capitaux que celle du Liban. Mais une chose est sûre : 2011 a plutôt mal commencé.
Toutes les banques et institutions internationales s’accordent à penser que la croissance va s’essouffler en 2011.
Les plus optimistes prévoient une hausse du PIB de 5,5 % cette année. HSBC, elle, table sur 3,2 % de croissance, tandis que le Fonds monétaire international a divisé sa prévision de croissance par deux en février, à 2,5 % contre 5 % prévus en octobre.
Le FMI a justifié cette révision drastique par « l’impact de l’incertitude politique persistante dans le pays et la région », un argument partagé par les autres institutions financières, comme Standard Chartered Bank ou Barclays Capital.
« L’impasse politique locale, couplée à l’instabilité régionale, affecte l’activité commerciale, le tourisme et l’investissement immobilier qui sont les principaux moteurs de l’économie libanaise », analyse le représentant du FMI au Liban, Éric Mottu.
Pour comprendre l’importance accordée par les économistes à ces secteurs, il suffit de se pencher sur les comptes nationaux de 2009 : à eux seuls, le commerce et la construction ont contribué à 5,8 points sur les 8,5 % de croissance enregistrés cette année-là.
Un premier trimestre peu encourageant
Or, les indicateurs du premier trimestre ne sont pas encourageants : le nombre de touristes a baissé de plus de 13 %, la valeur des ventes immobilières a diminué de 1,1 % (fin février), le nombre de conteneurs maritimes destinés au marché local a reculé de 5,3 % et la valeur des chèques compensés a stagné.
Si la situation politique s’améliore au second semestre, la croissance pourrait augmenter à 5 %, mais elle n’atteindra pas les niveaux des années précédentes, des niveaux qui étaient « exceptionnels », souligne Mottu.
« La soutenabilité des taux de croissance élevés suppose une activité forte à tous les niveaux. Or l’activité libanaise est très conjoncturelle, renchérit le secrétaire général de l’Association des banques, Makram Sader. Au Liban, tout dépend du volume de la demande, surtout la consommation. Si les gens sont réticents à consommer, la situation va être difficile. »
Les développements actuels dans la région incitent les Libanais à la prudence. Sans parler de l’incertitude au niveau local, avec une échéance cruciale cette année, celle de la publication de l’acte d’accusation sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri.
Le retard pris dans la formation du gouvernement devrait également se traduire « par un report des dépenses publiques d’investissement à fin 2011, voire à 2012, limitant ainsi l’effet de relance budgétaire », ajoute Mottu.
L’impact de l’envolée du brut
Mais c’est sans compter l’envolée des cours du brut et leur impact sur les flux de capitaux vers le Liban.
Les richesses pétrolières pourraient en effet compenser l’instabilité politique, en dopant les transferts des expatriés et les autres entrées de capitaux, qui alimenteraient à leur tour la demande interne.
D’autant que les pays du Golfe qui investissent le plus dans le pays, et qui accueillent aussi le plus grand nombre d’expatriés libanais, comme l’Arabie saoudite, le Qatar ou les Émirats arabes unis semblent pour le moment épargnés par les troubles régionaux.
Le Liban pourrait d’ailleurs profiter de ces troubles, comme il a su si bien le faire pendant la crise financière de 2009. Makram Sader assure toutefois que l’instabilité régionale n’a pas encore eu d’impact sur les flux de capitaux, ni positif ni négatif. « Ou alors il est trop tôt pour pouvoir le quantifier, ajoute-t-il. Il va y avoir des effets nécessairement mixtes, mais, pour le moment, il n’y a pas eu de flux de dépôts particuliers de Syrie ou d’ailleurs. »
En revanche, la hausse des prix du pétrole aura certainement un impact sur l’économie libanaise.
« Il est clair que les prix du pétrole sont déterminants pour la croissance. En général, il faut un certain temps avant que la répercussion des hausses des cours se fasse sentir au Liban », souligne Makram Sader.
Mais les retombées positives pourraient aussi être étouffées par la situation de paralysie interne. « L’effet de neutralisation de ces deux facteurs est la grande inconnue. Tout le monde est dans l’attentisme. »
La crainte d’un nouveau choc
L’économiste d’une grande banque internationale souhaitant garder l’anonymat estime pour sa part qu’« il n’y a pas de danger réel pour 2011, à moins d’un vrai choc comme une guerre au Liban, ou l’inscription d’une grande banque locale sur la liste noire américaine des établissements accusés de blanchiment ».
Certains craignent en effet une répétition de l’affaire de la Lebanese Canadian Bank. En début d’année, le Trésor américain a accusé cette banque de blanchiment, provoquant une sortie de capitaux de l’ordre d’un milliard de dollars en janvier. Même si le nom de la LCB n’avait toujours pas été inscrit sur la liste noire au moment du bouclage, la Banque du Liban s’est empressée de la fusionner avec la SGBL, et dès le mois suivant, les dépôts ont recommencé à augmenter.
« Il faut reconnaître les risques potentiels, mais sans aller jusqu’à entériner dans les prévisions la réalisation des chocs envisagés », dit l’économiste.