L’année 2010 s’est déroulée sous le signe de la relance. 2011 devrait faire place au rééquilibrage et à la stabilisation, selon le Fonds monétaire international (FMI). Dans ses “Perspectives de l’économie mondiale” du mois d’avril, le grand argentier a annoncé une croissance du PIB réel mondial de 4 % en 2011 et en 2012, soit une légère baisse par rapport aux 5 % de l’an dernier. Les pays avancés sont les moins bien lotis avec seulement 2 % de croissance prévue, alors que les pays émergents et en développement affichent un solide 6 %. « La crainte d’une double récession ne s’est pas concrétisée », notent les experts du FMI. Car c’était la grande inquiétude de ces derniers mois : que le retrait de l’impulsion budgétaire, sous forme de transfert de la demande publique vers la demande privée, ne provoque une double récession. Le contrecoup a été finalement un léger essoufflement de la croissance dans la plupart des grands pays développés. Même son de cloche chez les banquiers : le Crédit Agricole Suisse parle de « ralentissement modéré » et Audi-Saradar de « stabilisation ». « Mais il y a de l’argent sur les marchés, ce qui est toujours bon signe », note Toufic Aouad, directeur de la banque privée Audi-Saradar. Ce contexte macroéconomique globalement positif crée en effet une dynamique favorable sur les marchés financiers, les bénéfices des entreprises faisant monter les cours des actions, baisser ceux des obligations et diminuer la volatilité et les écarts de crédit. Ces perspectives relativement satisfaisantes divergent néanmoins considérablement d’une région à l’autre.
Pays développés : une reprise vacillante
Les problèmes qui gangrenaient les pays industrialisés en 2010 sont pour la plupart toujours d’actualité. Dette souveraine européenne, chômage et crise immobilière continuent d’assombrir les perspectives des mois à venir. Du côté des marchés, la situation s’améliore mais reste particulièrement fragile, étant donné les besoins de financement élevés des banques et des États. Les flux de capitaux sont assez moroses du fait de l’atonie de l’activité et du mauvais état des systèmes financiers. « Les investisseurs doivent s’habituer à être inquiets », note Jean Riachi, président de FFA Private Bank.
Aux États-Unis, « la production est encore très inférieure à son potentiel, le chômage est élevé et la faiblesse de la croissance donne à penser qu’il le restera pendant de longues années », analyse le FMI. Le secteur du logement est toujours déprimé, ce qui pèse sur les investissements. « Le marché immobilier et celui du travail restent anémiques, moins de 15 % des emplois perdus en 2008-2009 ont été retrouvés en 2010-2011 », explique Christina Azouri, Senior Investment Advisor au Crédit Agricole Suisse. La croissance économique ralentit également, avec un PIB de 1,8 % au premier trimestre 2011. Pour la spécialiste, la hausse des prix des matières premières et du pétrole, ainsi que la contraction des dépenses gouvernementales auront un effet positif limité sur le porte-monnaie des Américains. L’état incertain des finances publiques – la dette atteignait mi-mai près de 14 295 milliards de dollars – reste une source d’inquiétude majeure en dépit des efforts de l’administration Obama. Des efforts qui atteignent leur échéance, avec la fin du plan de “quantitative easing”, qui favorise une décontraction de la masse monétaire. « Ce plan, face au déficit budgétaire colossal du pays et à la hausse continue de sa dette publique n’a pas donné le résultat escompté », remarque Paul Douaihy, directeur du Centre de recherches en économie et marchés financiers de l’université de Balamand. Seuls indices en légère progression, la consommation et les investissements peinent à masquer le reste du paysage. « C’est comme un malade que l’on traite depuis trois ans qui est toujours en soins intensifs : on ne sait plus quels médicaments lui administrer », remarque Paul Douaihy.
En Europe, la situation n’est pas meilleure avec un PIB en berne et le spectre de l’inflation. Le ralentissement de l’économie est dû en partie au resserrement budgétaire des pays et à la hausse mondiale des prix des matières premières. Mais ce sont la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne qui sont surtout montrés du doigt. Athènes est dans une situation particulièrement critique et aurait besoin d’une aide de près de 86 milliards de dollars pour sortir la tête de l’eau financièrement jusqu’en 2013, selon les autorités. « Le marché a tardé à pénaliser la Grèce en acceptant ces dernières années de maintenir les taux du pays très bas en dépit d’un déficit de plus en plus important », souligne Paul Douaihy. La situation actuelle pourrait affecter les autres pays de la zone par capillarité. « Une restructuration de la dette grecque pourrait impacter l’achat d’obligations de pays qui lui viennent en aide, comme l’Allemagne ou la France », note l’universitaire. Les notations de l’Italie et de la Belgique sont également revues à la baisse. La conjonction d’une croissance faible, d’une détresse budgétaire et de tensions financières rend particulièrement difficile la guérison économique de la région. Cette situation fragile déprime les cours des actions financières dans la zone euro et maintient à un niveau élevé les écarts sur les obligations publiques et les contrats d’échange sur le risque de défaillance bancaire dans les pays les plus affaiblis.
Le Japon se remet, lui, doucement du tsunami du 11 mars 2011 et entame sa reconstruction. « Nous prévoyons un freinage initial de la croissance suivi d’une amélioration guidée par la reconstruction », analyse Christina Azouri. La situation du pays devrait toutefois rester délicate, avec une croissance domestique incertaine. « Elle est principalement tributaire de l’export, soutenu traditionnellement par une déflation compétitive d’environ 1 % par an, remarque Paul Douaihy. Le pays est un cas exceptionnel, avec une dette à plus de 200 % du PIB, et pourtant il n’y a pas de krach obligataire. » En outre, la question du remplacement de l’énergie nucléaire par l’énergie thermique amènera le pays à importer davantage de combustibles fossiles, mais l’impact sur la demande globale devrait être limité entre 0,1 % et 0,3 %, selon les experts du FMI.
Pays émergents : attention à la surchauffe
Les pays émergents ont eux une santé plus solide, affichant globalement une meilleure situation budgétaire et financière que les pays développés. La forte croissance tendancielle et le bas niveau des taux d’intérêt facilitent cette embellie. Selon le FMI, le fléchissement de la demande extérieure a été compensé par un accroissement de la demande intérieure et les entrées de capitaux, les perspectives de croissance étant meilleures et les taux d’intérêt plus élevés que dans les pays avancés. Cette croissance fait toutefois craindre une surchauffe et un emballement du crédit. « Les Chinois continuent à appliquer leur politique économique du “stop and go” et, même si un ralentissement en découle, la croissance reste considérable », explique Christina Azouri. En avril, le pays a enregistré son plus fort excédent commercial depuis quatre mois après avoir connu au premier trimestre le premier déficit trimestriel de sa balance commerciale depuis 2004. L’excédent du mois d’avril a atteint 11,4 milliards de dollars, soit presque quatre fois plus que prévu. Les autres pays membres des BRIC se portent bien. « L’Inde reste un pays solide, ancré dans une économie de services, et la Russie devrait bénéficier de la hausse des prix du pétrole et du gaz », remarque Paul Douaihy. Du côté des marchés financiers, les rendements relativement élevés attirent les capitaux dans les pays émergents. En Asie et en Amérique latine, les cours des actions se sont approchés de leurs sommets d’avant-crise. Cependant, des doutes concernant les politiques macroéconomiques et l’incertitude géopolitique pourraient ralentir ces flux à court terme, selon les spécialistes du FMI qui pointent également le problème du chômage, source d’instabilité économique et sociale. Le principal risque de révision à la baisse de la croissance tient à de nouvelles hausses des cours du pétrole. À court terme, la bonne santé des bilans des entreprises dans les pays avancés et le dynamisme de la demande dans les pays émergents et les pays en développement pourraient dynamiser la croissance mondiale.
Quel impact sur les marchés de capitaux ?
Selon l’édition d’avril 2011 du GFSR (Global Financial Stability Report), les risques financiers ont diminué depuis octobre 2010 grâce à l’amélioration des résultats économiques et les perspectives favorables pour les actifs des pays émergents renforcent l’appétit pour le risque. « Les pays et les investisseurs ont réalisé que l’on peut sortir encore vivant d’une crise souveraine, ce qui a relancé la confiance dans les marchés internationaux », note Toufic Aouad. Cependant, les faiblesses de la zone euro, l’endettement élevé et l’accumulation graduelle de risques de crédit ternissent les perspectives pour 2011. « La remontée des marchés financiers a été possible grâce aux capitaux injectés par la Fed dans les marchés et non grâce à une embellie économique », confirme Albert Letayf, associé-gérant du courtier Optimum Invest. Pour Jean Riachi, il faut décider des allocations de chaque portefeuille de manière scientifique, en tenant compte des objectifs de rentabilité et des objectifs de risque. « La diversification est la clé d’un bon investissement, il faut considérer tous les types d’actifs. Attention également au choix des fonds et des instruments de marché. L’erreur est de se précipiter sur ce qui est à la mode : la performance d’une année ne garantit pas celle de l’année suivante. » Même stratégie pour Paul Douaihy, qui va plus loin : « Un portefeuille à risque modéré doit se composer à 50 % de cash, d’or et d’actifs monétaires de devises à taux d’intérêts élevés. Le reste doit être réparti sur les marchés boursiers et obligataires. Les investissements doivent être ciblés, et il ne faut pas laisser un actif dominant sur les autres en attendant de sortir du brouillard pour se prononcer. » Youssef Kamel, co-gérant du fonds Future Trends Capital Fund, a lui une lecture moins optimiste de l’évolution de la situation et prône la prudence. « Le ralentissement potentiel de l’économie chinoise, associée à la crise souveraine européenne, au chômage et à la fragilité du secteur immobilier aux États-Unis, ne constitue pas un tableau radieux. Je conseille de conserver de fortes liquidités en dollar et de patienter pour de meilleures opportunités. »
Les marchés d’action ont pourtant la cote cette année. « Les taux d’intérêt toujours faibles et les bons résultats des entreprises supportent bien les marchés : 72 % des 64 % des sociétés du S&P500 qui ont annoncé leurs résultats ont surpris à la hausse. Les actions restent donc intéressantes et surtout celles qui possèdent une exposition aux pays à forte croissance », analyse Christina Azouri. Face aux risques de volatilité, certains professionnels privilégient les fonds. « Les stratégies suivies par les fonds CTA (Commodity Trading Advisors) devraient profiter de la hausse de la volatilité sur les principaux marchés financiers et pourraient procurer aux investisseurs une couverture intéressante en cas de renversement prolongé de tendance des marchés », explique Tarek al-Ahdab, de l’Arab Finance Corporation. Un renversement qui n’est pas à exclure, les marchés financiers hésitant entre une tendance à la baisse, compte tenu de la fragilité économique ambiante, et une tendance à la hausse, pour se protéger contre l’inflation par l’achat d’actions. Youssef Kamel partage sa stratégie pour se prémunir de la volatilité : « Il est plus prudent de miser sur des bons du Trésor américain à long terme et de se placer en long dollar pour se protéger des fluctuations à court terme. »
Le spectre de l’inflation s’approche
Car la question de l’inflation est sur toutes les lèvres, dans les banques centrales notamment. La Fed américaine continue de maintenir ses taux bas, théoriquement jusqu’à la fin de l’année, par peur de freiner la croissance. Cette politique sonne le retour des investisseurs, parfois au détriment des pays émergents. La BCE a elle haussé de 25 points de base ses taux début avril, signe d’optimiste sur la croissance et pour éviter tout risque d’inflation. L’annonce en avril d’une inflation à 2,8 % sur un an fait craindre aux marchés une nouvelle remontée des taux en juin. « La Fed est pragmatique, la BCE est dogmatique, ce qui se traduit par une différence culturelle sur les concepts d’inflation totale et d’inflation sous-jacente. L’inflation totale a augmenté cette année avec la hausse de la facture énergétique », note l’universitaire Paul Douaihy.
Dans les pays industrialisés, le rôle décroissant du pétrole, la disparition de l’indexation des salaires et la stabilisation des anticipations inflationnistes devraient limiter les risques d’inflation tendancielle, selon les experts du FMI. La donne est différente dans les pays émergents où les denrées alimentaires et les carburants représentent une part plus importante de la consommation et la politique monétaire a souvent moins de crédibilité. L’Inde a ainsi récemment élevé son taux d’intérêt de 0,5 % pour atteindre 7,25 %. La hausse du prix du pétrole fera tout de même quelques heureux et permettra ainsi à la Russie d’accélérer sa croissance économique, mais évidemment au prix d’une inflation à la hausse (9,8 % en glissement annuel en février), selon Christina Azouri. Le FMI préconise un durcissement de la politique macroéconomique dans bon nombre de pays émergents. À l’échelle mondiale, l’inflation non corrigée est montée à 4 % en février, dépassant 2 % dans les pays avancés et 6 % dans les pays émergents. L’inflation hors alimentation et énergie se situe bien en deçà de l’inflation non corrigée, même si elle a augmenté rapidement dans les pays émergents. Pour Albert Letayf, la baisse du pouvoir d’achat des ménages est inéluctable, cependant, elle ne sera plus due à l’inflation mais à la hausse des taxes et autres impôts. Les solutions adoptées par les gouvernements face à la crise ont généré un endettement massif et ont favorisé la chasse à l’évasion fiscale et la hausse des prélèvements d’État sur l’économie.