Minée par un taux de chômage élevé et une grande pauvreté, la situation économique de Tripoli est l’une des pires du Liban. Un rapport commandité par les députés de la ville préconise la création de 30 000 emplois à l’horizon 2020 comme objectif fédérateur d’une série d’initiatives destinées à combler les retards de Tripoli.

Deuxième ville du pays en termes de population, avec environ 320 000 habitants, Tripoli ne joue qu’un rôle mineur dans l’économie du Liban. Le chômage s’y élève aujourd’hui à 16 % de la population. Pour trouver des solutions, plusieurs responsables politiques ont commandité au cabinet d’analyse SCAS une étude sur la situation économique de la ville. Le rapport, financé par le Premier ministre sortant, Saad Hariri, le Premier ministre désigné Nagib Mikati, le ministre sortant de l’Économie, Mohammad Safadi, et le député Robert Fadel, leur a été remis en avril dernier. « Beaucoup d’efforts ont déjà été fournis, mais nous manquions d’une vision d’ensemble. Aujourd’hui, il y a un consensus politique autour du plan de développement proposé dans cette étude », assure Robert Fadel.

Priorité à l’emploi

« Le principal enseignement de ce rapport c’est que la solution aux multiples problèmes de la ville passe par la création d’emplois, alors que jusqu’à présent nous avions davantage tendance à raisonner en termes d’infrastructures », souligne Robert Fadel.
Le plan de développement, baptisé “Tripoli Vision”, vise ainsi un objectif de 30 000 créations d’emplois à l’horizon 2020. Atteindre cet objectif permettrait de ramener le taux de chômage aux alentours de 5 % en 2020 au lieu des 30 % prévus, si rien n’est fait pour inverser la tendance actuelle.
Une première réponse à la flambée du chômage réside, selon le rapport, dans l’amélioration de la formation des travailleurs tripolitains. Plus largement, un approfondissement de la collaboration entre le monde universitaire et le monde de l’entreprise est nécessaire, afin de faire correspondre les compétences des travailleurs avec les besoins des employeurs. Des efforts doivent être faits dès le début de la scolarisation, car de nombreux élèves quittent actuellement le système sans avoir atteint le niveau intermédiaire.
Afin de diminuer rapidement le taux de chômage, le plan propose également de soutenir les secteurs économiques dont les besoins en main-d’œuvre sont les plus forts, dans l’agriculture comme dans l’industrie et les services. Le tourisme et le transport maritime feraient ainsi partie des secteurs prioritaires.

Renouveler le tissu économique

« La diminution du chômage ne peut pas se faire à travers le tissu économique existant, il faudra financer d’autres projets », concède Robert Fadel, insistant sur la petite taille des entreprises tripolitaines. Le développement économique de la ville devrait donc passer par l’innovation. « Nous avons par exemple le projet de créer un pôle technologique sur le site de la Foire internationale de Tripoli », explique le député.
Pour attirer de nouvelles entreprises et favoriser le développement de start-up innovantes, plusieurs mesures sont envisagées. La zone économique spéciale prévue sur le port devrait permettre d’attirer les entreprises grâce à des incitations fiscales, mais il faudra plusieurs années avant d’avoir un impact perceptible sur l’offre d’emplois dans la région. Le rapport préconise aussi la mise en place de facilités de financement et la levée d’un fonds spécialement dédié à l’innovation. Pour soutenir et conseiller les entreprises, les pouvoirs de la Chambre de commerce pourraient être élargis. La communication fait aussi partie des outils proposés. Pour attirer les capitaux et les cerveaux étrangers, l’image de la ville devra être défendue au niveau local comme international.
« Nous voulons créer un choc positif », affirme Robert Fadel. « Le plan est ambitieux, mais réaliste », insiste-t-il. Composé de 24 initiatives prioritaires, classées selon leur facilité de mise en œuvre et le bénéfice attendu, le programme de développement prévoit des évolutions dans plusieurs domaines.
Sa mise en œuvre a déjà été enclenchée. « Nous sommes en train de constituer le comité de développement de Tripoli », affirme Robert Fadel. Cette instance sera chargée de superviser l’ensemble du plan de développement. Selon le scénario le plus modéré d’application du plan, le budget annuel de lancement ne devrait pas dépasser les 8 millions de dollars. C’est le secteur privé qui sera appelé à le financer. Une réunion des investisseurs sera organisée en vue de lever des fonds. « Il y a un consensus politique, la société civile est très dynamique et la communauté des affaires est demandeuse. On peut donc espérer que les deux premières étapes du plan, à savoir la constitution du bureau et la levée d’un fonds de fonctionnement, seront réalisées d’ici à la fin de l’année. »

La zone économique spéciale pourrait créer 9 000 emplois
Afin d’attirer les entreprises et de redynamiser l’activité du port de Tripoli, un projet de zone économique spéciale (ZES) a vu le jour en juillet 2010. Le port de Tripoli ne draine en effet que 5 % du fret maritime au Liban, contre 77 % pour le port de Beyrouth. Les premiers résultats de l’étude de faisabilité, réalisée par l’Agence de développement américaine USAID, ont été publiés en avril dernier et concluent à la possibilité de créer 9 000 emplois en 20 ans. Le projet prévoit de mettre en place une zone économique spéciale à proximité du port, afin d’attirer les investisseurs et les entrepreneurs par des incitations financières et un cadre réglementaire favorable. Les incitations pourraient reposer sur des avantages fiscaux, l’ouverture sans limite aux capitaux étrangers ou la suppression de droits de douane.
Pour permettre le développement des échanges commerciaux, le port serait lui-même agrandi et approfondi.
Le projet de ZES s’inscrit dans une perspective plus large de développement économique du Nord, fondé sur l’accroissement des échanges. Des accords de libre-échange avec la Syrie, la Turquie et la Jordanie, et le développement des voies de transports vers la frontière syrienne font également partie de cette stratégie. Si le projet voit le jour, Tripoli serait la première ville du Liban à se doter d’une zone économique spéciale. Selon les premières conclusions de l’étude de faisabilité, il serait nécessaire d’agrandir le territoire initialement prévu pour la ZES (environ 1 km2) en y intégrant notamment l’aéroport René Moawad. Celui-ci est situé à 6 km de la frontière syrienne mais n’a, jusqu’à aujourd’hui, jamais servi à des fins commerciales. Les résultats définitifs de l’étude de faisabilité devraient être connus en juillet.

  

La Foire Rachid Karamé : un avenir incertain
Construite dans les années 1960, selon les plans de l’architecte Oscar Niemeyer, la Foire internationale de Tripoli, ou Foire Rachid Karamé, s’étend sur environ 1 km2. Conçue pour accueillir des événements de grande ampleur et favoriser le développement économique de Tripoli, elle n’a jamais joué ce rôle. La construction des bâtiments a été interrompue par la guerre et depuis seuls de petits événements ont eu lieu sur le site.  De multiples idées ont été évoquées pour faire revivre la Foire. En 2004, la Chambre de commerce et d’industrie de Tripoli imagine la création d’un grand parc d’attractions. Mais le projet soulève de nombreuses oppositions notamment de la part des défenseurs du patrimoine architectural que représente la Foire. Le projet est abandonné et le site classé sur la liste mondiale des bâtiments menacés (World Monuments Watch List). En 2006, un groupe d’investisseurs projette de convertir la Foire en base d’exposition et d’entreposage pour les produits chinois destinés à l’exportation vers le Levant. La guerre et les craintes d’une concurrence accrue pour l’activité économique locale font reculer le projet. Évoquée dans le schéma directeur d’aménagement du territoire du Liban, l’hypothèse de la mise en place d’un campus de l’Université libanaise sur le site de la Foire est reprise dans le rapport Tripoli Vision. En complément, les auteurs suggèrent la création d’un pôle technologique sur place afin notamment d’encourager l’innovation dans la région. La Foire deviendrait donc un site de formation, de recherche et d’innovation, contribuant, selon les ambitions du rapport, à faire de Tripoli un carrefour technologique pour l’ensemble du Liban.