Le comité de l’indice des prix présidé par le ministre du Travail Charbel Nahas a présenté au Conseil des ministres un rapport énonçant une série de propositions destinées à trouver une solution à la problématique des salaires en l’inscrivant dans une démarche plus globale de redéfinition de la politique économique et sociale du gouvernement. En voici le résumé.
 

1) Relever les salaires et alléger les cotisations sociales
Augmenter les salaires en limitant le coût de cette hausse pour les employeurs, à travers un allègement parallèle de leurs cotisations sociales. Il s’agit d’abord d’intégrer au salaire nominal les différents ajouts qui lui ont été faits, notamment les indemnités de transport et d’éducation, car ces indemnités font partie intégrante du salaire tout en révisant le mécanisme de constitution de provisions pour les indemnités de fin de service qui représentent un fardeau inadmissible pour les entreprises, tandis qu’en parallèle la Caisse nationale de Sécurité sociale ne fournit aucune indication quant au rendement des fonds qu’elle est chargée de faire fructifier.
Après intégration des indemnités diverses, l’augmentation des salaires proposée est de 20 % et plafonnée à 2,5 millions de livres. En contrepartie seront annulées les cotisations salariales (2 %) et patronales (7 %) aux caisses d’assurance maladie et maternité permettant une augmentation des salaires dans une proportion équivalente de 9 %, dans la limite de 2,5 millions de livres.
Au total, l’augmentation de salaire serait donc de 31 % pour les bas salaires, ce qui permettra au salaire moyen d’évoluer au même rythme que le revenu national par habitant.


2) Instaurer un système d’assurance maladie universelle
L’allègement des cotisations sociales entre dans le cadre d’une réforme parallèle indispensable de l’assurance maladie dont les effets vertueux sont multiples. Aujourd’hui seuls les salariés en activité bénéficient d’une assurance maladie, qu’ils perdent à leur retraite. Ce qui signifie que plus de la moitié de la population libanaise n’a aucune couverture médicale. L’explication tient au fait que notre système de couverture sociale a été conçu à une époque où l’on croyait que le salariat se développerait au Liban sur le modèle de ce qui s’est passé dans les pays industrialisés. Tout le poids du financement de la Sécurité sociale repose donc sur le travail. Ce modèle a échoué et il est grand temps d’en sortir.
Charbel Nahas propose de rendre la couverture médicale universelle, c’est-à-dire d’en faire bénéficier tous ceux qui résident au Liban. L’impact est à la fois social et économique puisqu’en déchargeant les ménages des coûts de santé qu’ils assument aujourd’hui directement, on augmenterait automatiquement leur pouvoir d’achat et donc la demande de consommation ou la capacité d’épargne nationale.
En transférant sur l’impôt le coût de ce dispositif, on allégerait le poids des cotisations sociales assumées par les entreprises et donc le coût du travail, ce qui a un impact positif sur la production nationale et l’emploi.
Le choix de l’impôt devant financer le surcoût pour l’État lié à l’élargissement de la couverture santé n’est pas neutre. Celui que propose Nahas est l’impôt sur la plus-value foncière. Au-delà de son indiscutable apport possible de recettes fiscales, cet impôt a des avantages économiques majeurs, soutient le ministre : il corrige le déséquilibre fiscal qui oriente aujourd’hui les capitaux vers des placements spéculatifs au détriment des investissements productifs, ce qui a eu pour conséquence un affaiblissement dramatique de la compétitivité globale de l’économie libanaise.

3) Remplacer les indemnités de fin de service par un système de pensions de retraite
La réforme de l’assurance maladie a un corollaire indispensable, celle du régime des indemnités de fin de service. La Sécurité sociale que représente la certitude de percevoir un revenu au moment de sa retraite est un élément majeur de la psychologie d’un employé qui pèsera forcément sur le niveau des salaires d’une part et la propension à émigrer de l’autre. Les employeurs seront de leur côté libérés des aberrations du système actuel qui fait peser sur eux les déficiences de l’État en matière de protection sociale. Mais là encore, la réforme va au-delà du tête-à-tête entre employeurs et employés : elle favorise le développement des assurances, un secteur à forte valeur ajoutée, dans lequel les Libanais ont un rôle régional à jouer.

4) Limiter les effets de dumping sur le marché du travail de la main-d’œuvre immigrée
La demande d’emplois qualifiés étant très faible au Liban, en raison de la concentration de l’activité dans des secteurs à faible valeur ajoutée, les Libanais qualifiés ont tendance à émigrer. Ils sont plus de 500 000 (en solde net) à l’avoir fait depuis la fin de la guerre, réduisant à néant la croissance démographique naturelle. En parallèle, la très libérale politique d’immigration pratiquée depuis des années a entraîné l’éviction des Libanais d’un grand nombre de secteurs d’activité au profit d’une main-d’œuvre meilleur marché et corvéable à merci. Les Libanais les moins qualifiés, dans l’incapacité d’émigrer, se retrouvent en situation de chômage déguisé, employés dans des structures à vocation clientéliste, dont la plus importante est l’administration publique, avec un impact majeur sur la qualité des services que cette dernière est en mesure de fournir.
Ces phénomènes migratoires sont des tendances lourdes de l’économie, mais ils sont réversibles dans la durée. L’un des leviers possibles concerne la politique d’octroi de permis de travail aux étrangers. Le ministre du Travail propose de l’utiliser en instaurant d’une part des quotas par branches d’activité pour l’emploi des étrangers et d’autre part en renchérissant le coût de l’emploi de la main-d’œuvre immigrée à travers un relèvement des droits sur les permis de travail.

5) Encourager l’emploi des jeunes à travers des incitations fiscales
Les statistiques sur le marché de l’emploi sont édifiantes : plus les Libanais sont jeunes et qualifiés, plus ils ont de chance de se retrouver au chômage. Charbel Nahas propose donc d’agir sur ce segment particulier du marché du travail – les jeunes diplômés – en octroyant des exemptions d’impôt sur les bénéfices aux entreprises qui embaucheront de nouveaux entrants sur le marché pour un contrat de deux ans.

6) Conditionner les incitations fiscales et les crédits subventionnés à la création d’emplois et l’investissement productif
L’État a déjà recours à des incitations fiscales ou à des subventions pour encourager l’investissement, à travers IDAL par exemple ou des crédits subventionnés. Le ministre du Travail propose de revoir ces mécanismes afin de garantir qu’ils servent vraiment l’objectif affiché, à savoir relancer la croissance et créer des emplois.
Cela suppose de conditionner leur octroi à des objectifs précis : nombre d’emplois créés, valeur ajoutée attendue, part des salaires dans cette valeur ajoutée, volume des exportations...


7) Relancer l’investissement public
La question des salaires suppose de s’attaquer à celle de la productivité globale de l’économie et à celle des secteurs productifs en particulier. Car une hausse de la productivité se traduit par une augmentation de la compétitivité des biens et services libanais, et donc de la capacité à les exporter, ce qui permet la création de revenus et donc d’emplois à moyen et long terme.
Les faibles gains de productivité et le recul de la compétitivité et du pouvoir d’achat au Liban s’expliquent en grande partie par la chute drastique des investissements publics depuis 1997, que ce soit en valeur absolue, ou en pourcentage des dépenses totales.
Lancer un programme d’investissements publics sur cinq ans dans les infrastructures fondamentales de l’économie (transport, électricité, télécommunications) aura forcément un impact positif sur la productivité globale de l’économie et en particulier celle des secteurs productifs. À titre d’exemple, l’instauration d’un système de transport en commun efficace entre les grandes villes faciliterait le déplacement de l’une à l’autre contribuant à unifier leur marché du travail. Un tel système atténuerait aussi l’augmentation des prix du foncier, il contribuerait à réduire les importations (de voitures et d’essence) et donc le déficit commercial, réduirait la pollution et permettrait de réaliser des gains de temps très importants. Cet exemple s’applique à d’autres services fondamentaux comme l’électricité, le pétrole, l’eau, les télécommunications, les zones industrielles, la classification des terrains et leur affectation sectorielle…