La médiation, qui se pose comme une alternative au procès en cas de conflit, est déjà introduite dans le système légal de nombreux pays à travers le monde. Ce n’est que récemment qu’elle a vu le jour au Liban, où pourtant les litiges liés au travail et au statut personnel sont nombreux.

Au tribunal de commerce de Beyrouth mieux vaut prendre son mal en patience : plus de 1 400 procédures judiciaires sont en attente, les plus anciennes datent de 1993. « Une grande partie des cas de conflit du travail pourraient pourtant être réglés sur-le-champ », déplore la magistrate Arlette Jreissati, présidente de la Commission arbitrale des conflits collectifs du travail et conseillère à la chambre sociale de la Cour de cassation. Pour tenter de contourner les lourdeurs administratives – aggravées par les pratiques de corruption du système –, des initiatives de médiation voient progressivement le jour dans le pays.
Très populaire sur les continents américain et européen depuis les années 1980, la médiation sociale (au sein de l’entreprise) et commerciale s’est répandue comme voie alternative de règlement des litiges. Cette dernière se distingue par sa neutralité de l’arbitrage et de la conciliation, deux systèmes dans lesquels la personne tierce oriente, conseille et parfois tranche au nom des parties opposées. Les deux acteurs majeurs de la médiation sont l’américain Jams et le britannique Centre for Effective Dispute Resolution (CEDR).
La Société financière internationale (SFI), bras du groupe de la Banque mondiale chargée des opérations avec le secteur privé, tente de promouvoir la médiation au Liban depuis le début de l’année avec son programme Alternative Dispute Resolution (ADR). L’institution, aidée des experts du CEDR, propose pendant 24 mois des formations à la médiation par le biais de la Chambre de commerce de Beyrouth et du barreau de Tripoli. « L’objectif de l’ADR est d’épargner aux PME de lourdes procédures légales qui handicaperaient leur activité, explique Carol Khouzami, responsable du projet à la SFI. Lors d’un conflit commercial, 20 % des coûts liés à la dispute correspondent aux frais légaux, le reste représente les conséquences indirectes sur la production. » Pour les consultants du CEDR, la médiation est souvent plus adaptée que le système judiciaire en cas de litiges techniques. « La médiation commerciale permet d’avoir une vision professionnelle du désaccord, plus technique et personnalisée que dans le système légal. Il y a en outre davantage de portes de sortie envisageables qu’au cours d’un procès », note Andy Grossman, directeur du CEDR, en visite à Beyrouth. La plupart des cas se règlent en une journée, le dossier ayant été préparé par les médiateurs en amont. Cette pratique n’exempte toutefois pas des services d’un avocat, notamment lors d’un conflit lié au non-respect de clauses contractuelles. L’objectif du programme ADR est de promouvoir la pratique dans tous les secteurs d’activité. « Nous avons pris contact avec l’Association des banques du Liban et nous voulons sensibiliser les PME », annonce Carol Khouzami.
Mais l’activité n’en est pas à son coup d’essai. La première initiative du genre à avoir vu le jour dans la région est le Centre professionnel de médiation (CPM), créé sous la houlette de l’Université Saint-Joseph fin 2006. « L’idée était de promouvoir la culture du dialogue et un esprit d’apaisement après la guerre de l’été », explique Joanna Hawari, fondatrice et directrice du centre. Ce dernier dispense aujourd’hui une formation diplomante en partenariat avec notamment l’Institut catholique de Paris, l’Association des médiateurs européens et l’Association des ombudsmans de la Méditerranée. La cinquantaine d’élèves, répartis entre Beyrouth et Tripoli, suivent 120 heures de cours divisées en huit séminaires. La médiation ici n’est pas exclusivement commerciale ou sociale, mais peut également être familiale, ou même un mélange des deux.
« Lors d’un conflit dans une PME familiale, le litige économique est parfois lié à un conflit personnel », remarque Éliane Mansour, responsable de formation et des médiations au CPM. La trentaine de médiateurs professionnels rattachés au centre viennent d’horizons variés : si la plupart sont avocats, d’autres sont issus du milieu médical, de la construction ou de la finance. Ils ont tous passé un entretien d’éthique et effectué des stages de perfectionnement, soit à Beyrouth, soit dans le Nord où le CPM a des partenariats avec les municipalités de Tripoli, Mina et le centre Debbané. Selon leur profil, ils traitent de conflits très divers, de la médiation de divorce à des disputes entre collègues. « Je ne sais pas encore vers quel type de médiation je vais me tourner, explique Alexa Hechaimé, professeure de droit et élève du CPM. Le médiateur doit bien se connaître pour réussir à être une oreille empathique efficace. »
En 2010, le CPM a également participé à la création de la première unité de médiation bancaire de la région au sein de la banque BEMO. À la différence de l’ADR, les processus de médiation gérés par le centre prennent en général de deux à trois mois, entre le premier entretien individuel jusqu’à la séance plénière regroupant tous les participants. 
Si les initiatives se multiplient, le cadre légal qui encadre la pratique est plutôt poussiéreux. Il n’y a pas de législation spécifique à la médiation au Liban stricto sensus, bien que l’idée apparaît dans la loi dès le code ottoman “majalla”, qui différencie la médiation “wasata” de la conciliation “solh”. Aujourd’hui, la législation parle seulement de conciliation et en confie la mission au juge (articles 375 et 460 du code de procédure civile) ou à un conciliateur légal dans les conflits collectifs du travail. Il n’y a toutefois pas d’obstacle à l’activité : rien n'empêche les deux parties, avant ou pendant le procès, de trouver un arrangement à l’amiable avec l’aide du médiateur et de l’exécuter sans demander l’homologation de l'accord par le tribunal. Dans les conflits individuels du travail, la médiation n’est possible qu'après rupture du contrat de travail à moins que l’accord entre les parties ne prévoit pour le salarié des droits et avantages supérieurs à ce que lui accorde le droit du travail. L’usage veut qu’en cas de conflits collectifs dans les entreprises privées l’on fasse appel au ministre du Travail ou à une figure politique de premier plan, comme cela a été le cas lors du conflit des pilotes de la MEA. Les institutions publiques doivent elles obligatoirement avoir recours à l’arbitrage ou à la conciliation.
Plusieurs projets de loi sur la question sont actuellement sur le bureau du ministre de la Justice. Le premier a été déposé en 2009 par le CPM pour la mise en place de la médiation volontaire et judiciaire, où le juge peut conseiller aux parties en conflit de se tourner vers la médiation en cours de procédure. Un autre projet de loi vise à la nomination d’un médiateur de la république, qui pourrait proposer une médiation administrative (en cas de conflit entre un citoyen et l’État) aujourd’hui inexistante au Liban. Le dernier projet de loi en date, soutenu par Arlette Jreissati, réhabiliterait la fonction de “juge de paix”. L’idée serait de proposer une médiation ou une conciliation préalable à la saisine du tribunal et au lancement de la procédure. Elle demande pour cela l’amendement du décret-loi 3572 de 1980 de l’article 79 du code du travail. « Les Libanais adorent discuter et débattre, remarque la magistrate. C’est exactement ce qu’on leur propose dans le règlement de conflits à l’amiable par la médiation. »