Une année d’expectative sur les marchés financiers
Face aux bouleversements qui secouent l’économie mondiale, le Moyen-Orient parvient à conserver la tête hors de l’eau. Cette situation est en grande partie due aux pays du Golfe exportateurs de pétrole, car le reste de la région est depuis l’an dernier en proie à de profonds changements politiques et sociaux. Cette instabilité inquiète le Fonds monétaire international (FMI) qui craint pour la santé économique de la zone. « La transition politique, les revendications sociales pressantes et une conjoncture externe défavorable se sont conjuguées pour accroître les risques pesant à court terme sur la stabilité macroéconomique. Ces risques avaient été maîtrisés en 2011, mais avec une croissance qui s’essouffle, un chômage en hausse et des tensions budgétaires et extérieures persistantes, 2012 va être une année tout aussi difficile », annonce l’institution dans ses “Perspectives économiques régionales” du mois d’avril 2012. Ce climat d’incertitude pèse sur l’investissement, le tourisme et l’activité économique en général.
Les pays importateurs fragilisés
Les pays importateurs de pétrole que sont l’Égypte, la Jordanie et le Liban (la Syrie étant exclue de l’analyse cette année) doivent depuis quelques mois faire face au renchérissement des produits de base et au ralentissement de la croissance mondiale. Le FMI annonce ainsi que le revenu par habitant a stagné ou s’est contracté en 2011, et le nombre de jeunes sans emploi est supérieur à ce qu’il était il y a un an. Pour tenter d’endiguer la tendance, les gouvernements ont ouvert leurs porte-monnaie, notamment sous forme de hausse de salaires et de subventions. Ce qui a eu pour conséquence la hausse des déficits budgétaires. À court terme, le FMI s’inquiète de la vulnérabilité des États et envisage un assouplissement du taux de change par les banques centrales en cas de détérioration. « La remontée des tensions de la zone euro pourrait raviver les préoccupations sur la demande de pétrole », prévient Dory Hage, directeur du département Conseil en investissement de la Libano-Française Finance, bras de la Banque libano-française (BLF). Les envois de fonds, notamment au Liban, et les recettes d’exportation ont néanmoins contribué à stabiliser le revenu. Côté boursier, le FMI note que l’inquiétude des investisseurs et la croissance en berne ont entraîné un tassement des indices, un creusement des écarts de taux des titres d’État, une augmentation des créances improductives, des rétrogradations de notes de crédit et des sorties de capitaux de certains pays, notamment en Égypte. L’inflation n’est en revanche pas à craindre à moyen terme, du fait du repli de la demande et l’augmentation des subventions des produits de base. Le point d’interrogation concerne aujourd’hui la hausse ou non du pétrole dans les mois à venir. Si les cours augmentent, les pays importateurs en souffriraient. La contagion des affrontements syriens risque également d’affecter l’économie régionale.
Le CCG en plein boom
De leur côté les pays exportateurs de pétrole que sont l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arables unis, l’Iran, l’Irak, le Koweït, Oman, Qatar et le Yémen profitent depuis quelques mois de la hausse des cours de l’or noir. Les membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sont les grands gagnants et affichaient en 2011 un taux de croissance du PIB de 8 %, avec un pic à plus de 18 % pour le Qatar. La situation budgétaire de l’Arabie saoudite notamment est très rassurante. « La région est en bonne santé financière et les échanges devraient se développer dans les mois à venir, ce qui est source d’opportunités d’investissement. Le pétrole rapporte chaque jour davantage d’argent et près de 80 % des fonds de l’OPEC sont dépensés : les investisseurs doivent suivre les événements avec soin », confirme Paul Donovan, économiste à la banque suisse UBS. Les marchés financiers profitent de cette bonne santé, mais le FMI constate toutefois que les écarts de contrat sur risque de défaut (CDS) se sont creusés, bien que pas dans les proportions constatées dans d’autres régions. En 2012, le grand argentier mondial prévoit une croissance de 5 %, avec un baril fluctuant autour de 115 dollars. « Le secteur public et les hydrocarbures resteront les principaux supports de l’économie avec une contribution attendue du secteur privé suite à un déblocage des crédits », explique Dory Hage. L’importante production d’hydrocarbures du Qatar devrait se tasser dans les mois à venir, due à un moratoire d’expansion de capacité. Hors activité pétrolière, le secteur du BTP devrait se développer, grâce à l’augmentation des dépenses publiques,ainsi que le commerce. « La vente de biens de consommation courante se porte bien, tirée notamment par l’activité des centres commerciaux dans le Golfe », remarque Nadim Kabbara, qui dirige le département recherche de la FFA Private Bank, qui propose des fonds consacrés aux marchés régionaux. Néanmoins tout n’est pas rose : pour Dory Hage, les principales faiblesses structurelles sont liées aux marchés immobiliers, en particulier Bahreïn et Émirats arabes unis. Les besoins de refinancement de Dubaï cette année sont en outre estimés à plus de 10 milliards de dollars, et le pays risque de voir surgir des difficultés en cas de tensions sur les marchés.
S’il est indubitable que de bonnes affaires sont à faire, il ne faut pas considérer la région comme un tout. « Il est plus difficile d’avoir une stratégie globale, les marchés ne sont pas tous nécessairement liés entre eux », prévient Tarek el-Ahdab, vice-président de l'Arab Finance Corporation (AFC). L’incertitude qui plane sur les pays importateurs fait fuir bon nombre d’investisseurs. Sur ce point, deux conseils font consensus chez les gestionnaires de portefeuilles : il ne faut pas s’engager sur les marchés que l’on connaît mal ; et à l’inverse les opportunités existent toujours, même sur les marchés sous tension, pour les investisseurs locaux qui connaissent bien le terrain.
Pour ceux en revanche qui sont moins bien renseignés, la sagesse est de cibler les pays en bonne santé financière de la zone du Golfe. « Les investisseurs libanais, qui se tournent traditionnellement vers des placements à l’étranger et notamment en Europe, devraient considérer les opportunités au niveau local et régional », conseille Paul Donovan, économiste chez UBS.
Le premier pays venant à l’esprit était l’Arabie saoudite. Après une croissance record de près de 7 % l’an dernier, le pays affichait un excédent budgétaire de 10,4 % du PIB en début d’année. Les revenus liés au pétrole devraient cette année encore générer de lourds profits. Par ailleurs, la forte hausse des dépenses publiques en 2012 fait anticiper l’émission d’une vague de sukuk, équivalent des obligations publiques dans la finance islamique. « Les sukuks de l’aéroport King Abdulaziz émis par l'Autorité générale de l'Aviation civile sont la première étape dans cette direction », note Dory Hage. Des opportunités existent également dans les secteurs de la construction et de l’immobilier, soutenus par le programme gouvernemental de construction de logements. Sur les marchés, l'indice Tadawul All Shares de la Bourse de Riyad affiche une hausse continue. « La plupart des entreprises sont indirectement soutenues par le gouvernement qui supporte l’économie et certains secteurs et qui fait depuis quelques temps des efforts de transparence avec l’implantation de compagnies internationales », ajoute Nadim Kabbara, qui dirige le département recherche de la FFA Private Bank. Le Qatar arrive en second sur la “wishlist” des investisseurs, dynamisé par la Coupe du monde de football à venir, ses ressources en gaz naturel et la solidité de son secteur bancaire. Le mauvais élève est en revanche le Bahreïn, victime de ses troubles sociaux et politiques.
Quelques bémols sont toutefois à ajouter à ce tableau plutôt rose. « Il ne faut pas oublier les risques de tensions politiques et de manque de liquidités », note Antoine Salamé, d’Optimum Invest. Pour le spécialiste, les obligations de la zone ont été sur-achetées ces derniers mois, et les rendements sont aujourd’hui assez faibles avec une faible probabilité de hausse des prix des obligations. Il met également en garde contre les placements au Koweït, pays dont l’économie a été lourdement affectée ces dernières années.