Jacques et Georges Mfarej se lancent dans la production de viande de bœuf bio, dans le Koura, une première au Liban. Leur viande est distribuée en exclusivité par al-Marej.

Ce samedi matin-là, avant même que le soleil ne commence à se lever, le boucher est arrivé pour abattre l’un des jeunes bœufs de la ferme des Mfarej : un veau, de la race Brune des Alpes, bien connue des alpages suisses. L’animal était élevé depuis plus d’un an dans les pâturages autour de la ferme de Jacques et Georges Mfarej, située dans le village de Bishmezeen, près du Koura (Nord).
Dans la ferme des Mfarej, la première à produire de la viande bio au Liban, certifiée par l’Institut méditerranéen de certification (IMC), c’est le boucher qui vient à la bête. Jamais le contraire. « Je suis un chasseur », explique Jacques Mfarej, qui, avec Georges, l’un de ses parents, dirige cette ferme de 100 000 m2. « J’ai un infini respect pour l’animal. Je ne veux pas qu’il souffre inutilement lorsqu’on le tue. Je suis également un fervent adepte de la nature. Pour moi, produire bio, n’est pas seulement la satisfaction de mes goûts personnels. C’est d’abord protéger l’environnement et maintenir la biodiversité. » Lors de l’abattage, l’animal est d’abord paralysé à l’aide d’un pistolet “étourdisseur”, avant d’être égorgé selon le rite halal. Une fois équarrie, la viande est conservée dans une salle spécialisée plusieurs jours, le temps de s’attendrir suffisamment pour être consommable.

De Koura à Achrafié
 
Acheminée à Beyrouth par le camion frigorifique de la ferme, la viande, sous vide, déjà conditionnée pour préserver sa saveur, est présentée dans le coin boucherie de l’épicerie bio al-Marej d’Achrafié, qui en est le distributeur exclusif. « Nous la proposons également à d’autres épiceries fines ou à des restaurants, auxquels nous proposons de participer à l’élaboration de plats bio », précise Haïfa Abbas, responsable marketing d’al-Marej.
Rentré au Liban en 2010, Jacques Mfarej a décidé de se lancer dans l’élevage bio en constatant qu’il n’existait pas de viandes de ce type au Liban. « J’ai effectué toute ma carrière en France. Quand je suis rentré définitivement au Liban, au moment de ma retraite, une chose au moins continuait de me manquer : de la viande de qualité. » De là à la faire soi-même ? L’idée n’a pas tardé à trouver sa concrétisation. D’abord, pour les besoins familiaux. Ensuite, très vite, avec une logique commerciale. « Élever deux veaux pour notre consommation personnelle ou dix, cela ne change pas réellement le travail, ni l’investissement… », commente Jacques Mfarej, qui poursuit : « L’investissement n’est pas énorme, notre ferme existait déjà, les terrains étaient là. Et je suis à la retraite, mes revenus ne dépendent pas de cette activité. J’ai le temps de laisser grandir ces animaux sans me préoccuper de la lenteur de la rentabilisation qui représente un frein pour d’autres producteurs. » En tout, Jacques Mfarej a investi quelque 130 à 150 000 dollars pour mettre en place ce projet. « Nous espérons atteindre l’équilibre d’ici à deux ans. »
Pour les associés, vouloir produire de la viande de qualité passait nécessairement par une inscription dans la démarche bio afin de garantir aux consommateurs la qualité du produit final. « Une viande bio, cela signifie que son alimentation ne contient aucun résidu de pesticides, d’herbicides et d’insecticides. L’animal élevé biologiquement a de l’espace pour bouger, un accès à l’extérieur, à la lumière du jour et à une alimentation sans hormones, antibiotiques ou farine animale », explique Haïfa Abbas.
Plusieurs races bovines sont élevées à Bishmezeen. Certaines, comme l’Angus britannique ou le charolais français, figurent parmi les meilleures au monde. Achetés au poids (entre 4 et 5 dollars le kilo), ces bovins sont importés d’Europe pour la plupart dans les premiers mois de leur vie, ils sont ensuite élevés un an, voire un an et demi à la ferme, le temps qu’ils atteignent un poids de 500 à 600 kilos. Pour l’heure, aucune bête ne naît encore à la ferme. « Mais c’est un projet. »

Une vingtaine de boeufs

Aujourd’hui, Mfarej Farm accueille une vingtaine de bœufs. Elle cultive également le fourrage nécessaire aux mois d’été et d’hiver, pendant lesquels les bêtes sont nourries hors pâturage. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de l’association entre les deux fermes, al-Marej et Mfarej : agrandir l’espace dédié aux cultures fourragères dont ont besoin les bêtes. « Si nous achetions l’aliment à l’extérieur, cela nous reviendrait à 5 dollars par jour et par animal. En développant nos surfaces dédiées au fourrage, nous sommes déjà descendus à 3 dollars par jour et par animal », explique Haïfa Abbas.
Élever bio a cependant un coût, qu’en Europe on estime entre 15 et 25 % supplémentaire pour le consommateur par rapport à un produit issu de l’agriculture conventionnelle. « Notre prix de vente est certes plus élevé qu’une viande de bœuf local. Mais il reste en deçà du prix, par exemple, d’une viande importée, comme le bœuf australien, poursuit-elle. Nous sommes dans une fourchette médiane. » Selon les morceaux sélectionnés, la viande est vendue entre 20 et 36 dollars le kilo au public.
Si l’expérience réussit, les Mfarej pourraient étendre leur accord à d’autres productions carnées, notamment de viande d’agneau et de chèvre. « Mais nous avons encore tout un travail d’éducation à faire pour apprendre aux Libanais à apprécier autre chose que le filet. C’est l’un de nos grands paris », précise Haïfa Abbas. Qui au Liban par exemple connaît l’araignée, qui peut remplacer la bavette ou la macreuse, qu’on utilise souvent dans le pot au feu ? Al-Marej va d’ailleurs mettre à la disposition des consommateurs libanais des idées de recettes dans les trois langues (anglais, arabe, français) associées à des explications sur les morceaux choisis pour les aider à mieux manger.