Les relations économiques ont traditionnellement eu un rôle secondaire dans le partenariat syro-iranien même si Téhéran a récemment ouvert une ligne de crédit d’un milliard de dollars à son allié pour le soutenir financièrement.

L’annonce faite en janvier dernier par Téhéran de l’ouverture d’une ligne de crédit d’un milliard de dollars en faveur du gouvernement syrien a confirmé la continuité des relations stratégiques entre les deux pays.
En pratique, la moitié de cette somme va être consacrée à des projets électriques de long terme, dont la construction d’une centrale électrique en Syrie par une entreprise iranienne, et a donc peu de chance d’être déboursée dans les mois qui viennent. Mais l’importance de l’annonce résidait dans le fait qu’elle exprimait à nouveau le soutien de Téhéran à son allié en prise avec une révolte populaire et un conflit armé qui menace de le mettre à genoux. Elle a été présentée comme une continuation de relations économiques et commerciales stratégiques.

Des liens économiques historiquement limités

En réalité, historiquement, les relations économiques bilatérales entre la Syrie et l’Iran sont bien moins importantes qu’il n’y paraît, et les deux pays ont largement échoué durant les 30 années de leur relation politique privilégiée à développer des liens économiques et financiers substantiels.
Les chiffres du commerce bilatéral sont particulièrement parlants. Les échanges commerciaux sont notoirement faibles. En 2010, d’après le bureau central des statistiques syriens, le commerce bilatéral avec l’Iran s’établissait à 316 millions de dollars, soit seulement une fraction des volumes entre la Syrie et l’Arabie saoudite (1,3 milliard de dollars), avec l’Irak (2,3 milliards de dollars) ou encore avec la Turquie (2,3 milliards de dollars). Quant au commerce bilatéral syro-libanais, il s’élevait à 615 millions de dollars toujours selon les statistiques officielles syriennes.
De manière a priori surprenante, même les volumes d’échange entre la Syrie et les États-Unis sont supérieurs à ceux avec l’Iran, et ce malgré plusieurs décennies de sanctions économiques américaines contre Damas. Ainsi, toujours en 2010, le commerce entre Damas et Washington s’établissait à 966 millions de dollars. Cette apparente anomalie s’explique par le fait que le commerce entre la Syrie et les États-Unis est largement dominé par les matières premières (exportations américaines de soja et de maïs, et exportations syriennes de brut) qui ont vu leur prix sur les marchés mondiaux augmenter de manière exponentielle ces dernières années.
Au-delà du commerce, les investissements bilatéraux sont aussi extrêmement limités et se portent sur une poignée de projets iraniens en Syrie, y compris deux usines d’assemblage de voiture, dont l’une avec Iran Khodro, le partenaire iranien de Peugeot et Renault, et une raffinerie d’huiles métalliques.
Il est aussi symptomatique qu’alors que la Syrie est entrée dès 2005 dans la Zone arabe de libre-échange et qu’elle a appliqué un autre accord de libre-échange avec la Turquie dès 2007, la signature d’un accord similaire avec l’Iran ne s’est produite qu’en mars 2012. Et encore ne s’agit-il que d’une zone de commerce préférentiel dans laquelle des tarifs douaniers de quatre pour cent continuent à s’appliquer sur la plus grande partie des produits échangés.

Des déficiences d’ordre structurelles

La faiblesse de ces relations économiques est due à plusieurs facteurs.
Premièrement, les économies des deux pays sont très peu complémentaires. Leur principale exportation est le pétrole brut alors qu’aucune des deux économies ne produit de manière importante et compétitive des produits pétroliers raffinés, des équipements industriels ou des produits manufacturiers qui sont importés en quantité importante.
Autre raison, l’absence de frontière commune et le fait que les deux pays sont géographiquement séparés par l’Irak avec lequel ni l’Iran ni la Syrie n’avaient de relations diplomatiques durant la plus grande partie des trois dernières décennies.
Il faut ajouter à cela l’absence de liens commerciaux historiques semblables à ceux qui lient la Syrie et la Turquie depuis l’époque ottomane ou ceux entre Damas et le Hedjaz. Par ailleurs, la priorité dans les relations syro-iraniennes a toujours été donnée aux liens diplomatiques, militaires et sécuritaires, et non à l’économie ou aux affaires.
Finalement le fait que l’Iran a une présence limitée dans les secteurs des services, y compris la finance, l’immobilier ou le commerce de détail, qui sont les secteurs qui ont le plus bénéficié de la libéralisation économique en Syrie, a contribué à sa place reculée sur la liste des pays investissant en Syrie.

La libéralisation offre des opportunités aux iraniens

À partir du milieu des années 2000, les relations économiques ont commencé à se développer, en partie grâce à la priorité que les décideurs syriens ont commencé à accorder au domaine de l’économie.
Ce changement s’est d’abord manifesté par l’octroi de nombreux contrats par des entités du secteur public syrien à des entreprises iraniennes en particulier dans les domaines de l’énergie, des infrastructures et de l’industrie.
Ainsi Mapna, une société d’ingénierie, a glané trois contrats en quelques années pour la construction de nouvelles centrales électriques, le dernier en mars 2012 pour une centrale d’une capacité de 470 MW. La croissance de la demande d’électricité requiert, en effet, un investissement massif de la part des autorités syriennes sur la prochaine décennie et avec leurs prix compétitifs les entreprises iraniennes ont un avantage sur leurs compétiteurs occidentaux. Toujours dans l’électricité, Safa Nicu Sepahan, Azarab Energy et Parsian Group ont également obtenu plusieurs contrats pour la fourniture d’équipements électriques lourds.
Dans le domaine de l’eau, un autre secteur crucial pour les autorités syriennes, Tehran Mirab, un spécialiste dans ce domaine, travaille sur deux projets de traitement à Lattaquié et Tartous d’une valeur totale de 64 millions de dollars, alors que Sabir International construit un canal d’irrigation dans la région d’Alep.
Dans l’industrie, les Iraniens ne sont pas en reste avec l’augmentation de la capacité de production d’une cimenterie à Hama grâce à l’ajout d’une nouvelle ligne d’une capacité annuelle d’un million de tonnes réalisée par Ehdasse Sanat Corporation, une entreprise du secteur public iranien. Dans le secteur agricole, Tosee Siloha a signé en 2006 puis en 2011 des contrats pour la construction de 13 silos à blé, alors que dans les télécommunications, Shahid Qandi Telecommunication Cables Company a signé un contrat d’une valeur de 70 millions de dollars pour la fourniture de câbles en cuivre à la société publique syrienne des télécoms.

Des relations économiques avec leur logique propre

Même s’il ne faut pas négliger les motifs politiques dans le choix que font les autorités syriennes d’attribuer des contrats à des fournisseurs iraniens, il faut savoir que ces projets ne forment en fin de compte qu’une partie limitée de nombreux projets industriels et d’infrastructure accordés à des entreprises étrangères. Les sociétés occidentales, russes et chinoises sont loin d’avoir été en reste dans l’attribution de contrats.
Il faut par ailleurs également signaler plusieurs échecs. Ainsi, quand à la fin 2010 six opérateurs internationaux du secteur des télécoms font part de leur intérêt pour l’attribution de la concession d’une troisième licence de téléphonie mobile, une seule de ces entreprises est disqualifiée, Toseye Eatemad Mobin, une entreprise iranienne que certains rapports de presse disent proches des gardiens de la révolution. Les cinq entreprises préqualifiées sont l’émiratie Etisalat, la saoudienne STC, la qatarie Qtel, Turkcell et France Télécom – toutes des entreprises basées dans des pays avec lesquels les autorités syriennes sont aujourd’hui en très mauvais terme et qui ont été préférées à la société iranienne.
Un autre projet longtemps débattu et qui n’a pas vu le jour est celui de l’établissement d’une banque commerciale commune entre la Banque commerciale de Syrie (BCS) et la banque Saderat. À part d’avoir en commun d’être des entreprises publiques, ces deux banques ont aussi la particularité d’être sous sanction de l’administration américaine. Longtemps annoncé, le projet qui impliquait un investissement de l’ordre de 30 millions de dollars n’a jamais vu le jour. En 2010, après avoir obtenu une licence préliminaire de la part de la Banque centrale de Syrie, Saderat essuyait le refus de l’organisme de Sécurité sociale, une entité contrôlée par l’État syrien, de rejoindre le tour de table en lieu et place de la BCS.
Ces deux exemples, ainsi que le long retard dans le développement des liens d’affaires, semblent indiquer que les relations économiques syro-iraniennes avaient leur propre logique qui ne s’accordait pas forcément avec l’ancienneté et la force du partenariat qui liait Damas à Téhéran.

La révolte remet tout en cause

La révolte populaire syrienne qui a débuté en mars 2011 change évidemment la donne et place les accords économiques dans le cadre plus large des liens stratégiques entre les deux pays. La signature de l’accord pour la mise en place d’une zone de commerce préférentiel est ainsi accélérée pour donner accès aux exportateurs syriens à de nouveaux débouchés, alors que de nombreux rapports font part d’accords de troc ou d’échanges de produits pétroliers pour permettre au gouvernement syrien de contourner les sanctions contre son secteur pétrolier.
Un des projets que les autorités iraniennes ont le plus à cœur et qui revêt une importance stratégique cruciale est la construction d’un gazoduc dit “islamique”. Il aura peu de chance de survivre si le régime de Bachar el-Assad venait à tomber. Le gazoduc doit transporter dans une première étape près de 110 millions de mètres cubes par jour du champ de South Pars situé en Iran vers l’Irak, la Syrie, le Liban et, à terme, les marchés européens. Comme tous les projets énergétiques d’importance il reste cependant largement tributaire des chamboulements politiques et de la reconfiguration de la région.