En taxant de façon indifférenciée tout type de transformation de sociétés, y compris celle d’une SARL en SAL, l’administration fiscale profite abusivement d’un vide juridique, ce qui a des effets négatifs sur le développement des petites et moyennes entreprises.
Dans les derniers projets de budget déjà transmis au Parlement, le ministère des Finances prévoyait de soumettre à l’impôt sur la plus-value les actifs transférés lors de transformations de sociétés. Cette mesure semble avoir été abandonnée “implicitement” dans la nouvelle mouture du projet de loi de finance pour 2013 qui n’aborde plus dans ses articles 74 et 75 que les cas d’imposition des plus-values ou bénéfices réalisés sur les transactions immobilières (actuellement exonérées sauf pour les professionnels et marchands de biens) et les cas de réévaluation de biens et/ou d’actifs sociaux dans la perspective de la nouvelle imposition précitée.
L’imposition dans le cas de transformation régulière de sociétés aurait constitué sans nul doute une mesure indifférenciée et injuste qui aurait eu peut-être pour origine la volonté de remplir les caisses de l’État, mais dont l’impact sur les petites et moyennes entreprises aurait été potentiellement désastreux. Or force est de constater aujourd’hui que cette mesure est malgré tout appliquée dans la pratique administrative sans égard pour les normes constitutionnelles ou légales. L’administration fiscale considère en effet qu’il n’y a pas continuité de la personne morale de la société, et donc pas de permanence ou de pérennité du même patrimoine social entre les deux formes anciennes et nouvelles, mais bel et bien cession, avec tout son cortège d’impôts et de taxes.
La société est ainsi assimilée, après transformation, à un acquéreur qui doit s’acquitter des droits de mutation et d’enregistrement sur les biens immobiliers et leurs accessoires (5,75 %) dont notamment le droit de timbre sur les divers actes et contrats. Elle est aussi en parallèle assimilée à un cédant redevable de l’impôt sur les plus-values pour les cessions mobilières et immobilières ou sur les plus-values résultant des réévaluations d’actifs (10 %). Cette cascade d’impositions est d’autant plus injustifiée que le gain en capital n’est souvent qu’indicatif et la plus-value latente en l’absence de cession réelle à une tierce partie.
L’exécutif semble avoir reconsidéré sa position, alors que les derniers projets de loi de finance cherchaient à consacrer une pratique adoptée au fil des ans par l’administration fiscale qui a profité d’un vide juridique pour considérer que si la transformation d’une société a pour conséquence de lui faire changer de régime fiscal cela équivaut à une véritable cession d’entreprise. Espérons donc qu’avec la suppression de la disposition préconisée, le gouvernement se donne le temps de présenter une proposition de loi allant dans le sens d’une différenciation des cas de transformation et de l’exemption des transformations régulières n’emportant pas changement de la personne morale ou du régime fiscal.
Pratique injustifiable dans le cas de transformation d’une SARL en SAL
L’imposition est compréhensible pour le cas d’une société de personnes (SNC ou SCS par exemple) qui se transforme en société de capitaux (SARL, Société en commandite par action et SAL), dans la mesure où cette transformation emporte création d’une personne morale nouvelle et changement radical dans le régime juridique et le régime fiscal de la société. En revanche, elle est injustifiable pour ce qui est du cas très usité de transformation d’une Société à responsabilité limitée (SARL) en Société anonyme libanaise (SAL), même si les régimes fiscaux auxquels sont soumis ces deux types de sociétés ne sont plus absolument identiques depuis l’exemption en 1993 des gains de capital sur cessions d’actions. Assimiler d’un point de vue fiscal la transformation d’une SARL en SAL à une cession d’entreprise pénalise nombre de PME désireuses de procéder à une restructuration organique et institutionnelle de leurs affaires.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses législations étrangères ont décidé, dans des cas similaires, que la transformation régulière d’une société n’entraîne pas, par elle-même, la création d’une personne morale nouvelle. C’est l’ancienne société qui continue à vivre sous une forme nouvelle, à moins que le pacte social ne reçoive d’autres modifications substantielles ; ce qui arriverait, par exemple, en cas de transfert du siège social, de changement de tous les associés ou de modification substantielle de l’objet social.
La transformation régulière de la société ne modifiant pas en elle-même la personne morale existante, le patrimoine est transmis intégralement sans conséquences fiscales notoires.
Cette continuité est assez évidente dans l’hypothèse de la transformation d’une SARL en une SAL. Cette transformation est d’ailleurs expressément évoquée, voire recommandée par la loi libanaise1 et même considérée comme une opération normale lorsque le nombre des associés vient à dépasser les vingt. Sans compter que le droit des SARL est largement aligné sur celui des SAL.
Possibilité d’évasion fiscale
Malgré la grande proximité entre ces deux formes sociales appartenant toutes deux à la famille des sociétés de capitaux – soumises à un impôt sur les sociétés de 15 % et à un autre sur les dividendes de 10 % –, il subsiste certaines différences majeures en matière de régimes juridiques et fiscaux.
Il est évident que le régime juridique des actions des SAL est généralement plus pratique que celui des parts sociales de la SARL. Les cessions de parts sociales d’une SARL sont soumises à un impôt (sur la plus-value réalisée) de l’ordre de 10 % (en sus du droit de timbre de trois pour mille) et impliquent souvent l’intervention du fisc pour réévaluer la valeur réelle ou effective des parts cédées. En revanche, le transfert de propriété des actions de la SAL, détenues par des personnes physiques, échappe quant à lui depuis près de vingt ans à cet impôt2 ainsi qu’au droit de timbre fiscal de trois pour mille… Cette différence de régime fiscal constitue une porte ouverte à de nombreux montages dont le dessein délibéré est l’évasion fiscale.
Si l’objectif de l’administration fiscale est de lutter contre cette évasion, en décidant d’imposer de façon indifférenciée les cas de transformation de sociétés, elle commet ce faisant une entorse au principe constitutionnel consacré par l’article 81 selon lequel il ne peut y avoir d’imposition sans texte.
Vide juridique
Au Liban, il n’existe à ce jour aucun texte légal qui mentionne clairement et réglemente le cas de transformation de sociétés.
Un vide juridique similaire est apparu lorsque s’est posé le cas de fusions de sociétés. En l’absence de textes explicites, une requête a été présentée en 1996 au ministre des Finances pour lui demander de qualifier le droit sur la mutation foncière des avoirs immobiliers des sociétés en voie de fusion. Après avis de la Cour des comptes sur le sujet, le ministre a émis une circulaire3 dans laquelle il réfute toute continuation de la personne morale de la société “fusionnée” et considère par-là même que cette opération emporte transfert de propriété des actifs sociaux et assujettissement aux divers impôts et droits précités.
La fusion n’est pas assimilable à la transformation régulière de la société, ni d’un point de vue légal ni sur la base des paramètres fiscaux. L’autorité fiscale l’a elle-même déjà reconnu dans le cadre de deux instructions administratives distinctes. La première émane de l’ancien ministre des Finances Jihad Azour4 qui demande de surseoir à imposer les bénéfices cumulés reportés et les réserves lors de la transformation d’une SARL en SAL, et ce en raison de la similitude des régimes fiscaux. La seconde a été émise par l’ancien ministre Mohammad Chatah afin de déterminer les modalités de mise en œuvre de la TVA pour ce qui est de la transformation régulière des sociétés. Elle reconnaît elle aussi explicitement le principe de la continuité de la personne morale de la société régulièrement transformée et, par-là même le non-assujettissement à la TVA des éléments mobiliers et immobiliers de son actif social.
Les agissements de l’administration fiscale dans ce dossier contredisent donc les instructions de la hiérarchie ministérielle alors qu’elle est censée être liée par elles.
Afin de lever le flou une bonne fois pour toutes, il est souhaitable de légiférer clairement en matière de transformation des sociétés.
L’esprit de l’amendement devrait être d’exempter d’imposition les cas de transformation de sociétés, sauf s’il y a cession d’actions dans un délai de temps défini destiné à prévenir les cas d’évasion fiscale.
Une autre solution consisterait aussi à réintégrer la cession d’actions dans l’assiette de l’impôt sur le revenu, ce qui ôterait tout prétexte à l’évasion fiscale.
De la sorte, on éviterait de pénaliser les sociétés et d’affecter leur trésorerie tout en récompensant ceux des associés qui luttent pour la pérennité de l’entreprise et son développement. Il serait de même possible, dans le cadre de l’aménagement des cas de transformation de sociétés à régime fiscal différent (sociétés de personnes/sociétés de capitaux), de procéder à l’introduction d’un barème dégressif en cas de cession du bien concerné dans les premières années suivant la transformation de la société sauf s’il est remplacé par un actif productif capable d’augmenter les capacités de production et/ou de commercialisation de l’entreprise.
(1) Articles 5 et 34 du décret-loi n° 35 du 5/8/1967.
(2) Article 19 de la loi n° 282/93 modifiant l’article 73-5 de la loi de l’impôt sur le revenu.
(3) Circulaire n° 759/S1 du 18 août 1997.
(4) Instruction n° 692/S1 du 8 avril 2008.
L’imposition dans le cas de transformation régulière de sociétés aurait constitué sans nul doute une mesure indifférenciée et injuste qui aurait eu peut-être pour origine la volonté de remplir les caisses de l’État, mais dont l’impact sur les petites et moyennes entreprises aurait été potentiellement désastreux. Or force est de constater aujourd’hui que cette mesure est malgré tout appliquée dans la pratique administrative sans égard pour les normes constitutionnelles ou légales. L’administration fiscale considère en effet qu’il n’y a pas continuité de la personne morale de la société, et donc pas de permanence ou de pérennité du même patrimoine social entre les deux formes anciennes et nouvelles, mais bel et bien cession, avec tout son cortège d’impôts et de taxes.
La société est ainsi assimilée, après transformation, à un acquéreur qui doit s’acquitter des droits de mutation et d’enregistrement sur les biens immobiliers et leurs accessoires (5,75 %) dont notamment le droit de timbre sur les divers actes et contrats. Elle est aussi en parallèle assimilée à un cédant redevable de l’impôt sur les plus-values pour les cessions mobilières et immobilières ou sur les plus-values résultant des réévaluations d’actifs (10 %). Cette cascade d’impositions est d’autant plus injustifiée que le gain en capital n’est souvent qu’indicatif et la plus-value latente en l’absence de cession réelle à une tierce partie.
L’exécutif semble avoir reconsidéré sa position, alors que les derniers projets de loi de finance cherchaient à consacrer une pratique adoptée au fil des ans par l’administration fiscale qui a profité d’un vide juridique pour considérer que si la transformation d’une société a pour conséquence de lui faire changer de régime fiscal cela équivaut à une véritable cession d’entreprise. Espérons donc qu’avec la suppression de la disposition préconisée, le gouvernement se donne le temps de présenter une proposition de loi allant dans le sens d’une différenciation des cas de transformation et de l’exemption des transformations régulières n’emportant pas changement de la personne morale ou du régime fiscal.
Pratique injustifiable dans le cas de transformation d’une SARL en SAL
L’imposition est compréhensible pour le cas d’une société de personnes (SNC ou SCS par exemple) qui se transforme en société de capitaux (SARL, Société en commandite par action et SAL), dans la mesure où cette transformation emporte création d’une personne morale nouvelle et changement radical dans le régime juridique et le régime fiscal de la société. En revanche, elle est injustifiable pour ce qui est du cas très usité de transformation d’une Société à responsabilité limitée (SARL) en Société anonyme libanaise (SAL), même si les régimes fiscaux auxquels sont soumis ces deux types de sociétés ne sont plus absolument identiques depuis l’exemption en 1993 des gains de capital sur cessions d’actions. Assimiler d’un point de vue fiscal la transformation d’une SARL en SAL à une cession d’entreprise pénalise nombre de PME désireuses de procéder à une restructuration organique et institutionnelle de leurs affaires.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses législations étrangères ont décidé, dans des cas similaires, que la transformation régulière d’une société n’entraîne pas, par elle-même, la création d’une personne morale nouvelle. C’est l’ancienne société qui continue à vivre sous une forme nouvelle, à moins que le pacte social ne reçoive d’autres modifications substantielles ; ce qui arriverait, par exemple, en cas de transfert du siège social, de changement de tous les associés ou de modification substantielle de l’objet social.
La transformation régulière de la société ne modifiant pas en elle-même la personne morale existante, le patrimoine est transmis intégralement sans conséquences fiscales notoires.
Cette continuité est assez évidente dans l’hypothèse de la transformation d’une SARL en une SAL. Cette transformation est d’ailleurs expressément évoquée, voire recommandée par la loi libanaise1 et même considérée comme une opération normale lorsque le nombre des associés vient à dépasser les vingt. Sans compter que le droit des SARL est largement aligné sur celui des SAL.
Possibilité d’évasion fiscale
Malgré la grande proximité entre ces deux formes sociales appartenant toutes deux à la famille des sociétés de capitaux – soumises à un impôt sur les sociétés de 15 % et à un autre sur les dividendes de 10 % –, il subsiste certaines différences majeures en matière de régimes juridiques et fiscaux.
Il est évident que le régime juridique des actions des SAL est généralement plus pratique que celui des parts sociales de la SARL. Les cessions de parts sociales d’une SARL sont soumises à un impôt (sur la plus-value réalisée) de l’ordre de 10 % (en sus du droit de timbre de trois pour mille) et impliquent souvent l’intervention du fisc pour réévaluer la valeur réelle ou effective des parts cédées. En revanche, le transfert de propriété des actions de la SAL, détenues par des personnes physiques, échappe quant à lui depuis près de vingt ans à cet impôt2 ainsi qu’au droit de timbre fiscal de trois pour mille… Cette différence de régime fiscal constitue une porte ouverte à de nombreux montages dont le dessein délibéré est l’évasion fiscale.
Si l’objectif de l’administration fiscale est de lutter contre cette évasion, en décidant d’imposer de façon indifférenciée les cas de transformation de sociétés, elle commet ce faisant une entorse au principe constitutionnel consacré par l’article 81 selon lequel il ne peut y avoir d’imposition sans texte.
Vide juridique
Au Liban, il n’existe à ce jour aucun texte légal qui mentionne clairement et réglemente le cas de transformation de sociétés.
Un vide juridique similaire est apparu lorsque s’est posé le cas de fusions de sociétés. En l’absence de textes explicites, une requête a été présentée en 1996 au ministre des Finances pour lui demander de qualifier le droit sur la mutation foncière des avoirs immobiliers des sociétés en voie de fusion. Après avis de la Cour des comptes sur le sujet, le ministre a émis une circulaire3 dans laquelle il réfute toute continuation de la personne morale de la société “fusionnée” et considère par-là même que cette opération emporte transfert de propriété des actifs sociaux et assujettissement aux divers impôts et droits précités.
La fusion n’est pas assimilable à la transformation régulière de la société, ni d’un point de vue légal ni sur la base des paramètres fiscaux. L’autorité fiscale l’a elle-même déjà reconnu dans le cadre de deux instructions administratives distinctes. La première émane de l’ancien ministre des Finances Jihad Azour4 qui demande de surseoir à imposer les bénéfices cumulés reportés et les réserves lors de la transformation d’une SARL en SAL, et ce en raison de la similitude des régimes fiscaux. La seconde a été émise par l’ancien ministre Mohammad Chatah afin de déterminer les modalités de mise en œuvre de la TVA pour ce qui est de la transformation régulière des sociétés. Elle reconnaît elle aussi explicitement le principe de la continuité de la personne morale de la société régulièrement transformée et, par-là même le non-assujettissement à la TVA des éléments mobiliers et immobiliers de son actif social.
Les agissements de l’administration fiscale dans ce dossier contredisent donc les instructions de la hiérarchie ministérielle alors qu’elle est censée être liée par elles.
Afin de lever le flou une bonne fois pour toutes, il est souhaitable de légiférer clairement en matière de transformation des sociétés.
L’esprit de l’amendement devrait être d’exempter d’imposition les cas de transformation de sociétés, sauf s’il y a cession d’actions dans un délai de temps défini destiné à prévenir les cas d’évasion fiscale.
Une autre solution consisterait aussi à réintégrer la cession d’actions dans l’assiette de l’impôt sur le revenu, ce qui ôterait tout prétexte à l’évasion fiscale.
De la sorte, on éviterait de pénaliser les sociétés et d’affecter leur trésorerie tout en récompensant ceux des associés qui luttent pour la pérennité de l’entreprise et son développement. Il serait de même possible, dans le cadre de l’aménagement des cas de transformation de sociétés à régime fiscal différent (sociétés de personnes/sociétés de capitaux), de procéder à l’introduction d’un barème dégressif en cas de cession du bien concerné dans les premières années suivant la transformation de la société sauf s’il est remplacé par un actif productif capable d’augmenter les capacités de production et/ou de commercialisation de l’entreprise.
(1) Articles 5 et 34 du décret-loi n° 35 du 5/8/1967.
(2) Article 19 de la loi n° 282/93 modifiant l’article 73-5 de la loi de l’impôt sur le revenu.
(3) Circulaire n° 759/S1 du 18 août 1997.
(4) Instruction n° 692/S1 du 8 avril 2008.