À défaut d’avoir adopté un budget pour 2013, le gouvernement de Nagib Mikati a proposé avant sa démission une série de mesures fiscales destinées à financer la nouvelle grille des salaires de la fonction publique. Il ne s’agit pas d'un projet de loi transmis au Parlement, contrairement à ce qui a été annoncé. Le point sur ces nouvelles dispositions très décriées.
Le projet de budget pour 2013 – en tout cas très en retard – est mort-né en raison de la démission du gouvernement. Légalement, il est possible pour le Parlement d’adopter des mesures fiscales indépendamment du budget. Le gouvernement de Nagib Mikati a adopté avant sa démission une série de mesures destinées à financer la nouvelle grille des salaires de la fonction publique. Il ne s’agit pas d’un projet de loi à proprement parler, puisque les ministères concernés sont invités à lui donner cette forme en vue d’une transmission au Parlement qui n’a pas encore eu lieu contrairement à ce qui a été annoncé, poussant les syndicats à suspendre leur grèce ouverte. Sur le fond, ces mesures sont motivées par la nécessité de financer le relèvement des salaires de la fonction publique décidé par le Conseil des ministres. Elles ne reprennent qu’un certain nombre de mesures fiscales prévues dans la dernière mouture du projet de budget de Mohammad Safadi et laissent de côté les impôts et taxes les plus contestés – pour des raisons différentes et par des parties différentes –, comme le relèvement de 5 à 7 % de l’impôt sur les revenus des capitaux mobiliers (principalement les intérêts bancaires et les obligations) et le relèvement de la TVA de 10 à 12 % qui figurait dans le projet de budget pour 2012, mais n’a pas été repris dans celui de 2013.
Au total, la vingtaine de mesures proposées sont censées augmenter les recettes de 833 millions de dollars par an (1 250 milliards de livres). Sachant que le Trésor a commencé depuis février 2013 à verser une enveloppe de 560 millions de dollars par an au titre de l’augmentation pour “la cherté de vie”. En revanche, le coût de la révision de la grille des salaires estimé à 600 millions de dollars environ n’est pas couvert par les “mesures fiscales compensatoires” comprises dans le projet de loi transmis au Parlement. De plus, des recettes sont également attendues du projet de loi qui modifie à la hausse le coefficient d’exploitation foncier baptisé “étage Mikati” (mais dont l’appellation officielle est “projet de loi sur la construction durable”) sans que celles-ci ne soient chiffrées et qui devraient en tout cas refaire l’objet de débats au gouvernement et au Parlement.
Bricolage
Si on fait abstraction du débat concernant la grille des salaires elle-même, toutes les réactions convergent pour dénoncer l’aspect “fourre-tout” de ces dispositions et le “bricolage” de mesures fiscales avec une logique purement comptable – trouver des recettes quelles qu’elles soient, sans réflexion globale sur la fiscalité et son impact économique et social, sa dimension redistributrice de richesses, etc.
« L’absence de chiffrage des mesures proposées est remarquable. Les ordres de grandeur varient du simple au double. C’est tout à fait symptomatique du peu de crédibilité de l’argumentaire gouvernemental », résume l’économiste Nicolas Chammas, président de l’Association des commerçants de Beyrouth.
Même lorsque des estimations sont fournies, elles sont le fruit de calculs « toutes choses égales par ailleurs », sans simulation des effets de la mesure fiscale avec des modèles dynamiques, relève l’économiste Jad Chaaban.
L’avocat fiscaliste Karim Daher, cofondateur de l’Association libanaise pour les droits et les intérêts des contribuables (Aldic), note quelques avancées, comme par exemple l’introduction du principe de l’impôt sur la plus-value foncière pour les particuliers, afin de rétablir une certaine équité entre les revenus des rentes et les revenus productifs (Voir Le Commerce du Levant de décembre 2010) http://www.lecommercedulevant.com/node/17638 Mais d’autres, à l’instar de Jad Chaaban, dénoncent la méthode qui consiste à vider de son contenu la réforme proposée à travers des mesures permettant aux contribuables concernés d’échapper à l’impôt.
« Je suis déçu, mais pas étonné. Il est en effet difficile d’attendre des personnes actuellement au pouvoir d’imposer des taxes qui portent atteinte directement à leurs propres intérêts. Le conflit d’intérêt est flagrant entre la nécessité de corriger les effets de l’économie de rente et ceux qui en profitent. »
Les avis sont unanimes pour dénoncer le recours à la “facilité” à travers la hausse des taxes indirectes, présumées indolores. « Elles accroissent la pression fiscale sur les contribuables qui est déjà élevée, au lieu d’encourager les secteurs productifs », s’indigne Nicolas Chammas. « Par nature les taxes directes renforcent la relation entre le contribuable et le gouvernement à qui chacun est incité à demander des comptes pour l’utilisation de ses impôts. Or au Liban le niveau des taxes directes est particulièrement bas, à 6 % du PIB, contre 15-20 % dans des pays comparables et plus de 30 % dans les pays développés », souligne Jad Chaaban.
Un taux de TVA différencié
La disposition
Le gouvernement propose d’instaurer une TVA à 15 % sur certains produits dits somptuaires, tandis que le taux normal de la TVA reste à 10 %. Ce taux supérieur serait appliqué aux appareils de téléphonie mobile et à leurs pièces de rechange ; au saumon, au caviar et aux crevettes ; aux véhicules usagés et neufs et à leurs pièces de rechange.
Le commentaire
L’idée de relever uniformément le taux unique de la TVA de 10 à 12, voire à 15 %, avait suscité une levée générale de boucliers, la TVA étant un impôt indirect dont l’effet social indifférencié est inéquitable. Pour l’avocat fiscaliste Karim Daher, l’instauration d’un taux différencié, « même s’il ne concerne pas beaucoup de produits, pour l’instant, constitue un progrès, car il permet de matérialiser, du moins dans l’esprit des contribuables consommateurs, une vraie avancée vers l’établissement d’une certaine justice fiscale et une répartition équitable de la charge en fonction des capacités contributives respectives même si ceci n’est que symbolique à l’heure qu’il est (car les nantis et les démunis demeurent soumis pour la plus grande partie des biens et services aux mêmes régimes) ». Un principe que dénonce de son côté Nicolas Chammas : « La différentiation existe déjà du fait de l’exonération d’une grande partie des produits de première nécessité. Je crains surtout que l’instauration d’un taux supérieur permette son application, année après année, à un nombre croissant de produits, ce qui conduirait d’une manière sournoise à un taux général plus élevé. »
Pour Jad Chaaban, professeur d’économie à l’Université américaine de Beyrouth, l’instauration de ce taux différencié est « un coup médiatique », car elle n’est accompagnée d’aucune étude sur l’impact de l’augmentation de la taxe sur les habitudes de consommation des produits concernés et les risques d’augmentation des marchés parallèles. « Si l’objectif est de taxer davantage les riches que les pauvres (ce que semble signifier la taxe sur le caviar et le saumon), il y a d’autres moyens que la TVA : il faudrait recourir aux impôts directs progressifs, en instaurant notamment l’impôt sur le revenu unifié. »
Baisse de la TVA récupérable par les étrangers
La disposition
Le projet prévoit de réduire de 20 % la TVA récupérable par les particuliers non résidents, c’est-à-dire principalement les touristes.
Le commentaire
L’objectif de cette mesure est de mettre à contribution une classe de touristes aisés – les expatriés libanais ou les touristes du Golfe – dans une logique d’apparente équité. Le risque est de « renchérir encore la destination Liban qui perdrait ainsi le peu de compétitivité et d’attractivité qui lui reste », estime Nicolas Chammas.
Relèvement de différents droits et taxes indirects non récurrents
Les dispositions
- Le droit de timbre fiscal proportionnel applicable à toutes les transactions matérialisées par un écrit passerait de 3 à 4 ‰.
- Le timbre fiscal apposé sur les factures de téléphone et d’Internet serait augmenté de 1 500 livres à 2 500 livres au total.
- Le timbre fiscal sur l’extrait de casier judiciaire passerait de 2 000 à 4 000 livres.
- Le timbre fiscal sur les factures et les reçus commerciaux passerait de 100 à 250 livres.
- Le droit de timbre sur les permis de construire serait augmenté à 60 000 livres par mètre carré par an pour les permis des zones non industrielles dans la région de Beyrouth et ses environs, et entre 7 000 et 30 000 livres pour les autres régions. Pour les zones industrielles, il passera à 2 000 livres par m2 de construction pour chaque étage (avec un plafond de 250 000 livres) et de 1 000 livres pour chaque étage par mètre carré de construction (avec un plafond de 1 000 000 livres).
- De même que les taxes sur la consommation de boissons alcoolisées, qu’elles soient importées ou produites localement, passeraient de 60 à 300 livres le litre pour la bière, de 200 à 2 000 livres pour le vin et de 400 à 5 000 livres pour le champagne.
- Une taxe serait appliquée sur les permis d’exploitation des nappes phréatiques et le stockage de l’eau : un droit de timbre de 500 000 livres pour l’exploitation des eaux publiques destinées à un objet agricole et de 2 500 000 livres pour le remplissage des eaux et leur vente aux tiers. Le droit de timbre serait de 7 500 000 livres pour l’exploitation des eaux publiques destinée à un objet industriel. Et enfin un droit de timbre de 50 000 000 livres pour l’exploitation des eaux publiques pour le remplissage des eaux et leur vente aux tiers.
- Une amende serait imposée sur les puits artésiens forés sans permis.
- Le doublement des droits perçus par les notaires pour le compte de l’État.
- Introduire une taxe de 5 000 livres sur la sortie du territoire aux frontières terrestres.
- Relever de 10 à 20 % la taxe sur les billets de loterie.
Le commentaire
« L’impact de ces différentes taxes sur le pouvoir d’achat des ménages est relativement faible, ce qui facilite leur adoption. Mais pour les entreprises, elles risquent de créer un effet de cascade qui sera d’autant plus mal accepté que le contexte économique est morose », estime Karim Daher, selon qui ces taxes contribuent aussi à accentuer le déséquilibre entre taxes directes et indirectes. Mais « ces mesures s’apparentent à des mesures d’urgence auxquelles on a recours ponctuellement en cas de nécessité. En les adoptant maintenant, on bloque la possibilité de le faire en situation de véritable urgence, alors qu’il existe des alternatives pour augmenter les recettes. »
Un avis partagé par Jad Chaaban pour qui « la facilité l’emporte sur la réforme », sans compter la hausse induite des coûts de transaction. « Pour les grosses entreprises, le coût du timbre sur les factures, une taxe archaïque, peut représenter des centaines de milliers de dollars », souligne Nicolas Chammas.
Proroger la loi sur la régularisation des infractions immobilières
La disposition
Le gouvernement propose de proroger de cinq ans la loi sur la régularisation des infractions aux lois de l’urbanisme pour inclure celles qui sont survenues entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 2010. Ces régularisations doivent faire l’objet d’un décret du Conseil des ministres sur proposition des ministres des Finances, de l’Intérieur et des Travaux publics.
Le commentaire
Cette mesure est très controversée. D’un côté, certains, comme Nicolas Chammas, estiment qu’il s’agit d’une façon de « faire entrer dans le rang ceux qui ont enfreint la loi ». D’autres, à l’instar de Jad Chaaban, relèvent que « l’objectif purement comptable d’augmenter des recettes de l’État avec de l’argent facile s’inscrit dans la même logique d’impunité qui consiste à légaliser les pratiques illégales et donc à encourager les infractions ».
Dans le même sens, Karim Daher estime que si la régularisation en 1994 se justifiait après la guerre, « aujourd’hui, elle paraît comme un encouragement à la poursuite des infractions ».
Un nouvel impôt de 15 % sur la plus-value immobilière et foncière
Les dispositions
Le gouvernement propose un nouvel impôt de 15 % sur les plus-values immobilières et foncières réalisées par les particuliers et les personnes morales jusque-là exemptées de l’impôt sur le revenu (à savoir une série d'organismes énoncés aux articles 5 et 5 bis de la loi sur l'impôt sur le revenu) qu’il distingue des professionnels et des sociétés.
La résidence principale n’est pas concernée par cet impôt, sachant qu’il est possible de déclarer posséder deux résidences principales sur l’ensemble du territoire libanais.
L’impôt ne s’applique pas davantage en cas de transfert d’un bien foncier ou immobilier en vertu d’une succession.
Un taux d'érosion annuel de 8 % s’applique tous les ans sur la plus-value estimée ou réalisée, ce qui signifie que l’exemption est totale si la plus-value est réalisée 12 ans après l’achat du bien concerné.
La possibilité est donnée de procéder à la réactualisation de la valeur des biens fonciers et immobiliers détenus avant la promulgation de la loi en payant des droits minorés, de 1,5 à 3 % en fonction de la durée de détention du bien et de la nature du bien (bâti ou non bâti).
Cette réactualisation ne concerne pas les sociétés, ces dernières continuant d’être soumises à un régime particulier.
Le ministère des Finances établit tous les ans la valeur estimée des biens fonciers et immobiliers dans les différentes régions du pays qui servira de seuil minimum pour l’application des taxes et des impôts exigibles au moment de leur transfert.
Le commentaire
Le président de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas, dénonce ce nouvel impôt qui accroît la pression fiscale sur les Libanais en touchant un actif essentiel de leur patrimoine. « Je ne suis pas contre le principe d’un impôt sur la plus-value, mais je dénonce le moment choisi et les modalités de sa mise en œuvre. Il faut un débat sur l’ensemble des questions fiscales. »
L’avocat Karim Daher salue de son côté le fait que « pour la première fois au Liban on va dans le sens d’impôts qui touchent au capital immobilisé et non pas les capacités productives ». Le taux de l’impôt sur les plus-values pourrait être plus élevé, estime-t-il, mais il est de fait plafonné par celui de l’impôt sur les sociétés qui se situe à 15 %.
Le problème, poursuit l’avocat, c’est que les sociétés continuent d’échapper à cet impôt de façon indirecte grâce à l’exemption d’impôt sur le revenu dont bénéficient les actionnaires de sociétés anonymes sur la cession de leurs actions. Le texte du projet de budget pour 2012 prévoyait pourtant de revenir sur cette exemption fiscale clientéliste en proposant de soumettre à nouveau à l’impôt les plus-values résultant de la cession d’actions de sociétés anonymes, à l’exception des sociétés cotées à la Bourse de Beyrouth.
Les sociétés et les contribuables professionnels bénéficient d’un abaissement d’impôt pour les plus-values résultant d’une opération de réactualisation exceptionnelle de certains actifs à un taux légèrement plus élevé (6 %) (que pour les plus-values personnelles). Lorsque cette réactualisation est suivie immédiatement d’une cession, son objectif initial de renforcement du bilan est annulé et seule demeure la réduction de 10 à 6 % (au taux actuel ou de 15 à 6 % au nouveau taux proposé) de l’impôt sur la plus-value. Le cadeau est encore plus injustifié, selon Karim Daher, par le fait que la mesure permet de réduire à 6 % la réévaluation puis la cession d’actifs immobiliers devant normalement être classés comme actifs circulants (car appartenant à des promoteurs), alors que la cession de ces derniers est normalement soumise à l’impôt “normal” de 15 % sur les bénéfices augmenté, le cas échéant, de 10 % en cas de distribution de dividendes, soit un taux cumulé de 23,5 %. (Voir Le Commerce du Levant de juillet 2010) http://www.lecommercedulevant.com//economie/budget-liban/un-cadeau-fiscal-retir%C3%A9-du-budget/15832).
Jad Chaaban salue aussi l’introduction d’un impôt sur la plus-value, mais il dénonce les mesures destinées à le vider d’emblée de sa substance à travers notamment la possibilité laissée aux contribuables – particuliers et sociétés – de procéder à des réévaluations d’actifs taxées de façon insignifiantes.
Une retenue à la source de 2 % sur le droit d’enregistrement
La disposition
Lors d’une transaction foncière, matérialisée par un contrat authentique par-devant notaire ou sous seing privé (qu’il s’agisse d’une promesse de vente ou d’un contrat de vente préliminaire préalable à l’enregistrement), l’acheteur doit s’acquitter d’un droit de 2 % déductible du droit d’enregistrement dont il doit s’acquitter dans un délai de deux mois.
Le commentaire
Pour Karim Daher, cette mesure traduit un réel effort pour lutter contre l’évasion fiscale et l’économie souterraine en élargissant l’assiette des contribuables. « Il s’agit de mettre en place un mécanisme coordonné entre le nouvel impôt sur les plus-values et une avance sur les droits d’enregistrement que l’acheteur est désormais tenu de régler dans les deux mois. Il est aussi incité à enregistrer le bien à la valeur réelle de la transaction, sous peine de pénaliser le vendeur soumis de son côté à l’impôt sur la plus-value. À l’heure actuelle, ce droit est de 5 % et si le bien n’est pas enregistré, ce qui est une pratique courante, notamment quand il s’agit de ventes à des étrangers, l’administration n’a pas connaissance de la transaction. »
Pénalité sur l’exploitation illégale des biens-fonds maritimes
La disposition
Le projet de loi prévoit d’imposer une amende équivalente à la taxe d’occupation et d’exploitation sur les biens-fonds maritimes publics occupés illégalement, sans que cela n’ouvre aucun droit d’aucune sorte aux personnes concernées.
Le commentaire
Initialement, l’amende prévue dans les anciens projets de loi de finance était de cinq fois le montant de la taxe d’exploitation et le ministre des Finances avait proposé de la réduire au double de cette taxe. Le Conseil des ministres a encore réduit ce montant à l’équivalent de la taxe, alors que de l’avis général la régularisation de l’exploitation et/ou l’occupation illégale des biens-fonds publics maritimes pourrait être une source importante de revenus pour l’État.
Au total, la vingtaine de mesures proposées sont censées augmenter les recettes de 833 millions de dollars par an (1 250 milliards de livres). Sachant que le Trésor a commencé depuis février 2013 à verser une enveloppe de 560 millions de dollars par an au titre de l’augmentation pour “la cherté de vie”. En revanche, le coût de la révision de la grille des salaires estimé à 600 millions de dollars environ n’est pas couvert par les “mesures fiscales compensatoires” comprises dans le projet de loi transmis au Parlement. De plus, des recettes sont également attendues du projet de loi qui modifie à la hausse le coefficient d’exploitation foncier baptisé “étage Mikati” (mais dont l’appellation officielle est “projet de loi sur la construction durable”) sans que celles-ci ne soient chiffrées et qui devraient en tout cas refaire l’objet de débats au gouvernement et au Parlement.
Bricolage
Si on fait abstraction du débat concernant la grille des salaires elle-même, toutes les réactions convergent pour dénoncer l’aspect “fourre-tout” de ces dispositions et le “bricolage” de mesures fiscales avec une logique purement comptable – trouver des recettes quelles qu’elles soient, sans réflexion globale sur la fiscalité et son impact économique et social, sa dimension redistributrice de richesses, etc.
« L’absence de chiffrage des mesures proposées est remarquable. Les ordres de grandeur varient du simple au double. C’est tout à fait symptomatique du peu de crédibilité de l’argumentaire gouvernemental », résume l’économiste Nicolas Chammas, président de l’Association des commerçants de Beyrouth.
Même lorsque des estimations sont fournies, elles sont le fruit de calculs « toutes choses égales par ailleurs », sans simulation des effets de la mesure fiscale avec des modèles dynamiques, relève l’économiste Jad Chaaban.
L’avocat fiscaliste Karim Daher, cofondateur de l’Association libanaise pour les droits et les intérêts des contribuables (Aldic), note quelques avancées, comme par exemple l’introduction du principe de l’impôt sur la plus-value foncière pour les particuliers, afin de rétablir une certaine équité entre les revenus des rentes et les revenus productifs (Voir Le Commerce du Levant de décembre 2010) http://www.lecommercedulevant.com/node/17638 Mais d’autres, à l’instar de Jad Chaaban, dénoncent la méthode qui consiste à vider de son contenu la réforme proposée à travers des mesures permettant aux contribuables concernés d’échapper à l’impôt.
« Je suis déçu, mais pas étonné. Il est en effet difficile d’attendre des personnes actuellement au pouvoir d’imposer des taxes qui portent atteinte directement à leurs propres intérêts. Le conflit d’intérêt est flagrant entre la nécessité de corriger les effets de l’économie de rente et ceux qui en profitent. »
Les avis sont unanimes pour dénoncer le recours à la “facilité” à travers la hausse des taxes indirectes, présumées indolores. « Elles accroissent la pression fiscale sur les contribuables qui est déjà élevée, au lieu d’encourager les secteurs productifs », s’indigne Nicolas Chammas. « Par nature les taxes directes renforcent la relation entre le contribuable et le gouvernement à qui chacun est incité à demander des comptes pour l’utilisation de ses impôts. Or au Liban le niveau des taxes directes est particulièrement bas, à 6 % du PIB, contre 15-20 % dans des pays comparables et plus de 30 % dans les pays développés », souligne Jad Chaaban.
Un taux de TVA différencié
La disposition
Le gouvernement propose d’instaurer une TVA à 15 % sur certains produits dits somptuaires, tandis que le taux normal de la TVA reste à 10 %. Ce taux supérieur serait appliqué aux appareils de téléphonie mobile et à leurs pièces de rechange ; au saumon, au caviar et aux crevettes ; aux véhicules usagés et neufs et à leurs pièces de rechange.
Le commentaire
L’idée de relever uniformément le taux unique de la TVA de 10 à 12, voire à 15 %, avait suscité une levée générale de boucliers, la TVA étant un impôt indirect dont l’effet social indifférencié est inéquitable. Pour l’avocat fiscaliste Karim Daher, l’instauration d’un taux différencié, « même s’il ne concerne pas beaucoup de produits, pour l’instant, constitue un progrès, car il permet de matérialiser, du moins dans l’esprit des contribuables consommateurs, une vraie avancée vers l’établissement d’une certaine justice fiscale et une répartition équitable de la charge en fonction des capacités contributives respectives même si ceci n’est que symbolique à l’heure qu’il est (car les nantis et les démunis demeurent soumis pour la plus grande partie des biens et services aux mêmes régimes) ». Un principe que dénonce de son côté Nicolas Chammas : « La différentiation existe déjà du fait de l’exonération d’une grande partie des produits de première nécessité. Je crains surtout que l’instauration d’un taux supérieur permette son application, année après année, à un nombre croissant de produits, ce qui conduirait d’une manière sournoise à un taux général plus élevé. »
Pour Jad Chaaban, professeur d’économie à l’Université américaine de Beyrouth, l’instauration de ce taux différencié est « un coup médiatique », car elle n’est accompagnée d’aucune étude sur l’impact de l’augmentation de la taxe sur les habitudes de consommation des produits concernés et les risques d’augmentation des marchés parallèles. « Si l’objectif est de taxer davantage les riches que les pauvres (ce que semble signifier la taxe sur le caviar et le saumon), il y a d’autres moyens que la TVA : il faudrait recourir aux impôts directs progressifs, en instaurant notamment l’impôt sur le revenu unifié. »
Une mesure contre-productive, selon les importateurs de voitures neuves L’Association des importateurs de voitures neuves estime qu’une augmentation de la TVA à 15 % sur les véhicules neufs et de seconde main se traduira par une baisse de 30 % du marché qui était de 1,09 milliard de dollars en 2011. Les taxes perçues (douanes, TVA et enregistrement) étaient de 609 millions de dollars en 2011. « La baisse des ventes les réduirait de 182 millions de dollars alors que le gouvernement affirme attendre des recettes supplémentaires de 50 à 60 millions de dollars grâce à cette mesure », estime l’Association. Au lieu d’affecter le marché en relevant les taxes en période de crise, l’État devrait plutôt obliger la totalité des véhicules en circulation au Liban à s’acquitter de leur taxe mécanique et les taxes d’enregistrement. « Seules 800 000 voitures sur les 1,3 million en circulation ont payé la Mécanique en 2011. Nous estimons à 56 millions de dollars le manque à gagner à ce titre pour le Trésor et à 70 millions de dollars l’évasion liée à la non-immatriculation des voitures en circulation. » |
Baisse de la TVA récupérable par les étrangers
La disposition
Le projet prévoit de réduire de 20 % la TVA récupérable par les particuliers non résidents, c’est-à-dire principalement les touristes.
Le commentaire
L’objectif de cette mesure est de mettre à contribution une classe de touristes aisés – les expatriés libanais ou les touristes du Golfe – dans une logique d’apparente équité. Le risque est de « renchérir encore la destination Liban qui perdrait ainsi le peu de compétitivité et d’attractivité qui lui reste », estime Nicolas Chammas.
Relèvement de différents droits et taxes indirects non récurrents
Les dispositions
- Le droit de timbre fiscal proportionnel applicable à toutes les transactions matérialisées par un écrit passerait de 3 à 4 ‰.
- Le timbre fiscal apposé sur les factures de téléphone et d’Internet serait augmenté de 1 500 livres à 2 500 livres au total.
- Le timbre fiscal sur l’extrait de casier judiciaire passerait de 2 000 à 4 000 livres.
- Le timbre fiscal sur les factures et les reçus commerciaux passerait de 100 à 250 livres.
- Le droit de timbre sur les permis de construire serait augmenté à 60 000 livres par mètre carré par an pour les permis des zones non industrielles dans la région de Beyrouth et ses environs, et entre 7 000 et 30 000 livres pour les autres régions. Pour les zones industrielles, il passera à 2 000 livres par m2 de construction pour chaque étage (avec un plafond de 250 000 livres) et de 1 000 livres pour chaque étage par mètre carré de construction (avec un plafond de 1 000 000 livres).
- De même que les taxes sur la consommation de boissons alcoolisées, qu’elles soient importées ou produites localement, passeraient de 60 à 300 livres le litre pour la bière, de 200 à 2 000 livres pour le vin et de 400 à 5 000 livres pour le champagne.
- Une taxe serait appliquée sur les permis d’exploitation des nappes phréatiques et le stockage de l’eau : un droit de timbre de 500 000 livres pour l’exploitation des eaux publiques destinées à un objet agricole et de 2 500 000 livres pour le remplissage des eaux et leur vente aux tiers. Le droit de timbre serait de 7 500 000 livres pour l’exploitation des eaux publiques destinée à un objet industriel. Et enfin un droit de timbre de 50 000 000 livres pour l’exploitation des eaux publiques pour le remplissage des eaux et leur vente aux tiers.
- Une amende serait imposée sur les puits artésiens forés sans permis.
- Le doublement des droits perçus par les notaires pour le compte de l’État.
- Introduire une taxe de 5 000 livres sur la sortie du territoire aux frontières terrestres.
- Relever de 10 à 20 % la taxe sur les billets de loterie.
Le commentaire
« L’impact de ces différentes taxes sur le pouvoir d’achat des ménages est relativement faible, ce qui facilite leur adoption. Mais pour les entreprises, elles risquent de créer un effet de cascade qui sera d’autant plus mal accepté que le contexte économique est morose », estime Karim Daher, selon qui ces taxes contribuent aussi à accentuer le déséquilibre entre taxes directes et indirectes. Mais « ces mesures s’apparentent à des mesures d’urgence auxquelles on a recours ponctuellement en cas de nécessité. En les adoptant maintenant, on bloque la possibilité de le faire en situation de véritable urgence, alors qu’il existe des alternatives pour augmenter les recettes. »
Un avis partagé par Jad Chaaban pour qui « la facilité l’emporte sur la réforme », sans compter la hausse induite des coûts de transaction. « Pour les grosses entreprises, le coût du timbre sur les factures, une taxe archaïque, peut représenter des centaines de milliers de dollars », souligne Nicolas Chammas.
Proroger la loi sur la régularisation des infractions immobilières
La disposition
Le gouvernement propose de proroger de cinq ans la loi sur la régularisation des infractions aux lois de l’urbanisme pour inclure celles qui sont survenues entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 2010. Ces régularisations doivent faire l’objet d’un décret du Conseil des ministres sur proposition des ministres des Finances, de l’Intérieur et des Travaux publics.
Le commentaire
Cette mesure est très controversée. D’un côté, certains, comme Nicolas Chammas, estiment qu’il s’agit d’une façon de « faire entrer dans le rang ceux qui ont enfreint la loi ». D’autres, à l’instar de Jad Chaaban, relèvent que « l’objectif purement comptable d’augmenter des recettes de l’État avec de l’argent facile s’inscrit dans la même logique d’impunité qui consiste à légaliser les pratiques illégales et donc à encourager les infractions ».
Dans le même sens, Karim Daher estime que si la régularisation en 1994 se justifiait après la guerre, « aujourd’hui, elle paraît comme un encouragement à la poursuite des infractions ».
Un nouvel impôt de 15 % sur la plus-value immobilière et foncière
Les dispositions
Le gouvernement propose un nouvel impôt de 15 % sur les plus-values immobilières et foncières réalisées par les particuliers et les personnes morales jusque-là exemptées de l’impôt sur le revenu (à savoir une série d'organismes énoncés aux articles 5 et 5 bis de la loi sur l'impôt sur le revenu) qu’il distingue des professionnels et des sociétés.
La résidence principale n’est pas concernée par cet impôt, sachant qu’il est possible de déclarer posséder deux résidences principales sur l’ensemble du territoire libanais.
L’impôt ne s’applique pas davantage en cas de transfert d’un bien foncier ou immobilier en vertu d’une succession.
Un taux d'érosion annuel de 8 % s’applique tous les ans sur la plus-value estimée ou réalisée, ce qui signifie que l’exemption est totale si la plus-value est réalisée 12 ans après l’achat du bien concerné.
La possibilité est donnée de procéder à la réactualisation de la valeur des biens fonciers et immobiliers détenus avant la promulgation de la loi en payant des droits minorés, de 1,5 à 3 % en fonction de la durée de détention du bien et de la nature du bien (bâti ou non bâti).
Cette réactualisation ne concerne pas les sociétés, ces dernières continuant d’être soumises à un régime particulier.
Le ministère des Finances établit tous les ans la valeur estimée des biens fonciers et immobiliers dans les différentes régions du pays qui servira de seuil minimum pour l’application des taxes et des impôts exigibles au moment de leur transfert.
Le commentaire
Le président de l’Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas, dénonce ce nouvel impôt qui accroît la pression fiscale sur les Libanais en touchant un actif essentiel de leur patrimoine. « Je ne suis pas contre le principe d’un impôt sur la plus-value, mais je dénonce le moment choisi et les modalités de sa mise en œuvre. Il faut un débat sur l’ensemble des questions fiscales. »
L’avocat Karim Daher salue de son côté le fait que « pour la première fois au Liban on va dans le sens d’impôts qui touchent au capital immobilisé et non pas les capacités productives ». Le taux de l’impôt sur les plus-values pourrait être plus élevé, estime-t-il, mais il est de fait plafonné par celui de l’impôt sur les sociétés qui se situe à 15 %.
Le problème, poursuit l’avocat, c’est que les sociétés continuent d’échapper à cet impôt de façon indirecte grâce à l’exemption d’impôt sur le revenu dont bénéficient les actionnaires de sociétés anonymes sur la cession de leurs actions. Le texte du projet de budget pour 2012 prévoyait pourtant de revenir sur cette exemption fiscale clientéliste en proposant de soumettre à nouveau à l’impôt les plus-values résultant de la cession d’actions de sociétés anonymes, à l’exception des sociétés cotées à la Bourse de Beyrouth.
Les sociétés et les contribuables professionnels bénéficient d’un abaissement d’impôt pour les plus-values résultant d’une opération de réactualisation exceptionnelle de certains actifs à un taux légèrement plus élevé (6 %) (que pour les plus-values personnelles). Lorsque cette réactualisation est suivie immédiatement d’une cession, son objectif initial de renforcement du bilan est annulé et seule demeure la réduction de 10 à 6 % (au taux actuel ou de 15 à 6 % au nouveau taux proposé) de l’impôt sur la plus-value. Le cadeau est encore plus injustifié, selon Karim Daher, par le fait que la mesure permet de réduire à 6 % la réévaluation puis la cession d’actifs immobiliers devant normalement être classés comme actifs circulants (car appartenant à des promoteurs), alors que la cession de ces derniers est normalement soumise à l’impôt “normal” de 15 % sur les bénéfices augmenté, le cas échéant, de 10 % en cas de distribution de dividendes, soit un taux cumulé de 23,5 %. (Voir Le Commerce du Levant de juillet 2010) http://www.lecommercedulevant.com//economie/budget-liban/un-cadeau-fiscal-retir%C3%A9-du-budget/15832).
Jad Chaaban salue aussi l’introduction d’un impôt sur la plus-value, mais il dénonce les mesures destinées à le vider d’emblée de sa substance à travers notamment la possibilité laissée aux contribuables – particuliers et sociétés – de procéder à des réévaluations d’actifs taxées de façon insignifiantes.
Une retenue à la source de 2 % sur le droit d’enregistrement
La disposition
Lors d’une transaction foncière, matérialisée par un contrat authentique par-devant notaire ou sous seing privé (qu’il s’agisse d’une promesse de vente ou d’un contrat de vente préliminaire préalable à l’enregistrement), l’acheteur doit s’acquitter d’un droit de 2 % déductible du droit d’enregistrement dont il doit s’acquitter dans un délai de deux mois.
Le commentaire
Pour Karim Daher, cette mesure traduit un réel effort pour lutter contre l’évasion fiscale et l’économie souterraine en élargissant l’assiette des contribuables. « Il s’agit de mettre en place un mécanisme coordonné entre le nouvel impôt sur les plus-values et une avance sur les droits d’enregistrement que l’acheteur est désormais tenu de régler dans les deux mois. Il est aussi incité à enregistrer le bien à la valeur réelle de la transaction, sous peine de pénaliser le vendeur soumis de son côté à l’impôt sur la plus-value. À l’heure actuelle, ce droit est de 5 % et si le bien n’est pas enregistré, ce qui est une pratique courante, notamment quand il s’agit de ventes à des étrangers, l’administration n’a pas connaissance de la transaction. »
Pénalité sur l’exploitation illégale des biens-fonds maritimes
La disposition
Le projet de loi prévoit d’imposer une amende équivalente à la taxe d’occupation et d’exploitation sur les biens-fonds maritimes publics occupés illégalement, sans que cela n’ouvre aucun droit d’aucune sorte aux personnes concernées.
Le commentaire
Initialement, l’amende prévue dans les anciens projets de loi de finance était de cinq fois le montant de la taxe d’exploitation et le ministre des Finances avait proposé de la réduire au double de cette taxe. Le Conseil des ministres a encore réduit ce montant à l’équivalent de la taxe, alors que de l’avis général la régularisation de l’exploitation et/ou l’occupation illégale des biens-fonds publics maritimes pourrait être une source importante de revenus pour l’État.