Pénalisée par la guerre, nostalgique d’un âge d’or révolu, Zahlé tente de retrouver son lustre d’antan. Une entreprise de longue haleine, favorisée aujourd’hui par son pôle agroalimentaire émergent, qui tire profit de la situation régionale pour prendre des parts de marché à l’exportation.
« Zahlé ? C’est un peu le No man’s land, non ? Il y avait un peu d’industrie, ah oui et quand même la gastronomie, l’arak, le vin… » La réponse de ce cadre beyrouthin trentenaire résume, à elle seule, le déficit d’image de la ville. Même les Zahliotes les plus cocardiers le reconnaissent : dans l’imaginaire collectif, leur cité se décline au passé. « La faute à la guerre », disent-ils, qui a coupé leur cité de son hinterland naturel, la Békaa, et favorisé l’exode de ses habitants vers Beyrouth ou l’étranger. Avant la guerre, Zahlé était la « capitale de la Békaa » : elle assurait le relais entre le littoral méditerranéen (via le port de Beyrouth en particulier) et l’intérieur du Levant, Damas, Bagdad et Mossoul. La guerre de 1975 met un terme à cet âge d’or. Encerclée, assiégée et finalement coupée plusieurs années de la plaine, la ville ne retrouvera jamais complètement son rôle de centre économique et administratif de la Békaa. Un chiffre parle de lui-même : si on en croit la municipalité de Zahlé, avant-guerre un peu moins de 80 % des terrains de la Békaa appartenaient à des Zahliotes ; aujourd’hui, moins de 40 %. « Il y a eu une redistribution sauvage des richesses : des biens ont été spoliés pendant la guerre ; d’autres vendus après. » À partir de 1985 et la “pax syriana”, la ville panse ses plaies. Elle redevient une plaque tournante, au moins pour ce qui concerne le commerce avec les Syriens jusqu’en 1992, date à laquelle Assad autorise l’importation directe de produits manufacturés en Syrie. Mais cela ne suffit pas à lui faire retrouver son rayonnement d’antan : profitant de la guerre, d’autres pôles économiques se sont en effet créés et lui font désormais concurrence. « Il n’y a plus un seul centre, mais un “arc” qui passe par Zahlé ainsi que par Ferzol, Qab Élias, Chtaura… »
Un passé mythifié
Bien sûr, il se trouvera toujours quelques historiens en herbe pour expliquer que c’est dans la région de Zahlé que circulait le premier train reliant Beyrouth à Damas, puis à la Palestine d’un côté ; au Hejaz de l’autre. Quelques érudits pour expliquer comment les émirs de la Montagne envisagèrent un temps Zahlé comme capitale du Liban. Et rappeler que la ville fut l’un des centres de l’intelligentsia arabe avec notamment la création du premier syndicat ouvrier du Liban, dirigé par Rachid Soueid en 1923, ou la participation de Chebel Damous et de Moussa Nammour, tous deux natifs de Zahlé, à la rédaction de la Constitution libanaise en 1926. Sans oublier “le” poète Saïd Akl, père de la poésie moderne libanaise… Tout cela est bel et bien vrai, mais aujourd’hui ?
L’image de la ville demeure floue, figée entre un passé idéalisé, presque mythologique, et un présent bien moins glorieux. « L’insécurité politique est un facteur-clé de la fréquentation pour la région. Un “événement” et plus personne ne s’y rend », relève Christine Codsi, des restaurants Tawlet dont une antenne est installée à Ammiq (Békaa-Ouest). « De nombreuses ambassades déconseillent même à leurs ressortissants de circuler dans la Békaa », rappelle Jean-Paul Khoury, œnologue de Château Khoury, qui a vu le nombre de ses visiteurs décliner drastiquement en 2012 : « De plusieurs centaines à quelques dizaines. »
Certes, la guerre en Syrie et les risques de débordement n’arrangent rien. Mais en premier lieu, c’est la déliquescence des institutions étatiques que pointent du doigt les acteurs de la région. Davantage qu’ailleurs, dans cette région aux marges des frontières, l’État se montre incapable d’assurer la sécurité. « Les entrepreneurs ont peur de s’installer alors que le risque de rapt s’est banalisé… Que le vol d’électricité est une pratique courante… Que peu d’entreprises paient les taxes dues et cela sans craindre un redressement… Que certains malfrats, notoirement connus, restent intouchables, les représentants de l’État n’osant pas même les arrêter… », s’emporte Wadih Nasrallah, directeur général de Tanmia.
Zahlé, centre de la Békaa
Malgré tout, la ville attire des entreprises, qui misent sur le prix encore abordable des terrains pour s’y installer. « Dans la zone industrielle, les prix varient de 200 dollars le m2, pour les parcelles les plus proches des grands axes routiers, à une centaine de dollars, pour les plus éloignées », rappelle le président de la municipalité de la ville Joseph Diab Maalouf. À l’image du groupe Khonaysser Motors qui délocalise son usine et ses entrepôts dans la zone industrielle de Zahlé alors qu’il était auparavant installé à Nahr el-Mott.
Le prix du mètre carré n’est d’ailleurs pas son seul avantage. Beaucoup sont surpris d’apprendre qu’avec ses 75 000 âmes qui y résident de manière permanente (selon la municipalité), cette “préfecture endormie” s’impose comme la troisième ville du pays, derrière Tripoli et devant Saïda. Nichée au pied du mont Sannine, cette ville de montagne (966 mètres d’altitude) se situe au cœur d’un bassin de vie d’environ 150 000 habitants et compte pas moins de 17 communes. « En termes d’offres médicales, administratives ou universitaires, Zahlé reste tout de même le pôle d’attraction de la région », fait encore valoir Youssef Geha, de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Zahlé (CCIAZ). On y compte quatre hôpitaux, dont l’hôpital public, rénové en 2000, une quarantaine d’écoles, deux universités.
La capitale de l’industrie agroalimentaire
La méconnaissance des atouts de la “fiancée de la Békaa” est souvent vécue comme une injustice par ses habitants. « Nous réduire à une cité en crise relève d’une vision fausse et dépassée », clame son président de la municipalité Joseph Diab Maalouf. Les faits lui donnent partiellement raison. Certes, la ville a connu une hémorragie démographique sans précédent : depuis le XIXe siècle, « comme partout au Liban », assure le président de la municipalité, Zahlé a subi l’exode de ses meilleurs talents. Moralité : la ville a perdu ses forces vives et donne à celui qui s’y promène parfois la sensation d’une pension géante pour troisième âge ! « Le salaire des postes à pouvoir dans la région est souvent inférieur à celui proposé dans la capitale », explique Walid Maalouf, responsable du développement industriel du groupe Daher Foods, premier employeur privé de la région avec 1 200 salariés. Walid Maalouf assure que son entreprise « fait un effort » pour recruter localement en proposant des salaires équivalents à ceux de Beyrouth et ainsi garder les meilleurs profils dans la région. À Zahlé, « cette hémorragie est à peine compensée par la redistribution communautaire qui, pendant et après la guerre, a vidé la Békaa d’une large partie de sa population chrétienne, désormais regroupée à Zahlé », précise Najib Khazzaka, ancien journaliste de l’AFP, aujourd’hui retraité et originaire de Zahlé.
Pourtant, Zahlé a a minima au moins un avantage si on la compare à des bassins d’emploi de même importance. La région, qui concentre 67 % des entreprises de la Békaa, affiche une vocation marquée : elle est la capitale de l’industrie agroalimentaire libanaise. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les douanes, l’agroalimentaire a généré 222 millions de dollars d’exportations en 2012 au total. Zahlé, à elle seule, comptabilisant pour 220 millions de dollars. « Pour exporter, un producteur du Akkar ou du Kesrouan fera appel à un “relais” – un commerçant, une coopérative… – de Zahlé », explique Youssef Geha. La raison ? La longue tradition des Zahliotes sur les marchés d’import-export. « Dans ce secteur, l’on fonctionne encore sur la parole donnée et, pour cela le nom ou la réputation d’un homme prévaut. À tort ou à raison, les commerçants de Zahlé ont la réputation de tenir leurs deals », ajoute Najib Khazzaka.
À cette tradition d’export s’ajoute le rôle crucial de la Békaa pour l’agriculture libanaise : sur les quelque 3 000 sociétés recensées par la CCIAZ, plus de la moitié sont spécialisées dans la vente ou la transformation de productions agricoles. Au regard de l’histoire de la plaine de la Békaa, véritable “grenier céréalier et agricole” de la région, cette spécialisation n’a rien d’étonnant. Ce qui l’est un peu plus, c’est la santé d’un secteur dont on répète pourtant qu’il est moribond : l’agriculture libanaise représentant moins de 5 % du PIB national pour une valeur globale inférieure à un milliard de dollars. Pourtant, depuis trois à quatre ans, ce secteur connaît à Zahlé « un net rebond », selon les mots de Fadi Sarkis, chargé de la gestion du Domaine de Taanayel pour le compte de l’association arcenciel. Une embellie liée en partie à l’implication des institutions étatiques qui tentent de moderniser les structures de l’agriculture en apportant soutien financier et encadrement. « L’un des facteurs déterminants a été la mise en place de prêts “spécial agriculteurs” qui permettent un remboursement sur le long terme avec des taux d’intérêt relativement faibles », fait ainsi valoir Saïd Gédéon, responsable du département de l’agriculture au sein de la CCIAZ. Cette incitation financière a permis à des start-up de se lancer comme, par exemple Fresh Farm, en 2010 qui parie sur des procédés d’avant-garde pour cultiver champignons ou endives, ou SkafFarm, un producteur de lait qui vend depuis 2011 ses produits sous sa propre marque.
Les exportations s’envolent
Mais l’effort gouvernemental n’explique pas à lui seul le boom constaté. Un chiffre indique d’ailleurs bien cette croissance de la région alors que le reste du pays s’enlise dans la récession. À Zahlé, c’est l’exact contraire : les exportations ont connu ici un bond de +12 %. « Oui, notre économie est relativement florissante », se félicite Youssef Geha tout sourire.
Motif de cette étonnante euphorie : la guerre en Syrie. Les entreprises agroalimentaires profitent de l’absence de leurs homologues syriennes sur les marchés arabes pour pérenniser leurs parts et surtout gagner des marchés. « 2013 a toutes les chances d’être aussi exceptionnelle si… la frontière terrestre avec la Syrie reste ouverte », ajoute Oliver Fayssal, fondateur d’Alphagreen (Terbol), qui produit des salades iceberg hors sol et exporte 75 % de sa marchandise. « Même si les prix du transport ont flambé, passant du simple au triple, 40 % de nos exportations passent toujours par les frontières terrestres. Nous n’avons pas d’autres solutions : les voies maritimes sont trop longues pour certaines de nos marchandises. Seul l’avion pourrait éventuellement y suppléer, mais tous les pays ne sont pas équipés pour recevoir du fret de marchandises par voie aérienne », ajoute-t-il.
Ce boom économique, en partie liée à la situation syrienne, devrait pousser les responsables politiques à réfléchir au moyen de redynamiser l’image de marque de leur ville ou de leur région, en s’appuyant sur ses points forts. Parmi les secteurs qui portent depuis longtemps l’image de la ville : le vin et la gastronomie, qui attirent toujours talents et projets. Un nouveau vignoble est ainsi en gestation sur les pentes de Jabal Knaissé. « Nous pourrions nous appuyer sur leur renaissance pour revaloriser l’image de la ville », ajoute Youssef Geha. Mais si Zahlé se distingue toujours par la qualité de sa gastronomie et de ses vins, leur notoriété locale voire internationale n’est pas encore suffisante pour bousculer à elle seule les préjugés et faire venir capitaux et investisseurs. Il faut aussi miser sur des incitations spécifiques comme des exonérations fiscales pour les entreprises qui choisiraient de venir s’y installer ou la création d’infrastructures à l’image de l’autoroute panarabe, dont l’ouverture du tronçon Mdeirej-Chtaura est prévue pour la fin 2015-début 2016. Terminée, cette nouvelle autoroute devrait mettre Zahlé à moins de 20 minutes de Beyrouth en voiture. « À ce moment-là, la vie devrait réellement s’accélérer ici », veut croire Sébastien Khoury, du Domaine de Baal, qui pour rien au monde ne souhaite vivre ailleurs… qu’à Zahlé.
Un passé mythifié
Bien sûr, il se trouvera toujours quelques historiens en herbe pour expliquer que c’est dans la région de Zahlé que circulait le premier train reliant Beyrouth à Damas, puis à la Palestine d’un côté ; au Hejaz de l’autre. Quelques érudits pour expliquer comment les émirs de la Montagne envisagèrent un temps Zahlé comme capitale du Liban. Et rappeler que la ville fut l’un des centres de l’intelligentsia arabe avec notamment la création du premier syndicat ouvrier du Liban, dirigé par Rachid Soueid en 1923, ou la participation de Chebel Damous et de Moussa Nammour, tous deux natifs de Zahlé, à la rédaction de la Constitution libanaise en 1926. Sans oublier “le” poète Saïd Akl, père de la poésie moderne libanaise… Tout cela est bel et bien vrai, mais aujourd’hui ?
L’image de la ville demeure floue, figée entre un passé idéalisé, presque mythologique, et un présent bien moins glorieux. « L’insécurité politique est un facteur-clé de la fréquentation pour la région. Un “événement” et plus personne ne s’y rend », relève Christine Codsi, des restaurants Tawlet dont une antenne est installée à Ammiq (Békaa-Ouest). « De nombreuses ambassades déconseillent même à leurs ressortissants de circuler dans la Békaa », rappelle Jean-Paul Khoury, œnologue de Château Khoury, qui a vu le nombre de ses visiteurs décliner drastiquement en 2012 : « De plusieurs centaines à quelques dizaines. »
Certes, la guerre en Syrie et les risques de débordement n’arrangent rien. Mais en premier lieu, c’est la déliquescence des institutions étatiques que pointent du doigt les acteurs de la région. Davantage qu’ailleurs, dans cette région aux marges des frontières, l’État se montre incapable d’assurer la sécurité. « Les entrepreneurs ont peur de s’installer alors que le risque de rapt s’est banalisé… Que le vol d’électricité est une pratique courante… Que peu d’entreprises paient les taxes dues et cela sans craindre un redressement… Que certains malfrats, notoirement connus, restent intouchables, les représentants de l’État n’osant pas même les arrêter… », s’emporte Wadih Nasrallah, directeur général de Tanmia.
Zahlé, centre de la Békaa
Malgré tout, la ville attire des entreprises, qui misent sur le prix encore abordable des terrains pour s’y installer. « Dans la zone industrielle, les prix varient de 200 dollars le m2, pour les parcelles les plus proches des grands axes routiers, à une centaine de dollars, pour les plus éloignées », rappelle le président de la municipalité de la ville Joseph Diab Maalouf. À l’image du groupe Khonaysser Motors qui délocalise son usine et ses entrepôts dans la zone industrielle de Zahlé alors qu’il était auparavant installé à Nahr el-Mott.
Le prix du mètre carré n’est d’ailleurs pas son seul avantage. Beaucoup sont surpris d’apprendre qu’avec ses 75 000 âmes qui y résident de manière permanente (selon la municipalité), cette “préfecture endormie” s’impose comme la troisième ville du pays, derrière Tripoli et devant Saïda. Nichée au pied du mont Sannine, cette ville de montagne (966 mètres d’altitude) se situe au cœur d’un bassin de vie d’environ 150 000 habitants et compte pas moins de 17 communes. « En termes d’offres médicales, administratives ou universitaires, Zahlé reste tout de même le pôle d’attraction de la région », fait encore valoir Youssef Geha, de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Zahlé (CCIAZ). On y compte quatre hôpitaux, dont l’hôpital public, rénové en 2000, une quarantaine d’écoles, deux universités.
La capitale de l’industrie agroalimentaire
La méconnaissance des atouts de la “fiancée de la Békaa” est souvent vécue comme une injustice par ses habitants. « Nous réduire à une cité en crise relève d’une vision fausse et dépassée », clame son président de la municipalité Joseph Diab Maalouf. Les faits lui donnent partiellement raison. Certes, la ville a connu une hémorragie démographique sans précédent : depuis le XIXe siècle, « comme partout au Liban », assure le président de la municipalité, Zahlé a subi l’exode de ses meilleurs talents. Moralité : la ville a perdu ses forces vives et donne à celui qui s’y promène parfois la sensation d’une pension géante pour troisième âge ! « Le salaire des postes à pouvoir dans la région est souvent inférieur à celui proposé dans la capitale », explique Walid Maalouf, responsable du développement industriel du groupe Daher Foods, premier employeur privé de la région avec 1 200 salariés. Walid Maalouf assure que son entreprise « fait un effort » pour recruter localement en proposant des salaires équivalents à ceux de Beyrouth et ainsi garder les meilleurs profils dans la région. À Zahlé, « cette hémorragie est à peine compensée par la redistribution communautaire qui, pendant et après la guerre, a vidé la Békaa d’une large partie de sa population chrétienne, désormais regroupée à Zahlé », précise Najib Khazzaka, ancien journaliste de l’AFP, aujourd’hui retraité et originaire de Zahlé.
Pourtant, Zahlé a a minima au moins un avantage si on la compare à des bassins d’emploi de même importance. La région, qui concentre 67 % des entreprises de la Békaa, affiche une vocation marquée : elle est la capitale de l’industrie agroalimentaire libanaise. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les douanes, l’agroalimentaire a généré 222 millions de dollars d’exportations en 2012 au total. Zahlé, à elle seule, comptabilisant pour 220 millions de dollars. « Pour exporter, un producteur du Akkar ou du Kesrouan fera appel à un “relais” – un commerçant, une coopérative… – de Zahlé », explique Youssef Geha. La raison ? La longue tradition des Zahliotes sur les marchés d’import-export. « Dans ce secteur, l’on fonctionne encore sur la parole donnée et, pour cela le nom ou la réputation d’un homme prévaut. À tort ou à raison, les commerçants de Zahlé ont la réputation de tenir leurs deals », ajoute Najib Khazzaka.
À cette tradition d’export s’ajoute le rôle crucial de la Békaa pour l’agriculture libanaise : sur les quelque 3 000 sociétés recensées par la CCIAZ, plus de la moitié sont spécialisées dans la vente ou la transformation de productions agricoles. Au regard de l’histoire de la plaine de la Békaa, véritable “grenier céréalier et agricole” de la région, cette spécialisation n’a rien d’étonnant. Ce qui l’est un peu plus, c’est la santé d’un secteur dont on répète pourtant qu’il est moribond : l’agriculture libanaise représentant moins de 5 % du PIB national pour une valeur globale inférieure à un milliard de dollars. Pourtant, depuis trois à quatre ans, ce secteur connaît à Zahlé « un net rebond », selon les mots de Fadi Sarkis, chargé de la gestion du Domaine de Taanayel pour le compte de l’association arcenciel. Une embellie liée en partie à l’implication des institutions étatiques qui tentent de moderniser les structures de l’agriculture en apportant soutien financier et encadrement. « L’un des facteurs déterminants a été la mise en place de prêts “spécial agriculteurs” qui permettent un remboursement sur le long terme avec des taux d’intérêt relativement faibles », fait ainsi valoir Saïd Gédéon, responsable du département de l’agriculture au sein de la CCIAZ. Cette incitation financière a permis à des start-up de se lancer comme, par exemple Fresh Farm, en 2010 qui parie sur des procédés d’avant-garde pour cultiver champignons ou endives, ou SkafFarm, un producteur de lait qui vend depuis 2011 ses produits sous sa propre marque.
Les exportations s’envolent
Mais l’effort gouvernemental n’explique pas à lui seul le boom constaté. Un chiffre indique d’ailleurs bien cette croissance de la région alors que le reste du pays s’enlise dans la récession. À Zahlé, c’est l’exact contraire : les exportations ont connu ici un bond de +12 %. « Oui, notre économie est relativement florissante », se félicite Youssef Geha tout sourire.
Motif de cette étonnante euphorie : la guerre en Syrie. Les entreprises agroalimentaires profitent de l’absence de leurs homologues syriennes sur les marchés arabes pour pérenniser leurs parts et surtout gagner des marchés. « 2013 a toutes les chances d’être aussi exceptionnelle si… la frontière terrestre avec la Syrie reste ouverte », ajoute Oliver Fayssal, fondateur d’Alphagreen (Terbol), qui produit des salades iceberg hors sol et exporte 75 % de sa marchandise. « Même si les prix du transport ont flambé, passant du simple au triple, 40 % de nos exportations passent toujours par les frontières terrestres. Nous n’avons pas d’autres solutions : les voies maritimes sont trop longues pour certaines de nos marchandises. Seul l’avion pourrait éventuellement y suppléer, mais tous les pays ne sont pas équipés pour recevoir du fret de marchandises par voie aérienne », ajoute-t-il.
Ce boom économique, en partie liée à la situation syrienne, devrait pousser les responsables politiques à réfléchir au moyen de redynamiser l’image de marque de leur ville ou de leur région, en s’appuyant sur ses points forts. Parmi les secteurs qui portent depuis longtemps l’image de la ville : le vin et la gastronomie, qui attirent toujours talents et projets. Un nouveau vignoble est ainsi en gestation sur les pentes de Jabal Knaissé. « Nous pourrions nous appuyer sur leur renaissance pour revaloriser l’image de la ville », ajoute Youssef Geha. Mais si Zahlé se distingue toujours par la qualité de sa gastronomie et de ses vins, leur notoriété locale voire internationale n’est pas encore suffisante pour bousculer à elle seule les préjugés et faire venir capitaux et investisseurs. Il faut aussi miser sur des incitations spécifiques comme des exonérations fiscales pour les entreprises qui choisiraient de venir s’y installer ou la création d’infrastructures à l’image de l’autoroute panarabe, dont l’ouverture du tronçon Mdeirej-Chtaura est prévue pour la fin 2015-début 2016. Terminée, cette nouvelle autoroute devrait mettre Zahlé à moins de 20 minutes de Beyrouth en voiture. « À ce moment-là, la vie devrait réellement s’accélérer ici », veut croire Sébastien Khoury, du Domaine de Baal, qui pour rien au monde ne souhaite vivre ailleurs… qu’à Zahlé.