Un article du Dossier
Private Equity : un marché encore immature
Le Liban est un petit pays (4 millions d'habitants, contre 300 millions au Moyen-Orient) qui cumule les obstacles pour attirer les investisseurs.
Un risque-pays élevé
L'instabilité politique et sécuritaire est un frein majeur pour attirer les investisseurs internationaux, voire nationaux. « C’est difficile aujourd’hui de convaincre des investisseurs de venir dans une classe d’actifs où l’argent est bloqué entre quatre et dix ans, d’autant qu’il n’y a pas encore d’historique de succès au Liban ou dans la région. On n’a pas encore la preuve de la réussite de ces fonds », commente Fady Abouchalache. Pour ce PDG libanais du fonds Quilvest basé à Paris, les raisons “affectives” qui peuvent encourager un expatrié libanais à investir dans son pays d’origine ne suffisent pas toujours.
Un cadre juridique inadapté
À supposer qu’un investisseur décide malgré tout de prendre le risque politique libanais et de faire confiance à une équipe de management, il est rapidement exposé à un problème majeur, celui de l’inadaptation du cadre juridique libanais aux affaires. L’essentiel du code du commerce date en effet des années 1940-50 et les divers projets de lois destinés à le moderniser dorment toujours dans les tiroirs du Parlement. « Lorsqu’un investisseur entre au capital d’une société avec une participation minoritaire, il n’a aucune protection », explique Henri Asseily qui a lui même décidé d’investir dans plusieurs entreprises libanaises (voir Le Commerce du Levant 5580 de mai 2008). « S’il veut contourner cette absence légale de protection des minoritaires par un pacte d’actionnaires, une pratique devenue courante à travers le monde, il s’expose au fait qu’au Liban, ce sont les statuts de la société qui priment sur tout accord entre les associés. »
L’apport en nature, pourtant au cœur du modèle économique des start-up technologiques, n’est pas davantage possible en droit libanais, explique Henri Asseily. « Une fille qui a inventé un super-algorithme ne peut pas le valoriser pour entrer au capital d’une société. Avec mes avocats, nous avons imaginé un système complexe pour contourner ce problème – c’est tout un bénéfice pour les avocats, mais je ne suis pas sûr qu’un fonds international de capital-risque qui a ses méthodes a du temps à perdre avec ces montages archaïques. »
Autres lacunes du système, selon Henri Asseily : l’absence de structure légale pour les stock-options qui permettent de motiver les employés autrement que par le salaire, ou encore l’obligation juridique de réunir physiquement les membres du conseil d’administration dans un même lieu. « La loi libanaise ne permet pas d’avoir recours à des téléconférences ! » se désole-t-il.
Pour Fady Abouchalache, le Private Equity pâtit au même titre que l’ensemble du monde des affaires de l’obsolescence ou des complications du cadre juridique libanais. Il cite notamment les lacunes du système de protection de la propriété intellectuelle, ou de protection contre la concurrence déloyale, mais aussi la nécessité de passer par une décision du Conseil des ministres pour qu’un fonds étranger puisse entrer au capital d’une société qui détient des biens-fonds immobiliers supérieurs à 5 000 mètres carrés.
Walid Hanna, fondateur de MEVP, nuance cependant : « Ces problèmes légaux sont contournables, en basant les sociétés en dehors du Liban. La plupart de celles dans lesquelles nous avons investi sont par exemple inscrites à Dubaï ou aux îles Caïmans. » D'ailleurs, la majorité des fonds eux-mêmes sont domiciliés dans des pays ou des régions connus pour être des paradis fiscaux : îles Caïmans, Luxembourg, ou encore l’État américain du Delaware.
La qualité du management
Un fonds de Private Equity investit tout autant dans une belle société que dans une équipe de managers. Or, le Liban manque de dirigeants qualifiés, estime Fady Abouchalache. « Ces derniers ont tendance à émigrer vers des pays plus stables. Ce constat est aussi bien valable pour le Liban que pour les pays arabes. » La structure familiale de la majorité des entreprises contribue au problème. Leur mode de gestion des ressources humaines est “sous-optimale”, avance diplomatiquement Fady Abouchalache.
Lorsque des cadres qualifiés décident de se lancer à leur propre compte, c’est le manque de vision des entrepreneurs libanais que les investisseurs pointent du doigt. « La tendance au Liban est de considérer qu’il est facile de se faire de l’argent sans trop se fatiguer en investissant peu et à court terme. L’exemple typique est celui d’un pub rentabilisé en un an », analyse Henri Asseily. « Ce genre d’investissement n’est pas créateur de valeur à long terme et il contribue à minimiser les efforts inhérents à tout développement d’entreprise. »
L’autre cas de figure est celui de l’impréparation des ingénieurs à l’élaboration d’études de faisabilité ou à la gestion d’entreprises.
« Beaucoup de nos entrepreneurs sont des ingénieurs, qui n’ont aucune idée de ce que c’est qu’un business plan, avance Sami Beydoun, gérant du fonds de Berytech. C’est le rôle des fonds de les aider à en faire un. » « Ce constat s’applique à toutes les entreprises de la région », nuance Gilles de Clerck, gérant du fonds EuroMena.
Une bourse embryonnaire
Le Private Equity et le capital-risque de façon générale supposent de réfléchir autant aux conditions d’entrées au capital d’une entreprise qu’à celles de la sortie. Dans les pays développés, l’introduction en Bourse est l’une des voies de sortie les plus usitées pour les entreprises d’une certaine taille. Ce n’est pas le cas au Liban : outre le fait que l’apathie de la Bourse de Beyrouth n’encourage pas ce genre de sorties, rares sont les entreprises libanaises qui ont une taille suffisante pour entrer en Bourse. « Les sociétés que nous finançons ne sont pas assez grandes pour y prétendre à une introduction », confirme Sami Beydoun. Selon lui, quatre possibilités de sortie sont praticables au Liban pour les entreprises financées par du Venture Capital : la vente à un investisseur stratégique ; le management buy-out, à savoir le rachat des actions du fonds par l’équipe dirigeante ; la vente à un fonds plus grand et spécialisé dans un autre niveau de croissance (typiquement, un fonds de Private Equity rachète les actions d'un fonds de Venture Capital) ; ou la fusion-acquisition de la société avec une autre entreprise de son secteur.
Walid Hanna explique par exemple miser sur le rachat d’Anghami, une société de streaming en ligne spécialisée dans le marché arabe, par un leader mondial de la musique en ligne tel que Deezer ou Spotify. « Au lieu de venir conquérir eux-mêmes les pays un à un, Anghami leur offre un marché unique déjà formé. »
L'instabilité politique et sécuritaire est un frein majeur pour attirer les investisseurs internationaux, voire nationaux. « C’est difficile aujourd’hui de convaincre des investisseurs de venir dans une classe d’actifs où l’argent est bloqué entre quatre et dix ans, d’autant qu’il n’y a pas encore d’historique de succès au Liban ou dans la région. On n’a pas encore la preuve de la réussite de ces fonds », commente Fady Abouchalache. Pour ce PDG libanais du fonds Quilvest basé à Paris, les raisons “affectives” qui peuvent encourager un expatrié libanais à investir dans son pays d’origine ne suffisent pas toujours.
Un cadre juridique inadapté
À supposer qu’un investisseur décide malgré tout de prendre le risque politique libanais et de faire confiance à une équipe de management, il est rapidement exposé à un problème majeur, celui de l’inadaptation du cadre juridique libanais aux affaires. L’essentiel du code du commerce date en effet des années 1940-50 et les divers projets de lois destinés à le moderniser dorment toujours dans les tiroirs du Parlement. « Lorsqu’un investisseur entre au capital d’une société avec une participation minoritaire, il n’a aucune protection », explique Henri Asseily qui a lui même décidé d’investir dans plusieurs entreprises libanaises (voir Le Commerce du Levant 5580 de mai 2008). « S’il veut contourner cette absence légale de protection des minoritaires par un pacte d’actionnaires, une pratique devenue courante à travers le monde, il s’expose au fait qu’au Liban, ce sont les statuts de la société qui priment sur tout accord entre les associés. »
L’apport en nature, pourtant au cœur du modèle économique des start-up technologiques, n’est pas davantage possible en droit libanais, explique Henri Asseily. « Une fille qui a inventé un super-algorithme ne peut pas le valoriser pour entrer au capital d’une société. Avec mes avocats, nous avons imaginé un système complexe pour contourner ce problème – c’est tout un bénéfice pour les avocats, mais je ne suis pas sûr qu’un fonds international de capital-risque qui a ses méthodes a du temps à perdre avec ces montages archaïques. »
Autres lacunes du système, selon Henri Asseily : l’absence de structure légale pour les stock-options qui permettent de motiver les employés autrement que par le salaire, ou encore l’obligation juridique de réunir physiquement les membres du conseil d’administration dans un même lieu. « La loi libanaise ne permet pas d’avoir recours à des téléconférences ! » se désole-t-il.
Pour Fady Abouchalache, le Private Equity pâtit au même titre que l’ensemble du monde des affaires de l’obsolescence ou des complications du cadre juridique libanais. Il cite notamment les lacunes du système de protection de la propriété intellectuelle, ou de protection contre la concurrence déloyale, mais aussi la nécessité de passer par une décision du Conseil des ministres pour qu’un fonds étranger puisse entrer au capital d’une société qui détient des biens-fonds immobiliers supérieurs à 5 000 mètres carrés.
Walid Hanna, fondateur de MEVP, nuance cependant : « Ces problèmes légaux sont contournables, en basant les sociétés en dehors du Liban. La plupart de celles dans lesquelles nous avons investi sont par exemple inscrites à Dubaï ou aux îles Caïmans. » D'ailleurs, la majorité des fonds eux-mêmes sont domiciliés dans des pays ou des régions connus pour être des paradis fiscaux : îles Caïmans, Luxembourg, ou encore l’État américain du Delaware.
La qualité du management
Un fonds de Private Equity investit tout autant dans une belle société que dans une équipe de managers. Or, le Liban manque de dirigeants qualifiés, estime Fady Abouchalache. « Ces derniers ont tendance à émigrer vers des pays plus stables. Ce constat est aussi bien valable pour le Liban que pour les pays arabes. » La structure familiale de la majorité des entreprises contribue au problème. Leur mode de gestion des ressources humaines est “sous-optimale”, avance diplomatiquement Fady Abouchalache.
Lorsque des cadres qualifiés décident de se lancer à leur propre compte, c’est le manque de vision des entrepreneurs libanais que les investisseurs pointent du doigt. « La tendance au Liban est de considérer qu’il est facile de se faire de l’argent sans trop se fatiguer en investissant peu et à court terme. L’exemple typique est celui d’un pub rentabilisé en un an », analyse Henri Asseily. « Ce genre d’investissement n’est pas créateur de valeur à long terme et il contribue à minimiser les efforts inhérents à tout développement d’entreprise. »
L’autre cas de figure est celui de l’impréparation des ingénieurs à l’élaboration d’études de faisabilité ou à la gestion d’entreprises.
« Beaucoup de nos entrepreneurs sont des ingénieurs, qui n’ont aucune idée de ce que c’est qu’un business plan, avance Sami Beydoun, gérant du fonds de Berytech. C’est le rôle des fonds de les aider à en faire un. » « Ce constat s’applique à toutes les entreprises de la région », nuance Gilles de Clerck, gérant du fonds EuroMena.
Une bourse embryonnaire
Le Private Equity et le capital-risque de façon générale supposent de réfléchir autant aux conditions d’entrées au capital d’une entreprise qu’à celles de la sortie. Dans les pays développés, l’introduction en Bourse est l’une des voies de sortie les plus usitées pour les entreprises d’une certaine taille. Ce n’est pas le cas au Liban : outre le fait que l’apathie de la Bourse de Beyrouth n’encourage pas ce genre de sorties, rares sont les entreprises libanaises qui ont une taille suffisante pour entrer en Bourse. « Les sociétés que nous finançons ne sont pas assez grandes pour y prétendre à une introduction », confirme Sami Beydoun. Selon lui, quatre possibilités de sortie sont praticables au Liban pour les entreprises financées par du Venture Capital : la vente à un investisseur stratégique ; le management buy-out, à savoir le rachat des actions du fonds par l’équipe dirigeante ; la vente à un fonds plus grand et spécialisé dans un autre niveau de croissance (typiquement, un fonds de Private Equity rachète les actions d'un fonds de Venture Capital) ; ou la fusion-acquisition de la société avec une autre entreprise de son secteur.
Walid Hanna explique par exemple miser sur le rachat d’Anghami, une société de streaming en ligne spécialisée dans le marché arabe, par un leader mondial de la musique en ligne tel que Deezer ou Spotify. « Au lieu de venir conquérir eux-mêmes les pays un à un, Anghami leur offre un marché unique déjà formé. »