La production agricole syrienne est en chute libre et menace sérieusement la fourniture de produits alimentaires dans les grands centres urbains. Peu de solutions semblent disponibles pour enrayer le déclin de ce secteur qui apparaît de plus en plus inéluctable.
Dans un rapport alarmant publié à la mi-juillet, la FAO, l’agence onusienne en charge de l’alimentation et de l’agriculture dans le monde, a tiré la sonnette d’alarme concernant la situation catastrophique de la production agricole syrienne.
Baisse inquiétante de la production de blé
La production de blé, qui est essentielle car le pain est l’aliment de base de la population, est en chute libre. La récolte de blé pour cette année est estimée à 2,4 millions de tonnes, soit 15 % de moins que l’année dernière – 2,84 millions de tonnes – et 30 % de moins que la production moyenne des trois années précédentes qui était de 3,5 millions de tonnes.
L’inquiétude de la FAO est renforcée par le faible niveau des stocks. Officiellement ceux-ci se chiffraient à 2,9 millions de tonnes au début de 2013, mais ce nombre inclut du blé stocké dans des silos qui sont partiellement détruits ; le niveau réel de ces stocks est donc probablement bien inférieur.
Le ministère de l’Agriculture confirme cette tension sur le marché. À la mi-juin, la quantité de blé achetée par le gouvernement aux agriculteurs, environ 700 000 tonnes, n’était qu’au tiers de son niveau de l’année dernière.
Le gouvernement tente de prévenir des pénuries éventuelles en recourant aux importations. En l’espace de quelques semaines, il a ainsi lancé plusieurs appels d’offres pour l’importation de blé et de farine. La FAO estime que c’est plus de 1,4 million de tonnes qui devront être importées cette année si le gouvernement veut subvenir aux besoins de sa population.
Tous les secteurs sont touchés
Cette situation alarmante va bien au-delà du blé. La récolte de betteraves à sucre est estimée à 400 000 tonnes, soit le tiers du volume de l’année dernière alors que seules deux des quatre raffineries de sucre sont en état de fonctionnement.
La Syrie est l’un des plus importants consommateurs de sucre par tête d’habitant au monde. Pour pallier aux besoins, le gouvernement doit avoir recours aux marchés mondiaux. Un appel d’offres pour l’achat de 276 000 tonnes a ainsi été lancé en juin. Ce volume correspond à la moitié du total des importations de sucre blanc de l’année dernière qui était de 466 000 tonnes.
La surface utilisée pour la culture du coton a baissé de près de 70 %. Certes, le coton n’a plus depuis de nombreuses années l’importance qu’il avait pour l’économie syrienne, à cause de retours sur investissements faibles et de ses besoins élevés en eau, qui est une denrée de plus en plus rare en Syrie. Sa production a ainsi baissé d’un million de tonnes au début des années 2000 à 472 000 tonnes en 2010, l’année qui a précédé le début du soulèvement. Mais il continuait à représenter un intrant important pour l’industrie textile et une source de devises. La FAO estime par ailleurs que seules quatre des onze usines d’égrenage du pays continuent de fonctionner.
Le secteur de l’élevage, qui représente traditionnellement entre 35 et 40 % de la production agricole syrienne, n’est pas en reste. Le nombre de moutons est tombé de 15,5 millions à 11 millions de têtes, alors que le nombre de bovins a baissé de 40 % à 600 000 têtes.
Le secteur des moutons était particulièrement important. Chaque année près de 3 millions de têtes étaient exportées, rapportant l’équivalent de 450 millions de dollars. Seules 100 000 têtes vont être exportées cette année.
L’industrie de la volaille, qui générait près d’un million d’emplois directs et indirects, est sinistrée. Le ministère de l’Agriculture estime que près de la moitié de ces emplois ont été perdus et qu’en mai dernier seul un tiers des unités de production du secteur étaient encore en état de fonctionner.
Début juillet, la GFTO, l’organe étatique qui gère une partie des importations du secteur public, lançait un appel d’offres “urgent” pour la fourniture de 3 000 tonnes de poulet congelé.
En mai, le ministère de l’Agriculture annonçait que la perte totale du secteur en plus de deux ans de conflit se montait à plus de 101 milliards de livres, soit 1 milliard de dollars au taux actuel de la monnaie.
Des facteurs multiples
Cette situation apocalyptique du secteur agricole s’explique par des facteurs désormais bien établis.
La violence qui s’est étendue à quasiment tout le pays en dehors de la zone côtière est la principale source de perturbation. Elle a entraîné le déplacement et l’exil de nombreux agriculteurs ainsi que la destruction des infrastructures, des équipements, des champs et du bétail ; elle empêche aussi l’accès des agriculteurs à leurs champs, l’arrivée des intrants et la commercialisation des produits.
Les sanctions imposées par l’Occident et le monde arabe jouent un rôle non négligeable. Bien qu’il n’existe pas de sanctions spécifiques au secteur agricole, les mesures prises contre le secteur bancaire ainsi que l’établissement d’une liste noire d’entités publiques effraient les entreprises étrangères qui rechignent à travailler avec la Syrie, entraînant des pénuries de vaccins vétérinaires, d’engrais et de pièces de rechange.
Enfin, les agriculteurs souffrent de l’augmentation généralisée des coûts et de la baisse des crédits bancaires. La multiplication par cinq de la valeur du dollar par rapport à la livre syrienne a entraîné une explosion du coût des intrants importés. Quant aux crédits bancaires traditionnellement fournis par la Banque coopérative agricole (BCA), ils pâtissent des difficultés de financement du Trésor.
À la fin mars, le Premier ministre a imposé l’arrêt de tous les prêts bancaires à destination des agriculteurs cultivant le coton. Selon le président du syndicat des paysans, le directeur général de la BCA a convaincu le Premier ministre en soutenant que son institution perdrait plus de 8 milliards de livres syriennes, soit environ 80 millions de dollars au taux officiel, si elle devait fournir des prêts aux cultivateurs de coton, « car elle n’avait aucune garantie que l’argent serait remboursé ». Cette décision est en partie responsable de la baisse des surfaces utilisées pour la culture du coton.
Peu d’options de relance
Le gouvernement a peu d’options pour relancer la production agricole. L’une des rares mesures qu’il a adoptées est l’augmentation des prix payés aux agriculteurs pour leur récolte, en particulier pour le blé. Assurer la fourniture de blé, et donc de pain, reste essentiel pour les autorités en place.
En juin, le gouvernement a également annoncé une augmentation de 50 %, de 4 500 livres à 6 700 livres par tonne, du prix qu’il payait aux cultivateurs de sucre.
En l’absence de véritables solutions pour soutenir son agriculture, qui semble aller vers un inéluctable déclin, le gouvernement recherche des alternatives pour continuer à assurer les besoins en alimentation des villes qui connaissent toutes une flambée des prix, certains produits alimentaires se vendant jusqu’à 10 fois leur prix d’avant le soulèvement.
Le recours à l’importation est une de ces solutions même si elle est à terme limitée par la baisse des réserves en devises détenues par le Trésor.
En octobre dernier, le ministre de l’Agriculture conseillait à la population de cultiver des fruits et des légumes, et d’élever des poulets dans les cours et les jardins. La remarque du ministre reflétait déjà le niveau d’inquiétude des autorités et la transformation partielle de l’économie syrienne en une économie de subsistance.
Début juillet, à quelques jours du ramadan, le ministre de l’Économie annonçait que le gouvernement allait puiser dans ses réserves stratégiques pour fournir suffisamment de nourriture à la population. Ces réserves, composées essentiellement de blé stocké par les autorités, ne sont censées être utilisées que dans des situations “d’urgence”.
Ceci est probablement la description la plus réaliste de la situation dans laquelle se trouve le secteur agricole syrien.
Baisse inquiétante de la production de blé
La production de blé, qui est essentielle car le pain est l’aliment de base de la population, est en chute libre. La récolte de blé pour cette année est estimée à 2,4 millions de tonnes, soit 15 % de moins que l’année dernière – 2,84 millions de tonnes – et 30 % de moins que la production moyenne des trois années précédentes qui était de 3,5 millions de tonnes.
L’inquiétude de la FAO est renforcée par le faible niveau des stocks. Officiellement ceux-ci se chiffraient à 2,9 millions de tonnes au début de 2013, mais ce nombre inclut du blé stocké dans des silos qui sont partiellement détruits ; le niveau réel de ces stocks est donc probablement bien inférieur.
Le ministère de l’Agriculture confirme cette tension sur le marché. À la mi-juin, la quantité de blé achetée par le gouvernement aux agriculteurs, environ 700 000 tonnes, n’était qu’au tiers de son niveau de l’année dernière.
Le gouvernement tente de prévenir des pénuries éventuelles en recourant aux importations. En l’espace de quelques semaines, il a ainsi lancé plusieurs appels d’offres pour l’importation de blé et de farine. La FAO estime que c’est plus de 1,4 million de tonnes qui devront être importées cette année si le gouvernement veut subvenir aux besoins de sa population.
Tous les secteurs sont touchés
Cette situation alarmante va bien au-delà du blé. La récolte de betteraves à sucre est estimée à 400 000 tonnes, soit le tiers du volume de l’année dernière alors que seules deux des quatre raffineries de sucre sont en état de fonctionnement.
La Syrie est l’un des plus importants consommateurs de sucre par tête d’habitant au monde. Pour pallier aux besoins, le gouvernement doit avoir recours aux marchés mondiaux. Un appel d’offres pour l’achat de 276 000 tonnes a ainsi été lancé en juin. Ce volume correspond à la moitié du total des importations de sucre blanc de l’année dernière qui était de 466 000 tonnes.
La surface utilisée pour la culture du coton a baissé de près de 70 %. Certes, le coton n’a plus depuis de nombreuses années l’importance qu’il avait pour l’économie syrienne, à cause de retours sur investissements faibles et de ses besoins élevés en eau, qui est une denrée de plus en plus rare en Syrie. Sa production a ainsi baissé d’un million de tonnes au début des années 2000 à 472 000 tonnes en 2010, l’année qui a précédé le début du soulèvement. Mais il continuait à représenter un intrant important pour l’industrie textile et une source de devises. La FAO estime par ailleurs que seules quatre des onze usines d’égrenage du pays continuent de fonctionner.
Le secteur de l’élevage, qui représente traditionnellement entre 35 et 40 % de la production agricole syrienne, n’est pas en reste. Le nombre de moutons est tombé de 15,5 millions à 11 millions de têtes, alors que le nombre de bovins a baissé de 40 % à 600 000 têtes.
Le secteur des moutons était particulièrement important. Chaque année près de 3 millions de têtes étaient exportées, rapportant l’équivalent de 450 millions de dollars. Seules 100 000 têtes vont être exportées cette année.
L’industrie de la volaille, qui générait près d’un million d’emplois directs et indirects, est sinistrée. Le ministère de l’Agriculture estime que près de la moitié de ces emplois ont été perdus et qu’en mai dernier seul un tiers des unités de production du secteur étaient encore en état de fonctionner.
Début juillet, la GFTO, l’organe étatique qui gère une partie des importations du secteur public, lançait un appel d’offres “urgent” pour la fourniture de 3 000 tonnes de poulet congelé.
En mai, le ministère de l’Agriculture annonçait que la perte totale du secteur en plus de deux ans de conflit se montait à plus de 101 milliards de livres, soit 1 milliard de dollars au taux actuel de la monnaie.
Des facteurs multiples
Cette situation apocalyptique du secteur agricole s’explique par des facteurs désormais bien établis.
La violence qui s’est étendue à quasiment tout le pays en dehors de la zone côtière est la principale source de perturbation. Elle a entraîné le déplacement et l’exil de nombreux agriculteurs ainsi que la destruction des infrastructures, des équipements, des champs et du bétail ; elle empêche aussi l’accès des agriculteurs à leurs champs, l’arrivée des intrants et la commercialisation des produits.
Les sanctions imposées par l’Occident et le monde arabe jouent un rôle non négligeable. Bien qu’il n’existe pas de sanctions spécifiques au secteur agricole, les mesures prises contre le secteur bancaire ainsi que l’établissement d’une liste noire d’entités publiques effraient les entreprises étrangères qui rechignent à travailler avec la Syrie, entraînant des pénuries de vaccins vétérinaires, d’engrais et de pièces de rechange.
Enfin, les agriculteurs souffrent de l’augmentation généralisée des coûts et de la baisse des crédits bancaires. La multiplication par cinq de la valeur du dollar par rapport à la livre syrienne a entraîné une explosion du coût des intrants importés. Quant aux crédits bancaires traditionnellement fournis par la Banque coopérative agricole (BCA), ils pâtissent des difficultés de financement du Trésor.
À la fin mars, le Premier ministre a imposé l’arrêt de tous les prêts bancaires à destination des agriculteurs cultivant le coton. Selon le président du syndicat des paysans, le directeur général de la BCA a convaincu le Premier ministre en soutenant que son institution perdrait plus de 8 milliards de livres syriennes, soit environ 80 millions de dollars au taux officiel, si elle devait fournir des prêts aux cultivateurs de coton, « car elle n’avait aucune garantie que l’argent serait remboursé ». Cette décision est en partie responsable de la baisse des surfaces utilisées pour la culture du coton.
Peu d’options de relance
Le gouvernement a peu d’options pour relancer la production agricole. L’une des rares mesures qu’il a adoptées est l’augmentation des prix payés aux agriculteurs pour leur récolte, en particulier pour le blé. Assurer la fourniture de blé, et donc de pain, reste essentiel pour les autorités en place.
En juin, le gouvernement a également annoncé une augmentation de 50 %, de 4 500 livres à 6 700 livres par tonne, du prix qu’il payait aux cultivateurs de sucre.
En l’absence de véritables solutions pour soutenir son agriculture, qui semble aller vers un inéluctable déclin, le gouvernement recherche des alternatives pour continuer à assurer les besoins en alimentation des villes qui connaissent toutes une flambée des prix, certains produits alimentaires se vendant jusqu’à 10 fois leur prix d’avant le soulèvement.
Le recours à l’importation est une de ces solutions même si elle est à terme limitée par la baisse des réserves en devises détenues par le Trésor.
En octobre dernier, le ministre de l’Agriculture conseillait à la population de cultiver des fruits et des légumes, et d’élever des poulets dans les cours et les jardins. La remarque du ministre reflétait déjà le niveau d’inquiétude des autorités et la transformation partielle de l’économie syrienne en une économie de subsistance.
Début juillet, à quelques jours du ramadan, le ministre de l’Économie annonçait que le gouvernement allait puiser dans ses réserves stratégiques pour fournir suffisamment de nourriture à la population. Ces réserves, composées essentiellement de blé stocké par les autorités, ne sont censées être utilisées que dans des situations “d’urgence”.
Ceci est probablement la description la plus réaliste de la situation dans laquelle se trouve le secteur agricole syrien.