Riad Saadé dirige le Centre de recherche et d’études agricoles libanais (Creal). Ce centre d’expertise sur le monde agricole s’est donné pour mission depuis 1951 d’étudier les différentes productions et d’en recenser les données statistiques. Il dresse un bilan peu reluisant de l’agriculture libanaise.
L’agriculture représente aujourd’hui moins de 5 % de la production intérieure brute agricole (PIBA) nationale alors qu’elle comptait pour 11 % de la PIBA entre 1960 et 1970 et au moins 20 % dans les années 1950. Pourquoi en est-on arrivé là ?
L’agriculture libanaise agonise depuis le début des années 1970. La guerre de 1975 n’a fait qu’accélérer le processus : les structures créées sous le mandat de Fouad Chéhab pour encadrer et développer le secteur, comme l’Office fruitier, le Plan vert, l’Office de la soie ou celui des ressources animales, ont toutes été démantelées. Et rien n’a été ensuite fait, au moment de la reconstruction, pour les remettre sur pied. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 1970 et 1996, la PIBA a diminué de 10 % en valeur. Dans le même temps, la PIBA a progressé de 544 %, aux États-Unis de 384 % et de 686 % au Japon en valeur toujours. En 2012, la valeur de la production agricole libanaise, en valeur constante, est inférieure à son niveau du début des années 1960 !
Le constat est terrible : est-il encore possible d’inverser le processus ?
Il faudrait pour cela une volonté politique. Elle faisait défaut jusqu’à très récemment. L’actuel ministre de l’Agriculture, Hussein Hajj Hassan, a la volonté de changer les choses. Mais cela ne suffit pas. Il faudra du temps pour que ses équipes, qui sont en train de se mettre en place, atteignent un niveau d’efficacité valable et que les agriculteurs emboîtent le pas au développement. Sur le terrain, pour l’heure, nous ne constatons pas de grandes différences, qu’il s’agisse des pratiques culturales ou de la qualité des produits. Les débouchés n’ont guère changé non plus.
Un exemple : la filière de l’huile d’olive. Ce secteur a un vrai potentiel et implique de nombreux agriculteurs. Du coup, il a fait l’objet d’une multitude d’études à partir des années 1980, mais sans résultats concrets. On a pourtant tenté de modifier les techniques de cultures ou de récoltes, acheté des pressoirs modernes et regroupé les agriculteurs en coopératives… Mais le résultat demeure très discutable au niveau national.
Comment expliquez-vous cette absence de résultats ?
Jusqu’ici seule l’initiative privée fonctionne valablement au Liban. Or, l’initiative privée ne sert que les intérêts individuels, alors qu’une stratégie de développement national est indispensable pour sortir l’agriculture du bourbier. Il faudrait un éveil collectif. Seule une intervention éclairée de l’État volontariste pourrait réussir. Citons malgré tout deux filières qui commencent à intégrer cette dimension collective : le secteur laitier et celui du vin. Le premier, malgré l’état sanitaire désastreux du cheptel, est en train de réussir grâce aux efforts des industriels, qui se sont au fur et à mesure dotés de fermes modernes et ont encouragé pour certains les petits éleveurs à adopter des techniques d’élevage plus performantes. Ceci se reflète tant au niveau de la qualité du lait qu’à celui de la rentabilité. Quant à la filière du vin, elle affiche une santé éclatante depuis quelques années avec un niveau record de 8 millions de bouteilles et une quarantaine d’acteurs désormais. C’est la preuve que l’on peut inverser le processus de déclin de l’agriculture libanaise.
L’absence de financements pour l’agriculture est-elle en cause ?
L’absence de financements de l’agriculture est l’un des facteurs qui fait obstacle à son développement, mais ce n’est pas le seul. Le Crédit agricole a été l’une des premières institutions mises sur pied en 1926 par la République libanaise. Cette institution publique a cessé son activité en 1975 et la Banque nationale du développement agricole, fondée en 1977 puis relancée en 1995 n’existe toujours que sur le papier. Des programmes comme Kafalat ou les crédits à taux bonifiés octroyés par la Banque centrale à travers les banques commerciales ont certes permis la réalisation de certains projets agricoles, mais leur impact reste limité au niveau national.
Quant aux centaines de millions de dollars ou d’euros que l’aide internationale a alloués au secteur agricole, il est presque impossible de citer un seul projet pérenne qui en a bénéficié ! On est en droit de se poser la question de l’efficacité des dons ou des prêts alloués à l’agriculture libanaise.
Y a-t-il d’autres obstacles au développement de l’agriculture libanaise ?
Le secret du développement agricole repose sur trois piliers : la recherche, l’enseignement et la vulgarisation. Ces domaines sont de la responsabilité de l’État. Avant 1970, la recherche agricole libanaise avait atteint des niveaux enviables. L’enseignement supérieur avait formé d’excellents cadres. Aujourd’hui, recherche et enseignement souffrent d’une médiocrité annihilante. Ce constat a une conséquence pratique : dans les champs, les techniques employées sont obsolètes ou mauvaises ; elles génèrent une rentabilité réduite, voire négative pour l’agriculteur. Autre facteur négatif, la valeur foncière des terres : celle-ci est tellement élevée que les agriculteurs peuvent trouver plus intérêt à vendre leur bien et placer leur argent en banque plutôt que de continuer à produire ! On assiste d’ailleurs à un glissement linguistique dans la langue arabe, révélateur de cette évolution : le concept patrimonial et sacré de “rizk” ou “source de biens” a été progressivement remplacé par celui de “melk”, qui signifie un “bien foncier” pouvant être vendu. Bien que le Liban ait déjà perdu de vastes terres agricoles alluvionnaires et riches sur la côte et dans la Békaa, il est encore possible d’arrêter “l’agression urbaine” des terres agricoles en définissant des zones agricoles non edificandi (non constructibles) et en établissant simultanément des programmes de soutien aux agriculteurs qui leur garantiraient des revenus appréciables et une vie honorable.
Si on ne devait s’attaquer qu’à un seul problème pour aider l’agriculture libanaise, quel serait-il ?
Le problème essentiel de l’agriculture demeure la commercialisation des produits. Au niveau national, les canaux d’écoulement, notamment les marchés de gros, favorisent les fraudes au détriment de l’agriculteur et du consommateur. La vente à la consignation, méthode pratiquée au sein des halles, ainsi que l’absence de règles ou de contrôles dans ces circuits de gros entraînent un manque à gagner de 20 à 40 % pour l’agriculteur. Sans compter le ratio élevé d’invendus, lié en particulier à l’absence de normes qualitatives et de conditionnement. Ensemble, pratiques frauduleuses et gaspillage se reflètent dans le prix de vente aux consommateurs, alors que les grossistes, eux, se sucrent. Si l’agriculture bénéficiait de canaux d’écoulement réglementés, on pourrait facilement doubler la production agricole libanaise dans les cinq à dix prochaines années.
L’agriculture libanaise peut-elle mieux s’exporter ?
Le Liban a très tôt exporté sa production agricole. C’est d’abord vers la France mandataire que se sont écoulés ses fruits au titre des “préférences coloniales”. Les exportations ont continué à croître en volume jusque dans les années 1970, en partie vers l’Europe, mais principalement vers les marchés du Golfe, grâce à l’Office fruitier qui assurait un rôle majeur de contrôle de la qualité des exportations et d’appui aux exportateurs. Les chiffres du Creal montrent que les exportations à la fin des années 1960 représentaient en volume près du double d’aujourd’hui. À partir des années 1970, l’Office fruitier a été noyauté par des intérêts privés : certains ont monté des sociétés mixtes (comme la Société mixte du froid, celles du transport ferroviaire et maritime) qui ont dévié les missions de l’office et ont limité son efficacité. Avec la guerre de 1975, les filières d’exportation des fruits ont été quasiment détruites. L’incompétence du ministère de l’Agriculture après-guerre a poussé le gouvernement à confier le soutien à l’exportation des produits agricoles à l’Idal, via son programme Export Plus. Ces subsides sont allouées sous forme de subventions indirectes aux exportateurs. Nous sommes loin d’une stratégie de filière abordant l’exportation de manière intégrée et durable : pareille stratégie devrait démarrer en amont par le choix des variétés à planter selon les besoins des marchés importateurs. Idéalement, elle devrait aussi suivre les pratiques agricoles pour garantir la qualité supérieure et les rendements. Et, enfin, définir et contrôler les canaux d’écoulement.
Peut-on identifier des secteurs d’avenir sur lesquels il serait intéressant de miser ?
D’une manière générale dans le monde, et au Liban en particulier, le producteur de matières premières est toujours le “dindon de la farce”, car sa production n’est jamais payée au juste prix. Pour le producteur, le seul moyen de s’en sortir est donc de devenir partenaire d’une chaîne qui aboutit au consommateur. C’est pourquoi l’avenir est aux filières où la maîtrise de l’ensemble du processus est possible, depuis le produit brut en passant par sa transformation jusqu’à sa distribution. Quelques filières s’inscrivent dans cette logique : le raisin avec le vin ; l’olive avec l’huile ; l’élevage laitier et la production de fromages, de yaourts… Les cultures légumières et fruitières présentent également un potentiel intéressant.
Quelles sont les conséquences pour l’agriculture libanaise de la guerre en Syrie ?
Le Liban et la Syrie sont en symbiose quasi complète du point de vue de leur agriculture. La Syrie a toujours écoulé une partie de sa production au Liban et vice versa. Selon leurs moments de faiblesse respectifs, ce rapport évolue au profit ou au détriment de l’un ou de l’autre, mais ils sont toujours en interaction. En 2013, la production agricole syrienne a drastiquement chuté : elle représente entre 20 et 40 % de son niveau d’avant-guerre. Elle alimente en priorité les besoins de consommation domestique syrienne. Ce qui explique que peu de produits syriens atterrissent au final sur les marchés libanais.
La guerre syrienne peut-elle représenter une “opportunité” pour l’agriculture libanaise ?
Si l’on s’en tient strictement à l’agriculture, les effets sont plutôt positifs. Il y a sur le sol libanais environ un million de réfugiés syriens qui ont besoin de se nourrir. Ce qui augmente ipso facto la demande intérieure en produits agricoles. Bien évidemment, leur contribution ne compense en rien l’absence des milliers de touristes des pays pétroliers, au pouvoir d’achat bien plus important. Pour ce qui est des exportations libanaises, certaines filières ont une carte à jouer pour compenser la disparition de leurs concurrents syriens. C’est le cas en particulier des fruits, notamment les agrumes. Mais la fermeture des routes de transit vers le Golfe, à travers la Syrie, est un véritable handicap : en majorité, les producteurs libanais font désormais transiter leurs marchandises par voies maritimes, ce qui représente un surcoût, qui annihile l’avantage que les exportateurs libanais auraient pu ici prendre sur leurs concurrentes syriennes. En revanche, la fermeture de la route de transit vers la Jordanie a un avantage inattendu : les légumes jordaniens qui inondaient les étals libanais ne parviennent plus jusqu’ici au bénéfice de notre agriculture.
L’agriculture libanaise agonise depuis le début des années 1970. La guerre de 1975 n’a fait qu’accélérer le processus : les structures créées sous le mandat de Fouad Chéhab pour encadrer et développer le secteur, comme l’Office fruitier, le Plan vert, l’Office de la soie ou celui des ressources animales, ont toutes été démantelées. Et rien n’a été ensuite fait, au moment de la reconstruction, pour les remettre sur pied. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 1970 et 1996, la PIBA a diminué de 10 % en valeur. Dans le même temps, la PIBA a progressé de 544 %, aux États-Unis de 384 % et de 686 % au Japon en valeur toujours. En 2012, la valeur de la production agricole libanaise, en valeur constante, est inférieure à son niveau du début des années 1960 !
Le constat est terrible : est-il encore possible d’inverser le processus ?
Il faudrait pour cela une volonté politique. Elle faisait défaut jusqu’à très récemment. L’actuel ministre de l’Agriculture, Hussein Hajj Hassan, a la volonté de changer les choses. Mais cela ne suffit pas. Il faudra du temps pour que ses équipes, qui sont en train de se mettre en place, atteignent un niveau d’efficacité valable et que les agriculteurs emboîtent le pas au développement. Sur le terrain, pour l’heure, nous ne constatons pas de grandes différences, qu’il s’agisse des pratiques culturales ou de la qualité des produits. Les débouchés n’ont guère changé non plus.
Un exemple : la filière de l’huile d’olive. Ce secteur a un vrai potentiel et implique de nombreux agriculteurs. Du coup, il a fait l’objet d’une multitude d’études à partir des années 1980, mais sans résultats concrets. On a pourtant tenté de modifier les techniques de cultures ou de récoltes, acheté des pressoirs modernes et regroupé les agriculteurs en coopératives… Mais le résultat demeure très discutable au niveau national.
Comment expliquez-vous cette absence de résultats ?
Jusqu’ici seule l’initiative privée fonctionne valablement au Liban. Or, l’initiative privée ne sert que les intérêts individuels, alors qu’une stratégie de développement national est indispensable pour sortir l’agriculture du bourbier. Il faudrait un éveil collectif. Seule une intervention éclairée de l’État volontariste pourrait réussir. Citons malgré tout deux filières qui commencent à intégrer cette dimension collective : le secteur laitier et celui du vin. Le premier, malgré l’état sanitaire désastreux du cheptel, est en train de réussir grâce aux efforts des industriels, qui se sont au fur et à mesure dotés de fermes modernes et ont encouragé pour certains les petits éleveurs à adopter des techniques d’élevage plus performantes. Ceci se reflète tant au niveau de la qualité du lait qu’à celui de la rentabilité. Quant à la filière du vin, elle affiche une santé éclatante depuis quelques années avec un niveau record de 8 millions de bouteilles et une quarantaine d’acteurs désormais. C’est la preuve que l’on peut inverser le processus de déclin de l’agriculture libanaise.
L’absence de financements pour l’agriculture est-elle en cause ?
L’absence de financements de l’agriculture est l’un des facteurs qui fait obstacle à son développement, mais ce n’est pas le seul. Le Crédit agricole a été l’une des premières institutions mises sur pied en 1926 par la République libanaise. Cette institution publique a cessé son activité en 1975 et la Banque nationale du développement agricole, fondée en 1977 puis relancée en 1995 n’existe toujours que sur le papier. Des programmes comme Kafalat ou les crédits à taux bonifiés octroyés par la Banque centrale à travers les banques commerciales ont certes permis la réalisation de certains projets agricoles, mais leur impact reste limité au niveau national.
Quant aux centaines de millions de dollars ou d’euros que l’aide internationale a alloués au secteur agricole, il est presque impossible de citer un seul projet pérenne qui en a bénéficié ! On est en droit de se poser la question de l’efficacité des dons ou des prêts alloués à l’agriculture libanaise.
Y a-t-il d’autres obstacles au développement de l’agriculture libanaise ?
Le secret du développement agricole repose sur trois piliers : la recherche, l’enseignement et la vulgarisation. Ces domaines sont de la responsabilité de l’État. Avant 1970, la recherche agricole libanaise avait atteint des niveaux enviables. L’enseignement supérieur avait formé d’excellents cadres. Aujourd’hui, recherche et enseignement souffrent d’une médiocrité annihilante. Ce constat a une conséquence pratique : dans les champs, les techniques employées sont obsolètes ou mauvaises ; elles génèrent une rentabilité réduite, voire négative pour l’agriculteur. Autre facteur négatif, la valeur foncière des terres : celle-ci est tellement élevée que les agriculteurs peuvent trouver plus intérêt à vendre leur bien et placer leur argent en banque plutôt que de continuer à produire ! On assiste d’ailleurs à un glissement linguistique dans la langue arabe, révélateur de cette évolution : le concept patrimonial et sacré de “rizk” ou “source de biens” a été progressivement remplacé par celui de “melk”, qui signifie un “bien foncier” pouvant être vendu. Bien que le Liban ait déjà perdu de vastes terres agricoles alluvionnaires et riches sur la côte et dans la Békaa, il est encore possible d’arrêter “l’agression urbaine” des terres agricoles en définissant des zones agricoles non edificandi (non constructibles) et en établissant simultanément des programmes de soutien aux agriculteurs qui leur garantiraient des revenus appréciables et une vie honorable.
Si on ne devait s’attaquer qu’à un seul problème pour aider l’agriculture libanaise, quel serait-il ?
Le problème essentiel de l’agriculture demeure la commercialisation des produits. Au niveau national, les canaux d’écoulement, notamment les marchés de gros, favorisent les fraudes au détriment de l’agriculteur et du consommateur. La vente à la consignation, méthode pratiquée au sein des halles, ainsi que l’absence de règles ou de contrôles dans ces circuits de gros entraînent un manque à gagner de 20 à 40 % pour l’agriculteur. Sans compter le ratio élevé d’invendus, lié en particulier à l’absence de normes qualitatives et de conditionnement. Ensemble, pratiques frauduleuses et gaspillage se reflètent dans le prix de vente aux consommateurs, alors que les grossistes, eux, se sucrent. Si l’agriculture bénéficiait de canaux d’écoulement réglementés, on pourrait facilement doubler la production agricole libanaise dans les cinq à dix prochaines années.
L’agriculture libanaise peut-elle mieux s’exporter ?
Le Liban a très tôt exporté sa production agricole. C’est d’abord vers la France mandataire que se sont écoulés ses fruits au titre des “préférences coloniales”. Les exportations ont continué à croître en volume jusque dans les années 1970, en partie vers l’Europe, mais principalement vers les marchés du Golfe, grâce à l’Office fruitier qui assurait un rôle majeur de contrôle de la qualité des exportations et d’appui aux exportateurs. Les chiffres du Creal montrent que les exportations à la fin des années 1960 représentaient en volume près du double d’aujourd’hui. À partir des années 1970, l’Office fruitier a été noyauté par des intérêts privés : certains ont monté des sociétés mixtes (comme la Société mixte du froid, celles du transport ferroviaire et maritime) qui ont dévié les missions de l’office et ont limité son efficacité. Avec la guerre de 1975, les filières d’exportation des fruits ont été quasiment détruites. L’incompétence du ministère de l’Agriculture après-guerre a poussé le gouvernement à confier le soutien à l’exportation des produits agricoles à l’Idal, via son programme Export Plus. Ces subsides sont allouées sous forme de subventions indirectes aux exportateurs. Nous sommes loin d’une stratégie de filière abordant l’exportation de manière intégrée et durable : pareille stratégie devrait démarrer en amont par le choix des variétés à planter selon les besoins des marchés importateurs. Idéalement, elle devrait aussi suivre les pratiques agricoles pour garantir la qualité supérieure et les rendements. Et, enfin, définir et contrôler les canaux d’écoulement.
Peut-on identifier des secteurs d’avenir sur lesquels il serait intéressant de miser ?
D’une manière générale dans le monde, et au Liban en particulier, le producteur de matières premières est toujours le “dindon de la farce”, car sa production n’est jamais payée au juste prix. Pour le producteur, le seul moyen de s’en sortir est donc de devenir partenaire d’une chaîne qui aboutit au consommateur. C’est pourquoi l’avenir est aux filières où la maîtrise de l’ensemble du processus est possible, depuis le produit brut en passant par sa transformation jusqu’à sa distribution. Quelques filières s’inscrivent dans cette logique : le raisin avec le vin ; l’olive avec l’huile ; l’élevage laitier et la production de fromages, de yaourts… Les cultures légumières et fruitières présentent également un potentiel intéressant.
Quelles sont les conséquences pour l’agriculture libanaise de la guerre en Syrie ?
Le Liban et la Syrie sont en symbiose quasi complète du point de vue de leur agriculture. La Syrie a toujours écoulé une partie de sa production au Liban et vice versa. Selon leurs moments de faiblesse respectifs, ce rapport évolue au profit ou au détriment de l’un ou de l’autre, mais ils sont toujours en interaction. En 2013, la production agricole syrienne a drastiquement chuté : elle représente entre 20 et 40 % de son niveau d’avant-guerre. Elle alimente en priorité les besoins de consommation domestique syrienne. Ce qui explique que peu de produits syriens atterrissent au final sur les marchés libanais.
La guerre syrienne peut-elle représenter une “opportunité” pour l’agriculture libanaise ?
Si l’on s’en tient strictement à l’agriculture, les effets sont plutôt positifs. Il y a sur le sol libanais environ un million de réfugiés syriens qui ont besoin de se nourrir. Ce qui augmente ipso facto la demande intérieure en produits agricoles. Bien évidemment, leur contribution ne compense en rien l’absence des milliers de touristes des pays pétroliers, au pouvoir d’achat bien plus important. Pour ce qui est des exportations libanaises, certaines filières ont une carte à jouer pour compenser la disparition de leurs concurrents syriens. C’est le cas en particulier des fruits, notamment les agrumes. Mais la fermeture des routes de transit vers le Golfe, à travers la Syrie, est un véritable handicap : en majorité, les producteurs libanais font désormais transiter leurs marchandises par voies maritimes, ce qui représente un surcoût, qui annihile l’avantage que les exportateurs libanais auraient pu ici prendre sur leurs concurrentes syriennes. En revanche, la fermeture de la route de transit vers la Jordanie a un avantage inattendu : les légumes jordaniens qui inondaient les étals libanais ne parviennent plus jusqu’ici au bénéfice de notre agriculture.
Qu’est-ce que le Creal ? C’est en 1981 que Riad Saadé décide de créer le Centre de recherche et d’études agricoles libanais (Creal). Son but ? Fournir notamment un outil d’études statistiques sur le monde rural. Le Creal compte 22 chercheurs qui étudient l’ensemble des productions agricoles libanaises végétales et animales. Ce recensement de terrain s’effectue de manière scrupuleuse, en prenant en compte les caractéristiques des différentes régions du Liban. En tout, le Creal a ainsi délimité 93 zones géographiques, lesquelles présentent une homogénéité agronomique, économique et sociale. Depuis son lancement, le Creal joue le rôle d’une véritable banque de donnée : en 2012, le Creal a étudié 294 campagnes de 163 cultures végétales et six productions animales. Les rapports de ce centre d’études ont été repris par de grandes organisations internationales comme la FAO, l’Organisation des Nations Unis pour l’agriculture. Ou des administrations locales à l’image du ministère de l’Agriculture libanais qui s’est appuyé de manière exclusive entre 1981 et 1996 sur les études du Creal pour la publication des statistiques agricoles. À ce jour, le Creal demeure toujours la source exclusive de l’Administration centrale de la statistique pour le calcul du PIB national. |