Alors que le conflit syrien a marqué son 1 000e jour en décembre, l’économie syrienne a subi des pertes énormes. La destruction de nombreux secteurs d’activité entraînent une profonde crise sociale et humanitaire. Le retour à une certaine normalité attendra la fin, qui s’annonce lointaine, du conflit.
Le 11 décembre a marqué le 1 000e jour du début de la révolution syrienne. Au-delà de la catastrophe humaine que représente le conflit, celui-ci a aussi entraîné des pertes économiques énormes et une transformation de l’activité syrienne.
D’après un rapport publié en octobre 2013 du Centre syrien pour l’étude des politiques, un centre de recherches basé à Damas, les pertes de l’économie syrienne se montaient en juin 2013, le dernier mois pour lequel des estimations relativement complètes sont disponibles, à 103 milliards de dollars, soit 174 % du PIB de 2010. La moitié de ces pertes correspond à de la destruction de capital et l’autre moitié résulte de la perte de valeur de la production économique. Fin juin 2013, le PIB avait chuté de près de 50 % par rapport à son niveau de la fin 2010.
Cette dégringolade qui a touché tous les secteurs a entraîné une modification de la structure de l’économie avec une croissance de l’agriculture aux dépens de tous les autres secteurs d’activité, y compris le pétrole, qui est totalement à l’arrêt, ou l’industrie dont l’infrastructure est largement détruite, sans parler évidemment du tourisme, du transport ou de la construction. L’agriculture représente ainsi aujourd’hui près de 54 % du PIB syrien, alors que sa part était de moins de 20 % en 2010.
Autres conséquences de l’implosion de l’économie syrienne : la montée du chômage et du pourcentage de Syriens vivant en dessous du seuil de la pauvreté qui ont tous les deux dépassé les 50 %.
Les comptes publics ne sont pas dans un meilleur état. Le déficit budgétaire est maintenant estimé à 33 % du PIB alors qu’il était inférieur à 3 % à la fin 2010, forçant le gouvernement à s’endetter et à porter sa dette totale à plus de 70 % du PIB alors qu’elle était de moins de 30 % avant le début du soulèvement.
Le niveau réel des réserves de change reste un mystère alors qu’il est considéré comme un indicateur majeur de la capacité des autorités à se financer. Ce niveau est difficile à évaluer mais beaucoup d’analystes l’estiment à moins de cinq milliards de dollars et peut-être en dessous de deux milliards.
• Les quatre étapes de la détérioration
Cette détérioration de la situation économique s’est faite en quatre étapes principales.
La première, qui a suivi le déclenchement du soulèvement, s’est traduite par une baisse de confiance dans l’économie qui a entraîné une chute à la fois de la consommation et de l’investissement ainsi qu’une fuite des touristes. Cette phase, qui a duré jusqu’à l’automne 2011, est également marquée par des décisions économiques gouvernementales qui ont pris le contre-pied de celles des années précédentes : hausse des salaires des fonctionnaires et des subventions, nouvelles aides financières aux agriculteurs et aux étudiants, retour sur la politique de libéralisation du commerce extérieur, etc.
Une seconde étape commence à l’automne 2011 avec les sanctions occidentales sur le pétrole syrien. Leur conséquence directe est une chute brutale des recettes budgétaires et des revenus tirés de l’exportation. Les sanctions touchent également le secteur bancaire, ce qui complique les transactions commerciales internationales. Au cours de cette phase, qui dure jusqu’à l’été 2012, on assiste à une détérioration graduelle de la sécurité dans le pays qui affecte principalement les secteurs du commerce et du transport, ainsi que les prémices d’une économie de guerre.
Une troisième étape débute à l’été 2012 avec l’extension du conflit aux deux poumons économiques du pays, Damas et Alep. La base industrielle de ces deux villes, en particulier de celle de la métropole du nord syrien, est affectée de manière significative et contribue à mettre fin à quasiment toutes les exportations de produits manufacturés. Des centaines d’usines à Alep sont détruites et pillées. Pendant cette phase, qui se prolonge jusqu’au printemps 2013, la communauté des affaires et la classe moyenne quittent le pays.
La quatrième étape commence au printemps 2013 avec la prise du nord-est syrien par l’opposition. Ce développement a pour conséquence une coupure entre l’ouest du pays, largement sous le contrôle du gouvernement, et ses régions pétrolières et céréalières. La perte du Nord-Est force le gouvernement à recourir aux importations de produits pétroliers pour subvenir à ses besoins, ce qui amplifie sa dépendance vis-à-vis de l’allié iranien qui le finance sous forme de facilités de crédit. Officiellement, l’Iran fournit ainsi au moins 3,6 milliards de dollars de facilité de paiement uniquement consacrés au financement des importations de produits pétroliers ainsi qu’au moins un milliard de dollars pour financer des importations diverses. Un accord pour un prêt bonifié additionnel de 3 milliards supplémentaires a été mentionné en mai par les autorités monétaires syriennes même s’il n’a pas été confirmé. Pendant cette phase, encore en cours, on assiste à la croissance exponentielle du nombre de réfugiés dans les pays limitrophes et à la consécration à la fois de la fragmentation du pays et du développement de l’économie de guerre.
• La consécration de l’économie de guerre
Au-delà des pertes matérielles, la Syrie subit une fragmentation politique et économique, et le développement d’une économie de guerre.
Les pillages et les trafics en tout genre représentent de nouvelles formes d’activité économique. L’économie de guerre crée sa propre dynamique, ses propres institutions, ses réseaux commerciaux, ses nouveaux hommes d’affaires. Les chefs de guerre aux quatre coins du pays disposent d’une puissance et d’une richesse nouvellement acquises. Le retrait de l’État, y compris dans les régions formellement sous son contrôle, a donné une autonomie à ces groupes et individualités dont la puissance s’est construite aux dépens de cet État affaibli.
Par ailleurs, les sanctions internationales, imposées dès 2011 par l’Europe et les États-Unis contre de nombreuses entités étatiques et contre d’éminents investisseurs, ont forcé les autorités à chercher de nouveaux intermédiaires pour leurs transactions internationales, donnant à de nouvelles individualités l’occasion de s’enrichir. D’autres hommes d’affaires bénéficient de la demande pour de nouveaux produits et services qui étaient peu demandés avant le début du conflit tels les générateurs électriques, la protection des vitres ou la fourniture de services de sécurité privés.
La guerre a donc permis l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs qui voudront jouer un rôle et bénéficier de la reconstruction.
• La fragmentation économique
La fragmentation politique a également entraîné de nouvelles dynamiques locales et il est probablement réaliste de parler aujourd’hui d’économies syriennes, au pluriel. Le Nord-Est, largement aux mains de l’opposition et des Kurdes, s’est en partie autonomisé. La région côtière et celle de Suweida, au Sud-Est, n’ont subi que d’une façon très limitée l’impact direct de la guerre et continuent de fonctionner de manière plus ou moins normalisée.
• L’impact politique de la crise économique
Alors que de nombreux analystes ont espéré que les sanctions internationales dans un premier temps puis la détérioration de l’économie et des comptes publics dans un second temps réduisent les marges de manœuvre politiques des autorités, il est clair que le régime syrien continue d’avoir les moyens de payer ses fonctionnaires et de fournir sa population en produits de base : produits alimentaires, gazole, essence, médicaments, etc.
Cette apparente stabilité est cependant en partie trompeuse. Les prêts fournis par le gouvernement iranien en 2013 témoignent des difficultés financières croissantes des autorités syriennes et, de manière plus significative, de leur dépendance croissante vis-à-vis de Téhéran. Le 13 décembre, l’agence Reuters rapportait qu’un appel d’offres du gouvernement syrien pour l’achat de sucre, de riz et de farine précisait que le paiement se ferait par l’entremise de banques iraniennes.
Par ailleurs, la capacité du gouvernement à payer ses salaires est aussi le résultat de la baisse de la population dont il est en charge, de la chute de sa monnaie (qui a augmenté la valeur en livres syriennes de ses réserves de change) et de la suspension de toutes les dépenses d’investissements ainsi que de beaucoup de dépenses de fonctionnement.
• Des perspectives inquiétantes
Rien de bon ne se dessine pour l’économie syrienne dans les mois qui viennent. Le fait que les perspectives de résolution politique apparaissent très lointaines empêche d’envisager un quelconque redémarrage de l’activité alors que la destruction de l’économie syrienne, couplée à la violence du conflit, entraîne aujourd’hui une profonde crise sociale et humanitaire.
La dépendance économique du régime syrien vis-à-vis de ses alliés, qui ne pourra que croître dans les mois qui viennent étant donné les très faibles ressources dont il dispose, peut représenter une source de pression qui pourrait l’obliger à lâcher un peu de lest. Il est très peu probable que cela soit suffisant pour altérer la trajectoire du conflit et donc présager un retour à une relative normalisation de l’activité économique.
D’après un rapport publié en octobre 2013 du Centre syrien pour l’étude des politiques, un centre de recherches basé à Damas, les pertes de l’économie syrienne se montaient en juin 2013, le dernier mois pour lequel des estimations relativement complètes sont disponibles, à 103 milliards de dollars, soit 174 % du PIB de 2010. La moitié de ces pertes correspond à de la destruction de capital et l’autre moitié résulte de la perte de valeur de la production économique. Fin juin 2013, le PIB avait chuté de près de 50 % par rapport à son niveau de la fin 2010.
Cette dégringolade qui a touché tous les secteurs a entraîné une modification de la structure de l’économie avec une croissance de l’agriculture aux dépens de tous les autres secteurs d’activité, y compris le pétrole, qui est totalement à l’arrêt, ou l’industrie dont l’infrastructure est largement détruite, sans parler évidemment du tourisme, du transport ou de la construction. L’agriculture représente ainsi aujourd’hui près de 54 % du PIB syrien, alors que sa part était de moins de 20 % en 2010.
Autres conséquences de l’implosion de l’économie syrienne : la montée du chômage et du pourcentage de Syriens vivant en dessous du seuil de la pauvreté qui ont tous les deux dépassé les 50 %.
Les comptes publics ne sont pas dans un meilleur état. Le déficit budgétaire est maintenant estimé à 33 % du PIB alors qu’il était inférieur à 3 % à la fin 2010, forçant le gouvernement à s’endetter et à porter sa dette totale à plus de 70 % du PIB alors qu’elle était de moins de 30 % avant le début du soulèvement.
Le niveau réel des réserves de change reste un mystère alors qu’il est considéré comme un indicateur majeur de la capacité des autorités à se financer. Ce niveau est difficile à évaluer mais beaucoup d’analystes l’estiment à moins de cinq milliards de dollars et peut-être en dessous de deux milliards.
• Les quatre étapes de la détérioration
Cette détérioration de la situation économique s’est faite en quatre étapes principales.
La première, qui a suivi le déclenchement du soulèvement, s’est traduite par une baisse de confiance dans l’économie qui a entraîné une chute à la fois de la consommation et de l’investissement ainsi qu’une fuite des touristes. Cette phase, qui a duré jusqu’à l’automne 2011, est également marquée par des décisions économiques gouvernementales qui ont pris le contre-pied de celles des années précédentes : hausse des salaires des fonctionnaires et des subventions, nouvelles aides financières aux agriculteurs et aux étudiants, retour sur la politique de libéralisation du commerce extérieur, etc.
Une seconde étape commence à l’automne 2011 avec les sanctions occidentales sur le pétrole syrien. Leur conséquence directe est une chute brutale des recettes budgétaires et des revenus tirés de l’exportation. Les sanctions touchent également le secteur bancaire, ce qui complique les transactions commerciales internationales. Au cours de cette phase, qui dure jusqu’à l’été 2012, on assiste à une détérioration graduelle de la sécurité dans le pays qui affecte principalement les secteurs du commerce et du transport, ainsi que les prémices d’une économie de guerre.
Une troisième étape débute à l’été 2012 avec l’extension du conflit aux deux poumons économiques du pays, Damas et Alep. La base industrielle de ces deux villes, en particulier de celle de la métropole du nord syrien, est affectée de manière significative et contribue à mettre fin à quasiment toutes les exportations de produits manufacturés. Des centaines d’usines à Alep sont détruites et pillées. Pendant cette phase, qui se prolonge jusqu’au printemps 2013, la communauté des affaires et la classe moyenne quittent le pays.
La quatrième étape commence au printemps 2013 avec la prise du nord-est syrien par l’opposition. Ce développement a pour conséquence une coupure entre l’ouest du pays, largement sous le contrôle du gouvernement, et ses régions pétrolières et céréalières. La perte du Nord-Est force le gouvernement à recourir aux importations de produits pétroliers pour subvenir à ses besoins, ce qui amplifie sa dépendance vis-à-vis de l’allié iranien qui le finance sous forme de facilités de crédit. Officiellement, l’Iran fournit ainsi au moins 3,6 milliards de dollars de facilité de paiement uniquement consacrés au financement des importations de produits pétroliers ainsi qu’au moins un milliard de dollars pour financer des importations diverses. Un accord pour un prêt bonifié additionnel de 3 milliards supplémentaires a été mentionné en mai par les autorités monétaires syriennes même s’il n’a pas été confirmé. Pendant cette phase, encore en cours, on assiste à la croissance exponentielle du nombre de réfugiés dans les pays limitrophes et à la consécration à la fois de la fragmentation du pays et du développement de l’économie de guerre.
• La consécration de l’économie de guerre
Au-delà des pertes matérielles, la Syrie subit une fragmentation politique et économique, et le développement d’une économie de guerre.
Les pillages et les trafics en tout genre représentent de nouvelles formes d’activité économique. L’économie de guerre crée sa propre dynamique, ses propres institutions, ses réseaux commerciaux, ses nouveaux hommes d’affaires. Les chefs de guerre aux quatre coins du pays disposent d’une puissance et d’une richesse nouvellement acquises. Le retrait de l’État, y compris dans les régions formellement sous son contrôle, a donné une autonomie à ces groupes et individualités dont la puissance s’est construite aux dépens de cet État affaibli.
Par ailleurs, les sanctions internationales, imposées dès 2011 par l’Europe et les États-Unis contre de nombreuses entités étatiques et contre d’éminents investisseurs, ont forcé les autorités à chercher de nouveaux intermédiaires pour leurs transactions internationales, donnant à de nouvelles individualités l’occasion de s’enrichir. D’autres hommes d’affaires bénéficient de la demande pour de nouveaux produits et services qui étaient peu demandés avant le début du conflit tels les générateurs électriques, la protection des vitres ou la fourniture de services de sécurité privés.
La guerre a donc permis l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs qui voudront jouer un rôle et bénéficier de la reconstruction.
• La fragmentation économique
La fragmentation politique a également entraîné de nouvelles dynamiques locales et il est probablement réaliste de parler aujourd’hui d’économies syriennes, au pluriel. Le Nord-Est, largement aux mains de l’opposition et des Kurdes, s’est en partie autonomisé. La région côtière et celle de Suweida, au Sud-Est, n’ont subi que d’une façon très limitée l’impact direct de la guerre et continuent de fonctionner de manière plus ou moins normalisée.
• L’impact politique de la crise économique
Alors que de nombreux analystes ont espéré que les sanctions internationales dans un premier temps puis la détérioration de l’économie et des comptes publics dans un second temps réduisent les marges de manœuvre politiques des autorités, il est clair que le régime syrien continue d’avoir les moyens de payer ses fonctionnaires et de fournir sa population en produits de base : produits alimentaires, gazole, essence, médicaments, etc.
Cette apparente stabilité est cependant en partie trompeuse. Les prêts fournis par le gouvernement iranien en 2013 témoignent des difficultés financières croissantes des autorités syriennes et, de manière plus significative, de leur dépendance croissante vis-à-vis de Téhéran. Le 13 décembre, l’agence Reuters rapportait qu’un appel d’offres du gouvernement syrien pour l’achat de sucre, de riz et de farine précisait que le paiement se ferait par l’entremise de banques iraniennes.
Par ailleurs, la capacité du gouvernement à payer ses salaires est aussi le résultat de la baisse de la population dont il est en charge, de la chute de sa monnaie (qui a augmenté la valeur en livres syriennes de ses réserves de change) et de la suspension de toutes les dépenses d’investissements ainsi que de beaucoup de dépenses de fonctionnement.
• Des perspectives inquiétantes
Rien de bon ne se dessine pour l’économie syrienne dans les mois qui viennent. Le fait que les perspectives de résolution politique apparaissent très lointaines empêche d’envisager un quelconque redémarrage de l’activité alors que la destruction de l’économie syrienne, couplée à la violence du conflit, entraîne aujourd’hui une profonde crise sociale et humanitaire.
La dépendance économique du régime syrien vis-à-vis de ses alliés, qui ne pourra que croître dans les mois qui viennent étant donné les très faibles ressources dont il dispose, peut représenter une source de pression qui pourrait l’obliger à lâcher un peu de lest. Il est très peu probable que cela soit suffisant pour altérer la trajectoire du conflit et donc présager un retour à une relative normalisation de l’activité économique.