Après une attente de près de dix ans, l’Administration centrale de la statistique a publié en octobre les premiers travaux réalisés dans le cadre de la nouvelle mouture de la comptabilité nationale. Portant sur le PIB de l’année 2011, ils diffèrent sensiblement des éditions antérieures réalisées depuis 2002 par une commission provisoire dépendant du Sérail. Le Commerce du Levant retrace l’histoire de cette comptabilité nationale dont les péripéties soulèvent la question de l’intérêt des autorités pour cet outil essentiel à la politique économique.
L’information est presque passée inaperçue. Et pourtant, la publication, en octobre, de l’estimation du PIB de l’année 2011 par l’Administration centrale de la statistique (ACS) constitue à maints égards un événement : c’est la première fois que cette institution dont c’est pourtant la mission première publie les comptes nationaux.
Mètre étalon de l’activité économique, le PIB est estimé ex-post à travers l’agrégation de différentes variables économiques mesurant la réalité de la production, de la demande et du revenu réalisés par l’ensemble des agents économiques résidents sur le territoire pour l’année étudiée. Cette entreprise nécessite donc de pouvoir disposer de l’ensemble de ces indicateurs ou, à défaut, de trouver une méthode à même de pallier la carence de certains d’entre eux. C’est là tout le problème pour un pays qui a connu toutes les peines du monde à se doter d’un outil fiable et performant pour rassembler ces données.
Accouchement difficile
La conception même de ce nouvel outil a été un véritable serpent de mer. Tout commence au début des années 2000 : sous la pression des partenaires internationaux accordant leur aide à la reconstruction du pays dans le cadre des conférences de Paris, le gouvernement de Rafic Hariri décide de doter rapidement le pays de comptes économiques annuels. Si à cette date l’Administration centrale de la statistique avait déjà repris ses activités interrompues par la guerre civile, les derniers éléments publiés de la comptabilité nationale remontaient à l’année 1973. L’année de base de ces travaux, c’est-à-dire l’année où sont effectuées les pondérations servant de référence aux résultats des séries suivantes, n’avait, elle, pas été modifiée depuis 1964. C’est en effet à cette date qu’avaient été réalisées les premières grandes enquêtes sur la production industrielle et les conditions de vie des ménages. Deux essais d’estimations avaient bien été réalisés en 1977, puis pour les années 1994 et 1995, mais ils reposaient eux aussi sur les méthodes et nomenclatures de 1964 et soulignaient l’état lacunaire des données statistiques disponibles.
Dans le cadre des préparatifs de la conférence de Paris, et pour répondre à l’urgence de sortir rapidement les comptes, Rafic Hariri sollicite l’aide de son ami Jacques Chirac, qui charge alors l’Institut national des statistiques et études économiques (Insee) français de coordonner cette réalisation. En 2002, le représentant mandaté au Liban par l’Insee recommande alors dans son rapport de procéder à la confection d’une série d’estimations des comptes nationaux des cinq années précédentes et d’en confier la direction à Robert Kasparian, l’ancien président de l’ACS qui avait réalisé les essais des années 1994-95 sur lesquels il s’agirait de s’appuyer en les adaptant autant que possible aux normes internationales.
Deux logiques s’affrontent alors, la nécessité d’aller vite pour des raisons politiques se heurtant à la problématique technique de la refonte intégrale de la comptabilité nationale à partir des indispensables enquêtes nationales et des nomenclatures établies par le système onusien, connu sous l’appellation SCN 93, afin notamment de faciliter les comparaisons internationales.
Maral Tutélian, la directrice de l’ACS, qui est l’autorité légalement investie de la réalisation de la comptabilité nationale, fait alors valoir la nécessité d’accorder davantage de temps à son administration. À ce désaccord technique, s’ajoutent des relations personnelles tendues entre la nouvelle directrice et son prédécesseur qui rendent difficile toute perspective de collaboration.
Ce nœud gordien est finalement tranché par la décision de confier la réalisation des comptes pour les années 1997 à 2002 à une commission provisoire spéciale dirigée par Robert Kasparian et rattachée au ministère de l’Économie avec l’aide financière du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Cette commission est censée ensuite passer le relai à l’ACS, chargée entre-temps d’établir, avec le soutien de l’Union européenne, une nouvelle base pour les comptes nationaux à partir de 2002.
Nouveaux retards
Mais tout ne se passe pas comme prévu : l’expert européen envoyé dans le cadre du projet ARLA pour piloter la refonte des travaux abandonne précipitamment sa mission en raison de désaccords profonds avec les autorités sur leur manière de gérer le projet et l’ACS peine à réaliser la nouvelle base statistique. Tandis que la commission spéciale de Kasparian, entre-temps rattachée à la présidence du Conseil, continue de publier ses comptes basés sur l’ancien système réaménagé ; un nouveau partenariat technique est finalement conclu en 2010 par l’Administration de la statistique avec son pendant nord-irlandais pour procéder à l’élaboration des comptes de 2011. Les travaux sont menés sous la houlette d’un expert britannique détaché à plein-temps et d’une statisticienne de l’ACS, Najwa Yaacoub. L’année de base de ces nouveaux travaux est désormais 2004, date d’une nouvelle enquête sur les conditions de vie des ménages.
Pénurie de ressources humaines
Ce parcours cahoteux sur près d’une décennie résulte en grande partie de l’indigence des conditions de travail à laquelle est confrontée l’administration. En termes de ressources humaines, d’abord : sur les 256 postes prévus à son organigramme, l’ACS ne compte aujourd’hui que 84 employés, administratifs pour la moitié d’entre eux. Un mal endémique qui frappe particulièrement les postes de statisticiens, pourtant le rouage le plus essentiel de cette administration, tant par leur qualification que par leur habilitation exclusive à superviser l’exploitation technique des données. « Pour mener à bien l’ensemble de nos missions, il nous faudrait trente statisticiens, ils sont actuellement trois », regrette Maral Tutélian.
Derrière cette pénurie, une conjonction de facteurs. Historiques d’abord : lorsque l’ACS reprend ses activités, en 1994, elle ne dispose que de trois statisticiens restés en poste. Or en recruter n’est pas chose aisée : en l’absence de formation locale disponible, le concours de recrutement est ouvert aux détenteurs d’une licence en économie ou en mathématiques ; à charge pour l’État de financer ensuite les deux ou trois années de spécialisation en statistiques requises pour leur titularisation dans un centre de formation étranger. Cela suppose d’une part que l’État se donne les moyens d’assumer ces coûts et de l’autre qu’il y ait suffisamment de candidats à ces postes. Ces prérequis n’ayant jamais été véritablement réunis, seuls quatre statisticiens ont pu être recrutés par ce biais. Pis, alors que le jumelage avec l’Union européenne prévoyait, outre un financement de plusieurs centaines de milliers de dollars et la délégation d’un expert, la formation de cinq économistes libanais à la statistique, le quitus gouvernemental n’a jamais été donné sur ce point.
Freinée dans son recrutement, l’ACS a aussi le plus grand mal à conserver ses ressources humaines : si les qualifications exigées pour exercer la fonction de statisticien correspondent à celle d’un fonctionnaire de catégorie 2, le poste est étrangement classé en troisième catégorie ; avec toutes les conséquences que cela implique en termes de rémunération et de progression de carrière. Une statisticienne confie ainsi toucher un traitement d’environ 1 000 dollars par mois après 15 ans d’ancienneté et subir, à l’instar de ses collègues, une gabegie administrative qui fait qu’après avoir passé les concours internes permettant de monter en grade, le décret de leur nomination n’est toujours pas signé dix ans plus tard. En définitive, le plus étonnant dans pareil contexte n’est pas tant la vague de démissions qu’a connue l’administration à ce poste mais que trois statisticiens aient choisi de poursuivre leur mission de service public dans pareilles conditions…
Déficit de coordination administrative
D’autant que les ressources matérielles pour exercer correctement leur tâche s’avèrent elles aussi lacunaires. Pas tant en termes d’équipement. Le temps de la réforme chéhabiste, où la statistique constituait une priorité politique suffisamment forte pour que la Direction centrale de la statistique (DCS) d’alors possède sa propre imprimerie et les premiers outils informatiques du pays, paraît certes bien lointain (voir page 64). Mais l’aide des organismes internationaux a permis de pourvoir aux principaux besoins en la matière.
C’est davantage en termes d’accès aux données nécessaires que le bât blesse. Considérablement limitée par ses moyens humains et financiers, l’ACS dépend en très grande partie de l’octroi d’aides étrangères pour réaliser des enquêtes par sondages coûteuses et doit donc se limiter au strict nécessaire. Et même lorsqu’il s’agit de réactualiser des enquêtes existantes, il faut parfois revoir ses objectifs initiaux à la baisse. « En 2011, la Banque mondiale nous a accordé un don pour mener une nouvelle enquête sur les ménages, mais le montant accordé nous a obligés à limiter l’enquête sur leur budget plutôt que d’évaluer l’ensemble des aspects relatifs à leurs conditions de vie comme en 2004. Nous avons aussi été contraints de réduire l’échantillon à 2 500 ménages, soit trois fois moins qu’en 2004 sur ce point », explique Maral Tutélian.
Elle doit aussi appuyer ses travaux sur les données fournies par les autres administrations. Mais celles-ci restent légalement compétentes pour la production des statistiques relevant de leur domaine, l’ACS n’ayant qu’un droit de contrôle technique sur ces dernières. Chaque ministère a donc pris l’habitude de produire des statistiques selon ses propres besoins et à son rythme, en fonction des fonds qu’il parvient à se faire octroyer. Résultat : « Il y a des redondances d’un côté et des lacunes de l’autre, on doit négocier pour obtenir chaque indicateur, et notre rythme de publication reste conditionné par celui de l’administration qui le délivre. Nous recevons encore, en octobre 2013, des données relatives à l’année 2012...», regrette Maral Tutélian.
Le serpent de mer de l’autonomie
Un changement statutaire de l’ACS pourrait en partie répondre à ces enjeux en donnant davantage de latitude à sa direction. Une première occasion s’est présentée lors de sa création, en 1979 : elle aurait pu devenir un établissement public. Mais après plusieurs tergiversations, le gouvernement de l’époque choisit finalement de créer un organisme administratif rattaché à la présidence du Conseil. Cette idée sera ensuite reprise en 1994, avec la création d’un établissement de statistique autonome par un décret du Conseil des ministres mais, pour diverses raisons, il sera abrogé (voir page 64) un an plus tard. En 2008, Maral Tutélian promeut une autre idée : lancer un vaste plan directeur sur l’organisation des services statistiques qui prévoit notamment la création d’un Conseil national de la statistique réunissant l’ACS et l’ensemble des services des ministères afin de coordonner les travaux. Là encore, le projet est resté lettre morte.
La production régulière de comptes nationaux fiables et complets dépasse donc largement les compétences de ses auteurs. Sans volonté politique pour leur garantir des moyens – matériels, organisationnels ou humains – à la hauteur de cette fin, la comptabilité nationale libanaise, et au-delà l’ensemble de l’appareil statistique public, ne semble pas promise à un meilleur avenir.
Mètre étalon de l’activité économique, le PIB est estimé ex-post à travers l’agrégation de différentes variables économiques mesurant la réalité de la production, de la demande et du revenu réalisés par l’ensemble des agents économiques résidents sur le territoire pour l’année étudiée. Cette entreprise nécessite donc de pouvoir disposer de l’ensemble de ces indicateurs ou, à défaut, de trouver une méthode à même de pallier la carence de certains d’entre eux. C’est là tout le problème pour un pays qui a connu toutes les peines du monde à se doter d’un outil fiable et performant pour rassembler ces données.
Accouchement difficile
La conception même de ce nouvel outil a été un véritable serpent de mer. Tout commence au début des années 2000 : sous la pression des partenaires internationaux accordant leur aide à la reconstruction du pays dans le cadre des conférences de Paris, le gouvernement de Rafic Hariri décide de doter rapidement le pays de comptes économiques annuels. Si à cette date l’Administration centrale de la statistique avait déjà repris ses activités interrompues par la guerre civile, les derniers éléments publiés de la comptabilité nationale remontaient à l’année 1973. L’année de base de ces travaux, c’est-à-dire l’année où sont effectuées les pondérations servant de référence aux résultats des séries suivantes, n’avait, elle, pas été modifiée depuis 1964. C’est en effet à cette date qu’avaient été réalisées les premières grandes enquêtes sur la production industrielle et les conditions de vie des ménages. Deux essais d’estimations avaient bien été réalisés en 1977, puis pour les années 1994 et 1995, mais ils reposaient eux aussi sur les méthodes et nomenclatures de 1964 et soulignaient l’état lacunaire des données statistiques disponibles.
Dans le cadre des préparatifs de la conférence de Paris, et pour répondre à l’urgence de sortir rapidement les comptes, Rafic Hariri sollicite l’aide de son ami Jacques Chirac, qui charge alors l’Institut national des statistiques et études économiques (Insee) français de coordonner cette réalisation. En 2002, le représentant mandaté au Liban par l’Insee recommande alors dans son rapport de procéder à la confection d’une série d’estimations des comptes nationaux des cinq années précédentes et d’en confier la direction à Robert Kasparian, l’ancien président de l’ACS qui avait réalisé les essais des années 1994-95 sur lesquels il s’agirait de s’appuyer en les adaptant autant que possible aux normes internationales.
Deux logiques s’affrontent alors, la nécessité d’aller vite pour des raisons politiques se heurtant à la problématique technique de la refonte intégrale de la comptabilité nationale à partir des indispensables enquêtes nationales et des nomenclatures établies par le système onusien, connu sous l’appellation SCN 93, afin notamment de faciliter les comparaisons internationales.
Maral Tutélian, la directrice de l’ACS, qui est l’autorité légalement investie de la réalisation de la comptabilité nationale, fait alors valoir la nécessité d’accorder davantage de temps à son administration. À ce désaccord technique, s’ajoutent des relations personnelles tendues entre la nouvelle directrice et son prédécesseur qui rendent difficile toute perspective de collaboration.
Ce nœud gordien est finalement tranché par la décision de confier la réalisation des comptes pour les années 1997 à 2002 à une commission provisoire spéciale dirigée par Robert Kasparian et rattachée au ministère de l’Économie avec l’aide financière du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Cette commission est censée ensuite passer le relai à l’ACS, chargée entre-temps d’établir, avec le soutien de l’Union européenne, une nouvelle base pour les comptes nationaux à partir de 2002.
Nouveaux retards
Mais tout ne se passe pas comme prévu : l’expert européen envoyé dans le cadre du projet ARLA pour piloter la refonte des travaux abandonne précipitamment sa mission en raison de désaccords profonds avec les autorités sur leur manière de gérer le projet et l’ACS peine à réaliser la nouvelle base statistique. Tandis que la commission spéciale de Kasparian, entre-temps rattachée à la présidence du Conseil, continue de publier ses comptes basés sur l’ancien système réaménagé ; un nouveau partenariat technique est finalement conclu en 2010 par l’Administration de la statistique avec son pendant nord-irlandais pour procéder à l’élaboration des comptes de 2011. Les travaux sont menés sous la houlette d’un expert britannique détaché à plein-temps et d’une statisticienne de l’ACS, Najwa Yaacoub. L’année de base de ces nouveaux travaux est désormais 2004, date d’une nouvelle enquête sur les conditions de vie des ménages.
Pénurie de ressources humaines
Ce parcours cahoteux sur près d’une décennie résulte en grande partie de l’indigence des conditions de travail à laquelle est confrontée l’administration. En termes de ressources humaines, d’abord : sur les 256 postes prévus à son organigramme, l’ACS ne compte aujourd’hui que 84 employés, administratifs pour la moitié d’entre eux. Un mal endémique qui frappe particulièrement les postes de statisticiens, pourtant le rouage le plus essentiel de cette administration, tant par leur qualification que par leur habilitation exclusive à superviser l’exploitation technique des données. « Pour mener à bien l’ensemble de nos missions, il nous faudrait trente statisticiens, ils sont actuellement trois », regrette Maral Tutélian.
Derrière cette pénurie, une conjonction de facteurs. Historiques d’abord : lorsque l’ACS reprend ses activités, en 1994, elle ne dispose que de trois statisticiens restés en poste. Or en recruter n’est pas chose aisée : en l’absence de formation locale disponible, le concours de recrutement est ouvert aux détenteurs d’une licence en économie ou en mathématiques ; à charge pour l’État de financer ensuite les deux ou trois années de spécialisation en statistiques requises pour leur titularisation dans un centre de formation étranger. Cela suppose d’une part que l’État se donne les moyens d’assumer ces coûts et de l’autre qu’il y ait suffisamment de candidats à ces postes. Ces prérequis n’ayant jamais été véritablement réunis, seuls quatre statisticiens ont pu être recrutés par ce biais. Pis, alors que le jumelage avec l’Union européenne prévoyait, outre un financement de plusieurs centaines de milliers de dollars et la délégation d’un expert, la formation de cinq économistes libanais à la statistique, le quitus gouvernemental n’a jamais été donné sur ce point.
Freinée dans son recrutement, l’ACS a aussi le plus grand mal à conserver ses ressources humaines : si les qualifications exigées pour exercer la fonction de statisticien correspondent à celle d’un fonctionnaire de catégorie 2, le poste est étrangement classé en troisième catégorie ; avec toutes les conséquences que cela implique en termes de rémunération et de progression de carrière. Une statisticienne confie ainsi toucher un traitement d’environ 1 000 dollars par mois après 15 ans d’ancienneté et subir, à l’instar de ses collègues, une gabegie administrative qui fait qu’après avoir passé les concours internes permettant de monter en grade, le décret de leur nomination n’est toujours pas signé dix ans plus tard. En définitive, le plus étonnant dans pareil contexte n’est pas tant la vague de démissions qu’a connue l’administration à ce poste mais que trois statisticiens aient choisi de poursuivre leur mission de service public dans pareilles conditions…
Déficit de coordination administrative
D’autant que les ressources matérielles pour exercer correctement leur tâche s’avèrent elles aussi lacunaires. Pas tant en termes d’équipement. Le temps de la réforme chéhabiste, où la statistique constituait une priorité politique suffisamment forte pour que la Direction centrale de la statistique (DCS) d’alors possède sa propre imprimerie et les premiers outils informatiques du pays, paraît certes bien lointain (voir page 64). Mais l’aide des organismes internationaux a permis de pourvoir aux principaux besoins en la matière.
C’est davantage en termes d’accès aux données nécessaires que le bât blesse. Considérablement limitée par ses moyens humains et financiers, l’ACS dépend en très grande partie de l’octroi d’aides étrangères pour réaliser des enquêtes par sondages coûteuses et doit donc se limiter au strict nécessaire. Et même lorsqu’il s’agit de réactualiser des enquêtes existantes, il faut parfois revoir ses objectifs initiaux à la baisse. « En 2011, la Banque mondiale nous a accordé un don pour mener une nouvelle enquête sur les ménages, mais le montant accordé nous a obligés à limiter l’enquête sur leur budget plutôt que d’évaluer l’ensemble des aspects relatifs à leurs conditions de vie comme en 2004. Nous avons aussi été contraints de réduire l’échantillon à 2 500 ménages, soit trois fois moins qu’en 2004 sur ce point », explique Maral Tutélian.
Elle doit aussi appuyer ses travaux sur les données fournies par les autres administrations. Mais celles-ci restent légalement compétentes pour la production des statistiques relevant de leur domaine, l’ACS n’ayant qu’un droit de contrôle technique sur ces dernières. Chaque ministère a donc pris l’habitude de produire des statistiques selon ses propres besoins et à son rythme, en fonction des fonds qu’il parvient à se faire octroyer. Résultat : « Il y a des redondances d’un côté et des lacunes de l’autre, on doit négocier pour obtenir chaque indicateur, et notre rythme de publication reste conditionné par celui de l’administration qui le délivre. Nous recevons encore, en octobre 2013, des données relatives à l’année 2012...», regrette Maral Tutélian.
Le serpent de mer de l’autonomie
Un changement statutaire de l’ACS pourrait en partie répondre à ces enjeux en donnant davantage de latitude à sa direction. Une première occasion s’est présentée lors de sa création, en 1979 : elle aurait pu devenir un établissement public. Mais après plusieurs tergiversations, le gouvernement de l’époque choisit finalement de créer un organisme administratif rattaché à la présidence du Conseil. Cette idée sera ensuite reprise en 1994, avec la création d’un établissement de statistique autonome par un décret du Conseil des ministres mais, pour diverses raisons, il sera abrogé (voir page 64) un an plus tard. En 2008, Maral Tutélian promeut une autre idée : lancer un vaste plan directeur sur l’organisation des services statistiques qui prévoit notamment la création d’un Conseil national de la statistique réunissant l’ACS et l’ensemble des services des ministères afin de coordonner les travaux. Là encore, le projet est resté lettre morte.
La production régulière de comptes nationaux fiables et complets dépasse donc largement les compétences de ses auteurs. Sans volonté politique pour leur garantir des moyens – matériels, organisationnels ou humains – à la hauteur de cette fin, la comptabilité nationale libanaise, et au-delà l’ensemble de l’appareil statistique public, ne semble pas promise à un meilleur avenir.
L’ACS réforme la mesure de l’inflation L’Administration centrale de la statistique (ACS) publie à partir de janvier 2014 un indice de prix plus précis sur la base de la collecte des prix de plusieurs dizaines de milliers de biens et services. « Les changements concerneront principalement quatre sous-indices : l’éducation, le logement, les transports et les télécommunications. Par exemple, la mesure des dépenses d’éducation comportera une distinction entre les frais de transports, de scolarité et l’achat de fournitures. De même, le sous-indice consacré au coût des loyers reposera désormais sur une collecte mensuelle et distinguera les anciens loyers des autres », précise Maral Tutélian, directrice de l’ACS. Cette refonte de l’indicateur devrait notamment permettre de ne plus retrouver une erreur semblable à celle commise en juillet 2012 sur le sous-indice logement où le rythme triennal du relevé des prix dans ce secteur avait conduit les experts de l’ACS à gonfler significativement l’inflation de l’année 2012 et à sous-évaluer celle des deux années précédentes (voir Le Commerce du Levant n° 5640). L’ACS a aussi comblé, fin novembre, le trou qu’a engendré dans la série des chiffres de l’inflation la suspension de la collecte des prix par ses enquêteurs entre janvier et mai 2013 (voir Le Commerce du Levant n° 5640). En raison d’une divergence sur le statut juridique des enquêteurs et les réformes à engager pour améliorer l’indice des prix à la consommation (IPC), le Sérail, autorité de tutelle de l’administration, ne lui avait pas accordé l’autorisation de procéder à ce travail essentiel pour les comptes économiques du pays. Afin de combler ce trou de cinq mois, l’ACS a procédé, à partir des données antérieures et postérieures disponibles, à l’estimation des valeurs manquantes. Validée par un expert détaché par le Fonds monétaire international (FMI), cette interpolation concernera également les prix manquants de janvier 2011 et constitue la première étape d’une réforme d’ensemble de l’indice, réalisée avec l’assistance technique du FMI. |
Repères L’histoire de la statistique libanaise en 17 dates 1959 : création de la Direction centrale des statistiques au sein du ministère du Plan par le décret-loi du 12 juillet. 1963 : publication du premier annuaire statistique et des premiers bulletins mensuels. 1964 : réalisation des premiers éléments des comptes économiques. 1966 : publications du premier recensement industriel de 1964 et des premiers éléments des comptes économiques qui paraîtront annuellement jusqu’en 1973. 1967 : réalisation de l’indice des prix à la consommation (IPC). 1972 : première publication autorisée de l’IPC par le gouvernement. 1979 : création de l’Administration centrale de la statistique (ACS) par le décret-loi du 22 février. 1994 : reprise effective des activités de l’ACS et publication des nouveaux bulletins mensuels. 1995 : lancement des “études statistiques”, publication non périodique thématisée sur les dernières statistiques disponibles dans un domaine. Quinze numéros seront publiés jusqu’en 1999. 1997 : reprise des grandes enquêtes sur la population active et les conditions de vie des ménages. 2002 : création d’une commission provisoire spéciale pour les comptes économiques qui assurera la publication des comptes sur l’année de base 1997 en attendant la mise en place d’un nouveau système. Ses missions seront prolongées jusqu’à la réalisation des comptes de l’année 2010. 2004 : réalisation d’une série d’enquêtes statistiques, dont une nouvelle enquête sur les conditions de vie des ménages. Cette année est choisie comme année de base pour la nouvelle comptabilité nationale. 2008 : publication du nouvel indice des prix à la consommation (IPC) basé sur les pondérations issues de l’enquête des ménages de 2004. 2009 : publication de la dernière série d’enquêtes à grappes à indicateurs multiples (Misc) disponible. 2011 : publication d’une nouvelle parution statistique non périodique thématisée baptisée “Statistics in Focus”. Quatre numéros sont parus à ce jour (sur le marché du travail, les ménages, l’éducation et les enfants). 2012 : reprise de la réalisation des comptes nationaux par l’ACS. Octobre 2013 : publication de la nouvelle comptabilité nationale portant sur le PIB 2011 et la révision des années 2004-2010 selon le nouveau système mis en place. |