Les relations économiques entre Damas et Moscou ont pris un tournant stratégique au vu de l’isolement international de la Syrie. Celles-ci sont cependant surtout marquées par la défense des intérêts commerciaux respectifs des deux pays.
Les relations économiques entre la Russie et la Syrie sont anciennes, tissées depuis l’implication au Moyen-Orient de l’Union soviétique. Bien qu’elles se soient distendues depuis la disparition de cette dernière, les relations commerciales entre les deux pays restaient relativement importantes. Les importations syriennes de produits russes se montaient ainsi à un milliard de dollars en 2010, alors que les exportations étaient bien plus modestes, à 32 millions de dollars. La destruction de larges pans de l’économie syrienne depuis 2011 a réduit le volume de ce commerce, mais les relations économiques entre les deux pays ont pris un rôle autrement plus stratégique.
En effet, les sanctions imposées par l’Union européenne et les États-Unis ont considérablement réduit les exportations de pétrole et les rentrées fiscales du gouvernement syrien et largement exclu les banques syriennes du système financier international.
Cet isolement et l’affaiblissement de Damas ont renforcé le rôle relatif de ses alliés, y compris donc la Russie, pour qui le soutien au régime de Bachar el-Assad est aussi une occasion d’engranger des bénéfices économiques et commerciaux.
Énergie et infrastructure
La démonstration la plus récente de ces avantages que Moscou cherche à tirer de son appui politique a été la signature en décembre 2013 d’un accord entre une société pétrolière russe et le gouvernement syrien pour l’exploration des ressources offshore syriennes. L’accord, d’une durée de 25 ans, octroie à Soyuzneftegaz, dont le principal actionnaire est la Banque centrale de Russie, les droits d’exploration d’un bloc offshore d’une superficie de 2 190 km2. Soyuzneftegaz est censée investir 90 millions de dollars dans l’exploration et le forage. Bien que la plupart des analystes estiment que les réserves potentielles des champs syriens sont relativement modestes à l’échelle des autres champs pétrolifères et gaziers de la région, le contrat permet à Moscou de se poser comme un acteur important dans les projets de développement du bassin énergétique du Levant.
Cet accord, largement couvert par les médias, n’est cependant pas le seul à avoir été signé ou à être envisagé ces trois dernières années par les deux pays dans le secteur de l’énergie.
En mars 2014, trois mois après la signature de l’accord susmentionné, Yuri Shafranik, le PDG de Soyuzneftegaz, a annoncé que des sociétés russes étaient en lice pour un projet de construction d’un oléoduc qui transporterait du brut irakien vers la Méditerranée en passant par le territoire syrien. Ce projet ne verrait cependant le jour qu’une fois le conflit syrien terminé.
D’autre part, le ministre syrien des Ressources hydrauliques, Bassam Hanna, a annoncé début avril que son ministère allait octroyer à Stroyrtransgaz, une société d’ingénierie russe filiale du groupe Gazprom, un contrat d’une valeur de 193 millions d’euros, pour la construction d’une station de pompage d’eau dans le nord-est syrien. Cette station fait partie d’un projet plus large qui consiste à dévier l’eau du Tigre vers le Khabour, un affluent de l’Euphrate, et permettre en conséquence l’irrigation de
150 000 hectares de terres agricoles.
Le ministre n’a pas dit comment le gouvernement comptait financer ce projet et, étant donné que la région du Nord-Est est largement aux mains de l’opposition, il est peu probable que le projet voit le jour dans le futur proche.
Stroytransgaz n’en serait pas à son premier projet en Syrie, puisqu’elle construit actuellement une usine de traitement de gaz à l’est de Hama, pour laquelle la compagnie russe a demandé et réussi à obtenir en octobre 2011 une amélioration des termes financiers.
Fourniture de pétrole
L’importation de pétrole a été l’une des principales formes de soutien de la Russie au régime syrien. Bien qu’elle soit productrice de brut, la Syrie importe depuis de nombreuses années des produits dérivés qu’elle ne produit pas en quantité suffisante pour faire face à la demande locale.
Dès 2012, alors que la Syrie subissait le boycott des entreprises occidentales, Moscou livrait des quantités importantes de fioul et d’essence à Damas. Ces livraisons se poursuivaient en 2013 et étaient payées en partie en liquide, alors que des accords de troc ont également été annoncés.
Cette livraison de produits pétroliers a pris une importance croissante l’année dernière après la perte par Damas du contrôle des champs pétrolifères du Nord-Est et sa dépendance totale vis-à-vis des importations.
Le système bancaire russe, indispensable alternative
L’utilisation du système bancaire russe par les autorités syriennes constitue le soutien dont l’importance est aujourd’hui probablement le plus stratégique. Le gel des avoirs syriens par l’Union européenne ainsi que l’interdiction de toute transaction en dollars qui lui a été imposée ont poussé Damas à transférer ses avoirs en Russie.
En décembre 2011, la Banque centrale de Syrie annonçait l’ouverture de comptes bancaires dans trois institutions financières moscovites, VTB, VEB et Gazprombank. Ces comptes ainsi que d’autres ouverts dans des banques régionales plus petites et moins bien connues ont servi à déposer les milliards de dollars en devises étrangères détenues par la Banque centrale de Syrie – estimées au début 2011 à près de 20 milliards – ainsi qu’à la conduite de toutes sortes de transactions financières et commerciales ; l’opacité de ces transactions rend cependant difficile toute identification et traçabilité à la fois des transactions et des banques impliquées.
Moscou sert également de lieu d’impression de la livre syrienne depuis que des sanctions européennes ont mis fin à son impression dans des pays européens, telles l’Autriche et la Belgique.
En novembre 2012, un site d’informations américain, ProPublica, mettait à jour un système de transport de billets de monnaie imprimés à Moscou et transportés à Damas sur des avions qui traversaient l’espace aérien azerbaïdjanais, iranien et irakien, afin d’éviter l’espace aérien turc fermé aux avions syriens.
Autres domaines de coopération
D’autres domaines de coopération économique entre les deux pays existent. Par exemple, celui du transport aérien. Bien avant le début du soulèvement populaire en 2011, les autorités syriennes avaient tenté de contourner les sanctions américaines imposées en 2004 qui lui interdisaient l’achat de tout avion commercial occidental, y compris ceux produits par la société Airbus, car ceux-ci incluaient des composants américains.
Par conséquent, Damas s’était retournée vers Moscou pour se fournir en avions de type Ilyushin et Tupolev. À chaque fois la conclusion d’un accord s’était heurtée aux craintes liées à la fiabilité et à la qualité des avions russes.
Depuis deux ans, les deux pays ont redoublé d’efforts avec l’annonce à plusieurs reprises de la signature proche d’un accord pour l’achat d’avions russes. En octobre 2011, Syrianair annonçait un accord pour l’achat de trois biréacteurs Tupolev TU-204SM d’une capacité de 210 passagers. Puis en juin 2012, c’était un projet d’achat de trois avions de transports régionaux Antonov AN148-100E qui était prévu. Finalement en mars 2013, le ministre des Transports annonçait que le nombre d’avions Antonov serait porté à 10 et que des négociations étaient en cours pour le financement du contrat, estimé à 340 millions de dollars. Un an plus tard, aucun contrat n’avait encore été signé.
On peut signaler aussi, parmi d’autres secteurs de coopération, des discussions avec des sociétés russes pour la fourniture d’équipements pour des moulins à blé syriens ou encore la fourniture de blé par des marchands russes.
Le financement, un obstacle difficile à franchir
Le financement est la principale pierre d’achoppement du développement plus important des relations entre les deux pays. Étant donné la situation budgétaire du gouvernement syrien, l’instabilité politique et le manque de visibilité économique et politique, il est hautement improbable qu’un quelconque contrat de valeur importante soit signé entre les deux pays dans les prochains mois. Les relations entre Damas et Moscou sont en effet marqués avant tout par le sceau du réalisme et de la défense de leurs intérêts respectifs. Moscou n’a probablement pas oublié qu’à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique Damas avait refusé de rembourser sa dette de plus de 13 milliards de dollars, obligeant en 2005 la Russie à en annuler 73 % afin d’obtenir le paiement du reste.
En effet, les sanctions imposées par l’Union européenne et les États-Unis ont considérablement réduit les exportations de pétrole et les rentrées fiscales du gouvernement syrien et largement exclu les banques syriennes du système financier international.
Cet isolement et l’affaiblissement de Damas ont renforcé le rôle relatif de ses alliés, y compris donc la Russie, pour qui le soutien au régime de Bachar el-Assad est aussi une occasion d’engranger des bénéfices économiques et commerciaux.
Énergie et infrastructure
La démonstration la plus récente de ces avantages que Moscou cherche à tirer de son appui politique a été la signature en décembre 2013 d’un accord entre une société pétrolière russe et le gouvernement syrien pour l’exploration des ressources offshore syriennes. L’accord, d’une durée de 25 ans, octroie à Soyuzneftegaz, dont le principal actionnaire est la Banque centrale de Russie, les droits d’exploration d’un bloc offshore d’une superficie de 2 190 km2. Soyuzneftegaz est censée investir 90 millions de dollars dans l’exploration et le forage. Bien que la plupart des analystes estiment que les réserves potentielles des champs syriens sont relativement modestes à l’échelle des autres champs pétrolifères et gaziers de la région, le contrat permet à Moscou de se poser comme un acteur important dans les projets de développement du bassin énergétique du Levant.
Cet accord, largement couvert par les médias, n’est cependant pas le seul à avoir été signé ou à être envisagé ces trois dernières années par les deux pays dans le secteur de l’énergie.
En mars 2014, trois mois après la signature de l’accord susmentionné, Yuri Shafranik, le PDG de Soyuzneftegaz, a annoncé que des sociétés russes étaient en lice pour un projet de construction d’un oléoduc qui transporterait du brut irakien vers la Méditerranée en passant par le territoire syrien. Ce projet ne verrait cependant le jour qu’une fois le conflit syrien terminé.
D’autre part, le ministre syrien des Ressources hydrauliques, Bassam Hanna, a annoncé début avril que son ministère allait octroyer à Stroyrtransgaz, une société d’ingénierie russe filiale du groupe Gazprom, un contrat d’une valeur de 193 millions d’euros, pour la construction d’une station de pompage d’eau dans le nord-est syrien. Cette station fait partie d’un projet plus large qui consiste à dévier l’eau du Tigre vers le Khabour, un affluent de l’Euphrate, et permettre en conséquence l’irrigation de
150 000 hectares de terres agricoles.
Le ministre n’a pas dit comment le gouvernement comptait financer ce projet et, étant donné que la région du Nord-Est est largement aux mains de l’opposition, il est peu probable que le projet voit le jour dans le futur proche.
Stroytransgaz n’en serait pas à son premier projet en Syrie, puisqu’elle construit actuellement une usine de traitement de gaz à l’est de Hama, pour laquelle la compagnie russe a demandé et réussi à obtenir en octobre 2011 une amélioration des termes financiers.
Fourniture de pétrole
L’importation de pétrole a été l’une des principales formes de soutien de la Russie au régime syrien. Bien qu’elle soit productrice de brut, la Syrie importe depuis de nombreuses années des produits dérivés qu’elle ne produit pas en quantité suffisante pour faire face à la demande locale.
Dès 2012, alors que la Syrie subissait le boycott des entreprises occidentales, Moscou livrait des quantités importantes de fioul et d’essence à Damas. Ces livraisons se poursuivaient en 2013 et étaient payées en partie en liquide, alors que des accords de troc ont également été annoncés.
Cette livraison de produits pétroliers a pris une importance croissante l’année dernière après la perte par Damas du contrôle des champs pétrolifères du Nord-Est et sa dépendance totale vis-à-vis des importations.
Le système bancaire russe, indispensable alternative
L’utilisation du système bancaire russe par les autorités syriennes constitue le soutien dont l’importance est aujourd’hui probablement le plus stratégique. Le gel des avoirs syriens par l’Union européenne ainsi que l’interdiction de toute transaction en dollars qui lui a été imposée ont poussé Damas à transférer ses avoirs en Russie.
En décembre 2011, la Banque centrale de Syrie annonçait l’ouverture de comptes bancaires dans trois institutions financières moscovites, VTB, VEB et Gazprombank. Ces comptes ainsi que d’autres ouverts dans des banques régionales plus petites et moins bien connues ont servi à déposer les milliards de dollars en devises étrangères détenues par la Banque centrale de Syrie – estimées au début 2011 à près de 20 milliards – ainsi qu’à la conduite de toutes sortes de transactions financières et commerciales ; l’opacité de ces transactions rend cependant difficile toute identification et traçabilité à la fois des transactions et des banques impliquées.
Moscou sert également de lieu d’impression de la livre syrienne depuis que des sanctions européennes ont mis fin à son impression dans des pays européens, telles l’Autriche et la Belgique.
En novembre 2012, un site d’informations américain, ProPublica, mettait à jour un système de transport de billets de monnaie imprimés à Moscou et transportés à Damas sur des avions qui traversaient l’espace aérien azerbaïdjanais, iranien et irakien, afin d’éviter l’espace aérien turc fermé aux avions syriens.
Autres domaines de coopération
D’autres domaines de coopération économique entre les deux pays existent. Par exemple, celui du transport aérien. Bien avant le début du soulèvement populaire en 2011, les autorités syriennes avaient tenté de contourner les sanctions américaines imposées en 2004 qui lui interdisaient l’achat de tout avion commercial occidental, y compris ceux produits par la société Airbus, car ceux-ci incluaient des composants américains.
Par conséquent, Damas s’était retournée vers Moscou pour se fournir en avions de type Ilyushin et Tupolev. À chaque fois la conclusion d’un accord s’était heurtée aux craintes liées à la fiabilité et à la qualité des avions russes.
Depuis deux ans, les deux pays ont redoublé d’efforts avec l’annonce à plusieurs reprises de la signature proche d’un accord pour l’achat d’avions russes. En octobre 2011, Syrianair annonçait un accord pour l’achat de trois biréacteurs Tupolev TU-204SM d’une capacité de 210 passagers. Puis en juin 2012, c’était un projet d’achat de trois avions de transports régionaux Antonov AN148-100E qui était prévu. Finalement en mars 2013, le ministre des Transports annonçait que le nombre d’avions Antonov serait porté à 10 et que des négociations étaient en cours pour le financement du contrat, estimé à 340 millions de dollars. Un an plus tard, aucun contrat n’avait encore été signé.
On peut signaler aussi, parmi d’autres secteurs de coopération, des discussions avec des sociétés russes pour la fourniture d’équipements pour des moulins à blé syriens ou encore la fourniture de blé par des marchands russes.
Le financement, un obstacle difficile à franchir
Le financement est la principale pierre d’achoppement du développement plus important des relations entre les deux pays. Étant donné la situation budgétaire du gouvernement syrien, l’instabilité politique et le manque de visibilité économique et politique, il est hautement improbable qu’un quelconque contrat de valeur importante soit signé entre les deux pays dans les prochains mois. Les relations entre Damas et Moscou sont en effet marqués avant tout par le sceau du réalisme et de la défense de leurs intérêts respectifs. Moscou n’a probablement pas oublié qu’à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique Damas avait refusé de rembourser sa dette de plus de 13 milliards de dollars, obligeant en 2005 la Russie à en annuler 73 % afin d’obtenir le paiement du reste.