Le lancement de l’appel d’offres pour l’attribution des premières licences d’exploration gazière au large du Liban reste tributaire de l’adoption de deux décrets en Conseil des ministres. Entretien exclusif avec Nasser Hoteit, président de l’Autorité de l’énergie, dont la responsabilité est de définir la politique du secteur.
Une commission ministérielle a été chargée d’étudier les deux décrets dont l’approbation en Conseil des ministres est nécessaire pour lancer l’adjudication des licences d’exploration offshore. Où en sont les travaux ?
Les discussions sont très positives. Le débat se situe à un niveau technique de qualité. Rétrospectivement, je pense que ce travail interministériel aurait dû être fait plus tôt. Dans des pays comme la France, une agence telle que la nôtre comporte des représentants de différents ministères afin de les associer aux décisions concernant leur champ de compétence. Cela dit, nous travaillons déjà étroitement avec les ministères des Finances et de l’Environnement. Et à ce stade je crois qu’aucune des questions posées ne remet en cause notre travail, au contraire.
Dans le meilleur des scénarios, quand l’exploration pourra-t-elle être lancée ?
Le calendrier est tributaire de décisions du Conseil des ministres qui doit approuver les deux décrets partageant la Zone économique exclusive du Liban en dix blocs et définissant le contrat qui liera l’État aux compagnies victorieuses de l’adjudication. En parallèle, le Parlement devra voter la loi sur la fiscalité du pétrole.
Dans le meilleur des cas, si les deux décrets sont approuvés début juin, l’adjudication sera clôturée en septembre. Nous nous donnerons deux mois au maximum pour étudier les offres – plus le délai est court, quitte à ce que nous travaillions jour et nuit, plus nous réduisons les risques d’interférences politiques. Si le Conseil des ministres se prononce à l’automne sur la base de nos recommandations, l’exploration pourrait débuter fin 2015-début 2016.
Que répondez-vous à ceux qui critiquent la division de la ZEE en dix blocs seulement ?
La division de la ZEE en blocs n’est pas une science exacte. On aurait pu en délimiter 9, 11 ou 12 sans pour autant être dans l’erreur. Notre choix est fondé sur une combinaison de critères : la géophysique 3D qui couvre 70 % de la zone ; les chances de trouver davantage de gaz ou de pétrole ; l’équilibre économique entre les blocs ; le fait que le Liban est encore un terrain “vierge” pour l’exploration pétrolière et le coût élevé du développement gazier, ce qui est incompatible avec des blocs de petites tailles. Le Liban n’est pas dans la situation de la mer du Nord ou de celle du golfe du Mexique dans lesquels les blocs sont plus petits en raison d’une longue histoire pétrolière et de la présence des infrastructures depuis des décennies.
Il faut aussi savoir que la taille des blocs évolue avec le temps. Les compagnies pétrolières doivent céder 25 % de la surface de chaque bloc au bout de trois ans et 50 % au bout de cinq ans. C’est-à-dire pour un bloc de 2 000 km2, les compagnies nous rendent 1 000 km2 au bout de cinq ans d’exploration.
Nous comptons aussi sur les licences attribuées dans ce premier appel d’offres pour bâtir les infrastructures pétrolières au Liban qui seront très utiles pour les rounds suivants. Les conditions financières d’attribution des licences futures seront revues en conséquence et la taille des blocs réduite à partir du second appel d’offres, tout en tenant compte des données géologiques que l’on aura acquises avec les activités liées aux premières licences.
Certains nous comparent à l’offshore israélien, dont les blocs sont de plus petites tailles. C’est oublier que les Israéliens explorent l’offshore depuis les années 1990 avec plus de 50 forages.
En revanche, les blocs libanais sont plus petits que ceux de Chypre, dont la situation est comparable à celle du Liban (province gazière dénuée d’infrastructures pétrolières), car nous avons su tirer avantage des données géophysiques 3D alors que Chypre n’en avait pas de comparables lors de l’établissement de la carte de ses blocs.
Et ceux qui jugent que le niveau de royalties (4-5 %) est trop bas ?
En matière de gaz, la fourchette mondiale se situe entre 0 et 12 %, pour un premier round, nous préconisons ce niveau sur la base de l’étude de différents facteurs, dont la géologie, l’importance des investissements nécessaires, etc. N’oubliez pas non plus que les revenus de l’État ne se limitent pas aux royalties. Il faut ajouter la part des profits réalisés et les taxes, ce qui porte le total à 60-70 %.
Combien de blocs feront-ils l’objet de l’appel d’offres ?
L’ajournement de l’appel d’offres pourrait conduire le Liban à ouvrir plus de blocs que ce qui avait été envisagé initialement. Car il faut relancer l’intérêt des compagnies. Mais il appartient au Conseil des ministres de décider sur la base d’une recommandation de l’Autorité. Et en tout état de cause, seuls quelques blocs seront attribués lors du premier round.
Les grands groupes internationaux commencent-ils à perdre patience selon vous ? Quelles sont les conséquences du retard accumulé par le Liban ?
Les grands groupes sont toujours intéressés, mais il est vrai que nous notons une certaine lassitude. L’achat de nos données a diminué. Dès que les décrets seront adoptés, l’Autorité a un plan d’action pour ranimer cet intérêt.
Il est vrai que nous avons pris du retard, mais jusqu’à présent nous sommes encore dans les temps par rapport à Chypre. N’oubliez pas que nous avons déjà des études 3D de qualité pour 70 % de la zone économique exclusive. Les Chypriotes ont prévu de forer trois à six puits d’ici à la fin de l’année. Nous ne pouvons plus nous permettre de délais supplémentaires. Les conséquences sont commerciales : les premiers arrivés prennent les marchés les plus proches. La Jordanie et les territoires palestiniens, via la Jordanie, sont des clients naturels pour le gaz libanais. L’investissement dans une usine de traitement du gaz pour alimenter le marché libanais et le marché régional est relativement moins gros que d’autres installations (moins d’un milliard de dollars) et une partie du réseau de gazoduc arabe existe déjà. Mais Israël a déjà commencé à négocier des contrats d’approvisionnement avec eux. Plus on prend du retard, plus ces marchés proches nous échappent. Le Liban a aussi vocation à servir les marchés européens, mais c’est plus coûteux. Là aussi, il faut faire vite. Il est possible de se connecter au réseau européen via la Turquie, mais cela suppose de construire un gazoduc soit dans les eaux syriennes, soit à travers Chypre. Israël a déjà pris des options sur ce dernier projet.
Vous ne semblez pas considérer le problème des frontières maritimes comme un obstacle…
C’est en effet un problème secondaire bien que très important. C’est le climat politique qui est le véritable frein davantage que les questions sécuritaires. Les compagnies pétrolières doivent être convaincues que le secteur est à l’écart des conflits politiques interlibanais.
Halliburton a choisi Chypre comme base en Méditerranée orientale. Le Liban n’est-il pas aussi en train de perdre sur ce terrain aussi ?
C’est bien dommage. Car une base de services telle que celle de Halliburton est génératrice de centaines, voire de milliers d’emplois, si elle est régionale. Oui nos jeunes Libanais ont perdu cette opportunité.
Notre priorité est d’attirer les investissements au Liban et de créer des emplois pour les Libanais. Je crois que la classe politique libanaise, et le public en général, ne se rend pas encore bien compte d’une chose : le gaz est différent du pétrole. Son exploration et son exploitation sont coûteuses. Les caisses du Fonds souverain destiné à collecter les recettes ne vont pas se remplir immédiatement. L’enjeu est économique et industriel au sens large pour le Liban. Pendant la phase d’exploration et de développement, des centaines de millions, voire des milliards de dollars vont être injectés dans le secteur. Il faut que ce soit des sociétés libanaises (pour les contrats de service et de sous-traitance) et les Libanais en tant qu’individus (ingénieurs et autres) qui en profitent. C’est la raison pour laquelle le contrat avec les compagnies prévoit deux clauses majeures : 80 % des emplois doivent être attribués à des Libanais et, à offre technique égale, une société libanaise emporte un contrat même si elle est 5 à 10 % plus chère.
Il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’une opportunité unique pour le Liban. La construction d’une usine de GNL Onshore, c’est 10 milliards de dollars environ dans un pays dénué d’infrastructure pétrolière. Cela représente 2 000 à 3 000 emplois sur la durée de la construction (trois à cinq ans). Une usine de traitement de gaz, ce sont 500 à 1 000 ingénieurs et techniciens embauchés pour deux ans à deux ans et demi. On ne va pas attendre que le gaz commence à couler pour profiter des investissements qui vont se faire au Liban ! Au moins la moitié peuvent être captés par des entreprises libanaises.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que le seuil de 80 % d’emplois réservés au Libanais est trop élevé ?
Je suis extrémiste sur ce point-là. C’est une priorité absolue. Je ne me fais pas de soucis pour trouver des ingénieurs. La difficulté va se situer au niveau des techniciens. Nous sommes en train de réfléchir à la mise en œuvre de programmes de formation. Il est très important que des Libanais participent au processus dès la phase de développement. Car ce savoir-faire sera très utile pour les phases ultérieures du programme gazier libanais, mais aussi pour servir d’autres pays de la région, comme Chypre ou la Syrie.
Même si ce n’est pas directement du ressort de l’Autorité, nous sommes en train de sensibiliser les différents ministères à un enjeu très important, celui du développement d’une industrie de transformation des hydrocarbures. Car, pour un emploi qui se crée dans le “upstream” (l’industrie de l’exploitation), 12 à 15 se créent dans le “downstream” (la transformation). Tous les besoins du Liban pour la production de courant électrique ne dépasseront pas les 5 bcm par an (5 milliards de m3). Il faut donc trouver de nouveaux débouchés intérieurs au gaz afin de nous prémunir aussi d’une baisse des prix internationaux. Une usine de production d’aluminium c’est 3-4 bcm par an. Idem pour une usine de production d’engrais. Une unité de ce type, c’est 6 000 emplois au Mozambique… La pétrochimie a bouleversé la vallée du Rhône en France. Pourquoi ne pas nous en inspirer, à un plus petit niveau bien sûr ? De tels projets sont de nature à changer la physionomie économique et sociale du Liban.
Quel est le plan d’action de l’Autorité cette année ?
Nous travaillons à l’établissement d’une vision pour le secteur du gaz au Liban. L’élaboration d’une stratégie en bonne et due forme ne sera possible qu’après les premiers forages qui nous donneront une idée concrète des réserves dont nous disposons.
Le premier axe de travail consiste à développer la formation pour préparer les Libanais à la demande d’emplois. Le second porte sur l’élaboration des normes HSE (hygiène, sécurité, environnement).
Nous allons aussi mettre en place un centre de données et une cartothèque pour conserver les échantillons de prélèvements sismiques. De même, il faut créer un centre de gestion des réservoirs, afin de préserver les intérêts de l’État libanais dans les décisions qui seront prises à ce niveau par les compagnies. La collaboration avec le ministère des Finances pour y créer un bureau pétrolier est primordiale. Les chantiers sont nombreux, nous avons commencé il y a un an à peine. Nous devons agir vite mais raisonnablement.
Comment un pays souffrant de faiblesses institutionnelles tel que le Liban peut-il se prémunir de la corruption ?
Les articles 41 et 42 du projet de contrat EPA (Exploration Production Agreement) qui gère la relation entre l’État et les compagnies pétrolières traitent d’une manière claire la corruption et le conflit d’intérêt. Je pense que le risque est faible au niveau de l’attribution des licences. J’espère que le niveau de confiance sera plus élevé lorsque nous aurons terminé le premier round d’attribution. Le risque se situe en revanche ensuite pour tous les contrats de sous-traitance et de services. Nous devons mettre en place, en coordination avec le ministère des Finances, des outils de contrôle et d’audit très pointus.
La société civile est-elle suffisamment impliquée ?
Les citoyens libanais doivent être impliqués dans cette aventure.
L’État est en train de conclure des contrats pour 30 ans ! Je pense que l’un des apports de mon expérience à l’étranger est de considérer que ce débat avec la société civile est très important. Ce n’est pas dans les habitudes ici d’accepter la critique, je l’estime nécessaire.
Les discussions sont très positives. Le débat se situe à un niveau technique de qualité. Rétrospectivement, je pense que ce travail interministériel aurait dû être fait plus tôt. Dans des pays comme la France, une agence telle que la nôtre comporte des représentants de différents ministères afin de les associer aux décisions concernant leur champ de compétence. Cela dit, nous travaillons déjà étroitement avec les ministères des Finances et de l’Environnement. Et à ce stade je crois qu’aucune des questions posées ne remet en cause notre travail, au contraire.
Dans le meilleur des scénarios, quand l’exploration pourra-t-elle être lancée ?
Le calendrier est tributaire de décisions du Conseil des ministres qui doit approuver les deux décrets partageant la Zone économique exclusive du Liban en dix blocs et définissant le contrat qui liera l’État aux compagnies victorieuses de l’adjudication. En parallèle, le Parlement devra voter la loi sur la fiscalité du pétrole.
Dans le meilleur des cas, si les deux décrets sont approuvés début juin, l’adjudication sera clôturée en septembre. Nous nous donnerons deux mois au maximum pour étudier les offres – plus le délai est court, quitte à ce que nous travaillions jour et nuit, plus nous réduisons les risques d’interférences politiques. Si le Conseil des ministres se prononce à l’automne sur la base de nos recommandations, l’exploration pourrait débuter fin 2015-début 2016.
Que répondez-vous à ceux qui critiquent la division de la ZEE en dix blocs seulement ?
La division de la ZEE en blocs n’est pas une science exacte. On aurait pu en délimiter 9, 11 ou 12 sans pour autant être dans l’erreur. Notre choix est fondé sur une combinaison de critères : la géophysique 3D qui couvre 70 % de la zone ; les chances de trouver davantage de gaz ou de pétrole ; l’équilibre économique entre les blocs ; le fait que le Liban est encore un terrain “vierge” pour l’exploration pétrolière et le coût élevé du développement gazier, ce qui est incompatible avec des blocs de petites tailles. Le Liban n’est pas dans la situation de la mer du Nord ou de celle du golfe du Mexique dans lesquels les blocs sont plus petits en raison d’une longue histoire pétrolière et de la présence des infrastructures depuis des décennies.
Il faut aussi savoir que la taille des blocs évolue avec le temps. Les compagnies pétrolières doivent céder 25 % de la surface de chaque bloc au bout de trois ans et 50 % au bout de cinq ans. C’est-à-dire pour un bloc de 2 000 km2, les compagnies nous rendent 1 000 km2 au bout de cinq ans d’exploration.
Nous comptons aussi sur les licences attribuées dans ce premier appel d’offres pour bâtir les infrastructures pétrolières au Liban qui seront très utiles pour les rounds suivants. Les conditions financières d’attribution des licences futures seront revues en conséquence et la taille des blocs réduite à partir du second appel d’offres, tout en tenant compte des données géologiques que l’on aura acquises avec les activités liées aux premières licences.
Certains nous comparent à l’offshore israélien, dont les blocs sont de plus petites tailles. C’est oublier que les Israéliens explorent l’offshore depuis les années 1990 avec plus de 50 forages.
En revanche, les blocs libanais sont plus petits que ceux de Chypre, dont la situation est comparable à celle du Liban (province gazière dénuée d’infrastructures pétrolières), car nous avons su tirer avantage des données géophysiques 3D alors que Chypre n’en avait pas de comparables lors de l’établissement de la carte de ses blocs.
Et ceux qui jugent que le niveau de royalties (4-5 %) est trop bas ?
En matière de gaz, la fourchette mondiale se situe entre 0 et 12 %, pour un premier round, nous préconisons ce niveau sur la base de l’étude de différents facteurs, dont la géologie, l’importance des investissements nécessaires, etc. N’oubliez pas non plus que les revenus de l’État ne se limitent pas aux royalties. Il faut ajouter la part des profits réalisés et les taxes, ce qui porte le total à 60-70 %.
Combien de blocs feront-ils l’objet de l’appel d’offres ?
L’ajournement de l’appel d’offres pourrait conduire le Liban à ouvrir plus de blocs que ce qui avait été envisagé initialement. Car il faut relancer l’intérêt des compagnies. Mais il appartient au Conseil des ministres de décider sur la base d’une recommandation de l’Autorité. Et en tout état de cause, seuls quelques blocs seront attribués lors du premier round.
Les grands groupes internationaux commencent-ils à perdre patience selon vous ? Quelles sont les conséquences du retard accumulé par le Liban ?
Les grands groupes sont toujours intéressés, mais il est vrai que nous notons une certaine lassitude. L’achat de nos données a diminué. Dès que les décrets seront adoptés, l’Autorité a un plan d’action pour ranimer cet intérêt.
Il est vrai que nous avons pris du retard, mais jusqu’à présent nous sommes encore dans les temps par rapport à Chypre. N’oubliez pas que nous avons déjà des études 3D de qualité pour 70 % de la zone économique exclusive. Les Chypriotes ont prévu de forer trois à six puits d’ici à la fin de l’année. Nous ne pouvons plus nous permettre de délais supplémentaires. Les conséquences sont commerciales : les premiers arrivés prennent les marchés les plus proches. La Jordanie et les territoires palestiniens, via la Jordanie, sont des clients naturels pour le gaz libanais. L’investissement dans une usine de traitement du gaz pour alimenter le marché libanais et le marché régional est relativement moins gros que d’autres installations (moins d’un milliard de dollars) et une partie du réseau de gazoduc arabe existe déjà. Mais Israël a déjà commencé à négocier des contrats d’approvisionnement avec eux. Plus on prend du retard, plus ces marchés proches nous échappent. Le Liban a aussi vocation à servir les marchés européens, mais c’est plus coûteux. Là aussi, il faut faire vite. Il est possible de se connecter au réseau européen via la Turquie, mais cela suppose de construire un gazoduc soit dans les eaux syriennes, soit à travers Chypre. Israël a déjà pris des options sur ce dernier projet.
Vous ne semblez pas considérer le problème des frontières maritimes comme un obstacle…
C’est en effet un problème secondaire bien que très important. C’est le climat politique qui est le véritable frein davantage que les questions sécuritaires. Les compagnies pétrolières doivent être convaincues que le secteur est à l’écart des conflits politiques interlibanais.
Halliburton a choisi Chypre comme base en Méditerranée orientale. Le Liban n’est-il pas aussi en train de perdre sur ce terrain aussi ?
C’est bien dommage. Car une base de services telle que celle de Halliburton est génératrice de centaines, voire de milliers d’emplois, si elle est régionale. Oui nos jeunes Libanais ont perdu cette opportunité.
Notre priorité est d’attirer les investissements au Liban et de créer des emplois pour les Libanais. Je crois que la classe politique libanaise, et le public en général, ne se rend pas encore bien compte d’une chose : le gaz est différent du pétrole. Son exploration et son exploitation sont coûteuses. Les caisses du Fonds souverain destiné à collecter les recettes ne vont pas se remplir immédiatement. L’enjeu est économique et industriel au sens large pour le Liban. Pendant la phase d’exploration et de développement, des centaines de millions, voire des milliards de dollars vont être injectés dans le secteur. Il faut que ce soit des sociétés libanaises (pour les contrats de service et de sous-traitance) et les Libanais en tant qu’individus (ingénieurs et autres) qui en profitent. C’est la raison pour laquelle le contrat avec les compagnies prévoit deux clauses majeures : 80 % des emplois doivent être attribués à des Libanais et, à offre technique égale, une société libanaise emporte un contrat même si elle est 5 à 10 % plus chère.
Il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’une opportunité unique pour le Liban. La construction d’une usine de GNL Onshore, c’est 10 milliards de dollars environ dans un pays dénué d’infrastructure pétrolière. Cela représente 2 000 à 3 000 emplois sur la durée de la construction (trois à cinq ans). Une usine de traitement de gaz, ce sont 500 à 1 000 ingénieurs et techniciens embauchés pour deux ans à deux ans et demi. On ne va pas attendre que le gaz commence à couler pour profiter des investissements qui vont se faire au Liban ! Au moins la moitié peuvent être captés par des entreprises libanaises.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que le seuil de 80 % d’emplois réservés au Libanais est trop élevé ?
Je suis extrémiste sur ce point-là. C’est une priorité absolue. Je ne me fais pas de soucis pour trouver des ingénieurs. La difficulté va se situer au niveau des techniciens. Nous sommes en train de réfléchir à la mise en œuvre de programmes de formation. Il est très important que des Libanais participent au processus dès la phase de développement. Car ce savoir-faire sera très utile pour les phases ultérieures du programme gazier libanais, mais aussi pour servir d’autres pays de la région, comme Chypre ou la Syrie.
Même si ce n’est pas directement du ressort de l’Autorité, nous sommes en train de sensibiliser les différents ministères à un enjeu très important, celui du développement d’une industrie de transformation des hydrocarbures. Car, pour un emploi qui se crée dans le “upstream” (l’industrie de l’exploitation), 12 à 15 se créent dans le “downstream” (la transformation). Tous les besoins du Liban pour la production de courant électrique ne dépasseront pas les 5 bcm par an (5 milliards de m3). Il faut donc trouver de nouveaux débouchés intérieurs au gaz afin de nous prémunir aussi d’une baisse des prix internationaux. Une usine de production d’aluminium c’est 3-4 bcm par an. Idem pour une usine de production d’engrais. Une unité de ce type, c’est 6 000 emplois au Mozambique… La pétrochimie a bouleversé la vallée du Rhône en France. Pourquoi ne pas nous en inspirer, à un plus petit niveau bien sûr ? De tels projets sont de nature à changer la physionomie économique et sociale du Liban.
Quel est le plan d’action de l’Autorité cette année ?
Nous travaillons à l’établissement d’une vision pour le secteur du gaz au Liban. L’élaboration d’une stratégie en bonne et due forme ne sera possible qu’après les premiers forages qui nous donneront une idée concrète des réserves dont nous disposons.
Le premier axe de travail consiste à développer la formation pour préparer les Libanais à la demande d’emplois. Le second porte sur l’élaboration des normes HSE (hygiène, sécurité, environnement).
Nous allons aussi mettre en place un centre de données et une cartothèque pour conserver les échantillons de prélèvements sismiques. De même, il faut créer un centre de gestion des réservoirs, afin de préserver les intérêts de l’État libanais dans les décisions qui seront prises à ce niveau par les compagnies. La collaboration avec le ministère des Finances pour y créer un bureau pétrolier est primordiale. Les chantiers sont nombreux, nous avons commencé il y a un an à peine. Nous devons agir vite mais raisonnablement.
Comment un pays souffrant de faiblesses institutionnelles tel que le Liban peut-il se prémunir de la corruption ?
Les articles 41 et 42 du projet de contrat EPA (Exploration Production Agreement) qui gère la relation entre l’État et les compagnies pétrolières traitent d’une manière claire la corruption et le conflit d’intérêt. Je pense que le risque est faible au niveau de l’attribution des licences. J’espère que le niveau de confiance sera plus élevé lorsque nous aurons terminé le premier round d’attribution. Le risque se situe en revanche ensuite pour tous les contrats de sous-traitance et de services. Nous devons mettre en place, en coordination avec le ministère des Finances, des outils de contrôle et d’audit très pointus.
La société civile est-elle suffisamment impliquée ?
Les citoyens libanais doivent être impliqués dans cette aventure.
L’État est en train de conclure des contrats pour 30 ans ! Je pense que l’un des apports de mon expérience à l’étranger est de considérer que ce débat avec la société civile est très important. Ce n’est pas dans les habitudes ici d’accepter la critique, je l’estime nécessaire.