Longtemps marqué par le monopole de la marque Almaza, rachetée en 2002 par Heineken, le marché de la bière est désormais en pleine ébullition au Liban. D’un côté, les bières importées prennent de grosses parts de marché ; de l’autre, deux industriels libanais s’apprêtent à pénétrer en force sur ce créneau. Le premier à sauter le pas est le groupe Kassatly qui lance une nouvelle marque, Beirut.
L’arrivée du groupe Kassatly sur le segment de la bière avec sa toute nouvelle marque Beirut promet de secouer davantage encore un marché que le rachat en 2002 d’Almaza par Heineken semblait avoir condamné à la somnolence. Au moment des négociations entre Almaza et Heineken, au début des années 2000, Almaza représentait près de 73 % du marché local avec 13,4 millions de litres vendus selon les statistiques de l’International Wine standard Research (IWSR). Si on y ajoute les ventes de Heineken, à l’époque, ces deux marques trustaient près de 84 % des volumes. Avec le rachat de Laziza en 2003, c’est même quasiment 100 % du secteur que la filiale du géant néerlandais domine alors. Régnant en maître, elle augmente ses prix pour réaliser des marges confortables dans un marché soigneusement segmenté : Almaza se positionne en bière standard tandis que Heineken accapare le premium. Quant à Laziza, elle est affectée au créneau de la bière sans alcool, ce qu’on appelle un soft drink.
Un peu plus d’une décennie plus tard, le groupe Almaza-Heineken reste en position dominante, en léger retrait cependant avec 65 % de parts de marché, si on en croit les chiffres de IWSR. Mais la répartition entre Almaza et Heineken a changé. La bière emblématique du Liban se contente désormais de 53 % de parts de marché (contre 73 % en 2000) quand Heineken représente un peu plus de 10 % du total. Certes, Almaza reste le numéro un avec 12,45 millions de litres écoulés en 2013. Mais son ancien monopole est attaqué de toutes parts.
D’un côté, les importations galopent : +288 % entre 2004 et 2014, selon IWSR. Une trentaine de marques étrangères sont présentes au Liban pour profiter de cette expansion. Ensemble, elles détiennent 44 % de parts de marché contre 56 % aux bières locales. Et ce malgré des droits de douane élevés : 40 % aujourd’hui d’accises sur les importations auxquelles s’ajoute la TVA (10 %). Ces accises devraient baisser d’ici à 2015 pour les bières européennes, qui seront taxées seulement à 25 %. La valeur de ces importations est de 10 millions de dollars en 2013 avant les marges de distribution, selon les chiffres des douanes libanaises.
Avec 2,5 millions de litres, Heineken a favorisé la vente de la marque éponyme : +12 % en moyenne pondérée annuelle depuis 2004 selon l’étude IWSR alors qu’Almaza a reculé de 0,3 % en moyenne annuelle pondérée sur la période. Tandis que la bière turque Efes (groupe Abi Ramia Brothers), qui a réussi à écouler 3,9 millions de litres en 2013, effectue une forte percée (+13 % en moyenne pondérée depuis 2004). Avec 16 % de parts de marché, cette marque d’entrée de gamme, vendue 0,80 dollar l’unité (33 cl) au détail, est désormais numéro deux du marché.
Efes a réussi à s’imposer par le “bas”, en prenant le segment de marché laissé libre par la politique de prix élevé pratiquée par Almaza : 0,94 dollar l’unité (33 cl). Par comparaison, des bières importées comme Bavaria (groupe indépendant néerlandais) et Tuborg (groupe Carlsberg) se vendent respectivement à 0,83 dollar et 0,88 dollar. Même la bière artisanale libanaise 961 est moins chère qu’Almaza : 0,92 dollar la bouteille de 33 cl dans les supermarchés.
Nouveaux acteurs locaux
Si malgré cette concurrence importée Almaza préserve jusque-là sa domination sans partage sur le segment des bières locales, la marque libanaise fait aussi désormais face à une concurrence nouvelle.
La première bataille a eu lieu il y a plus d’une décennie, lorsque la marque Laziza, fondée en 1931, a été relancée en 2000 sur le marché libanais par Joe Khawam, petit-fils du fondateur de la marque. « Laziza et Almaza ont assez vite entamé une guerre commerciale : réduction des prix, promotions… Un argument a été fatal à Laziza : cette bière “libanaise” était brassée en Hollande. Almaza s’est servie de cet argument pour réveiller le “réflexe nationaliste”. Cela a marché », se souvient un acteur du secteur. Consciente de cette faiblesse, Laziza avait décidé d’investir dans une nouvelle usine au Liban, lorsque Heineken, qui venait d’acquérir Almaza, lui a fait une offre de rachat qu’elle ne pouvait pas refuser. « La prime payée à l’époque a été vite rentabilisée grâce à la situation de monopole – impensable dans un pays doté d’une législation antitrust – dans laquelle s’est trouvé le groupe Heineken au Liban qui lui a permis de relever les prix et d’encaisser des marges confortables dans un marché de volume », commente un autre acteur du secteur.
Il a fallu attendre 2006 et l’arrivée de 961 de Mazen Hajjar pour assister à l’émergence d’un nouvel acteur libanais. Pour autant, 961, qui détient environ 5 % du marché des bières locales, ne se positionne pas comme un concurrent direct d’Almaza. Avec une production estimée à moins d’un 0,65 million de litres pour le marché libanais selon IWSR, 961 se veut une brasserie artisanale, qui produit des bières de spécialité, dont certaines saisonnières, en édition limitée.
L’arrivée en 2014 d’industriels dotés de gros moyens change la donne. Le groupe Kassatly, connu pour ses boissons énergisantes Buzz ou Freez ou pour son vin Château Ka (300 000 bouteilles par an), est bien décidé à tailler des croupières à Almaza. « Nous sommes dimensionnés pour assurer une production de 20 millions de litres annuellement », assure Akram Kassatly, patron du groupe éponyme dont l’usine de 3 000 m2 se trouve à Chtaura sur le site de production du groupe. Avec un investissement de 15 millions de dollars, l’objectif est de prendre vite 10 à 15 % de parts de marché grâce à cette nouvelle bière Beirut, qui sera alignée sur les prix pratiqués par Almaza. Kassatly assure que son lancement s’accompagnera d’un gros budget de communication dont le PDG ne souhaite pas pour l’instant révéler le détail ni les montants. Le groupe Interbrand, dirigé par Alain et Marc Tabourian, connu pour ses sodas (RC Cola) ou ses jus de fruits (Libby’s, Libanjus), a lui aussi annoncé son entrée sur le marché de la bière, sans cependant spécifier de date ou d’investissement précis. Seule certitude : sa future bière devrait se positionner sur le segment d’entrée de gamme. « Il n’y a pas de raison que ce créneau soit occupé par une bière importée. Nous avons les moyens de prendre ce marché », explique Alain Tabourian.
« Le marché libanais est très sensible au prix. Il est déterminant dans l’acte d’achat. La bière reste un marché de volume », assure Akram Kassatly. Le prix moyen d’une bouteille (33 cl) en supermarché tourne autour de 1 500 livres libanaises (1 dollar) en 2013. Dans un bar, il faut compter entre 3 000 et 5 000 livres libanaises (2 à 5 dollars). Un tarif qui reste toujours en deçà du verre de vin, dont le prix moyen, en augmentation, se situe en 2013 autour de 9 600 livres libanaises (6,4 dollars), selon Hodema, société de conseil en restauration.
Cette nouvelle bataille de la bière ne s’expliquerait pas dans un petit pays tel que le Liban si le marché n’était en croissance. Aujourd’hui, la consommation de bière oscille entre 5 et 6 litres par personne par an, ce qui place le Liban au 90e rang sur 123 pays. Au regard des standards internationaux c’est peu et le potentiel de hausse est important. Kassatly parie d’ailleurs sur une augmentation de la consommation, de 2 à 3 litres par personne et par an à court terme, pour atteindre vite 6 à 8 litres de moyenne. À titre de comparaison, la République tchèque affiche une moyenne de 160 litres par personne, l’Allemagne 110 litres, l’Angleterre 78 litres ou la France 31 litres.
L’optimisme d’Akram Kassatly n’a rien d’une utopie : les efforts des différentes marques de bières, présentes au Liban, n’ont cessé de dynamiser le marché. En 2004, IWSR comptabilisait 15,2 millions de litres de bière vendus dans le pays. En 2014, la même étude envisage 23,9 millions de litres, soit une croissance de près de 65 % en dix ans (ou de +4,8 % en moyenne pondérée annuelle).
Une consommation en hausse
Tout est fait pour modifier les habitudes de consommation. Car le Liban reste marqué par l’influence française qui a favorisé une “culture du vin” s’ajoutant à celle traditionnelle de l’arak. Selon Selim Bocti, vice-président d’Almaza-Heineken, « on consomme – ou on consommait – beaucoup plus de bière dans des pays comme l’Irak ou la Syrie », du fait de la présence anglaise. Pourtant la bière n’est pas si étrangère à cette région du monde qu’on le croit : c’est ici que les premières boissons fermentées sont apparues 9 000 ans avant Jésus-Christ. Et c’est quelque part en Mésopotamie, entre le pays de Sumer et Babylone, que la bière a coulé à flots pour la première fois.
Le marketing agressif vise à sortir la bière de son rôle quasi exclusif de boisson rafraîchissante au moment des grandes chaleurs de l’été. « La consommation de bière reste marquée par une forte saisonnalité : typiquement, c’est la boisson que l’on consomme l’été, sur la plage ou juste après, pour se désaltérer. L’hiver, la consommation chute fortement. En Europe, la bière s’apparente au vin : c’est une culture, un univers en soi. Les consommateurs n’hésitent pas à prendre une bière pendant un repas ou à l’apéritif », assure encore Selim Bocti. À ce facteur s’ajoute un autre aspect. « Ici, la bière reste le fait d’une élite éduquée. Pour des bières premium, artisanales, le marché est étroit », explique Mazen Hajjar, patron de 961. Pour cette marque, le marché de la bière doit passer par une période d’éducation, portée par l’arrivée de nouveaux acteurs et surtout le renouveau des brasseries artisanales, voire des micro-brasseries. Car aux grands acteurs industriels, viennent désormais s’ajouter de plus petits, plus pointus. Ce mouvement a démarré aux États-Unis : en 1978, il restait ainsi 42 brasseries de ce type sur le continent nord-américain ; aujourd’hui, on en dénombre presque 3 000 sans compter les quelque 100 000 individus qui produisent chez eux leurs propres bières. « La prohibition a entraîné la quasi-disparition des brasseries artisanales aux États-Unis, laissant la place aux grands acteurs industriels. Mais dans les années 1980, Jimmy Carter a assoupli les règles de distribution et de production de l’alcool, ce qui a permis de faire revivre cette tradition : on multiplie les goûts, les saveurs. On retrouve la richesse initiale des bières », explique Mazen Hajjar, fondateur de la bière 961, la première à avoir exploré en 2006 ce créneau au Liban, et de la Lebanese Brew en 2011. Le phénomène a ensuite touché le Vieux Continent. En France, par exemple, les guides recensent pas loin de 500 micro-brasseries et il s’en ouvre une cinquantaine nouvelle chaque année… Même dans le Bordelais, pourtant Terra Sancta du vin, une douzaine de ces néobrasseries ont éclos. Le Liban connaît, à son tour, cette tendance. Longtemps isolé, Mazen Hajjar est désormais rejoint par quelques autres aventuriers : Émile Strunc, qui produit depuis une dizaine d’années de la bière, dans sa “nano-brasserie” de 18 m2 à Jounié, travaille désormais à un vrai projet de brasserie artisanale, à Ghazir. Depuis l’été, une autre micro-brasserie s’est ouverte à Batroun, Colonel, fondée par Jamil Haddad. D’une capacité maximale de 1 000 litres par brassage, elle propose une bière standard à la vente et plusieurs spécialités à consommer sur place.
Almaza-Heineken n’a pas dit son dernier mot
Face à ces bouleversements, le groupe Almaza-Heineken a déjà commencé à réagir. Après la Pure Malt et la bière light, le groupe diversifie encore son portefeuille de saveurs avec l’introduction d’une bière panachée au jus de citron, la Radler. Il a aussi lancé une nouvelle marque, Alrayess, vendue 0,66 dollar l’unité, pour prendre position sur le segment d’entrée de gamme, sans toutefois communiquer grand-chose à ce propos.
Plus important encore, dans les prochains mois, Almaza-Heineken devrait poser la première pierre de sa nouvelle usine de production dans le nord du Liban. Le site emblématique de la marque, situé à la sortie nord de Beyrouth, est en effet resté la propriété de la famille Jabre, fondatrice d’Almaza, et le bail arrive à échéance. L’investissement dans une nouvelle brasserie sera l’occasion d’augmenter les capacités de production, voire d’accueillir d’autres marques du groupe Heineken. Pour l’heure, toutefois, aucune information n’a filtré sur ce projet, ni sur la stratégie commerciale du groupe.
Un peu plus d’une décennie plus tard, le groupe Almaza-Heineken reste en position dominante, en léger retrait cependant avec 65 % de parts de marché, si on en croit les chiffres de IWSR. Mais la répartition entre Almaza et Heineken a changé. La bière emblématique du Liban se contente désormais de 53 % de parts de marché (contre 73 % en 2000) quand Heineken représente un peu plus de 10 % du total. Certes, Almaza reste le numéro un avec 12,45 millions de litres écoulés en 2013. Mais son ancien monopole est attaqué de toutes parts.
D’un côté, les importations galopent : +288 % entre 2004 et 2014, selon IWSR. Une trentaine de marques étrangères sont présentes au Liban pour profiter de cette expansion. Ensemble, elles détiennent 44 % de parts de marché contre 56 % aux bières locales. Et ce malgré des droits de douane élevés : 40 % aujourd’hui d’accises sur les importations auxquelles s’ajoute la TVA (10 %). Ces accises devraient baisser d’ici à 2015 pour les bières européennes, qui seront taxées seulement à 25 %. La valeur de ces importations est de 10 millions de dollars en 2013 avant les marges de distribution, selon les chiffres des douanes libanaises.
Avec 2,5 millions de litres, Heineken a favorisé la vente de la marque éponyme : +12 % en moyenne pondérée annuelle depuis 2004 selon l’étude IWSR alors qu’Almaza a reculé de 0,3 % en moyenne annuelle pondérée sur la période. Tandis que la bière turque Efes (groupe Abi Ramia Brothers), qui a réussi à écouler 3,9 millions de litres en 2013, effectue une forte percée (+13 % en moyenne pondérée depuis 2004). Avec 16 % de parts de marché, cette marque d’entrée de gamme, vendue 0,80 dollar l’unité (33 cl) au détail, est désormais numéro deux du marché.
Efes a réussi à s’imposer par le “bas”, en prenant le segment de marché laissé libre par la politique de prix élevé pratiquée par Almaza : 0,94 dollar l’unité (33 cl). Par comparaison, des bières importées comme Bavaria (groupe indépendant néerlandais) et Tuborg (groupe Carlsberg) se vendent respectivement à 0,83 dollar et 0,88 dollar. Même la bière artisanale libanaise 961 est moins chère qu’Almaza : 0,92 dollar la bouteille de 33 cl dans les supermarchés.
Nouveaux acteurs locaux
Si malgré cette concurrence importée Almaza préserve jusque-là sa domination sans partage sur le segment des bières locales, la marque libanaise fait aussi désormais face à une concurrence nouvelle.
La première bataille a eu lieu il y a plus d’une décennie, lorsque la marque Laziza, fondée en 1931, a été relancée en 2000 sur le marché libanais par Joe Khawam, petit-fils du fondateur de la marque. « Laziza et Almaza ont assez vite entamé une guerre commerciale : réduction des prix, promotions… Un argument a été fatal à Laziza : cette bière “libanaise” était brassée en Hollande. Almaza s’est servie de cet argument pour réveiller le “réflexe nationaliste”. Cela a marché », se souvient un acteur du secteur. Consciente de cette faiblesse, Laziza avait décidé d’investir dans une nouvelle usine au Liban, lorsque Heineken, qui venait d’acquérir Almaza, lui a fait une offre de rachat qu’elle ne pouvait pas refuser. « La prime payée à l’époque a été vite rentabilisée grâce à la situation de monopole – impensable dans un pays doté d’une législation antitrust – dans laquelle s’est trouvé le groupe Heineken au Liban qui lui a permis de relever les prix et d’encaisser des marges confortables dans un marché de volume », commente un autre acteur du secteur.
Il a fallu attendre 2006 et l’arrivée de 961 de Mazen Hajjar pour assister à l’émergence d’un nouvel acteur libanais. Pour autant, 961, qui détient environ 5 % du marché des bières locales, ne se positionne pas comme un concurrent direct d’Almaza. Avec une production estimée à moins d’un 0,65 million de litres pour le marché libanais selon IWSR, 961 se veut une brasserie artisanale, qui produit des bières de spécialité, dont certaines saisonnières, en édition limitée.
L’arrivée en 2014 d’industriels dotés de gros moyens change la donne. Le groupe Kassatly, connu pour ses boissons énergisantes Buzz ou Freez ou pour son vin Château Ka (300 000 bouteilles par an), est bien décidé à tailler des croupières à Almaza. « Nous sommes dimensionnés pour assurer une production de 20 millions de litres annuellement », assure Akram Kassatly, patron du groupe éponyme dont l’usine de 3 000 m2 se trouve à Chtaura sur le site de production du groupe. Avec un investissement de 15 millions de dollars, l’objectif est de prendre vite 10 à 15 % de parts de marché grâce à cette nouvelle bière Beirut, qui sera alignée sur les prix pratiqués par Almaza. Kassatly assure que son lancement s’accompagnera d’un gros budget de communication dont le PDG ne souhaite pas pour l’instant révéler le détail ni les montants. Le groupe Interbrand, dirigé par Alain et Marc Tabourian, connu pour ses sodas (RC Cola) ou ses jus de fruits (Libby’s, Libanjus), a lui aussi annoncé son entrée sur le marché de la bière, sans cependant spécifier de date ou d’investissement précis. Seule certitude : sa future bière devrait se positionner sur le segment d’entrée de gamme. « Il n’y a pas de raison que ce créneau soit occupé par une bière importée. Nous avons les moyens de prendre ce marché », explique Alain Tabourian.
« Le marché libanais est très sensible au prix. Il est déterminant dans l’acte d’achat. La bière reste un marché de volume », assure Akram Kassatly. Le prix moyen d’une bouteille (33 cl) en supermarché tourne autour de 1 500 livres libanaises (1 dollar) en 2013. Dans un bar, il faut compter entre 3 000 et 5 000 livres libanaises (2 à 5 dollars). Un tarif qui reste toujours en deçà du verre de vin, dont le prix moyen, en augmentation, se situe en 2013 autour de 9 600 livres libanaises (6,4 dollars), selon Hodema, société de conseil en restauration.
Cette nouvelle bataille de la bière ne s’expliquerait pas dans un petit pays tel que le Liban si le marché n’était en croissance. Aujourd’hui, la consommation de bière oscille entre 5 et 6 litres par personne par an, ce qui place le Liban au 90e rang sur 123 pays. Au regard des standards internationaux c’est peu et le potentiel de hausse est important. Kassatly parie d’ailleurs sur une augmentation de la consommation, de 2 à 3 litres par personne et par an à court terme, pour atteindre vite 6 à 8 litres de moyenne. À titre de comparaison, la République tchèque affiche une moyenne de 160 litres par personne, l’Allemagne 110 litres, l’Angleterre 78 litres ou la France 31 litres.
L’optimisme d’Akram Kassatly n’a rien d’une utopie : les efforts des différentes marques de bières, présentes au Liban, n’ont cessé de dynamiser le marché. En 2004, IWSR comptabilisait 15,2 millions de litres de bière vendus dans le pays. En 2014, la même étude envisage 23,9 millions de litres, soit une croissance de près de 65 % en dix ans (ou de +4,8 % en moyenne pondérée annuelle).
Une consommation en hausse
Tout est fait pour modifier les habitudes de consommation. Car le Liban reste marqué par l’influence française qui a favorisé une “culture du vin” s’ajoutant à celle traditionnelle de l’arak. Selon Selim Bocti, vice-président d’Almaza-Heineken, « on consomme – ou on consommait – beaucoup plus de bière dans des pays comme l’Irak ou la Syrie », du fait de la présence anglaise. Pourtant la bière n’est pas si étrangère à cette région du monde qu’on le croit : c’est ici que les premières boissons fermentées sont apparues 9 000 ans avant Jésus-Christ. Et c’est quelque part en Mésopotamie, entre le pays de Sumer et Babylone, que la bière a coulé à flots pour la première fois.
Le marketing agressif vise à sortir la bière de son rôle quasi exclusif de boisson rafraîchissante au moment des grandes chaleurs de l’été. « La consommation de bière reste marquée par une forte saisonnalité : typiquement, c’est la boisson que l’on consomme l’été, sur la plage ou juste après, pour se désaltérer. L’hiver, la consommation chute fortement. En Europe, la bière s’apparente au vin : c’est une culture, un univers en soi. Les consommateurs n’hésitent pas à prendre une bière pendant un repas ou à l’apéritif », assure encore Selim Bocti. À ce facteur s’ajoute un autre aspect. « Ici, la bière reste le fait d’une élite éduquée. Pour des bières premium, artisanales, le marché est étroit », explique Mazen Hajjar, patron de 961. Pour cette marque, le marché de la bière doit passer par une période d’éducation, portée par l’arrivée de nouveaux acteurs et surtout le renouveau des brasseries artisanales, voire des micro-brasseries. Car aux grands acteurs industriels, viennent désormais s’ajouter de plus petits, plus pointus. Ce mouvement a démarré aux États-Unis : en 1978, il restait ainsi 42 brasseries de ce type sur le continent nord-américain ; aujourd’hui, on en dénombre presque 3 000 sans compter les quelque 100 000 individus qui produisent chez eux leurs propres bières. « La prohibition a entraîné la quasi-disparition des brasseries artisanales aux États-Unis, laissant la place aux grands acteurs industriels. Mais dans les années 1980, Jimmy Carter a assoupli les règles de distribution et de production de l’alcool, ce qui a permis de faire revivre cette tradition : on multiplie les goûts, les saveurs. On retrouve la richesse initiale des bières », explique Mazen Hajjar, fondateur de la bière 961, la première à avoir exploré en 2006 ce créneau au Liban, et de la Lebanese Brew en 2011. Le phénomène a ensuite touché le Vieux Continent. En France, par exemple, les guides recensent pas loin de 500 micro-brasseries et il s’en ouvre une cinquantaine nouvelle chaque année… Même dans le Bordelais, pourtant Terra Sancta du vin, une douzaine de ces néobrasseries ont éclos. Le Liban connaît, à son tour, cette tendance. Longtemps isolé, Mazen Hajjar est désormais rejoint par quelques autres aventuriers : Émile Strunc, qui produit depuis une dizaine d’années de la bière, dans sa “nano-brasserie” de 18 m2 à Jounié, travaille désormais à un vrai projet de brasserie artisanale, à Ghazir. Depuis l’été, une autre micro-brasserie s’est ouverte à Batroun, Colonel, fondée par Jamil Haddad. D’une capacité maximale de 1 000 litres par brassage, elle propose une bière standard à la vente et plusieurs spécialités à consommer sur place.
Almaza-Heineken n’a pas dit son dernier mot
Face à ces bouleversements, le groupe Almaza-Heineken a déjà commencé à réagir. Après la Pure Malt et la bière light, le groupe diversifie encore son portefeuille de saveurs avec l’introduction d’une bière panachée au jus de citron, la Radler. Il a aussi lancé une nouvelle marque, Alrayess, vendue 0,66 dollar l’unité, pour prendre position sur le segment d’entrée de gamme, sans toutefois communiquer grand-chose à ce propos.
Plus important encore, dans les prochains mois, Almaza-Heineken devrait poser la première pierre de sa nouvelle usine de production dans le nord du Liban. Le site emblématique de la marque, situé à la sortie nord de Beyrouth, est en effet resté la propriété de la famille Jabre, fondatrice d’Almaza, et le bail arrive à échéance. L’investissement dans une nouvelle brasserie sera l’occasion d’augmenter les capacités de production, voire d’accueillir d’autres marques du groupe Heineken. Pour l’heure, toutefois, aucune information n’a filtré sur ce projet, ni sur la stratégie commerciale du groupe.
La croissance tirée par les pays émergents Le marché mondial de la bière était estimé à plus de 509 milliards de dollars, soit 1,84 milliard d’hectolitres de bière. Selon Euromonitor, le marché mondial devrait même continuer à croître en volume pour atteindre 2,17 milliards d’hectolitres en 2016. Mais en Europe de l’Ouest, la consommation continue à s’éroder : elle devrait passer de 27 à 26 milliards de litres entre 2011 et 2016. La plus forte progression viendra de l’Asie, dont la consommation devrait atteindre 84,5 milliards de litres en 2016 contre 66,9 en 2011. Des exportations encore timides Dix millions de dollars d’importations… cinq millions d’exportations, selon les douanes libanaises en 2013. Le ratio n’est pas en faveur de la bière libanaise. « On exporte dans 25 pays, dans les régions où la diaspora est implantée », assure Selim Bocti, d’Almaza. La marque réserve 20 à 25 % de ses volumes à l’exportation. Chez 961, qui exporte dans une vingtaine de pays pour un pourcentage de volume similaire, en revanche, on assure ne pas connaître l’effet diaspora. « On prend une 961 parce qu’elle représente une offre de goût différente », assure Mazen Hajjar. Aujourd’hui, c’est le fondateur de la marque qui s’exporte : il ouvre une micro-brasserie à Melbourne en Australie, qui brassera une nouvelle bière, dénommée Hawkers… qu’on devrait retrouver au Liban prochainement. |