Stylistes, architectes, designers, bijoutiers ou encore galeristes, tous partagent un point commun : ils ont choisi de s’installer à Mar Mikhaël pour y vivre de leurs activités. Depuis 2005, ils sont plus de 63 à avoir établi leur atelier dans ce quartier du nord-est de la capitale. « Ce chiffre n’est bien évidemment pas exhaustif, il est impossible de recenser tous les artistes présents, précise Georges Zouain, économiste du développement. Mais ce qui est important, c’est de noter leur concentration. » Avec la société d’ingénierie GAIA-Héritage, dont il est le fondateur, Georges Zouain a mené deux enquêtes sur le quartier de Mar Mikhaël dans le cadre du développement des industries créatives à Beyrouth. La première en 2011, l’autre en 2014. En moins de trois ans, l’activité du secteur a doublé dans le voisinage de la rue d’Arménie. Les ateliers de production artisanale, cabinets d’architectes et studios de graphistes prolifèrent à côté des fournisseurs de produits spécialisés, comme la manufacture d’imprimerie en 3D “Rapid Manufactory”, des agences de production et des écoles, à l’image de la formation de design de mode gratuite “Creative Space Beirut”. « Il est difficile de la définir précisément, mais l’industrie des créatifs fait référence à la fois à la création, à la production et à la commercialisation de biens ou de services de nature artistique et culturelle », explique-t-il. Rosy Abourous participe au développement de cette économie depuis 1974. Initialement créatrice de vêtements, elle est désormais designer de bijoux. En 2011, elle décide de quitter sa boutique d’Achrafié pour ouvrir “Rosa Maria” à Mar Mikhaël. Elle explique avoir été comme « happée » par le quartier. « L’endroit m’appelait, c’est très artistique, primitif, il y a de l’espace pour travailler et les loyers étaient attractifs », se rappelle-t-elle. Le quartier de l’ancien cinéma Vendôme s’impose progressivement comme un cluster de cette industrie culturelle. Ce terme fait référence au « regroupement physique d’entreprises et de commerces partageant le même domaine d’activité », souligne l’économiste du développement. La présence simultanée d’une main-d’œuvre qualifiée, de producteurs de contenu, de fournisseurs et d’institutions pourrait transformer Mar Mikhaël en un pôle de compétitivité.
Personne n’est en mesure d’évaluer le poids de cette industrie à l’échelle nationale, mais d’après Georges Zouain Beyrouth est un espace d’échange et de liberté d’expression propice à son développement. Rosy Abourous, après 40 ans de métier, commercialise ses créations dans plus de 100 points de vente à travers le monde. Son chiffre d’affaires a pratiquement doublé en deux ans, pour atteindre en 2013 plus de 420 000 dollars. Le directeur de GAIA-Héritage croit au potentiel créateur d’emplois du secteur. Il compare la dynamique de Mar Mikhaël à celle du nord parisien où le 104, centre de création artistique contemporain inauguré en 2008, contribue au rayonnement économique du pays en accueillant des pépinières d’entreprises. À l’image de la France, où le monde des créatifs, avec ses 74 milliards de revenus annuels, pèse plus lourd que la filière automobile, Georges Zouain estime que, d’ici à quelques années, l’industrie créative pourrait représenter un tiers du PIB libanais. Des arts graphiques et plastiques au cinéma, en passant par la radio, la télévision et l’artisanat, la création pourrait, d’après l’économiste, être une des meilleures opportunités de développement du Liban. « L’économie du savoir, c’est l’économie de demain, explique-t-il. Elle se met doucement en place ici, à Beyrouth, malgré les vicissitudes de notre système. »
La menace de la gentrification
Le développement de l’effet cluster à Mar Mikhaël est pourtant en danger. Aux freins économiques libanais habituels, s’ajoute en effet une nouvelle menace : celle de la gentrification du quartier. « L’extension des activités de loisirs, comme les restaurants et les boîtes de nuit, contribue à la flambée des prix de l’immobilier », regrette George Zouain. Depuis 2007, le prix au mètre carré a été multiplié par plus de 2,5 pour atteindre, en 2013, 3 200 dollars. Locataire de son local rue de Madrid depuis cinq ans, Rosy Abourous devra renouveler son bail l’an prochain. Elle s’attend à ce que le loyer double, alors que le chiffre d’affaires de sa boutique à Mar Mikhaël stagne. La designer de bijoux n’est pas inquiète pour son activité – sa marque se vend à travers la planète, mais davantage pour l’avenir de sa filière. « Ma boutique n’est pas mon gagne-pain, c’est une vitrine, explique-t-elle. Mais ceux qui viennent de s’installer pourront-ils continuer ? » Les créatifs ont besoin d’un minimum de temps et d’expérience pour devenir rentables. Karim Bekdache, à la tête de son studio d’architecture rue de Madrid depuis six ans, craint que son activité ne résiste pas à l’augmentation des prix de l’immobilier. « L’arrivée des pubs et des restaurants a changé la donne, les loyers ne sont plus accessibles aux artisans de notre filière, dit-il. Nous sommes victimes de l’absence de régulation du marché. » L’architecte plaide en faveur d’une meilleure application des lois par le ministère du Tourisme et la municipalité afin d’éviter l’établissement de commerces amateurs qui, d’après lui, sont les premiers responsables de la hausse des loyers. « Ils n’ont pas de permis d’exploitation, pas de licence pour servir des boissons alcoolisées et ne respectent aucune règle en matière de parking ou de bruit. Ils disparaissent donc souvent très vite, laissant les propriétaires en plan et provoquant une inflation soudaine des loyers », explique-t-il. D’après Georges Zouain, la menace est réelle et pourrait « tuer le cluster des créatifs ». En plus d’une meilleure application de la loi, l’économiste préconise la création d’un groupement semi-public pour soutenir l’économie du savoir au Liban. En présentant une étude sur la morphologie du bâti et l’aspect socio-économique du quartier, il espère attirer l’attention de la classe politique et de nouveaux investisseurs – comme l’incubateur Berytech, qui héberge déjà de nombreuses start-up spécialisées dans les nouvelles technologies. L’Union européenne, elle, s’est engagée à défendre le secteur à hauteur de 2,3 millions de dollars à travers son programme Medeneta – Mediterranean cultural network to promote creativity in the arts, crafts and design for communities. Georges Zouain s’en félicite. « Il serait sincèrement dommage que la brèche ouverte à Mar Mikhaël se referme aussi vite qu’elle ne s’est ouverte. »
Personne n’est en mesure d’évaluer le poids de cette industrie à l’échelle nationale, mais d’après Georges Zouain Beyrouth est un espace d’échange et de liberté d’expression propice à son développement. Rosy Abourous, après 40 ans de métier, commercialise ses créations dans plus de 100 points de vente à travers le monde. Son chiffre d’affaires a pratiquement doublé en deux ans, pour atteindre en 2013 plus de 420 000 dollars. Le directeur de GAIA-Héritage croit au potentiel créateur d’emplois du secteur. Il compare la dynamique de Mar Mikhaël à celle du nord parisien où le 104, centre de création artistique contemporain inauguré en 2008, contribue au rayonnement économique du pays en accueillant des pépinières d’entreprises. À l’image de la France, où le monde des créatifs, avec ses 74 milliards de revenus annuels, pèse plus lourd que la filière automobile, Georges Zouain estime que, d’ici à quelques années, l’industrie créative pourrait représenter un tiers du PIB libanais. Des arts graphiques et plastiques au cinéma, en passant par la radio, la télévision et l’artisanat, la création pourrait, d’après l’économiste, être une des meilleures opportunités de développement du Liban. « L’économie du savoir, c’est l’économie de demain, explique-t-il. Elle se met doucement en place ici, à Beyrouth, malgré les vicissitudes de notre système. »
La menace de la gentrification
Le développement de l’effet cluster à Mar Mikhaël est pourtant en danger. Aux freins économiques libanais habituels, s’ajoute en effet une nouvelle menace : celle de la gentrification du quartier. « L’extension des activités de loisirs, comme les restaurants et les boîtes de nuit, contribue à la flambée des prix de l’immobilier », regrette George Zouain. Depuis 2007, le prix au mètre carré a été multiplié par plus de 2,5 pour atteindre, en 2013, 3 200 dollars. Locataire de son local rue de Madrid depuis cinq ans, Rosy Abourous devra renouveler son bail l’an prochain. Elle s’attend à ce que le loyer double, alors que le chiffre d’affaires de sa boutique à Mar Mikhaël stagne. La designer de bijoux n’est pas inquiète pour son activité – sa marque se vend à travers la planète, mais davantage pour l’avenir de sa filière. « Ma boutique n’est pas mon gagne-pain, c’est une vitrine, explique-t-elle. Mais ceux qui viennent de s’installer pourront-ils continuer ? » Les créatifs ont besoin d’un minimum de temps et d’expérience pour devenir rentables. Karim Bekdache, à la tête de son studio d’architecture rue de Madrid depuis six ans, craint que son activité ne résiste pas à l’augmentation des prix de l’immobilier. « L’arrivée des pubs et des restaurants a changé la donne, les loyers ne sont plus accessibles aux artisans de notre filière, dit-il. Nous sommes victimes de l’absence de régulation du marché. » L’architecte plaide en faveur d’une meilleure application des lois par le ministère du Tourisme et la municipalité afin d’éviter l’établissement de commerces amateurs qui, d’après lui, sont les premiers responsables de la hausse des loyers. « Ils n’ont pas de permis d’exploitation, pas de licence pour servir des boissons alcoolisées et ne respectent aucune règle en matière de parking ou de bruit. Ils disparaissent donc souvent très vite, laissant les propriétaires en plan et provoquant une inflation soudaine des loyers », explique-t-il. D’après Georges Zouain, la menace est réelle et pourrait « tuer le cluster des créatifs ». En plus d’une meilleure application de la loi, l’économiste préconise la création d’un groupement semi-public pour soutenir l’économie du savoir au Liban. En présentant une étude sur la morphologie du bâti et l’aspect socio-économique du quartier, il espère attirer l’attention de la classe politique et de nouveaux investisseurs – comme l’incubateur Berytech, qui héberge déjà de nombreuses start-up spécialisées dans les nouvelles technologies. L’Union européenne, elle, s’est engagée à défendre le secteur à hauteur de 2,3 millions de dollars à travers son programme Medeneta – Mediterranean cultural network to promote creativity in the arts, crafts and design for communities. Georges Zouain s’en félicite. « Il serait sincèrement dommage que la brèche ouverte à Mar Mikhaël se referme aussi vite qu’elle ne s’est ouverte. »