Toujours bénéficiaire malgré trois années de ralentissement économique, le secteur bancaire est confronté à la révision de son environnement opérationnel par des facteurs exogènes ayant aussi bien trait aux soubresauts géopolitiques qu’aux perspectives d’évolution fiscale et réglementaire.
Au-delà des interrogations sur la persistance d’une conjoncture morose et sa capacité éventuelle à ébranler une “résilience” jusque-là toujours au rendez-vous, les banques libanaises doivent aussi faire face à des changements structurels pouvant éventuellement impliquer des adaptations stratégiques.
Il en est ainsi de la multiplication des foyers de tensions et de conflits dans la région qui n’affecte pas seulement l’environnement macroéconomique dans lequel opèrent les banques libanaises, mais également leur stratégie de croissance externe.
Selon les données de l’ABL, 17 banques libanaises sont présentes à l’étranger à travers 109 entités réparties dans 31 pays de tous les continents. Pour autant, alors que la plupart d’entre elles cherchaient à s’affirmer à moyen terme au Moyen-Orient, « les crises résultant des printemps arabes ont amené les banques à revoir leurs ambitions d’expansion régionale à la baisse sur le court terme : l’activité en Syrie, leur second marché naturel, est réduite a minima (voir p. 58) et la situation actuelle en Irak, identifié comme un relai possible de croissance en raison d’une forte présence commerciale libanaise, constitue désormais un frein au développement », résume Walid Raphaël, PDG de la Banque libano-française. « Les banques libanaises présentes en Irak ne sont pas impliquées dans l’octroi de prêts au secteur privé, mais plutôt dans l’ouverture de lettres de crédit aux clients engagés dans des activités commerciales », nuance toutefois Makram Sader, secrétaire général de l’Association des banques au Liban (ABL).
Résultat, si elles ont globalement contenu l’impact de ces événements en réduisant leur exposition et en constituant des réserves supplémentaires, les banques restent davantage dans l’expectative, convoitant les possibilités offertes par les lendemains de conflits et, pour certaines d’entre elles, tournant leurs regards vers d’autres continents où la diaspora est bien implantée et le marché peu bancarisé.
Vers une pression fiscale accrue ?
Leurs perspectives semblent s’assombrir également sur le plan fiscal. Le secteur déploie d’intenses efforts de lobbying pour dissuader le législateur de réviser les modalités de taxation de son activité dans sa recherche de sources de financement pour la nouvelle grille des salaires de la fonction publique. Parmi les pistes envisagées, la mesure la plus emblématique est sans doute le relèvement de 40 %, à un taux de 7 %, de la taxation des revenus des dépôts bancaires couplée à l’abrogation de la déductibilité de l’impôt sur le revenu des intérêts des dépôts. Une augmentation identique de l’impôt sur les bons du Trésor et une hausse de l’impôt sur le revenu des banques de 15 % à 17 % sont également envisagées.
La levée de boucliers des banques s’appuie principalement sur trois types d’arguments. D’abord le poids d’ores et déjà élevé, en termes relatifs, de la fiscalité appliquée à l’activité. « L’imposition des banques libanaises représente déjà 38 % des impôts payés par les sociétés et 28 % des impôts payés par les particuliers pour une activité qui pèse environ 7 % du PIB », affirme par exemple Saad Azhari, PDG de la Blom Bank.
Le cœur de la contestation repose ensuite sur les conséquences macroéconomiques, sur l’épargne et l’investissement notamment, de ces mesures. « Cette double imposition sur les revenus et les bénéfices se traduira nécessairement par une baisse de la rémunération des actionnaires, ainsi qu’une hausse des taux d’intérêt sur les crédits au secteur privé qui ne peut qu’être néfaste pour l’activité économique du pays », présage François Bassil, PDG de la Byblos Bank.
Dernier élément de langage, l’injustice d’une mesure envisagée telle quelle, sans contrepartie en terme de réforme administrative. « En réalité, le gisement principal des sources de financement se situe dans la réduction du différentiel entre les recettes fiscales effectives sur salaires et profits (d’environ 1 milliard de dollars) et potentielles (estimées à 2,9 milliards de dollars). Il y a donc 1,9 milliard de dollars non collectés et c’est là que devrait se porter l’attention plutôt que sur les profits bancaires qui sont loin d’être aussi élevés qu’on le laisse à penser. Leur moyenne sur les trois dernières années est de 1,6 milliard de dollars mais les dividendes ne représentent que 28 % de ce montant en moyenne, alors que les bénéfices affectés aux comptes de réserves allouées au maintien du ratio de solvabilité représentent 55 % ce qui permet aux banques de continuer à financer d’une année à l’autre les besoins de financement des secteurs privé et public », explique Freddie Baz, directeur financier et de la stratégie de la Bank Audi.
Nouvelles règles de transparence
Enfin, les banques libanaises doivent aussi compter avec les changements en cours des règles du jeu en matière de transparence financière internationale et en particulier la lutte contre le blanchiment et l’évasion fiscale. Une série de mesures effectives ou en cours d’implémentation poussent de facto le secteur à reconsidérer de manière plus souple la sacro-sainte notion de secret bancaire.
Parmi elles, la Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) mise en place par les États-Unis pour s’assurer de la contribution fiscale de l’ensemble de leurs citoyens demeure sans doute la plus radicale à cet égard (voir la Revue fiscale libanaise, premier semestre 2014). Bien avant son entrée en vigueur, en juillet 2014, « toutes les banques libanaises avaient signé directement avec Internal Revenue Service (NDLR : le fisc américain) qui a cité le Liban parmi les pays les plus à la page en la matière », affirme Makram Sader. De fait, toutes les banques s’assurent à leurs frais de l’identification au sein de leur clientèle des contribuables américains, qui sont désormais soumis à l’acceptation de la notification de leurs données bancaires à l’IRS. Une brèche néanmoins considérée comme non létale pour l’ensemble du système. « Le nombre de comptes détenus par des ressortissants américains s’avère modeste », note Adel Kassar, vice-PDG de la Fransabank.
Le mécanisme d’échange automatisé d’informations adopté cet été par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) doit, lui, encore être signé par le Liban, et n’inquiète pas outre mesure le secteur dans la mesure où il repose sur une fiscalisation territoriale, et que « le forum international de l’OCDE considère qu’il n’est pas incompatible avec le secret bancaire libanais », déclare Makram Sader.
Une dernière source d’inquiétude potentielle aurait pu résider dans l’adoption, en juillet, d’un renforcement de la loi de prévention du financement international du Hezbollah par le Congrès américain et notamment de son dispositif de surveillance et de sanction des institutions financières en lien avec le parti. Encore en discussion au Sénat, ce dispositif n’effraie pas particulièrement le secteur qui se déclare à l’unanimité prémuni contre tout risque de sanctions par la réglementation interne existante, notamment la circulaire n° 126 émise par la BDL pour encadrer les activités des banques avec leurs correspondants à l’étranger. « L’affaire de la banque FBME à Chypre confirme que nous n’avons pas grand-chose à craindre, puisque la Federal Bank of Lebanon, dont les propriétaires sont identiques, n’a pas été visée », avance Maurice Sehnaoui, PDG de la BLC Bank.
Il en est ainsi de la multiplication des foyers de tensions et de conflits dans la région qui n’affecte pas seulement l’environnement macroéconomique dans lequel opèrent les banques libanaises, mais également leur stratégie de croissance externe.
Selon les données de l’ABL, 17 banques libanaises sont présentes à l’étranger à travers 109 entités réparties dans 31 pays de tous les continents. Pour autant, alors que la plupart d’entre elles cherchaient à s’affirmer à moyen terme au Moyen-Orient, « les crises résultant des printemps arabes ont amené les banques à revoir leurs ambitions d’expansion régionale à la baisse sur le court terme : l’activité en Syrie, leur second marché naturel, est réduite a minima (voir p. 58) et la situation actuelle en Irak, identifié comme un relai possible de croissance en raison d’une forte présence commerciale libanaise, constitue désormais un frein au développement », résume Walid Raphaël, PDG de la Banque libano-française. « Les banques libanaises présentes en Irak ne sont pas impliquées dans l’octroi de prêts au secteur privé, mais plutôt dans l’ouverture de lettres de crédit aux clients engagés dans des activités commerciales », nuance toutefois Makram Sader, secrétaire général de l’Association des banques au Liban (ABL).
Résultat, si elles ont globalement contenu l’impact de ces événements en réduisant leur exposition et en constituant des réserves supplémentaires, les banques restent davantage dans l’expectative, convoitant les possibilités offertes par les lendemains de conflits et, pour certaines d’entre elles, tournant leurs regards vers d’autres continents où la diaspora est bien implantée et le marché peu bancarisé.
Vers une pression fiscale accrue ?
Leurs perspectives semblent s’assombrir également sur le plan fiscal. Le secteur déploie d’intenses efforts de lobbying pour dissuader le législateur de réviser les modalités de taxation de son activité dans sa recherche de sources de financement pour la nouvelle grille des salaires de la fonction publique. Parmi les pistes envisagées, la mesure la plus emblématique est sans doute le relèvement de 40 %, à un taux de 7 %, de la taxation des revenus des dépôts bancaires couplée à l’abrogation de la déductibilité de l’impôt sur le revenu des intérêts des dépôts. Une augmentation identique de l’impôt sur les bons du Trésor et une hausse de l’impôt sur le revenu des banques de 15 % à 17 % sont également envisagées.
La levée de boucliers des banques s’appuie principalement sur trois types d’arguments. D’abord le poids d’ores et déjà élevé, en termes relatifs, de la fiscalité appliquée à l’activité. « L’imposition des banques libanaises représente déjà 38 % des impôts payés par les sociétés et 28 % des impôts payés par les particuliers pour une activité qui pèse environ 7 % du PIB », affirme par exemple Saad Azhari, PDG de la Blom Bank.
Le cœur de la contestation repose ensuite sur les conséquences macroéconomiques, sur l’épargne et l’investissement notamment, de ces mesures. « Cette double imposition sur les revenus et les bénéfices se traduira nécessairement par une baisse de la rémunération des actionnaires, ainsi qu’une hausse des taux d’intérêt sur les crédits au secteur privé qui ne peut qu’être néfaste pour l’activité économique du pays », présage François Bassil, PDG de la Byblos Bank.
Dernier élément de langage, l’injustice d’une mesure envisagée telle quelle, sans contrepartie en terme de réforme administrative. « En réalité, le gisement principal des sources de financement se situe dans la réduction du différentiel entre les recettes fiscales effectives sur salaires et profits (d’environ 1 milliard de dollars) et potentielles (estimées à 2,9 milliards de dollars). Il y a donc 1,9 milliard de dollars non collectés et c’est là que devrait se porter l’attention plutôt que sur les profits bancaires qui sont loin d’être aussi élevés qu’on le laisse à penser. Leur moyenne sur les trois dernières années est de 1,6 milliard de dollars mais les dividendes ne représentent que 28 % de ce montant en moyenne, alors que les bénéfices affectés aux comptes de réserves allouées au maintien du ratio de solvabilité représentent 55 % ce qui permet aux banques de continuer à financer d’une année à l’autre les besoins de financement des secteurs privé et public », explique Freddie Baz, directeur financier et de la stratégie de la Bank Audi.
Nouvelles règles de transparence
Enfin, les banques libanaises doivent aussi compter avec les changements en cours des règles du jeu en matière de transparence financière internationale et en particulier la lutte contre le blanchiment et l’évasion fiscale. Une série de mesures effectives ou en cours d’implémentation poussent de facto le secteur à reconsidérer de manière plus souple la sacro-sainte notion de secret bancaire.
Parmi elles, la Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) mise en place par les États-Unis pour s’assurer de la contribution fiscale de l’ensemble de leurs citoyens demeure sans doute la plus radicale à cet égard (voir la Revue fiscale libanaise, premier semestre 2014). Bien avant son entrée en vigueur, en juillet 2014, « toutes les banques libanaises avaient signé directement avec Internal Revenue Service (NDLR : le fisc américain) qui a cité le Liban parmi les pays les plus à la page en la matière », affirme Makram Sader. De fait, toutes les banques s’assurent à leurs frais de l’identification au sein de leur clientèle des contribuables américains, qui sont désormais soumis à l’acceptation de la notification de leurs données bancaires à l’IRS. Une brèche néanmoins considérée comme non létale pour l’ensemble du système. « Le nombre de comptes détenus par des ressortissants américains s’avère modeste », note Adel Kassar, vice-PDG de la Fransabank.
Le mécanisme d’échange automatisé d’informations adopté cet été par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) doit, lui, encore être signé par le Liban, et n’inquiète pas outre mesure le secteur dans la mesure où il repose sur une fiscalisation territoriale, et que « le forum international de l’OCDE considère qu’il n’est pas incompatible avec le secret bancaire libanais », déclare Makram Sader.
Une dernière source d’inquiétude potentielle aurait pu résider dans l’adoption, en juillet, d’un renforcement de la loi de prévention du financement international du Hezbollah par le Congrès américain et notamment de son dispositif de surveillance et de sanction des institutions financières en lien avec le parti. Encore en discussion au Sénat, ce dispositif n’effraie pas particulièrement le secteur qui se déclare à l’unanimité prémuni contre tout risque de sanctions par la réglementation interne existante, notamment la circulaire n° 126 émise par la BDL pour encadrer les activités des banques avec leurs correspondants à l’étranger. « L’affaire de la banque FBME à Chypre confirme que nous n’avons pas grand-chose à craindre, puisque la Federal Bank of Lebanon, dont les propriétaires sont identiques, n’a pas été visée », avance Maurice Sehnaoui, PDG de la BLC Bank.