Juillet 2014, Beyrouth devient la sixième agglomération du Moyen-Orient – après Abou Dhabi, Dubaï, Doha, Riyad et Djeddah – à accueillir Über, la célèbre start-up de services de véhicules de tourisme avec chauffeurs (VTC). Attendue par de nombreux observateurs, cette entrée n’a pas été aussi mouvementée qu’ailleurs. De New Delhi à Sydney, en passant par Paris ou Bruxelles, l’entreprise californienne ne cesse de susciter la polémique, voire d’encourir une interdiction pure et simple de ses services. Parfois mise en cause pour des questions de sécurité ou de politique tarifaire, la compagnie californienne s’est surtout attiré la foudre des taxis professionnels qui l’accusent de concurrence déloyale. Une fronde qui pourrait commencer à monter au Liban, tant le modèle économique “disruptif” du géant américain tend à briser les codes établis dans le secteur.
Créée en 2010 par Travis Kalanick et Garrett Camp à San Francisco, Uber est une application mobile mettant en relation les utilisateurs avec des chauffeurs de voitures privées, grâce à la technologie de géolocalisation des smartphones. « Notre service consiste à faciliter la vie des clients en leur fournissant les outils qui leur permettent de trouver facilement une voiture avec chauffeur », explique Sébastien Wakim, le directeur général de la filiale californienne à Beyrouth. En clair, la compagnie, qui se présente comme une société de marketing, ne possède ni voitures ni conducteurs. Elle travaille, sans contrat d’exclusivité, avec des sociétés de transports et des conducteurs indépendants à qui elle reverse 80 % du prix de chaque course payée par carte bancaire sur la plate-forme numérique.
Un concept qui a propulsé très rapidement Uber sous les feux de la rampe : désormais présente dans 230 villes à travers 46 pays, elle est valorisée à 40 milliards de dollars depuis sa dernière levée de fonds, début décembre. Une réussite qui fait des envieux : sa concurrente émirienne Careem, qui propose un service similaire, a levé, en décembre, 10 millions de dollars auprès d’investisseurs arabes pour financer la poursuite de son expansion régionale. Fondée en 2012 à Dubaï, la compagnie dispose de 4 000 voitures dans 14 villes de la région et s’est implantée au Liban quelques semaines avant Uber : « Beyrouth est un marché à fort potentiel et accueille de nombreux touristes du Golfe qui constituent notre principale cible », se réjouit Abdullah Alhammadi, directeur général pour les nouveaux marchés chez Careem. « Pour l’instant, nos résultats sont très satisfaisants », renchérit Sébastien Wakim, qui refuse toutefois de communiquer tout chiffre pouvant corroborer ses dires. Le nombre de véhicules disponibles sur l’application Uber n’a, depuis juillet, jamais dépassé la dizaine, tandis que la “flotte” revendiquée par Careem se situerait entre 50 et 70 véhicules.
Barrières réglementaires
Un signe que le marché beyrouthin est plus difficile à pénétrer que d’autres, pour les compagnies de VTC ? Avec plus de 50 000 taxis estimés, dont 33 000 sous licence officielle, la capitale libanaise dispose déjà d’une offre abondante et fragmentée entre les taxis collectifs arrêtés à la volée (“les services”), les indépendants et les compagnies de taxis. « Il n’existe pas de statistique officielle mais d’expérience, je dirais qu’il y a 70 % de services et d’indépendants – que l’on ne peut distinguer qu’à l’état du véhicule – et 30 % de taxis franchisés », estime Marwan Fayyad, responsable de l’Association des chauffeurs de taxi.
Au-delà de sa fragmentation, le marché libanais présente de nombreux autres freins potentiels à une pénétration rapide des services de VTC. Au Liban, comme presque partout ailleurs, la principale pierre d’achoppement est d’abord réglementaire. La loi libanaise dispose que tout transport de voyageurs facturé doit être effectué dans un véhicule équipé d’une plaque d’immatriculation rouge et d’une licence du ministère des Transports accolée au pare-brise, dont le coût s’élève à 25 000 dollars. « Ce n’est pas le cas de tous les chauffeurs de ces entreprises. Certains travaillent avec des plaques d’immatriculation vertes et blanches (respectivement réservées aux véhicules de location et aux particuliers). C’est injuste, nous avons donc décidé de les poursuivre en justice », s’insurge Marwan Fayyad. De leur côté, Careem et Über déclarent opérer en conformité avec la réglementation nationale, dans la mesure où leurs chauffeurs partenaires sont tous propriétaires d’une licence, à titre personnel ou à travers leur compagnie. En réalité, l’Association des chauffeurs de taxi inscrit son combat contre ces nouveaux services de VTC dans une bataille plus ancienne et large contre les chauffeurs de taxi circulant sans licence, dont elle estime le nombre à 25 000. Par ailleurs, une grande partie des 33 000 propriétaires de plaques rouges seraient en réalité des travailleurs indépendants qui se sont procuré la licence pour bénéficier d’une couverture sociale et louent, illégalement, leur immatriculation pour arrondir leur fin de mois. « Nous collaborons étroitement avec les autorités pour arrêter ces conducteurs en situation irrégulière. »
Obstacles culturels
Ensuite, le système de tarification horokilométrique adopté par ces services de VTC bouscule les standards du marché libanais généralement basé sur des forfaits préétablis selon la distance (voire négociés, pour les “services”). Pour leurs offres d’entrée de gamme, Uber et Careem facturent ainsi respectivement 0,20 et 0,15 dollar par minute ainsi que 0,50 et 0,70 dollar par kilomètre, en sus de la prise en charge (2 dollars). Un système qui se rapproche des pratiques de certaines grandes capitales occidentales, mais qui peut s’avérer rebutant dans une ville réputée pour ses bouchons interminables…
Enfin, reste à convaincre les usagers de changer leurs habitudes : si le taux de pénétration de l’Internet mobile avoisine désormais les 60 %, selon les opérateurs (voir Le Commerce du Levant n° 5656), le réflexe d’utiliser une appli plutôt que d’appeler un taxi ou héler son “service” dans la rue risque de prendre un certain temps à entrer dans les mœurs. « Le dispositif constitue pourtant une véritable alternative aux longues conversations téléphoniques pour expliquer son adresse », plaide Raja Kurban, directeur opérationnel d’Allo Taxi, la première compagnie privée à avoir lancé son appli géolocalisée. De même, le système de paiement d’Uber et de Careem, basé sur l’utilisation des cartes bancaires (voire l’achat de crédits sur un compte Internet pour Careem), peut s’avérer difficile à imposer dans un pays où le “cash” règne sans partage.
« Uber n’a pas encore trouvé son mode opératoire, la clientèle ici est différente des autres marchés où elle est déjà implantée, mais son arrivée est une aubaine pour nous, car elle nous aide à créer un phénomène de mode autour du principe de l’application », se réjouit Raja Kurban. Une bienveillance loin d’être partagée par la majorité de ses concurrents : certains directeurs de compagnies interrogés sous couvert d’anonymat dénoncent la concurrence déloyale de la société de VTC et craignent, sur le long terme, une transition du marché vers le tout numérique, qui serait, faute de moyens financiers suffisants, synonyme de restructuration des plus petites sociétés. Sur la centaine de compagnies de taxis libanaises, seules quatre disposent d’une flotte supérieure à 50 véhicules.
Créée en 2010 par Travis Kalanick et Garrett Camp à San Francisco, Uber est une application mobile mettant en relation les utilisateurs avec des chauffeurs de voitures privées, grâce à la technologie de géolocalisation des smartphones. « Notre service consiste à faciliter la vie des clients en leur fournissant les outils qui leur permettent de trouver facilement une voiture avec chauffeur », explique Sébastien Wakim, le directeur général de la filiale californienne à Beyrouth. En clair, la compagnie, qui se présente comme une société de marketing, ne possède ni voitures ni conducteurs. Elle travaille, sans contrat d’exclusivité, avec des sociétés de transports et des conducteurs indépendants à qui elle reverse 80 % du prix de chaque course payée par carte bancaire sur la plate-forme numérique.
Un concept qui a propulsé très rapidement Uber sous les feux de la rampe : désormais présente dans 230 villes à travers 46 pays, elle est valorisée à 40 milliards de dollars depuis sa dernière levée de fonds, début décembre. Une réussite qui fait des envieux : sa concurrente émirienne Careem, qui propose un service similaire, a levé, en décembre, 10 millions de dollars auprès d’investisseurs arabes pour financer la poursuite de son expansion régionale. Fondée en 2012 à Dubaï, la compagnie dispose de 4 000 voitures dans 14 villes de la région et s’est implantée au Liban quelques semaines avant Uber : « Beyrouth est un marché à fort potentiel et accueille de nombreux touristes du Golfe qui constituent notre principale cible », se réjouit Abdullah Alhammadi, directeur général pour les nouveaux marchés chez Careem. « Pour l’instant, nos résultats sont très satisfaisants », renchérit Sébastien Wakim, qui refuse toutefois de communiquer tout chiffre pouvant corroborer ses dires. Le nombre de véhicules disponibles sur l’application Uber n’a, depuis juillet, jamais dépassé la dizaine, tandis que la “flotte” revendiquée par Careem se situerait entre 50 et 70 véhicules.
Barrières réglementaires
Un signe que le marché beyrouthin est plus difficile à pénétrer que d’autres, pour les compagnies de VTC ? Avec plus de 50 000 taxis estimés, dont 33 000 sous licence officielle, la capitale libanaise dispose déjà d’une offre abondante et fragmentée entre les taxis collectifs arrêtés à la volée (“les services”), les indépendants et les compagnies de taxis. « Il n’existe pas de statistique officielle mais d’expérience, je dirais qu’il y a 70 % de services et d’indépendants – que l’on ne peut distinguer qu’à l’état du véhicule – et 30 % de taxis franchisés », estime Marwan Fayyad, responsable de l’Association des chauffeurs de taxi.
Au-delà de sa fragmentation, le marché libanais présente de nombreux autres freins potentiels à une pénétration rapide des services de VTC. Au Liban, comme presque partout ailleurs, la principale pierre d’achoppement est d’abord réglementaire. La loi libanaise dispose que tout transport de voyageurs facturé doit être effectué dans un véhicule équipé d’une plaque d’immatriculation rouge et d’une licence du ministère des Transports accolée au pare-brise, dont le coût s’élève à 25 000 dollars. « Ce n’est pas le cas de tous les chauffeurs de ces entreprises. Certains travaillent avec des plaques d’immatriculation vertes et blanches (respectivement réservées aux véhicules de location et aux particuliers). C’est injuste, nous avons donc décidé de les poursuivre en justice », s’insurge Marwan Fayyad. De leur côté, Careem et Über déclarent opérer en conformité avec la réglementation nationale, dans la mesure où leurs chauffeurs partenaires sont tous propriétaires d’une licence, à titre personnel ou à travers leur compagnie. En réalité, l’Association des chauffeurs de taxi inscrit son combat contre ces nouveaux services de VTC dans une bataille plus ancienne et large contre les chauffeurs de taxi circulant sans licence, dont elle estime le nombre à 25 000. Par ailleurs, une grande partie des 33 000 propriétaires de plaques rouges seraient en réalité des travailleurs indépendants qui se sont procuré la licence pour bénéficier d’une couverture sociale et louent, illégalement, leur immatriculation pour arrondir leur fin de mois. « Nous collaborons étroitement avec les autorités pour arrêter ces conducteurs en situation irrégulière. »
Obstacles culturels
Ensuite, le système de tarification horokilométrique adopté par ces services de VTC bouscule les standards du marché libanais généralement basé sur des forfaits préétablis selon la distance (voire négociés, pour les “services”). Pour leurs offres d’entrée de gamme, Uber et Careem facturent ainsi respectivement 0,20 et 0,15 dollar par minute ainsi que 0,50 et 0,70 dollar par kilomètre, en sus de la prise en charge (2 dollars). Un système qui se rapproche des pratiques de certaines grandes capitales occidentales, mais qui peut s’avérer rebutant dans une ville réputée pour ses bouchons interminables…
Enfin, reste à convaincre les usagers de changer leurs habitudes : si le taux de pénétration de l’Internet mobile avoisine désormais les 60 %, selon les opérateurs (voir Le Commerce du Levant n° 5656), le réflexe d’utiliser une appli plutôt que d’appeler un taxi ou héler son “service” dans la rue risque de prendre un certain temps à entrer dans les mœurs. « Le dispositif constitue pourtant une véritable alternative aux longues conversations téléphoniques pour expliquer son adresse », plaide Raja Kurban, directeur opérationnel d’Allo Taxi, la première compagnie privée à avoir lancé son appli géolocalisée. De même, le système de paiement d’Uber et de Careem, basé sur l’utilisation des cartes bancaires (voire l’achat de crédits sur un compte Internet pour Careem), peut s’avérer difficile à imposer dans un pays où le “cash” règne sans partage.
« Uber n’a pas encore trouvé son mode opératoire, la clientèle ici est différente des autres marchés où elle est déjà implantée, mais son arrivée est une aubaine pour nous, car elle nous aide à créer un phénomène de mode autour du principe de l’application », se réjouit Raja Kurban. Une bienveillance loin d’être partagée par la majorité de ses concurrents : certains directeurs de compagnies interrogés sous couvert d’anonymat dénoncent la concurrence déloyale de la société de VTC et craignent, sur le long terme, une transition du marché vers le tout numérique, qui serait, faute de moyens financiers suffisants, synonyme de restructuration des plus petites sociétés. Sur la centaine de compagnies de taxis libanaises, seules quatre disposent d’une flotte supérieure à 50 véhicules.
« Cabbis permettra de comparer les prix proposés par les chauffeurs indépendants » Hadi Hosni, fondateur de Cabbis, une application mobile de réservation de taxis qui devrait être destinée aux chauffeurs indépendants. Quel est votre projet d’application ? Depuis plus d’un an déjà, je travaille à la mise sur le marché d’une application mobile permettant de relier les utilisateurs aux conducteurs de taxis indépendants, déjà équipés d’une licence professionnelle. En un clic, sur son smartphone, le client pourra programmer son trajet, localiser son taxi et connaître à l’avance le prix de sa course. Notre objectif est de fournir le service de commande le plus rapide et le plus abordable du marché. Le projet est financé à hauteur de 200 000 dollars par un investisseur privé qui souhaite pour le moment garder l’anonymat. Votre projet n’est-il pas court-circuité par l’arrivée d’Uber et de Careem sur le marché libanais ? Le système technologique et la stratégie marketing sont totalement différents, puisque Cabbis repose aussi sur la comparaison des prix entre différents prestataires. De plus, nous ne ciblons pas la même clientèle : nous cherchons à offrir un service rapide et bon marché, et non une prestation orientée haut de gamme comme Uber. Nous travaillerons en lien direct avec les services et les taxis indépendants via une stratégie que je ne peux pour le moment pas dévoiler. Cabbis pourrait devenir le nouveau réseau social des usagers, reposant sur le principe d’un système de notation des conducteurs. Quand prévoyez-vous sa mise sur le marché ? Nous allons d’abord réaliser une série de tests auprès d’une quinzaine de chauffeurs et d’une vingtaine de clients potentiels pendant un mois. L’application sera mise sur le marché après l’étude des résultats, au premier semestre 2015. |
« Nous réalisons déjà près du quart de nos commandes à travers l’appli mobile » Raja Kurban, directeur opérationnel d’Allo Taxi Pourquoi avoir lancé une application mobile pour les commandes de vos taxis ? Le central d’appel, c’est du passé : le client n’a plus envie de prendre son téléphone pour expliquer son adresse. Notre originalité est d’avoir équipé nos véhicules d’écran avec un système de distribution automatique, c’est-à-dire que le serveur attribue mécaniquement la course à la voiture la plus proche du client. Désormais, le client peut choisir le mode de réservation de sa course : par Internet, par téléphone ou avec l’application. Son développement est le fruit d’un partenariat avec la société de taxis Addison Lee : c’est le leader européen et leur technologie est la plus avancée du marché. Combien avez-vous investi dans son développement ? Entre 400 000 et 500 000 dollars. Ce montant comprend les droits d’utilisation du logiciel, les droits d’accès à la cartographie du Liban, les droits d’utilisation de points d’ancrage commerciaux comme le nom de centres commerciaux ou de restaurants, l’équipement et la formation de notre équipe. C’est une véritable réussite. En cinq mois, près de 5 000 personnes ont téléchargé l’application, grâce à laquelle nous réalisons désormais 25 % de nos commandes. Ne craignez-vous pas la nouvelle concurrence des sociétés de VTC ? Bien au contraire. Nous sommes très satisfaits de l’arrivée d’Uber et de Careem sur le marché ! Ces sociétés vont nous aider à développer une nouvelle tendance : plus il y a d’offres, plus le système de réservation sur application sera démocratisé. D’autant qu’il s’agit de compagnies de marketing qui font appel à des chauffeurs privés, nous ne ciblons pas la même clientèle et finalement nous ne proposons pas le même produit. Allo Taxi est présent sur le marché depuis 1999 et possède près de 250 voitures. Par ailleurs, notre application ne se limite pas aux fonctions classiques de géolocalisation et de sélection du véhicule. Elle offre aussi la possibilité de choisir la langue de son chauffeur (arabe, anglais, français), de préréserver et de régler la facture via un compte privé, commercial ou en liquide. |