Les deux opérateurs du réseau GSM syrien, Syriatel et MTN, viennent d’obtenir chacun une licence à long terme sans passer par un appel d’offres. La procédure d’attribution s’est faite dans l’opacité la plus totale.
Le gouvernement syrien a annoncé fin 2014 avoir accordé des licences pour la gestion du réseau de téléphonie mobile à Syriatel et MTN, les deux compagnies qui gèrent depuis 15 ans ce réseau.
L’annonce faite durant le dernier Conseil des ministres de l’année 2014 ne fournit aucun détail sur ces licences sauf à préciser qu’elles sont entrées en application au 1er janvier de cette année.
On ne connaît par exemple ni la durée de ces licences, ni le montant du ticket d’entrée, ni celui des montants annuels que ces sociétés devront verser à l’État, qui détient les droits sur le réseau.
Cette opacité, couplée au fait que l’annonce de l’attribution de ces licences a été faite très discrètement sous la forme d’une phrase publiée en bas du communiqué de presse hebdomadaire du Conseil des ministres, ainsi que l’absence de tout appel d’offres sont les signes les plus flagrants de la tradition de népotisme gouvernant le secteur de la téléphonie mobile et sa place particulière dans la vie politique et économique syrienne.
Une Attribution contestée
Syriatel et Areeba, la société alors détenue par la filiale télécoms du groupe libanais Mikati rachetée en partie en 2006 par le sud-africain MTN, gèrent depuis 2000 le réseau GSM syrien, d’abord sous la forme d’une période d’essai d’un an, puis à partir de 2001, sous la forme de contrats BOT (build, operate, transfer) octroyés pour une période de 15 ans.
Les modalités d’attribution de ces contrats créent la polémique, la période coïncidant avec une certaine libération de la parole au cours de ce qui fut alors appelé le “printemps de Damas” consécutif à l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad. Riad Seif, un homme d’affaires damascène qui avait été élu un temps au Parlement, mène notamment campagne pour dénoncer l’appel d’offres organisé très discrètement au milieu de l’été 2001 avec une période très courte pour la soumission des offres. C’est l’une des explications avancées pour l’emprisonnement de cet opposant, qui a douché les espoirs concernant l’évolution du régime.
Syriatel est en effet la propriété de Rami Makhlouf, le cousin maternel de Bachar el-Assad. Areeba est alors détenue à 80 % par les frères Taha et Nagib Mikati, connus au Liban pour leurs liens personnels avec la famille Assad. Le groupe saoudien Dalla Baraka appartenant à Saleh Kamel détient quant à lui 20 % du capital.
En 2010, alors qu’il ne reste plus que cinq ans avant le terme des contrats, le gouvernement annonce sa volonté de refondre le secteur de la téléphonie mobile avec l’introduction d’un troisième acteur et la transformation des contrats BOT en licences à long terme. Le gouvernement justifie l’introduction d’un troisième opérateur par le besoin d’augmenter la concurrence, d’améliorer la qualité des services et de réduire les prix pour les consommateurs.
Selon des connaisseurs du secteur, ce changement de cap viserait en réalité à prétexter de l’arrivée d’un troisième opérateur pour justifier un changement des termes des contrats avec les deux opérateurs historiques. À partir de 2009, Syriatel et MTN sont tenues de reverser 50 % de leurs revenus à l’État, au lieu de 30 % depuis 2001.
Les alliés… qatariens et saoudiens
À l’été 2010, le gouvernement lance donc un appel d’offres international pour l’attribution d’une licence GSM de 20 ans. Six entreprises y répondent dont des grands noms du secteur : France Telecom (Orange), Turkcell, Etisalat, Saudi Telecom et QTel (Qatar), ainsi qu’une société iranienne peu connue en dehors de ses frontières, Toseye Eatemad Mobin, dont il est dit à Damas qu’elle serait liée aux gardiens de la révolution iranienne, les pasdarans.
En novembre 2010, le ministère des Télécommunications annonce que des six entreprises candidates, cinq sont retenues alors que l’offre d’une seule d’entre elles est rejetée, celle de l’entreprise iranienne.
Cette annonce met en lumière les relations paradoxales de Téhéran et de Damas, alors que les entreprises de nombreux pays qui seront plus tard accusés de comploter contre le régime syrien sont retenues : Turquie, Qatar, Arabie saoudite et France.
L’État renonce à un milliard de dollars
Le ministère des Télécoms annonce parallèlement que pour mettre tous les opérateurs sur un pied d’égalité, il compte transformer les deux contrats BOT en licences, également pour une durée de 20 ans, à travers des négociations de gré à gré avec les deux opérateurs. Pour obtenir ces licences, Syriatel et MTN sont invitées à payer chacune un ticket d’entrée de 25 milliards de livres syriennes, soit 500 millions de dollars au taux de change en vigueur en 2010, ainsi qu’un pourcentage annuel de 25 % sur leurs ventes.
Si ces montants semblent importants à première vue, en réalité, les nouvelles conditions permettent aux deux opérateurs de faire des gains significatifs aux frais de l’État. De fait, en 2009, en versant 50 % de leurs revenus à l’État, les deux opérateurs se sont acquittés d’une somme de 800 millions de dollars.
En ramenant ce taux de 50 à 25 %, l’État renonce donc à 400 millions de dollars de recettes par an. Sur les cinq premières années d’activité, en supposant que les revenus des opérateurs restent stables, cela représente un manque à gagner de deux milliards de dollars compensés pour moitié par le ticket d’entrée de 500 millions payé par chacune des deux sociétés, soit au total un milliard en tout.
Pour justifier cette décision, Imad Sabbouni, le ministre des Télécoms, a alors affirmé que l’arrivée d’un troisième opérateur permettrait de compenser ces pertes, et que le consommateur serait au final le principal bénéficiaire car la concurrence permettrait une baisse des prix.
Le début du soulèvement syrien en mars 2011 a mis fin au projet du gouvernement. L’appel d’offres pour un troisième opérateur a été annulé et la transformation des contrats BOT en licence reportée donc jusqu’au début de cette année, soit au terme du contrat initial.
En août, un officiel de MTN dévoile au Financial Times que sa société est proche de conclure un accord avec le gouvernement syrien pour l’octroi d’une licence de 20 ans moyennant un ticket d’entrée situé entre 18 et 25 milliards de livres. Cela confirmerait que les termes de l’accord envisagés en 2010 sont toujours d’actualité. Reste à savoir si le pourcentage sur les revenus annuels a bien été réduit de moitié.
Quoi qu’il en soit, et dans l’attente de clarifications, qui devraient au moins apparaître au moment de la publication des comptes des deux entreprises, il reste peu de doutes que près de quatre ans après le début du soulèvement syrien, les deux opérateurs de téléphonie mobile, qui sont par ailleurs probablement les deux entreprises les plus profitables du pays, n’ont rien perdu de leur capacité d’influence.
L’annonce faite durant le dernier Conseil des ministres de l’année 2014 ne fournit aucun détail sur ces licences sauf à préciser qu’elles sont entrées en application au 1er janvier de cette année.
On ne connaît par exemple ni la durée de ces licences, ni le montant du ticket d’entrée, ni celui des montants annuels que ces sociétés devront verser à l’État, qui détient les droits sur le réseau.
Cette opacité, couplée au fait que l’annonce de l’attribution de ces licences a été faite très discrètement sous la forme d’une phrase publiée en bas du communiqué de presse hebdomadaire du Conseil des ministres, ainsi que l’absence de tout appel d’offres sont les signes les plus flagrants de la tradition de népotisme gouvernant le secteur de la téléphonie mobile et sa place particulière dans la vie politique et économique syrienne.
Une Attribution contestée
Syriatel et Areeba, la société alors détenue par la filiale télécoms du groupe libanais Mikati rachetée en partie en 2006 par le sud-africain MTN, gèrent depuis 2000 le réseau GSM syrien, d’abord sous la forme d’une période d’essai d’un an, puis à partir de 2001, sous la forme de contrats BOT (build, operate, transfer) octroyés pour une période de 15 ans.
Les modalités d’attribution de ces contrats créent la polémique, la période coïncidant avec une certaine libération de la parole au cours de ce qui fut alors appelé le “printemps de Damas” consécutif à l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad. Riad Seif, un homme d’affaires damascène qui avait été élu un temps au Parlement, mène notamment campagne pour dénoncer l’appel d’offres organisé très discrètement au milieu de l’été 2001 avec une période très courte pour la soumission des offres. C’est l’une des explications avancées pour l’emprisonnement de cet opposant, qui a douché les espoirs concernant l’évolution du régime.
Syriatel est en effet la propriété de Rami Makhlouf, le cousin maternel de Bachar el-Assad. Areeba est alors détenue à 80 % par les frères Taha et Nagib Mikati, connus au Liban pour leurs liens personnels avec la famille Assad. Le groupe saoudien Dalla Baraka appartenant à Saleh Kamel détient quant à lui 20 % du capital.
En 2010, alors qu’il ne reste plus que cinq ans avant le terme des contrats, le gouvernement annonce sa volonté de refondre le secteur de la téléphonie mobile avec l’introduction d’un troisième acteur et la transformation des contrats BOT en licences à long terme. Le gouvernement justifie l’introduction d’un troisième opérateur par le besoin d’augmenter la concurrence, d’améliorer la qualité des services et de réduire les prix pour les consommateurs.
Selon des connaisseurs du secteur, ce changement de cap viserait en réalité à prétexter de l’arrivée d’un troisième opérateur pour justifier un changement des termes des contrats avec les deux opérateurs historiques. À partir de 2009, Syriatel et MTN sont tenues de reverser 50 % de leurs revenus à l’État, au lieu de 30 % depuis 2001.
Les alliés… qatariens et saoudiens
À l’été 2010, le gouvernement lance donc un appel d’offres international pour l’attribution d’une licence GSM de 20 ans. Six entreprises y répondent dont des grands noms du secteur : France Telecom (Orange), Turkcell, Etisalat, Saudi Telecom et QTel (Qatar), ainsi qu’une société iranienne peu connue en dehors de ses frontières, Toseye Eatemad Mobin, dont il est dit à Damas qu’elle serait liée aux gardiens de la révolution iranienne, les pasdarans.
En novembre 2010, le ministère des Télécommunications annonce que des six entreprises candidates, cinq sont retenues alors que l’offre d’une seule d’entre elles est rejetée, celle de l’entreprise iranienne.
Cette annonce met en lumière les relations paradoxales de Téhéran et de Damas, alors que les entreprises de nombreux pays qui seront plus tard accusés de comploter contre le régime syrien sont retenues : Turquie, Qatar, Arabie saoudite et France.
L’État renonce à un milliard de dollars
Le ministère des Télécoms annonce parallèlement que pour mettre tous les opérateurs sur un pied d’égalité, il compte transformer les deux contrats BOT en licences, également pour une durée de 20 ans, à travers des négociations de gré à gré avec les deux opérateurs. Pour obtenir ces licences, Syriatel et MTN sont invitées à payer chacune un ticket d’entrée de 25 milliards de livres syriennes, soit 500 millions de dollars au taux de change en vigueur en 2010, ainsi qu’un pourcentage annuel de 25 % sur leurs ventes.
Si ces montants semblent importants à première vue, en réalité, les nouvelles conditions permettent aux deux opérateurs de faire des gains significatifs aux frais de l’État. De fait, en 2009, en versant 50 % de leurs revenus à l’État, les deux opérateurs se sont acquittés d’une somme de 800 millions de dollars.
En ramenant ce taux de 50 à 25 %, l’État renonce donc à 400 millions de dollars de recettes par an. Sur les cinq premières années d’activité, en supposant que les revenus des opérateurs restent stables, cela représente un manque à gagner de deux milliards de dollars compensés pour moitié par le ticket d’entrée de 500 millions payé par chacune des deux sociétés, soit au total un milliard en tout.
Pour justifier cette décision, Imad Sabbouni, le ministre des Télécoms, a alors affirmé que l’arrivée d’un troisième opérateur permettrait de compenser ces pertes, et que le consommateur serait au final le principal bénéficiaire car la concurrence permettrait une baisse des prix.
Le début du soulèvement syrien en mars 2011 a mis fin au projet du gouvernement. L’appel d’offres pour un troisième opérateur a été annulé et la transformation des contrats BOT en licence reportée donc jusqu’au début de cette année, soit au terme du contrat initial.
En août, un officiel de MTN dévoile au Financial Times que sa société est proche de conclure un accord avec le gouvernement syrien pour l’octroi d’une licence de 20 ans moyennant un ticket d’entrée situé entre 18 et 25 milliards de livres. Cela confirmerait que les termes de l’accord envisagés en 2010 sont toujours d’actualité. Reste à savoir si le pourcentage sur les revenus annuels a bien été réduit de moitié.
Quoi qu’il en soit, et dans l’attente de clarifications, qui devraient au moins apparaître au moment de la publication des comptes des deux entreprises, il reste peu de doutes que près de quatre ans après le début du soulèvement syrien, les deux opérateurs de téléphonie mobile, qui sont par ailleurs probablement les deux entreprises les plus profitables du pays, n’ont rien perdu de leur capacité d’influence.