Comment les Libanais accèdent-ils à la télévision ?
En théorie, les Libanais ont trois possibilités pour regarder la télévision : capter les chaînes locales diffusées sur les ondes hertziennes à l’aide d’une simple antenne râteau ; se doter d’une parabole pour capter les chaînes locales et étrangères gratuites diffusées par satellite ; ou s’abonner auprès d’un opérateur pour accéder aussi aux chaînes payantes diffusées par satellite. Ceux qui résident dans le périmètre de Solidere sont quant à eux les seuls à accéder à la télévision à travers Internet (IPTV).
En pratique, plus de 80 % des foyers paient entre 10 et 25 dollars par mois à des fournisseurs de télévision par câble ou par satellite, qui opèrent en dehors de tout cadre légal. Ces derniers leur fournissent un très grand nombre de chaînes, mais dans la plupart des cas, avec une qualité d’image et de service médiocres. Le Liban compte sept fournisseurs de télévision par satellite sans fil et des centaines de câblo-opérateurs de quartier. Quant à la diffusion hertzienne terrestre, censée être assurée par les huit chaînes nationales, elle est en voie de disparition. Elle aurait dû être remplacée par la télévision numérique terrestre à partir du 17 juin, mais le chantier n’a toujours pas été lancé.
Que dit la loi ?
La loi sur l’audiovisuel numéro 382 date de 1994. Elle instaure une autorité de régulation du secteur, le Conseil national de l’audiovisuel, et conditionne l’utilisation des ondes et des fréquences de l’État à l’obtention d’une licence. « Les chaînes télévisées, les ondes radiophoniques, la marge des fréquences et des vibrations, et autres chaînes et ondes sont le droit exclusif de l’État et ne peuvent être cédées ou vendues. (...) Sans licence préalable, une personne physique ou morale ne peut importer, manufacturer, installer ou utiliser n’importe quel émetteur ou poste de diffusion ou d’émission audiovisuelle. »
Quatre catégories de licences sont prévues, pour une durée de 16 ans renouvelables : les deux premières concernent les chaînes couvrant tout le territoire libanais, mais qui se différencient les unes des autres par le fait que leur grille comporte ou non des plages d’informations et de programmes politiques. La troisième catégorie concerne les télévisions codées « dont les émissions ne peuvent être suivies que par des abonnés techniquement équipés à cette fin ». Et enfin, la quatrième englobe les chaînes diffusées par satellite dont le champ dépasse les limites du territoire libanais.
En 1996, le Conseil des ministres ratifie par décret les cahiers des charges des licences des deux premières catégories, qui imposent aux chaînes une série d’engagements en termes de contenu et de couverture territoriale. La licence est attribuée par le Conseil des ministres sur recommandation du Conseil national de l’audiovisuel. Son prix est fixé à 250 millions de livres et les droits de bail annuels à 100 millions de livres. Cinq chaînes de télévision terrestre hertzienne ont obtenu en 1997 des licences de première catégorie, qui leur donnent droit à quatre fréquences chacune : Télé-Liban (qui a toutefois été exonérée de droits jusqu’en 2002 pour compenser son monopole perdu), LBCI, NBN, Future TV et MTV, al-Manar en obtient une en 1998, New TV en 2000 et OTV en 2006.
Les chaînes de troisième catégorie, elles, sont régies depuis 1996 par la loi 531 qui réglemente la diffusion satellitaire et définit les conditions et les coûts de location des canaux de diffusion (50 dollars par mois par canal) devant être acquittés auprès du ministère des Télécommunications.
En revanche, jusqu’à présent, la télévision “codée” qui correspond à la troisième catégorie n’a pas été réglementée. Et c’est dans ce vide juridique que sont engouffrés les fournisseurs de télévision payante, comme Cablevision, Econet, ou les câblo-distributeurs de quartier.
Comment sont nées les premières offres de télévision payantes ?
Au début des années 1990, les chaînes satellitaires notamment arabes se multiplient. Les Libanais peuvent accéder aux chaînes gratuites en achetant une grande parabole tournée vers les satellites qui les intéressent. En 1992, la société Cablevision installe un parc de paraboles pour capter les chaînes satellitaires, uniformise leur format et crée des bouquets de chaînes qu’elle retransmet, grâce à une technologie sans fil (MMDS ou MVDS), à ses abonnés. Ces derniers sont équipés d’une antenne parabolique de petite taille et d’un décodeur, dont les frais sont pris en charge par le fournisseur. Au lieu d’acheter une parabole et de naviguer entre des centaines de chaînes, l’avantage pour le consommateur est d’accéder à une offre par bouquets en échange d’un abonnement mensuel. Cette offre inclut également des chaînes payantes (cryptées) comme Canal+ par exemple.
Bien que le marché soit appelé à se développer, il échappe à toute réglementation. Cablevision n’obtient pas de licence de diffusion, puisque son champ d’activité relève des télévisions codées, mentionnées dans la loi 381, mais dont les décrets d’application n’ont pas été élaborés. Le cahier des charges des licences de catégorie 3, comme pour les deux premières, aurait dû expliciter les conditions d’obtention de la licence et définir les droits d’utilisation des fréquences, puisque le MMDS (Microwave Multipoint Distribution System) est un système de diffusion par émetteur terrestre qui fonctionne sur des bandes micro-ondes appartenant à l’État. Comme pour les chaînes nationales, les décrets d’application auraient également dû imposer des engagements aux opérateurs au niveau du contenu diffusé, et du respect des droits de propriété intellectuelle, sous la supervision du Conseil national de l’audiovisuel. À défaut, aucun organe ne surveille donc le contenu diffusé, ni ne vérifie si les opérateurs ont le droit de retransmettre les chaînes proposées. Six autres opérateurs utilisent aujourd’hui les fréquences de l’État : Econet, CityTV, Digitec, UCL, Homesat et DMC.
Comment sont nés les câblo-opérateurs de quartier ?
En 1998, lorsque le ministre de l’Énergie de l’époque, Élie Hobeika, interdit les générateurs de quartier à Beyrouth, de nombreux propriétaires de “moteurs” décident de se reconvertir dans la télévision. Comme les distributeurs par MMDS, ils s’équipent de paraboles pour capter les chaînes satellitaires, mais au lieu d’investir dans un système de retransmission sans fil, ils étendent des réseaux de câbles, dont le coût est supporté par le consommateur final. Le phénomène s’étend progressivement à toutes les agglomérations. Les câblo-distributeurs de quartier n’exploitent pas les fréquences de l’État, mais utilisent illégalement d’autres infrastructures publiques (les poteaux électriques, les trottoirs, les routes), et leur activité est le plus souvent non déclarée. La grande majorité d’entre eux font payer aux consommateurs des chaînes qu’ils captent eux-mêmes gratuitement, soit parce qu’elles sont gratuites, soit parce qu’elles sont piratées (pour les chaînes cryptées). Leur nombre est estimé entre 400 et 500.
Pourquoi parle-t-on d’opérateurs légaux et illégaux, alors que tous travaillent sans cadre juridique ?
L’État a fait une première tentative de réglementation du secteur en 2003. Le ministre des Télécommunications de l’époque, Jean-Louis Cordahi, accorde un droit d’utilisation des fréquences de l’État à quatre entreprises (Cablevision, Econet, CityTV et MTA devenue Digitec). Il s’agit d’une autorisation et non d’une licence. Elle est octroyée gratuitement en l’absence de cadre réglementaire. En échange, l’État leur demande de faire preuve de transparence, en déclarant notamment le nombre de leurs abonnés, et promet de légiférer.
Neuf ans plus tard, et toujours pas de cadre réglementaire, le ministre Nicolas Sehnaoui prend l’initiative de régulariser trois opérateurs (UCL, Homesat et DMC). Il se base sur le décret 377, datant de 1989, qui définit les conditions d’utilisation et d’investissements des terminaux sans fil et leur octroie des licences provisoires. En échange, les fournisseurs s’engagent à verser un droit de bail et 20 % de leurs revenus annuels au ministère, à contrôler le contenu des chaînes diffusées et à respecter les droits de propriété intellectuelle. Mais aucun mécanisme n’a été défini pour vérifier si les opérateurs respectent effectivement leurs engagements. Cette démarche porte toutefois à sept le nombre d’opérateurs ayant une certaine forme de légalité auprès de l’État.
Personne ne s’intéresse en revanche aux câblo-opérateurs de quartier, même si tout le monde s’accorde à dire qu’ils agissent dans la plus totale illégalité.
Les opérateurs payent-ils des droits aux chaînes qu’ils retransmettent ?
Outre la question de la légalité des canaux de diffusion utilisés par les distributeurs de bouquets audiovisuels au Liban, se pose aussi celle du respect des droits de propriété intellectuelle. Un distributeur n’a en effet pas le droit de retransmettre une chaîne sans l’accord de celle-ci. Cet accord peut être accompagné d’un versement de droits ou pas.
Il semble qu’au démarrage, les distributeurs tels que Cablevision reversaient des droits aux chaînes étrangères qu’ils diffusaient, ce qui expliquait des tarifs d’abonnement relativement élevés à l’époque, d’environ 20 dollars pour un bouquet d’une vingtaine de chaînes et jusqu’à 30 dollars pour les bouquets de chaînes payantes comme Canal+. Les câblo-opérateurs de quartier, quant à eux, pirataient allègrement le contenu des chaînes. Cette concurrence déloyale a tiré les tarifs d’abonnement vers le bas et sans doute poussé de nombreux opérateurs à basculer dans l’illégalité.
La forte croissance du nombre d’abonnés aux “câbles” de quartier a toutefois poussé les détenteurs de droits à réagir. Les propriétaires de bouquets de chaînes internationales comme ART, OSN, ou BeInSport ont conclu en sous-main des accords avec les distributeurs libanais des chaînes par satellite ou par câble dont les montants ne sont naturellement pas divulgués. Ces accords concernent notamment certains fournisseurs de télévision par satellite comme Cablevision et Econet, qui ont acquis des droits en exclusivité, et les revendent aux autres.
En l’absence de réglementation et de contrôle du secteur, il est impossible de savoir aujourd’hui qui paye des droits, combien et à qui. Le montant total serait de 10 millions de dollars par an, selon le montant évoqué dans la presse il y a un an par un responsable de la compagnie UCL. Les États-Unis, eux, estiment les pertes en termes de droits de propriété intellectuelle dues au piratage du câble au Liban à 123 millions de dollars par an, selon leur rapport annuel sur les droits de propriété intellectuelle.
Alors qu’il s’est engagé à faire respecter le droit de propriété intellectuelle et qu’il est censé prélever des taxes sur les droits de retransmission, l’État ne s’offusque pas du manque de transparence à ce niveau, au contraire. Lors de la dernière Coupe du monde, au lieu d’acheter les droits pour la seule chaîne publique, Télé-Liban, et de les rentabiliser par de la publicité comme le font la plupart des chaînes nationales, le ministre des Télécommunications, Boutros Harb, a parrainé un accord entre le détenteur des droits de retransmission de la chaîne qatarienne BeInSport au Liban, la société Sama et les câblo-opérateurs de quartier. Ces derniers ont pu retransmettre les matchs diffusés sur BeInSport en échange de 3 millions de dollars, financés essentiellement, a dit le ministre, par les réseaux de téléphonie mobile, propriétés de l’État.
Pourquoi les chaînes libanaises ont-elles attendu aujourd’hui pour réclamer des droits ?
Les chaînes libanaises souffrent de la stagnation du marché publicitaire local et du tarissement des fonds politiques en l’absence de rendez-vous électoraux. Selon Talal Makdessi, le directeur de Télé-Liban, les huit principales chaînes du pays ont accusé des pertes cumulées d’au moins 50 millions de dollars l’an dernier.
Les chaînes libanaises s’estiment victimes de la concurrence déloyale que représente la retransmission au Liban de centaines de chaînes étrangères à des tarifs extrêmement bas. Leur part d’audience est tombée à 39 % en 2009, selon l’institut de sondage Ipsos. Mais depuis quelques années, elles semblent avoir retrouvé les faveurs du public, avec une part d’audience estimée à 49 % en 2014. Selon Talal Makdessi, 85 % des téléspectateurs libanais regardent l’une des télés locales lors du pic d’audience, entre 19 et 22 heures. Les chaînes libanaises veulent donc monétiser cela.
D’autant que les câblo-distributeurs peuvent difficilement priver leurs clients des chaînes nationales, habitués à les capter par leur entremise, à défaut de s’équiper de leur propre parabole. En principe, les Libanais devraient aussi pouvoir capter les chaînes hertziennes à travers une simple antenne râteau. Mais dans les faits, malgré leur obligation de couvrir l’ensemble du territoire, la plupart des chaînes ont profité du succès des réseaux câblés pour délaisser leur réseau hertzien dont l’entretien coûtait environ 1,5 million de dollars par an. Certaines chaînes, comme al-Manar, tiennent à leur réseau hertzien pour ne pas dépendre des satellites ou des câblo-opérateurs. D’autres comme OTV et MTV ne diffusent que par satellite même si elles ont aussi des licences de diffusion terrestre.
Les câblo-opérateurs et les chaînes libanaises ont donc tout intérêt à trouver un compromis. Au départ, les télévisions avaient réclamé aux câblo-distributeurs le versement de quatre dollars par mois par abonné pour le bouquet des huit chaînes. « Mais pendant les négociations nous nous sommes rendu compte qu’il est difficile d’imposer un tarif unique, puisque du côté des opérateurs les tarifs d’abonnement ne sont pas unifiés, explique l’avocat des chaînes, Wissam Mansour. L’alternative serait de calculer les droits en fonction de l’audience, comme c’est l’usage, mais là encore difficile de connaître le nombre exact d’abonnés de chaque opérateur. Nous sommes aussi confrontés à un problème technique : une grande partie des opérateurs ne sont pas en mesure de proposer plusieurs bouquets à leurs clients. Nous discutons avec eux et avec les représentants du gouvernement pour essayer de les aider à se développer dans ce sens. »
Pourquoi l’État ménage-t-il les câblo-distributeurs de quartier ?
« Nous voulons réglementer le secteur, mais il faut aussi prendre en compte l’état de fait », répond le ministre de l’Information, Ramzi Jreige.
L’état de fait ce sont des centaines de personnes qui vivent de cette activité et qui risquent de se retrouver au chômage. Ce sont aussi les couvertures politiques à différents niveaux qui ont permis à ces individus d’étendre des réseaux câblés sans aucune autorisation et aux autres d’utiliser les fréquences de l’État gratuitement ou presque. Et c’est enfin, et surtout, l’incapacité de l’État à proposer une alternative.
La loi 431 sur les télécommunications, promulguée en 2002, a transféré les prérogatives de gestion des fréquences de l’État du ministère à l’Autorité de régulation des télécommunications (sauf celles des 3G et 4G). En 2008, cette dernière planche donc sur un cadre réglementaire global pour les fournisseurs de télévisions et propose une feuille de route. Celle-ci restera lettre morte, d’autant que la loi 431 ne sera jamais appliquée.
En 2012, le Conseil des ministres crée une commission composée de représentants des ministères des Télécommunications et de l’Information, et de l’Autorité de régulation des télécommunications pour amender la loi 382 afin d’y inclure la télévision payante, la télévision numérique terrestre et la TV sur Internet notamment via la fibre optique. Le nouveau texte propose six catégories de licences, définit les modes de distribution de la télévision (par câble, par satellite, par Internet...) et autorise les services interactifs et la vidéo à la demande. Il donne également davantage de prérogatives au Conseil national de l’audiovisuel et répartit les rôles entre le ministère de l’Information et celui des Télécommunications. Les amendements achevés fin 2013 n’ont toujours pas été soumis au Conseil des ministres.
Quel intérêt aurait l’État à réglementer le secteur ?
Le chiffre d’affaires du secteur est estimé à au moins 80 millions de dollars par an, sur lesquels l’État ne ponctionne pratiquement rien. Personne ne paye de droits d’utilisation des infrastructures publiques. La majorité ne paye pas non plus les taxes sur les droits de retransmission, ni la TVA, ni les impôts sur les bénéfices, ni les contributions à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS). Une étude menée par Statistics Lebanon en 2000 avait estimé le manque à gagner pour le Trésor à environ 38 millions de dollars en 1999.
Mais au-delà de cet aspect purement fiscal, s’ajoute une dimension économique : le piratage tire les prix vers le bas et empêche le développement d’entreprises en bonne et due forme investissant dans des services à valeur ajoutée (bouquets thématisés, guides, vidéo à la demande, replay, enregistrement programmé, etc.).
L’amendement de la loi de l’audiovisuel et la mise en place d’un cadre réglementaire adéquat auraient également dû préparer la convergence observée dans la majorité des pays développés. En effet, en Europe ou aux États Unis, les fournisseurs de télévision sont aussi des fournisseurs d’Internet et de téléphonie fixe. Dans ces régions du monde, les abonnés bénéficient d’une offre commerciale appelée “triple play”, qui comprend trois services dans le cadre d’un contrat unique : l’accès à l’Internet à haut, voire très haut débit, la téléphonie fixe (le plus souvent sous forme de voix sur IP) et la télévision (par ADSL ou par câble). Certains opérateurs proposent même le “quadruple play” qui inclut un quatrième service : la téléphonie mobile. Au Liban, l’opérateur national Ogero ne propose même pas une offre groupée entre la téléphonie fixe et l’ADSL, le client devant s’abonner séparément aux deux services.
En délaissant le secteur audiovisuel, l’État renonce aussi à sa capacité à réglementer le contenu et à préserver les droits des téléspectateurs, en interdisant par exemple le contenu à caractère violent ou sexuel avant une certaine heure, ou en imposant des signalétiques. L’utilisation anarchique des fréquences soulève par ailleurs des questions de santé publique.
Enfin, en maintenant le vide juridique, l’État renonce à garantir un minimum de chaînes à l’ensemble de ses citoyens. En effet, à partir du 17 juin, date théorique du passage de la télévision hertzienne terrestre à la télévision numérique terrestre, les Libanais qui habitent dans les zones les plus reculées risquent de ne plus capter aucune chaîne nationale.
Où en est la télévision numérique terrestre ?
En signant la convention de Genève en 2006, le Liban s’est engagé à passer à la télévision numérique terrestre à partir du 17 juin. Le plan existe depuis 2013. Il a évalué les besoins d’investissements à 60 millions de dollars pour assurer la migration de l’analogique au numérique. Ce chiffre inclut des subventions pour permettre aux utilisateurs de se doter de l’équipement nécessaire pour recevoir la TNT et la construction d’un réseau de diffusion. Ce réseau serait géré par une société de diffusion commune, dont la nature exacte n’a pas encore été définie, mais qui offrirait ses services de diffusion aux chaînes de télévision nationales. Les chaînes locales n’auraient plus à entretenir leur propre réseau de diffusion et pourraient se concentrer sur la production de contenu. Mais à ce jour aucun appel d’offres n’a été lancé. Le passage à la TNT implique aussi l’amendement de la loi de l’audiovisuel 381. « Je vais demander à ce que ce sujet soit mis à l’ordre du jour du Conseil des ministres au plus tôt », affirme Ramzi Jreige.
À partir du 17 juin, le Liban va perdre le droit de défendre ses fréquences analogiques en cas d’interférence aux frontières, ces interférences pouvant intervenir avec la Syrie mais aussi la Jordanie, la Turquie et Chypre.
Et si le Liban n’utilise pas les quatre fréquences numériques que l’Union internationale des télécommunications lui a octroyées, ses voisins risquent de se les approprier. Or les fréquences sont précieuses. C’est d’ailleurs l’un des principaux intérêts du passage au numérique. En compressant les données, il réduit le nombre de fréquences nécessaires à la transmission : une seule fréquence pourra transmettre les programmes d’une vingtaine de chaînes alors qu’actuellement chaque chaîne bénéficie de quatre fréquences analogiques.
Les fréquences libérées pourraient alors être louées par l’État à des fournisseurs de données mobiles (3G et 4G), ce qui lui rapporterait davantage que le droit de bail annuel collecté actuellement auprès des chaînes de télévision. Selon Sylvain Anichini, expert international dans le déploiement des outils de télévision et de radio, en France par exemple, le passage au numérique a coûté 100 millions d’euros à l’État, mais les fréquences libérées lui ont rapporté 1,8 milliard lors des appels d’offres pour la 4G.
En théorie, les Libanais ont trois possibilités pour regarder la télévision : capter les chaînes locales diffusées sur les ondes hertziennes à l’aide d’une simple antenne râteau ; se doter d’une parabole pour capter les chaînes locales et étrangères gratuites diffusées par satellite ; ou s’abonner auprès d’un opérateur pour accéder aussi aux chaînes payantes diffusées par satellite. Ceux qui résident dans le périmètre de Solidere sont quant à eux les seuls à accéder à la télévision à travers Internet (IPTV).
En pratique, plus de 80 % des foyers paient entre 10 et 25 dollars par mois à des fournisseurs de télévision par câble ou par satellite, qui opèrent en dehors de tout cadre légal. Ces derniers leur fournissent un très grand nombre de chaînes, mais dans la plupart des cas, avec une qualité d’image et de service médiocres. Le Liban compte sept fournisseurs de télévision par satellite sans fil et des centaines de câblo-opérateurs de quartier. Quant à la diffusion hertzienne terrestre, censée être assurée par les huit chaînes nationales, elle est en voie de disparition. Elle aurait dû être remplacée par la télévision numérique terrestre à partir du 17 juin, mais le chantier n’a toujours pas été lancé.
Que dit la loi ?
La loi sur l’audiovisuel numéro 382 date de 1994. Elle instaure une autorité de régulation du secteur, le Conseil national de l’audiovisuel, et conditionne l’utilisation des ondes et des fréquences de l’État à l’obtention d’une licence. « Les chaînes télévisées, les ondes radiophoniques, la marge des fréquences et des vibrations, et autres chaînes et ondes sont le droit exclusif de l’État et ne peuvent être cédées ou vendues. (...) Sans licence préalable, une personne physique ou morale ne peut importer, manufacturer, installer ou utiliser n’importe quel émetteur ou poste de diffusion ou d’émission audiovisuelle. »
Quatre catégories de licences sont prévues, pour une durée de 16 ans renouvelables : les deux premières concernent les chaînes couvrant tout le territoire libanais, mais qui se différencient les unes des autres par le fait que leur grille comporte ou non des plages d’informations et de programmes politiques. La troisième catégorie concerne les télévisions codées « dont les émissions ne peuvent être suivies que par des abonnés techniquement équipés à cette fin ». Et enfin, la quatrième englobe les chaînes diffusées par satellite dont le champ dépasse les limites du territoire libanais.
En 1996, le Conseil des ministres ratifie par décret les cahiers des charges des licences des deux premières catégories, qui imposent aux chaînes une série d’engagements en termes de contenu et de couverture territoriale. La licence est attribuée par le Conseil des ministres sur recommandation du Conseil national de l’audiovisuel. Son prix est fixé à 250 millions de livres et les droits de bail annuels à 100 millions de livres. Cinq chaînes de télévision terrestre hertzienne ont obtenu en 1997 des licences de première catégorie, qui leur donnent droit à quatre fréquences chacune : Télé-Liban (qui a toutefois été exonérée de droits jusqu’en 2002 pour compenser son monopole perdu), LBCI, NBN, Future TV et MTV, al-Manar en obtient une en 1998, New TV en 2000 et OTV en 2006.
Les chaînes de troisième catégorie, elles, sont régies depuis 1996 par la loi 531 qui réglemente la diffusion satellitaire et définit les conditions et les coûts de location des canaux de diffusion (50 dollars par mois par canal) devant être acquittés auprès du ministère des Télécommunications.
En revanche, jusqu’à présent, la télévision “codée” qui correspond à la troisième catégorie n’a pas été réglementée. Et c’est dans ce vide juridique que sont engouffrés les fournisseurs de télévision payante, comme Cablevision, Econet, ou les câblo-distributeurs de quartier.
Comment sont nées les premières offres de télévision payantes ?
Au début des années 1990, les chaînes satellitaires notamment arabes se multiplient. Les Libanais peuvent accéder aux chaînes gratuites en achetant une grande parabole tournée vers les satellites qui les intéressent. En 1992, la société Cablevision installe un parc de paraboles pour capter les chaînes satellitaires, uniformise leur format et crée des bouquets de chaînes qu’elle retransmet, grâce à une technologie sans fil (MMDS ou MVDS), à ses abonnés. Ces derniers sont équipés d’une antenne parabolique de petite taille et d’un décodeur, dont les frais sont pris en charge par le fournisseur. Au lieu d’acheter une parabole et de naviguer entre des centaines de chaînes, l’avantage pour le consommateur est d’accéder à une offre par bouquets en échange d’un abonnement mensuel. Cette offre inclut également des chaînes payantes (cryptées) comme Canal+ par exemple.
Bien que le marché soit appelé à se développer, il échappe à toute réglementation. Cablevision n’obtient pas de licence de diffusion, puisque son champ d’activité relève des télévisions codées, mentionnées dans la loi 381, mais dont les décrets d’application n’ont pas été élaborés. Le cahier des charges des licences de catégorie 3, comme pour les deux premières, aurait dû expliciter les conditions d’obtention de la licence et définir les droits d’utilisation des fréquences, puisque le MMDS (Microwave Multipoint Distribution System) est un système de diffusion par émetteur terrestre qui fonctionne sur des bandes micro-ondes appartenant à l’État. Comme pour les chaînes nationales, les décrets d’application auraient également dû imposer des engagements aux opérateurs au niveau du contenu diffusé, et du respect des droits de propriété intellectuelle, sous la supervision du Conseil national de l’audiovisuel. À défaut, aucun organe ne surveille donc le contenu diffusé, ni ne vérifie si les opérateurs ont le droit de retransmettre les chaînes proposées. Six autres opérateurs utilisent aujourd’hui les fréquences de l’État : Econet, CityTV, Digitec, UCL, Homesat et DMC.
Comment sont nés les câblo-opérateurs de quartier ?
En 1998, lorsque le ministre de l’Énergie de l’époque, Élie Hobeika, interdit les générateurs de quartier à Beyrouth, de nombreux propriétaires de “moteurs” décident de se reconvertir dans la télévision. Comme les distributeurs par MMDS, ils s’équipent de paraboles pour capter les chaînes satellitaires, mais au lieu d’investir dans un système de retransmission sans fil, ils étendent des réseaux de câbles, dont le coût est supporté par le consommateur final. Le phénomène s’étend progressivement à toutes les agglomérations. Les câblo-distributeurs de quartier n’exploitent pas les fréquences de l’État, mais utilisent illégalement d’autres infrastructures publiques (les poteaux électriques, les trottoirs, les routes), et leur activité est le plus souvent non déclarée. La grande majorité d’entre eux font payer aux consommateurs des chaînes qu’ils captent eux-mêmes gratuitement, soit parce qu’elles sont gratuites, soit parce qu’elles sont piratées (pour les chaînes cryptées). Leur nombre est estimé entre 400 et 500.
Pourquoi parle-t-on d’opérateurs légaux et illégaux, alors que tous travaillent sans cadre juridique ?
L’État a fait une première tentative de réglementation du secteur en 2003. Le ministre des Télécommunications de l’époque, Jean-Louis Cordahi, accorde un droit d’utilisation des fréquences de l’État à quatre entreprises (Cablevision, Econet, CityTV et MTA devenue Digitec). Il s’agit d’une autorisation et non d’une licence. Elle est octroyée gratuitement en l’absence de cadre réglementaire. En échange, l’État leur demande de faire preuve de transparence, en déclarant notamment le nombre de leurs abonnés, et promet de légiférer.
Neuf ans plus tard, et toujours pas de cadre réglementaire, le ministre Nicolas Sehnaoui prend l’initiative de régulariser trois opérateurs (UCL, Homesat et DMC). Il se base sur le décret 377, datant de 1989, qui définit les conditions d’utilisation et d’investissements des terminaux sans fil et leur octroie des licences provisoires. En échange, les fournisseurs s’engagent à verser un droit de bail et 20 % de leurs revenus annuels au ministère, à contrôler le contenu des chaînes diffusées et à respecter les droits de propriété intellectuelle. Mais aucun mécanisme n’a été défini pour vérifier si les opérateurs respectent effectivement leurs engagements. Cette démarche porte toutefois à sept le nombre d’opérateurs ayant une certaine forme de légalité auprès de l’État.
Personne ne s’intéresse en revanche aux câblo-opérateurs de quartier, même si tout le monde s’accorde à dire qu’ils agissent dans la plus totale illégalité.
Les opérateurs payent-ils des droits aux chaînes qu’ils retransmettent ?
Outre la question de la légalité des canaux de diffusion utilisés par les distributeurs de bouquets audiovisuels au Liban, se pose aussi celle du respect des droits de propriété intellectuelle. Un distributeur n’a en effet pas le droit de retransmettre une chaîne sans l’accord de celle-ci. Cet accord peut être accompagné d’un versement de droits ou pas.
Il semble qu’au démarrage, les distributeurs tels que Cablevision reversaient des droits aux chaînes étrangères qu’ils diffusaient, ce qui expliquait des tarifs d’abonnement relativement élevés à l’époque, d’environ 20 dollars pour un bouquet d’une vingtaine de chaînes et jusqu’à 30 dollars pour les bouquets de chaînes payantes comme Canal+. Les câblo-opérateurs de quartier, quant à eux, pirataient allègrement le contenu des chaînes. Cette concurrence déloyale a tiré les tarifs d’abonnement vers le bas et sans doute poussé de nombreux opérateurs à basculer dans l’illégalité.
La forte croissance du nombre d’abonnés aux “câbles” de quartier a toutefois poussé les détenteurs de droits à réagir. Les propriétaires de bouquets de chaînes internationales comme ART, OSN, ou BeInSport ont conclu en sous-main des accords avec les distributeurs libanais des chaînes par satellite ou par câble dont les montants ne sont naturellement pas divulgués. Ces accords concernent notamment certains fournisseurs de télévision par satellite comme Cablevision et Econet, qui ont acquis des droits en exclusivité, et les revendent aux autres.
En l’absence de réglementation et de contrôle du secteur, il est impossible de savoir aujourd’hui qui paye des droits, combien et à qui. Le montant total serait de 10 millions de dollars par an, selon le montant évoqué dans la presse il y a un an par un responsable de la compagnie UCL. Les États-Unis, eux, estiment les pertes en termes de droits de propriété intellectuelle dues au piratage du câble au Liban à 123 millions de dollars par an, selon leur rapport annuel sur les droits de propriété intellectuelle.
Alors qu’il s’est engagé à faire respecter le droit de propriété intellectuelle et qu’il est censé prélever des taxes sur les droits de retransmission, l’État ne s’offusque pas du manque de transparence à ce niveau, au contraire. Lors de la dernière Coupe du monde, au lieu d’acheter les droits pour la seule chaîne publique, Télé-Liban, et de les rentabiliser par de la publicité comme le font la plupart des chaînes nationales, le ministre des Télécommunications, Boutros Harb, a parrainé un accord entre le détenteur des droits de retransmission de la chaîne qatarienne BeInSport au Liban, la société Sama et les câblo-opérateurs de quartier. Ces derniers ont pu retransmettre les matchs diffusés sur BeInSport en échange de 3 millions de dollars, financés essentiellement, a dit le ministre, par les réseaux de téléphonie mobile, propriétés de l’État.
Pourquoi les chaînes libanaises ont-elles attendu aujourd’hui pour réclamer des droits ?
Les chaînes libanaises souffrent de la stagnation du marché publicitaire local et du tarissement des fonds politiques en l’absence de rendez-vous électoraux. Selon Talal Makdessi, le directeur de Télé-Liban, les huit principales chaînes du pays ont accusé des pertes cumulées d’au moins 50 millions de dollars l’an dernier.
Les chaînes libanaises s’estiment victimes de la concurrence déloyale que représente la retransmission au Liban de centaines de chaînes étrangères à des tarifs extrêmement bas. Leur part d’audience est tombée à 39 % en 2009, selon l’institut de sondage Ipsos. Mais depuis quelques années, elles semblent avoir retrouvé les faveurs du public, avec une part d’audience estimée à 49 % en 2014. Selon Talal Makdessi, 85 % des téléspectateurs libanais regardent l’une des télés locales lors du pic d’audience, entre 19 et 22 heures. Les chaînes libanaises veulent donc monétiser cela.
D’autant que les câblo-distributeurs peuvent difficilement priver leurs clients des chaînes nationales, habitués à les capter par leur entremise, à défaut de s’équiper de leur propre parabole. En principe, les Libanais devraient aussi pouvoir capter les chaînes hertziennes à travers une simple antenne râteau. Mais dans les faits, malgré leur obligation de couvrir l’ensemble du territoire, la plupart des chaînes ont profité du succès des réseaux câblés pour délaisser leur réseau hertzien dont l’entretien coûtait environ 1,5 million de dollars par an. Certaines chaînes, comme al-Manar, tiennent à leur réseau hertzien pour ne pas dépendre des satellites ou des câblo-opérateurs. D’autres comme OTV et MTV ne diffusent que par satellite même si elles ont aussi des licences de diffusion terrestre.
Les câblo-opérateurs et les chaînes libanaises ont donc tout intérêt à trouver un compromis. Au départ, les télévisions avaient réclamé aux câblo-distributeurs le versement de quatre dollars par mois par abonné pour le bouquet des huit chaînes. « Mais pendant les négociations nous nous sommes rendu compte qu’il est difficile d’imposer un tarif unique, puisque du côté des opérateurs les tarifs d’abonnement ne sont pas unifiés, explique l’avocat des chaînes, Wissam Mansour. L’alternative serait de calculer les droits en fonction de l’audience, comme c’est l’usage, mais là encore difficile de connaître le nombre exact d’abonnés de chaque opérateur. Nous sommes aussi confrontés à un problème technique : une grande partie des opérateurs ne sont pas en mesure de proposer plusieurs bouquets à leurs clients. Nous discutons avec eux et avec les représentants du gouvernement pour essayer de les aider à se développer dans ce sens. »
Pourquoi l’État ménage-t-il les câblo-distributeurs de quartier ?
« Nous voulons réglementer le secteur, mais il faut aussi prendre en compte l’état de fait », répond le ministre de l’Information, Ramzi Jreige.
L’état de fait ce sont des centaines de personnes qui vivent de cette activité et qui risquent de se retrouver au chômage. Ce sont aussi les couvertures politiques à différents niveaux qui ont permis à ces individus d’étendre des réseaux câblés sans aucune autorisation et aux autres d’utiliser les fréquences de l’État gratuitement ou presque. Et c’est enfin, et surtout, l’incapacité de l’État à proposer une alternative.
La loi 431 sur les télécommunications, promulguée en 2002, a transféré les prérogatives de gestion des fréquences de l’État du ministère à l’Autorité de régulation des télécommunications (sauf celles des 3G et 4G). En 2008, cette dernière planche donc sur un cadre réglementaire global pour les fournisseurs de télévisions et propose une feuille de route. Celle-ci restera lettre morte, d’autant que la loi 431 ne sera jamais appliquée.
En 2012, le Conseil des ministres crée une commission composée de représentants des ministères des Télécommunications et de l’Information, et de l’Autorité de régulation des télécommunications pour amender la loi 382 afin d’y inclure la télévision payante, la télévision numérique terrestre et la TV sur Internet notamment via la fibre optique. Le nouveau texte propose six catégories de licences, définit les modes de distribution de la télévision (par câble, par satellite, par Internet...) et autorise les services interactifs et la vidéo à la demande. Il donne également davantage de prérogatives au Conseil national de l’audiovisuel et répartit les rôles entre le ministère de l’Information et celui des Télécommunications. Les amendements achevés fin 2013 n’ont toujours pas été soumis au Conseil des ministres.
Quel intérêt aurait l’État à réglementer le secteur ?
Le chiffre d’affaires du secteur est estimé à au moins 80 millions de dollars par an, sur lesquels l’État ne ponctionne pratiquement rien. Personne ne paye de droits d’utilisation des infrastructures publiques. La majorité ne paye pas non plus les taxes sur les droits de retransmission, ni la TVA, ni les impôts sur les bénéfices, ni les contributions à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS). Une étude menée par Statistics Lebanon en 2000 avait estimé le manque à gagner pour le Trésor à environ 38 millions de dollars en 1999.
Mais au-delà de cet aspect purement fiscal, s’ajoute une dimension économique : le piratage tire les prix vers le bas et empêche le développement d’entreprises en bonne et due forme investissant dans des services à valeur ajoutée (bouquets thématisés, guides, vidéo à la demande, replay, enregistrement programmé, etc.).
L’amendement de la loi de l’audiovisuel et la mise en place d’un cadre réglementaire adéquat auraient également dû préparer la convergence observée dans la majorité des pays développés. En effet, en Europe ou aux États Unis, les fournisseurs de télévision sont aussi des fournisseurs d’Internet et de téléphonie fixe. Dans ces régions du monde, les abonnés bénéficient d’une offre commerciale appelée “triple play”, qui comprend trois services dans le cadre d’un contrat unique : l’accès à l’Internet à haut, voire très haut débit, la téléphonie fixe (le plus souvent sous forme de voix sur IP) et la télévision (par ADSL ou par câble). Certains opérateurs proposent même le “quadruple play” qui inclut un quatrième service : la téléphonie mobile. Au Liban, l’opérateur national Ogero ne propose même pas une offre groupée entre la téléphonie fixe et l’ADSL, le client devant s’abonner séparément aux deux services.
En délaissant le secteur audiovisuel, l’État renonce aussi à sa capacité à réglementer le contenu et à préserver les droits des téléspectateurs, en interdisant par exemple le contenu à caractère violent ou sexuel avant une certaine heure, ou en imposant des signalétiques. L’utilisation anarchique des fréquences soulève par ailleurs des questions de santé publique.
Enfin, en maintenant le vide juridique, l’État renonce à garantir un minimum de chaînes à l’ensemble de ses citoyens. En effet, à partir du 17 juin, date théorique du passage de la télévision hertzienne terrestre à la télévision numérique terrestre, les Libanais qui habitent dans les zones les plus reculées risquent de ne plus capter aucune chaîne nationale.
Où en est la télévision numérique terrestre ?
En signant la convention de Genève en 2006, le Liban s’est engagé à passer à la télévision numérique terrestre à partir du 17 juin. Le plan existe depuis 2013. Il a évalué les besoins d’investissements à 60 millions de dollars pour assurer la migration de l’analogique au numérique. Ce chiffre inclut des subventions pour permettre aux utilisateurs de se doter de l’équipement nécessaire pour recevoir la TNT et la construction d’un réseau de diffusion. Ce réseau serait géré par une société de diffusion commune, dont la nature exacte n’a pas encore été définie, mais qui offrirait ses services de diffusion aux chaînes de télévision nationales. Les chaînes locales n’auraient plus à entretenir leur propre réseau de diffusion et pourraient se concentrer sur la production de contenu. Mais à ce jour aucun appel d’offres n’a été lancé. Le passage à la TNT implique aussi l’amendement de la loi de l’audiovisuel 381. « Je vais demander à ce que ce sujet soit mis à l’ordre du jour du Conseil des ministres au plus tôt », affirme Ramzi Jreige.
À partir du 17 juin, le Liban va perdre le droit de défendre ses fréquences analogiques en cas d’interférence aux frontières, ces interférences pouvant intervenir avec la Syrie mais aussi la Jordanie, la Turquie et Chypre.
Et si le Liban n’utilise pas les quatre fréquences numériques que l’Union internationale des télécommunications lui a octroyées, ses voisins risquent de se les approprier. Or les fréquences sont précieuses. C’est d’ailleurs l’un des principaux intérêts du passage au numérique. En compressant les données, il réduit le nombre de fréquences nécessaires à la transmission : une seule fréquence pourra transmettre les programmes d’une vingtaine de chaînes alors qu’actuellement chaque chaîne bénéficie de quatre fréquences analogiques.
Les fréquences libérées pourraient alors être louées par l’État à des fournisseurs de données mobiles (3G et 4G), ce qui lui rapporterait davantage que le droit de bail annuel collecté actuellement auprès des chaînes de télévision. Selon Sylvain Anichini, expert international dans le déploiement des outils de télévision et de radio, en France par exemple, le passage au numérique a coûté 100 millions d’euros à l’État, mais les fréquences libérées lui ont rapporté 1,8 milliard lors des appels d’offres pour la 4G.