Début septembre, plus d’un mois après la fermeture de la décharge de Naamé et l’entassement des déchets dans les rues de Beyrouth et du Mont-Liban, le Conseil des ministres a approuvé un plan de sortie de crise. Élaboré par le ministre de l’Agriculture Akram Chehayeb après que son collègue de l’Environnement a jeté l’éponge, il propose des solutions à court terme, très contestées par la société civile, et une vision générale de la politique à mener à moyen terme. Mais seules les mesures d’urgence sont exécutives. Décryptage.
Le plan destiné à résoudre la crise des ordures ménagères, élaboré avec l’aide de neufs experts et soumis en Conseil des ministres le 9 septembre, tient en six pages. Il s’intitule : “Propositions de solutions pour passer de la crise à une gestion durable des déchets solides”. Il comprend des propositions, assez vagues, visant à aboutir à une gestion intégrée des déchets et d’autres plus précises pour parer au plus urgent, durant une période dite “transitoire” de 18 mois. Seul ce dernier volet semble avoir intéressé le gouvernement. Le mouvement de contestation, né de la crise des déchets, a proposé un plan alternatif. Mais à l’heure de passer sous presse aucune mesure n’avait encore été prise, et le plan Chehayeb restait sur la table.
Si le plan gouvernemental est appliqué, que va-t-il advenir des déchets entassés depuis le 17 juillet, date de la fermeture de la décharge de Naamé ?
Environ 85 % des déchets collectés par Sukleen dans 290 municipalités, dont celle de Beyrouth, étaient déversés à Naamé. Le plan Chehayeb propose tout simplement la réouverture d’une cellule de cette décharge, pourtant saturée, pour une durée de sept jours afin d’y enfouir les déchets déposés entre-temps à La Quarantaine ou dans des dépotoirs sauvages.
Les écologistes dénoncent l’absence de tentative de tri de ces déchets, alors qu’une grande partie des matières organiques se seraient déjà décomposées, ce qui facilite la récupération des matières recyclables.
Quant aux habitants de Naamé et des localités avoisinantes, ils doutent franchement de la capacité de l’État à tenir ses engagements, la fermeture de la décharge ayant nécessité des années de lutte. Les autorités locales, soumises à de fortes pressions politiques, semblent toutefois sur le point de plier, à condition que les décharges alternatives prévues dans le plan soit elles aussi acceptées.
Où seront déversées les ordures produites durant les 18 prochains mois ?
Sur les 3 250 tonnes de déchets produites quotidiennement à Beyrouth et au Mont-Liban, 250 tonnes alimenteront l’usine de méthanisation de Saïda. Durant les six premiers mois, 1 500 tonnes de déchets iront dans la décharge sauvage de Srar dans le Akkar, qui sera transformée en décharge sanitaire contrôlée. Une autre décharge contrôlée verra le jour dans la région de Masnaa pour recevoir les 1 500 tonnes restantes.
Au bout de six mois, ces deux décharges n’accueilleront plus que 1 000 tonnes chacune, puisque entre-temps une troisième décharge aura été réhabilitée : celle de Bourj Hammoud. D’importants travaux de réaménagement du site (l’ancêtre de la décharge de Naamé) sont prévus, avec remblaiement sur la mer et création d’un espace vert, mais pour le moment le Conseil des ministres s’est contenté de demander une étude détaillée à ce sujet. En revanche, il a donné son feu vert à la décharge du Akkar et celle de la Békaa, malgré l’opposition de la société civile à ces deux projets. En guise de lot de consolation, une enveloppe de 200 millions de dollars d’aides au développement a été promise à ces deux régions. Une somme débloquée comme par magie, alors que le gouvernement menaçait il y a encore quelques semaines de ne pas pouvoir payer ses fonctionnaires !
Pourquoi la société civile est-elle opposée à l’ouverture de nouvelles décharges ?
Sur le principe, les militants écologistes déplorent le recours systématique aux décharges pendant la période transitoire, sans mention de mesures de réduction de la quantité de déchets (sacs plastique, emballages non recyclables, etc.), de tri sélectif, de recyclage ou de RDF (combustible dérivé des déchets), d’autant que la période transitoire est jugée longue. « Cette période est censée préparer le terrain à une gestion durable des déchets, or elle n’introduit aucun des principes de gestion durable », regrette Raja Noujeim, coordinateur de la coalition civile contre le projet gouvernemental des déchets.
Pour Masnaa, en particulier, les activistes affirment que les caractéristiques des terrains et leur perméabilité ne sont pas adaptées à la mise en place d’une décharge, même sanitaire. Cet argument semble avoir convaincu le ministre Akram Chehayeb, qui a déclaré être à la recherche d’un autre site dans la même région.
Il semble en revanche peu probable que Akkar y échappe, même si les opposants aux projets n’invoquent pas que l’aspect écologique. Samir Daher, ancien consultant à la Banque mondiale, originaire de la région, dénonce les coûts financiers associés à ce choix. « L’optimisation du choix des décharges publiques porte d’usage sur la minimisation des kilomètres par tonnes véhiculées, explique-t-il. Outre la pollution et les embouteillages, un trajet quotidien de 150 km entre Beyrouth et Srar engendre une dépense de transport en essence, sans compter l’usure, d’au moins 10 dollars par tonne. De plus, le terrain de Srar ne relève pas du domaine public, mais privé, le propriétaire percevant entre 20 et 30 dollars par tonne de déchets enfouis », à moins que l’État ne décide d’acheter le terrain.
Au-delà des coûts, Samir Daher, s’inquiète également des conséquences de cette décharge sur le développement économique de la région la plus pauvre du pays. « La création d’une décharge ouvrira la voie à l’établissement d’autres industries sales et polluantes, comme les abattoirs, tanneries, savonneries et l’empêchera d’exploiter ses richesses naturelles. »
Malgré ces réserves, les autorités locales semblent sur le point d’accepter le projet et le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) aurait déjà commencé les travaux sur le site.
Quel est le rôle du CDR ?
Malgré son manque de transparence, le CDR reprend en charge une grande partie du dossier des déchets. Il a été chargé par le Conseil des ministres d’élaborer une étude sur la réhabilitation des décharges de Bourj Hammoud et de Ras el-Aïn, en partenariat avec le ministère de l’Environnement, en vue de confier les travaux à un entrepreneur privé.
Il a également été chargé de prendre les mesures nécessaires pour réhabiliter et opérer les sites confirmés (Srar et Masnaa) en suivant les recommandations techniques de la commission Chehayeb (installation d’une géomembrane, contrôle des odeurs, gestion de la poussière...). Le plan précise qu’en attendant la création d’une décharge sanitaire – ce qui prend en général trois mois –, une décharge temporaire sera installée sur un terrain attenant de 10 000 mètres carrés. Le plan ne chiffre pas le montant des travaux, et n’évoque pas non plus l’entreprise ou les entreprises chargées de mener ces travaux et gérer le site, ni la façon dont elles seront sélectionnées (appel d’offres ou gré à gré).
Quel sera le rôle de Sukleen ?
Le champ d’action du groupe Averda, propriétaire de Sukleen et Sukomi, sera réduit. Le Conseil des ministres a décidé d’annuler le contrat de traitement et d’enfouissement des déchets, et celui de supervision du traitement et de l’enfouissement. Le ministre de l’Agriculture a évoqué une économie totale de 100 millions de dollars.
En revanche, le CDR a été chargé de prolonger le contrat de balayage, de ramassage, et de transport avec l’opérateur actuel pour une période maximale de 18 mois et de l’amender pour prendre en compte les nouveaux paramètres, sachant que les coûts de transport vers le Akkar vont sans doute augmenter. Le CDR a également été chargé de négocier avec lui un “contrat de supervision de ces activités”, un “contrat de conciliation” pour la période entre le 17/7/2015 et la date de prolongation du contrat, et de lui payer les coûts relatifs à l’enfouissement des déchets à Naamé pendant la fameuse période de sept jours.
Ces contrats doivent être soumis en Conseil des ministres pour approbation, en espérant que le processus et son financement seront moins opaques que les précédents. À l’heure de passer sous presse, il était impossible de savoir si ce contrat s’appliquera à toutes les municipalités autrefois liées à Sukleen ou seulement à celles qui le souhaitent, puisque entre-temps certaines d’entre elles avaient trouvé des alternatives. Il est fort à parier en tout cas que les camions de Sukleen sillonneront au moins les rues de la capitale, la municipalité de Beyrouth, la plus riche de toutes, s’étant distinguée par son manque total d’initiative durant la crise.
Quand les autres municipalités prendront-elles la relève ?
Selon le plan Chehayeb, après avoir enfoui ces déchets dans des décharges pendant 18 mois, le Liban est censé passer à une gestion intégrée des déchets solides, en suivant la hiérarchisation suivante : réduction des déchets, réutilisation, tri à la source et recyclage, génération d’énergie et enfin mise en décharge. Et c’est aux municipalités ou fédérations de municipalités qu’incombera la responsabilité de balayer, ramasser, transporter, trier et superviser l’ensemble de la chaîne, directement ou en confiant ces taches à des prestataires privés. Les ministères de l’Intérieur et de l’Environnement, eux, seront chargés de veiller à la mise en œuvre des plans municipaux. Le Parlement est appelé à adopter le projet de loi sur la gestion intégrée des déchets qui dort dans ses tiroirs depuis des années et le gouvernement à prendre les décisions nécessaires pour réduire la production de déchets. Une série de mesures sont également prévues pour préparer le transfert de compétences aux municipalités : des sessions de formations, des cahiers des charges types, des campagnes de sensibilisation au tri à la source, la réhabilitation progressive de tous les dépotoirs sauvages... Mais à l’heure de passer sous presse aucune de ces mesures n’avait été adoptée par le Conseil des ministres qui s’est contenté d’approuver « le principe de décentraliser la gestion des déchets et de confier ce rôle aux municipalités et aux fédérations lors de la phase durable, selon un mécanisme d’exécution qui sera élaboré à cette fin ».
Selon le procès-verbal de la séance du 9 septembre, le Conseil des ministres s’est toutefois dit prêt à accepter « la mise en œuvre de tout projet de gestion des déchets présenté par une municipalité ou une fédération de municipalités sous la supervision d’une équipe centrale présidée par le ministre de l’Intérieur, et des représentants des ministères de l’Environnement, des Finances, de la Réforme administrative, du CDR et un certain nombre d’experts ». Mais encore faut-il qu’on leur en donne les moyens.
Les municipalités ont-elles les moyens et la capacité de gérer la gestion des déchets ?
Selon une loi de 1977, la collecte, le traitement et le stockage des déchets relève des compétences municipales. En 1997, le CDR a confié les déchets solides du Grand Beyrouth à Sukleen, un contrat qui s’est étendu progressivement à presque toutes les municipalités du Mont-Liban. Dans le reste du pays, les municipalités et fédération de municipalités ont continué à assurer le service de collecte en régie ou l’ont confié à des prestataires privés. Le soutien technique et financier apporté par certains bailleurs internationaux (Union européenne, Coopération italienne, Agence espagnole, Usaid, etc.) a permis la construction et l’équipement de plusieurs installations à petite échelle. Mais si certaines municipalités ont pu développer des services opérants, voire rentables, la plupart d’entre elles manquent de l’autonomie financière et des compétences techniques nécessaires pour mettre en place des approches intégrées. À la recherche de solutions rapides à moindre coût, beaucoup déversent les ordures dans la nature ou les brûlent.
« Sur un millier de municipalités au Liban, près de 400 comptent un seul employé, souligne le directeur exécutif du Lebanese Center for Policy Studies, Sami Atallah. Il y a entre 50 et 80 municipalités qui seraient capables de gérer les déchets de manière efficace. Les autres devront se regrouper entre elles et bénéficier de beaucoup de formations. Mais si l’État leur fournit des formations pendant 18 mois et met en place un cadre stratégique clair à l’échelle nationale, ce serait possible. »
D’autant que certaines municipalités du Mont-Liban ont profité de la crise pour s’organiser. C’est le cas de Roumié par exemple qui a imposé à ses 3 000 habitants le tri à la source, en supprimant les bennes à ordures, en instaurant la collecte des poubelles maison par maison pour contrôler la qualité du tri et en sanctionnant ceux qui déversent leurs déchets dans la rue par une contravention municipale. « Grâce au tri, le compostage et la revente de matière recyclable, la tonne de déchets coûte aujourd’hui à la municipalité 80 dollars contre 160 à l’époque de Sukleen », affirme Charles Saba, responsable du dossier déchets au sein du parti Kataëb. « Nous voulons généraliser cette démarche aux 267 municipalités du Metn qui relevaient de Sukleen, pour réduire la mise en décharge au maximum. Ce ne sera pas facile, mais le service sera toujours meilleur que celui de Sukleen, qui se contentait de mettre les ordures en décharge à des prix exorbitants. »
L’une des conditions est que l’État central commence à verser aux municipalités ce qu’il leur doit en temps et en heure, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à aujourd’hui. Le gouvernement s’est verbalement engagé sur ce sujet, mais pour le moment la problématique du financement reste entière.
Mais si les sommes promises venaient à être débloquées, ne risque-t-on pas une décentralisation de la corruption ? « Il faut qu’il y ait clairement un rôle de surveillance de la part de l’État, de la Cour des comptes et la société civile », répond Sami Attallah. « À plus petite échelle, les contrats sont sûrement plus transparents que ceux conclus entre le CDR et Sukleen », ajoute Charles Saba.
Si le plan gouvernemental est appliqué, que va-t-il advenir des déchets entassés depuis le 17 juillet, date de la fermeture de la décharge de Naamé ?
Environ 85 % des déchets collectés par Sukleen dans 290 municipalités, dont celle de Beyrouth, étaient déversés à Naamé. Le plan Chehayeb propose tout simplement la réouverture d’une cellule de cette décharge, pourtant saturée, pour une durée de sept jours afin d’y enfouir les déchets déposés entre-temps à La Quarantaine ou dans des dépotoirs sauvages.
Les écologistes dénoncent l’absence de tentative de tri de ces déchets, alors qu’une grande partie des matières organiques se seraient déjà décomposées, ce qui facilite la récupération des matières recyclables.
Quant aux habitants de Naamé et des localités avoisinantes, ils doutent franchement de la capacité de l’État à tenir ses engagements, la fermeture de la décharge ayant nécessité des années de lutte. Les autorités locales, soumises à de fortes pressions politiques, semblent toutefois sur le point de plier, à condition que les décharges alternatives prévues dans le plan soit elles aussi acceptées.
Où seront déversées les ordures produites durant les 18 prochains mois ?
Sur les 3 250 tonnes de déchets produites quotidiennement à Beyrouth et au Mont-Liban, 250 tonnes alimenteront l’usine de méthanisation de Saïda. Durant les six premiers mois, 1 500 tonnes de déchets iront dans la décharge sauvage de Srar dans le Akkar, qui sera transformée en décharge sanitaire contrôlée. Une autre décharge contrôlée verra le jour dans la région de Masnaa pour recevoir les 1 500 tonnes restantes.
Au bout de six mois, ces deux décharges n’accueilleront plus que 1 000 tonnes chacune, puisque entre-temps une troisième décharge aura été réhabilitée : celle de Bourj Hammoud. D’importants travaux de réaménagement du site (l’ancêtre de la décharge de Naamé) sont prévus, avec remblaiement sur la mer et création d’un espace vert, mais pour le moment le Conseil des ministres s’est contenté de demander une étude détaillée à ce sujet. En revanche, il a donné son feu vert à la décharge du Akkar et celle de la Békaa, malgré l’opposition de la société civile à ces deux projets. En guise de lot de consolation, une enveloppe de 200 millions de dollars d’aides au développement a été promise à ces deux régions. Une somme débloquée comme par magie, alors que le gouvernement menaçait il y a encore quelques semaines de ne pas pouvoir payer ses fonctionnaires !
Pourquoi la société civile est-elle opposée à l’ouverture de nouvelles décharges ?
Sur le principe, les militants écologistes déplorent le recours systématique aux décharges pendant la période transitoire, sans mention de mesures de réduction de la quantité de déchets (sacs plastique, emballages non recyclables, etc.), de tri sélectif, de recyclage ou de RDF (combustible dérivé des déchets), d’autant que la période transitoire est jugée longue. « Cette période est censée préparer le terrain à une gestion durable des déchets, or elle n’introduit aucun des principes de gestion durable », regrette Raja Noujeim, coordinateur de la coalition civile contre le projet gouvernemental des déchets.
Pour Masnaa, en particulier, les activistes affirment que les caractéristiques des terrains et leur perméabilité ne sont pas adaptées à la mise en place d’une décharge, même sanitaire. Cet argument semble avoir convaincu le ministre Akram Chehayeb, qui a déclaré être à la recherche d’un autre site dans la même région.
Il semble en revanche peu probable que Akkar y échappe, même si les opposants aux projets n’invoquent pas que l’aspect écologique. Samir Daher, ancien consultant à la Banque mondiale, originaire de la région, dénonce les coûts financiers associés à ce choix. « L’optimisation du choix des décharges publiques porte d’usage sur la minimisation des kilomètres par tonnes véhiculées, explique-t-il. Outre la pollution et les embouteillages, un trajet quotidien de 150 km entre Beyrouth et Srar engendre une dépense de transport en essence, sans compter l’usure, d’au moins 10 dollars par tonne. De plus, le terrain de Srar ne relève pas du domaine public, mais privé, le propriétaire percevant entre 20 et 30 dollars par tonne de déchets enfouis », à moins que l’État ne décide d’acheter le terrain.
Au-delà des coûts, Samir Daher, s’inquiète également des conséquences de cette décharge sur le développement économique de la région la plus pauvre du pays. « La création d’une décharge ouvrira la voie à l’établissement d’autres industries sales et polluantes, comme les abattoirs, tanneries, savonneries et l’empêchera d’exploiter ses richesses naturelles. »
Malgré ces réserves, les autorités locales semblent sur le point d’accepter le projet et le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) aurait déjà commencé les travaux sur le site.
Quel est le rôle du CDR ?
Malgré son manque de transparence, le CDR reprend en charge une grande partie du dossier des déchets. Il a été chargé par le Conseil des ministres d’élaborer une étude sur la réhabilitation des décharges de Bourj Hammoud et de Ras el-Aïn, en partenariat avec le ministère de l’Environnement, en vue de confier les travaux à un entrepreneur privé.
Il a également été chargé de prendre les mesures nécessaires pour réhabiliter et opérer les sites confirmés (Srar et Masnaa) en suivant les recommandations techniques de la commission Chehayeb (installation d’une géomembrane, contrôle des odeurs, gestion de la poussière...). Le plan précise qu’en attendant la création d’une décharge sanitaire – ce qui prend en général trois mois –, une décharge temporaire sera installée sur un terrain attenant de 10 000 mètres carrés. Le plan ne chiffre pas le montant des travaux, et n’évoque pas non plus l’entreprise ou les entreprises chargées de mener ces travaux et gérer le site, ni la façon dont elles seront sélectionnées (appel d’offres ou gré à gré).
Quel sera le rôle de Sukleen ?
Le champ d’action du groupe Averda, propriétaire de Sukleen et Sukomi, sera réduit. Le Conseil des ministres a décidé d’annuler le contrat de traitement et d’enfouissement des déchets, et celui de supervision du traitement et de l’enfouissement. Le ministre de l’Agriculture a évoqué une économie totale de 100 millions de dollars.
En revanche, le CDR a été chargé de prolonger le contrat de balayage, de ramassage, et de transport avec l’opérateur actuel pour une période maximale de 18 mois et de l’amender pour prendre en compte les nouveaux paramètres, sachant que les coûts de transport vers le Akkar vont sans doute augmenter. Le CDR a également été chargé de négocier avec lui un “contrat de supervision de ces activités”, un “contrat de conciliation” pour la période entre le 17/7/2015 et la date de prolongation du contrat, et de lui payer les coûts relatifs à l’enfouissement des déchets à Naamé pendant la fameuse période de sept jours.
Ces contrats doivent être soumis en Conseil des ministres pour approbation, en espérant que le processus et son financement seront moins opaques que les précédents. À l’heure de passer sous presse, il était impossible de savoir si ce contrat s’appliquera à toutes les municipalités autrefois liées à Sukleen ou seulement à celles qui le souhaitent, puisque entre-temps certaines d’entre elles avaient trouvé des alternatives. Il est fort à parier en tout cas que les camions de Sukleen sillonneront au moins les rues de la capitale, la municipalité de Beyrouth, la plus riche de toutes, s’étant distinguée par son manque total d’initiative durant la crise.
Quand les autres municipalités prendront-elles la relève ?
Selon le plan Chehayeb, après avoir enfoui ces déchets dans des décharges pendant 18 mois, le Liban est censé passer à une gestion intégrée des déchets solides, en suivant la hiérarchisation suivante : réduction des déchets, réutilisation, tri à la source et recyclage, génération d’énergie et enfin mise en décharge. Et c’est aux municipalités ou fédérations de municipalités qu’incombera la responsabilité de balayer, ramasser, transporter, trier et superviser l’ensemble de la chaîne, directement ou en confiant ces taches à des prestataires privés. Les ministères de l’Intérieur et de l’Environnement, eux, seront chargés de veiller à la mise en œuvre des plans municipaux. Le Parlement est appelé à adopter le projet de loi sur la gestion intégrée des déchets qui dort dans ses tiroirs depuis des années et le gouvernement à prendre les décisions nécessaires pour réduire la production de déchets. Une série de mesures sont également prévues pour préparer le transfert de compétences aux municipalités : des sessions de formations, des cahiers des charges types, des campagnes de sensibilisation au tri à la source, la réhabilitation progressive de tous les dépotoirs sauvages... Mais à l’heure de passer sous presse aucune de ces mesures n’avait été adoptée par le Conseil des ministres qui s’est contenté d’approuver « le principe de décentraliser la gestion des déchets et de confier ce rôle aux municipalités et aux fédérations lors de la phase durable, selon un mécanisme d’exécution qui sera élaboré à cette fin ».
Selon le procès-verbal de la séance du 9 septembre, le Conseil des ministres s’est toutefois dit prêt à accepter « la mise en œuvre de tout projet de gestion des déchets présenté par une municipalité ou une fédération de municipalités sous la supervision d’une équipe centrale présidée par le ministre de l’Intérieur, et des représentants des ministères de l’Environnement, des Finances, de la Réforme administrative, du CDR et un certain nombre d’experts ». Mais encore faut-il qu’on leur en donne les moyens.
Les municipalités ont-elles les moyens et la capacité de gérer la gestion des déchets ?
Selon une loi de 1977, la collecte, le traitement et le stockage des déchets relève des compétences municipales. En 1997, le CDR a confié les déchets solides du Grand Beyrouth à Sukleen, un contrat qui s’est étendu progressivement à presque toutes les municipalités du Mont-Liban. Dans le reste du pays, les municipalités et fédération de municipalités ont continué à assurer le service de collecte en régie ou l’ont confié à des prestataires privés. Le soutien technique et financier apporté par certains bailleurs internationaux (Union européenne, Coopération italienne, Agence espagnole, Usaid, etc.) a permis la construction et l’équipement de plusieurs installations à petite échelle. Mais si certaines municipalités ont pu développer des services opérants, voire rentables, la plupart d’entre elles manquent de l’autonomie financière et des compétences techniques nécessaires pour mettre en place des approches intégrées. À la recherche de solutions rapides à moindre coût, beaucoup déversent les ordures dans la nature ou les brûlent.
« Sur un millier de municipalités au Liban, près de 400 comptent un seul employé, souligne le directeur exécutif du Lebanese Center for Policy Studies, Sami Atallah. Il y a entre 50 et 80 municipalités qui seraient capables de gérer les déchets de manière efficace. Les autres devront se regrouper entre elles et bénéficier de beaucoup de formations. Mais si l’État leur fournit des formations pendant 18 mois et met en place un cadre stratégique clair à l’échelle nationale, ce serait possible. »
D’autant que certaines municipalités du Mont-Liban ont profité de la crise pour s’organiser. C’est le cas de Roumié par exemple qui a imposé à ses 3 000 habitants le tri à la source, en supprimant les bennes à ordures, en instaurant la collecte des poubelles maison par maison pour contrôler la qualité du tri et en sanctionnant ceux qui déversent leurs déchets dans la rue par une contravention municipale. « Grâce au tri, le compostage et la revente de matière recyclable, la tonne de déchets coûte aujourd’hui à la municipalité 80 dollars contre 160 à l’époque de Sukleen », affirme Charles Saba, responsable du dossier déchets au sein du parti Kataëb. « Nous voulons généraliser cette démarche aux 267 municipalités du Metn qui relevaient de Sukleen, pour réduire la mise en décharge au maximum. Ce ne sera pas facile, mais le service sera toujours meilleur que celui de Sukleen, qui se contentait de mettre les ordures en décharge à des prix exorbitants. »
L’une des conditions est que l’État central commence à verser aux municipalités ce qu’il leur doit en temps et en heure, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à aujourd’hui. Le gouvernement s’est verbalement engagé sur ce sujet, mais pour le moment la problématique du financement reste entière.
Mais si les sommes promises venaient à être débloquées, ne risque-t-on pas une décentralisation de la corruption ? « Il faut qu’il y ait clairement un rôle de surveillance de la part de l’État, de la Cour des comptes et la société civile », répond Sami Attallah. « À plus petite échelle, les contrats sont sûrement plus transparents que ceux conclus entre le CDR et Sukleen », ajoute Charles Saba.
Inauguration du centre de traitement des déchets de Baalbeck Jihad el-Arab remporte le contrat de gestion pour un volume de 70 tonnes par jour au prix de 25 dollars. Baalbeck a enfin son centre de tri et de compostage des déchets ménagers. Inaugurée le 16 septembre 2015, cette usine, mise en place par l’ONG italienne COSV, en collaboration avec la municipalité de Baalbeck et le bureau du ministère d’État pour la Réforme administrative (Omsar), a été financée par l’Union européenne, pour 1,42 million d’euros. Son cahier des charges mise sur un volume de 75 tonnes de déchets par jour. Le contrat remporté par la société de Jihad el-Arab – un proche des Hariri – est de 25 dollars la tonne, contre 19 dollars à Zahlé ou 29 dollars à Tripoli (source : Sweepnet, 2014). Le ramassage et la collecte des ordures restent en revanche à la charge de la ville, qui n’a pas prévu de tri à la source. Résultat, seuls 30 % des déchets devraient être recyclés, si on en croit les données de l’Union européenne pour les autres centres qu’elle finance. Une seconde phase de travaux doit être finalisée d’ici à décembre avec l’ouverture d’une décharge sanitaire contrôlée, installée sur un terrain municipal à proximité de l’usine et la construction d’une unité de méthanisation (biogaz). Pour cette nouvelle étape, les appels d’offres sont encore en cours. Mais le but est de porter la part des déchets recyclés à 80 %. Pour y parvenir, l’usine produira à partir des déchets fermentés de l’électricité (ou de la chaleur). Sa capacité de production devrait tourner autour de 3 mégawatts, selon le ministre d’État pour la Réforme administrative Nabil de Freige. « Mais tout dépendra du recyclage et de la qualité du compost obtenu. L’électricité produite servira à alimenter l’usine, puis, par la suite, l’hôpital adjacent », explique Doha Farran, de l’ONG italienne COSV. Le coût à la tonne n’est pas connu. Jusqu’à présent, seule l’usine IBC de Saïda utilise le procédé de méthanisation (voir Le Commerce du Levant, mai 2015). Elle retraite quelque 250 tonnes de déchets par jour pour 95 dollars la tonne. Et les transforme en l’équivalent de 2 000 kWh d’énergie (électrique ou thermique), utilisée pour ses propres besoins ainsi que pour l’éclairage de la ville. À Baalbeck, si les tests sont concluants, la capacité du centre sera portée à 250 tonnes par jour pour retraiter les déchets de toute la Békaa-Nord. Financement européen Baalbeck fait partie d’un plan de l’Union européenne, en place depuis 2005, pour l’amélioration de la filière de retraitement des déchets au Liban. Cinq autres usines sont opérationnelles. À Tyr, Michmich, Khiam, Minié ou encore Qabrika, elles traitent de 10 à 70 tonnes de déchets par jour. En tout, Bruxelles a déboursé 14,2 millions d’euros. Mais deux autres fonds européens, d’un montant total de 35 millions d’euros, viennent d’être débloqués pour poursuivre le maillage territorial. Le paiement des sociétés privées, chargées de la gestion des centres de tri ou des décharges contrôlées, se fait à travers Omsar. « Aujourd’hui, les villes n’ont ni les budgets ni les compétences pour assurer la mise en œuvre ou la gestion de ces centres de traitement des déchets », fait valoir Nabil de Freige. En tout, Omsar a un budget de quelque 51 millions de dollars jusqu’en 2018. Dans ce cadre, Baalbeck ne paie pas pour la gestion de son centre de tri pendant trois ans. « À charge ensuite pour la ville de trouver ses propres financements », ajoute le ministre. Car ce service public relève de leur compétence légale ; et l’une des conséquences de la crise des déchets liée à l’incapacité de l’État à gérer ce dossier pourrait être de leur permettre de l’exercer en leur restituant les moyens financiers pour le faire. |