Ministre du Tourisme depuis février 2014, Michel Pharaon pilote plusieurs projets destinés à accroître l’attractivité du Liban malgré les aléas conjoncturels. Entretien.
Comment la crise actuelle affecte-t-elle le secteur du tourisme au Liban ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le secteur du tourisme ne se porte pas si mal. Au premier trimestre 2015, nous avons enregistré une hausse de 18 % du nombre de touristes. La dernière réunion régionale de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) à Dubaï a été l’occasion de souligner cette performance du Liban qui faisait alors figure d’exception au Moyen-Orient : tous les autres pays ou presque étaient en baisse. De plus, ces chiffres sont probablement en dessous de la réalité, car ils ne permettent pas de comptabiliser les membres de la diaspora, c’est-à-dire les Libanais ne résidant pas au Liban. Nous avons un projet avec la Sûreté générale pour remédier à ce problème statistique.
Fin juillet, nous avons enregistré une hausse de 50 % des dépenses cumulées des touristes au Liban. Malheureusement cette progression a été freinée par la crise des déchets et on assiste à une chute très claire de cet indicateur à partir d’août.
Comment se présente le second semestre 2015 ?
La crise des déchets a été un désastre pour Beyrouth. Ces deux derniers mois, 82 commerces ont fermé, sans parler des hôtels, bars et restaurants. Le quartier qui souffre le plus est le centre-ville, car habituellement 80 % de la dépense des touristes y est localisée, mais depuis les manifestations les chiffres sont en chute libre. Au premier trimestre 2015, le centre-ville enregistrait une hausse de 10 % des dépenses touristiques par rapport à la même période en 2014, cet indicateur a chuté à 7 % au deuxième trimestre et à seulement 4 % au troisième trimestre.
Néanmoins, ma mission est de continuer à faire du Liban une destination attractive malgré les aléas politiques et sécuritaires, c’est pourquoi nous avons lancé une stratégie globale à long terme qui se décline en plusieurs projets spécifiques.
Cette stratégie semble porter un intérêt particulier à la diaspora libanaise à travers le monde. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, il s’agit là de l’un de nos projets phares. L’initiative n’en est encore qu’à ses débuts, mais nous nous sommes inspirés du travail des associations libanaises pour créer une offre touristique complète et structurée à destination de la diaspora libanaise, ce qui représente plusieurs millions de touristes potentiels. À l’instar des musulmans du monde entier qui sont invités à faire un pèlerinage à La Mecque au moins une fois dans leur vie, mon objectif est d’amener toute personne d’origine libanaise à se rendre au moins une fois au pays du Cèdre. L’idée est d’en faire une démarche quasi initiatique.
À quoi cette initiative va-t-elle ressembler ?
Le projet s’appelle “Ana”. Il s’agit d’une plate-forme numérique où tous les Libanais vivant à l’étranger ou les personnes d’origine libanaise souhaitant redécouvrir leur pays seront invités à s’inscrire pour un voyage. Nous allons mettre à leur disposition quatre packages, standard et premium de 12 ou 24 jours. Une fois arrivés à l’aéroport, ils seront accueillis à un comptoir dédié à l’opération et un guide certifié par le ministère les accompagnera visiter Beyrouth ainsi que les principaux sites touristiques du pays. D’autres activités plus spécifiques pourront aussi être mises en place comme des cours intensifs d’arabe, de cuisine, un retour au village d’origine, ou encore la possibilité d’avoir accès à un arbre généalogique de sa famille… C’est une façon de redynamiser le tourisme tout en stimulant l’économie locale. Afin de mener ce projet à bien, nous aurons besoin du concours de tous les professionnels du tourisme. Je souhaite embaucher un expert dédié pour une mission de plusieurs mois destinée à mettre en place tous les nombreux aspects de ce programme.
Quels sont vos autres projets ?
Sous l’impulsion de l’Organisation mondiale du tourisme, le Liban se positionne comme l’un des pôles d’attraction, avec la Tunisie, de l’initiative touristique de la Route phénicienne. Il s’agit d’un parcours entre plusieurs pays qui permet aux voyageurs de découvrir les richesses de cette ancienne civilisation, souvent peu connue en dehors du milieu de la recherche. La prochaine réunion à ce sujet aura lieu en janvier prochain avec notamment l’Union européenne, l’Institut du monde arabe et l’Unesco.
L’année 2016 sera aussi marquée par l’élection de Jbeil comme capitale touristique du monde arabe. À cette occasion, nous avons mis en place un calendrier d’événements culturels pour la ville et sa région.
Vous avez fait du tourisme rural l’une de vos priorités, êtes-vous satisfait du résultat ?
Au niveau du tourisme rural, l’été 2015 a été exceptionnel. Dans toutes les régions, les établissements et les initiatives que nous avons soutenus ont su séduire la clientèle. Au point que ce secteur est en quelque sorte victime de son succès, et ce à deux niveaux. Nous avions d’abord pensé ce tourisme comme un segment relativement bon marché destiné aux jeunes. Mais l’importance de la demande a fait flamber les prix et entraîné la multiplication des établissements sans que nous soyons en mesure de garantir leur qualité. Nous travaillons donc actuellement sur un système qui nous permettra de développer une certification.
Globalement, le tourisme rural est un sous-secteur d’avenir pour notre pays qui permet de décentraliser la carte du tourisme à un moment où Beyrouth et le centre-ville sont en difficulté. À Jezzine par exemple, l’Union des municipalités a pu développer ses propres initiatives et sa propre carte touristique. Dans certains cas, le tourisme rural peut être couplé avec une offre de tourisme religieux, un autre segment que nous souhaitons développer au cours des prochaines années.
Vous venez d’être élu à la tête du Comité arabe de l’Organisation mondiale du tourisme, comment ce poste vous permet-il de promouvoir le Liban ?
C’est un poste très important, car c’est notamment là que se joue l’avenir du tourisme interarabe. Nous allons organiser la prochaine réunion des ministres arabes du Tourisme à Beyrouth en mai 2016. Cet événement sera accompagné d’une foire des professionnels du secteur afin d’encourager le tourisme entre les pays arabes. Pour ajouter une dimension globale à la réunion, et pour être fidèle à notre promesse d’inclure la diaspora dans notre réflexion, nous avons aussi fait le choix d’inviter un pays de chaque continent.
Malgré les effets d’annonce concernant la loi interdisant de fumer dans les restaurants et les bars, celle-ci est peu appliquée. Pourquoi ?
Sur ce sujet je vais être très clair, il est quasi impossible d’interdire le tabac dans les restaurants libanais où le narguilé est une tradition. Nous sommes donc bloqués à moins d’assouplir la loi. Nous pourrions nous inspirer du Qatar ou de Dubaï où un système de licences a été mis en place pour les établissements servant de la cuisine arabe. Moyennant le respect d’un espace dédié aux narguilés et la mise en place d’un système d’aération conforme aux normes internationales, les restaurants peuvent continuer à travailler. Je fais donc en sorte d’appliquer cette loi, mais en tenant compte de la nécessité de l’amender. En l’état actuel des choses, punir les restaurateurs revient à tirer sur un animal blessé, ce n’est dans l’intérêt de personne.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le secteur du tourisme ne se porte pas si mal. Au premier trimestre 2015, nous avons enregistré une hausse de 18 % du nombre de touristes. La dernière réunion régionale de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) à Dubaï a été l’occasion de souligner cette performance du Liban qui faisait alors figure d’exception au Moyen-Orient : tous les autres pays ou presque étaient en baisse. De plus, ces chiffres sont probablement en dessous de la réalité, car ils ne permettent pas de comptabiliser les membres de la diaspora, c’est-à-dire les Libanais ne résidant pas au Liban. Nous avons un projet avec la Sûreté générale pour remédier à ce problème statistique.
Fin juillet, nous avons enregistré une hausse de 50 % des dépenses cumulées des touristes au Liban. Malheureusement cette progression a été freinée par la crise des déchets et on assiste à une chute très claire de cet indicateur à partir d’août.
Comment se présente le second semestre 2015 ?
La crise des déchets a été un désastre pour Beyrouth. Ces deux derniers mois, 82 commerces ont fermé, sans parler des hôtels, bars et restaurants. Le quartier qui souffre le plus est le centre-ville, car habituellement 80 % de la dépense des touristes y est localisée, mais depuis les manifestations les chiffres sont en chute libre. Au premier trimestre 2015, le centre-ville enregistrait une hausse de 10 % des dépenses touristiques par rapport à la même période en 2014, cet indicateur a chuté à 7 % au deuxième trimestre et à seulement 4 % au troisième trimestre.
Néanmoins, ma mission est de continuer à faire du Liban une destination attractive malgré les aléas politiques et sécuritaires, c’est pourquoi nous avons lancé une stratégie globale à long terme qui se décline en plusieurs projets spécifiques.
Cette stratégie semble porter un intérêt particulier à la diaspora libanaise à travers le monde. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui, il s’agit là de l’un de nos projets phares. L’initiative n’en est encore qu’à ses débuts, mais nous nous sommes inspirés du travail des associations libanaises pour créer une offre touristique complète et structurée à destination de la diaspora libanaise, ce qui représente plusieurs millions de touristes potentiels. À l’instar des musulmans du monde entier qui sont invités à faire un pèlerinage à La Mecque au moins une fois dans leur vie, mon objectif est d’amener toute personne d’origine libanaise à se rendre au moins une fois au pays du Cèdre. L’idée est d’en faire une démarche quasi initiatique.
À quoi cette initiative va-t-elle ressembler ?
Le projet s’appelle “Ana”. Il s’agit d’une plate-forme numérique où tous les Libanais vivant à l’étranger ou les personnes d’origine libanaise souhaitant redécouvrir leur pays seront invités à s’inscrire pour un voyage. Nous allons mettre à leur disposition quatre packages, standard et premium de 12 ou 24 jours. Une fois arrivés à l’aéroport, ils seront accueillis à un comptoir dédié à l’opération et un guide certifié par le ministère les accompagnera visiter Beyrouth ainsi que les principaux sites touristiques du pays. D’autres activités plus spécifiques pourront aussi être mises en place comme des cours intensifs d’arabe, de cuisine, un retour au village d’origine, ou encore la possibilité d’avoir accès à un arbre généalogique de sa famille… C’est une façon de redynamiser le tourisme tout en stimulant l’économie locale. Afin de mener ce projet à bien, nous aurons besoin du concours de tous les professionnels du tourisme. Je souhaite embaucher un expert dédié pour une mission de plusieurs mois destinée à mettre en place tous les nombreux aspects de ce programme.
Quels sont vos autres projets ?
Sous l’impulsion de l’Organisation mondiale du tourisme, le Liban se positionne comme l’un des pôles d’attraction, avec la Tunisie, de l’initiative touristique de la Route phénicienne. Il s’agit d’un parcours entre plusieurs pays qui permet aux voyageurs de découvrir les richesses de cette ancienne civilisation, souvent peu connue en dehors du milieu de la recherche. La prochaine réunion à ce sujet aura lieu en janvier prochain avec notamment l’Union européenne, l’Institut du monde arabe et l’Unesco.
L’année 2016 sera aussi marquée par l’élection de Jbeil comme capitale touristique du monde arabe. À cette occasion, nous avons mis en place un calendrier d’événements culturels pour la ville et sa région.
Vous avez fait du tourisme rural l’une de vos priorités, êtes-vous satisfait du résultat ?
Au niveau du tourisme rural, l’été 2015 a été exceptionnel. Dans toutes les régions, les établissements et les initiatives que nous avons soutenus ont su séduire la clientèle. Au point que ce secteur est en quelque sorte victime de son succès, et ce à deux niveaux. Nous avions d’abord pensé ce tourisme comme un segment relativement bon marché destiné aux jeunes. Mais l’importance de la demande a fait flamber les prix et entraîné la multiplication des établissements sans que nous soyons en mesure de garantir leur qualité. Nous travaillons donc actuellement sur un système qui nous permettra de développer une certification.
Globalement, le tourisme rural est un sous-secteur d’avenir pour notre pays qui permet de décentraliser la carte du tourisme à un moment où Beyrouth et le centre-ville sont en difficulté. À Jezzine par exemple, l’Union des municipalités a pu développer ses propres initiatives et sa propre carte touristique. Dans certains cas, le tourisme rural peut être couplé avec une offre de tourisme religieux, un autre segment que nous souhaitons développer au cours des prochaines années.
Vous venez d’être élu à la tête du Comité arabe de l’Organisation mondiale du tourisme, comment ce poste vous permet-il de promouvoir le Liban ?
C’est un poste très important, car c’est notamment là que se joue l’avenir du tourisme interarabe. Nous allons organiser la prochaine réunion des ministres arabes du Tourisme à Beyrouth en mai 2016. Cet événement sera accompagné d’une foire des professionnels du secteur afin d’encourager le tourisme entre les pays arabes. Pour ajouter une dimension globale à la réunion, et pour être fidèle à notre promesse d’inclure la diaspora dans notre réflexion, nous avons aussi fait le choix d’inviter un pays de chaque continent.
Malgré les effets d’annonce concernant la loi interdisant de fumer dans les restaurants et les bars, celle-ci est peu appliquée. Pourquoi ?
Sur ce sujet je vais être très clair, il est quasi impossible d’interdire le tabac dans les restaurants libanais où le narguilé est une tradition. Nous sommes donc bloqués à moins d’assouplir la loi. Nous pourrions nous inspirer du Qatar ou de Dubaï où un système de licences a été mis en place pour les établissements servant de la cuisine arabe. Moyennant le respect d’un espace dédié aux narguilés et la mise en place d’un système d’aération conforme aux normes internationales, les restaurants peuvent continuer à travailler. Je fais donc en sorte d’appliquer cette loi, mais en tenant compte de la nécessité de l’amender. En l’état actuel des choses, punir les restaurateurs revient à tirer sur un animal blessé, ce n’est dans l’intérêt de personne.
Pour relancer le tourisme, le Liban se tourne vers la Chine En coopération avec le ministère du Tourisme, la Fransabank a lancé le 12 octobre une initiative pour encourager le tourisme chinois au Liban. Baptisée China FAM Tour, l’opération consiste à inviter 17 agences de voyages chinoises à visiter les principaux sites touristiques du Liban. Durant leur séjour, les agences ont rencontré les présidents de municipalités, hôteliers, restaurateurs et dirigeants du secteur touristique des lieux concernés. Le but : positionner le Liban sur la carte du tourisme chinois dès 2016. Si le China FAM Tour est soutenu par les autorités libanaises, il s’agit d’une opération privée, menée par la Fransabank via son China Desk, une plate-forme destinée à promouvoir les échanges économiques entre les hommes d’affaires libanais et leurs homologues chinois. « Nous avons voulu mettre (…) notre longue amitié avec la Chine au service du Liban et attirer vers lui les principaux touristes du monde, les Chinois », a déclaré le président de la Fransabank, Adnan Kassar. Avec 120 millions de touristes en 2014, les Chinois représentent 10 % du tourisme mondial et plus de 100 milliards de dollars de dépenses. Les répercutions de la crise syrienne ne semblent pas effrayer le premier partenaire commercial du pays du Cèdre. « Les crises et les difficultés sont toujours surmontées si l’on maintient une attitude positive », a affirmé Adnan Kassar lors de la conférence de presse. L’ambassadeur de Chine à Beyrouth, Jiang Jiang, abonde dans le même sens : « Nous souhaitons approfondir les relations humaines que nous entretenons avec le Liban, a-t-il déclaré au Commerce du Levant. Nous allons faire venir des Chinois ici pour qu’ils comprennent mieux la culture libanaise. » Les agences proposeront à des Chinois relativement aisés des packages. « C’est un nouveau marché, nous allons donc préparer des voyages groupés avec d’autres pays où les Chinois ont l’habitude de se rendre », explique Joyce Zhang, directrice adjointe de l’agence China Merchants International Travel Co. Ltd. L’aéroport de Beyrouth ne disposant pas de vol direct avec la Chine, les séjours seront donc combinés avec les Émirats arabes unis, la Turquie, l’Égypte ou bien la Jordanie. En 2014, plus d’un million de touristes chinois ont visité Dubaï, de quoi susciter la convoitise des professionnels libanais. Au terme de leur séjour, les agences chinoises ont déclaré qu’elles commenceraient à faire venir leurs clients dès janvier 2016 afin de profiter de la saison de ski. Si les paysages et le patrimoine ont su séduire, les professionnels chinois ont toutefois signalé des faiblesses en terme d’infrastructure touristique pour l’accueil des grands groupes, notamment par exemple en termes de boutiques de souvenirs. En revanche les produits du terroir commercialisés dans certaines régions ont eu un franc succès. Chloé Doumet et P. H.-B. |