L’ouvrage “Play it again”* publié en octobre retrace le parcours de Moustapha Assad, fondateur de l’agence Publi-Graphics, devenue propriété de Publicis Worldwide.
Retour sur 40 ans de carrière qui ont marqué le monde de la publicité au Liban.
Dans son nouveau bureau à Verdun, situé à seulement quelques étages des locaux de Publicis, le premier Libanais à avoir dirigé l’Association mondiale de la publicité (IAA) se souvient de ses débuts. C’était en 1967. Après une enfance au Sénégal et quelques années d’études à Paris, Moustapha Assad décroche à 26 ans une promesse d’embauche dans la filiale libanaise de la société d’informatique IBM. « Je devais attendre trois mois. Entre-temps, j’ai accepté un stage dans une petite agence de publicité appelée Promotec. Quelques semaines plus tard, on m’embauche à 450 livres. Lorsque IBM m’appelle pour me proposer un poste à 750 livres, c’était trop tard, j’avais déjà attrapé le virus de la pub. » Un virus dont il ne soignera jamais, même si sa passion n’a pas toujours été comprise. « À l’époque, on prenait les publicitaires pour des fous, on ne comprenait pas l’intérêt de ce métier. Il y a eu des pionniers comme Fouad Pharaon, Jean Rizk, Hervé Younan, Chafic Hadaya ou Fayez Sultan qui ont très vite compris que le Liban avait tous les atouts pour devenir un hub régional pour la publicité. » Le jeune homme apprend les fils du métier aux côtés de l’un d’entre eux, Fouad Pharaon, qui finira par lui confier les rênes de son agence. Après le décès de ce dernier, Moustapha Assad fait un tour dans le monde des médias, chez les Éditions orientales, avant de retrouver ses premières amours. En 1973, il rachète la majorité des parts dans une petite agence fondée par Razek Marmabachi, Publi-Graphics, et décroche son premier grand client General Motors. Il séduit la multinationale, dont l’agence aux États-Unis était McCann-Erikson, en “arabisant” les campagnes, c’est-à-dire en y intégrant des références locales qui parlent à la clientèle de la région. Sa collaboration parallèle avec McCann lui ouvrira les portes d’autres multinationales, au Liban et dans le reste de la région, notamment dans les pays du Golfe.
L’expansion régionale
Avec le début de la guerre au Liban, Publi-Graphics va vers d’autres horizons, ouvrant des bureaux à Bahreïn, au Koweït, à Dubaï et à Djeddah. À cette époque on ne se contentait plus d’adapter les campagnes, on les pensait en arabe pour le monde arabe.
Le total des budgets gérés par Publi-Graphics passe de 180 000 dollars fin 1973 à 13,5 millions de dollars six ans plus tard. Au début des années 1980, l’expansion se poursuit : Paris, Le Caire, Damas, Londres, Singapour et Istanbul. Le groupe se diversifie aussi, avec la création de divisions spécialisées en marketing, puis relations publiques en 1991 et enfin événementiel en 1997.
Le Liban était devenu entre-temps un micro-marché pour Publi-Graphics, mais Moustapha Assad maintient le siège de la société à Beyrouth. « Le Liban avait définitivement perdu sa place de centre régional au profit de Dubaï, mais il restait un vivier de talents. L’essentiel des ressources humaines aux Émirats étaient, et sont toujours, libanaises. »
En 1999, Publi-Graphics se targue d’être la plus grande agence de la région avec 18 bureaux dans 11 pays, 370 salariés et des budgets consolidés de 1,2 milliard de dollars, soit 10 % du marché régional. Un succès qui suscite la convoitise des agences mondiales. « Nous avons été approchés par Densu, R&Y, McCann, Grey... mais nous avons été séduits par l’offre de l’agence française Publicis, d’une part parce que nous étions culturellement proche et d’autre part car nous avions les mêmes clients, Nestlé, Renault, L’Oréal... Or les multinationales commençaient à appliquer une politique consistant à travailler avec la même agence partout dans le monde. » Moustapha Assad cède alors 60 % de ses parts au groupe français, tout en restant aux commandes. Pendant cinq ans, l’agence libanaise rebaptisée, Publicis-Graphics, a bénéficié « des moyens techniques, de la recherche et de la discipline de Publicis ».
Mais le mariage tourne au vinaigre. Engagée dans une politique d’acquisitions massives, Publicis rachète plusieurs agences présentes dans la région comme Satchi, Leo Burnett, Starcom... « Ils avaient tendance à privilégier ces agences qu’ils détenaient à
100 %, entraînant une concurrence déloyale pour nous. »
Rupture avec Publicis
Les méthodes de management sont également une source de différends. « On devait appliquer des décisions prises au siège déconnectées de la réalité sur le terrain. Des restrictions financières fortes nous ont été imposées. L’année 2008, par exemple, fut une année exceptionnelle pour nous, mais le siège a refusé le bonus que j’avais promis à mes employés, je l’ai payé de ma poche pour garder la confiance et la motivation de mes troupes ! » Moustapha Assad, pour qui une agence de publicité ne peut pas être gérée comme une société cotée en Bourse avec uniquement des objectifs financiers, quitte le navire en 2012. Il cède le reste de ses actions dans la société qu’il avait fondée près de quarante ans plus tôt. « Ça fait très mal », reconnaît-il. Mais l’aventure continue.
Infatigable, il se lance un nouveau défi : développer Front Page, une agence de communication, en partenariat avec Camille Menassa. L’agence qui compte une dizaine de salariés au Liban et une dizaine à Dubaï offre des services de communication, de relations publiques, de marketing digital, d’organisation d’événements... Une mutation qui s’inscrit dans l’ère du temps. « La publicité n’est plus aussi importante aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques années. On est dans l’ère de la communication, où la pub n’est qu’un outil parmi d’autres, aux côtés du digital et des relations publiques. »
Selon lui, le marché de la communication, dans toutes ses composantes, devrait doubler d’ici à 10 ans, avec une part croissante pour le digital qui représente déjà près de 40 % du chiffre d’affaires global.
« C’est sur cette tendance que le Liban doit surfer. Aujourd’hui, je ne conseillerais pas un jeune Libanais d’ouvrir une agence de pub traditionnelle. Je l’encouragerais à réfléchir à de nouveaux outils, notamment sur Internet. À défaut de reprendre sa place d’antan, le Liban peut devenir un hub en termes d’innovation et de créativité. »
___________________
(*) Ouvrage écrit par Georges Elassadis, préfacé par Jacques Séguéla et publié aux éditions Dar an-Nahar.
L’expansion régionale
Avec le début de la guerre au Liban, Publi-Graphics va vers d’autres horizons, ouvrant des bureaux à Bahreïn, au Koweït, à Dubaï et à Djeddah. À cette époque on ne se contentait plus d’adapter les campagnes, on les pensait en arabe pour le monde arabe.
Le total des budgets gérés par Publi-Graphics passe de 180 000 dollars fin 1973 à 13,5 millions de dollars six ans plus tard. Au début des années 1980, l’expansion se poursuit : Paris, Le Caire, Damas, Londres, Singapour et Istanbul. Le groupe se diversifie aussi, avec la création de divisions spécialisées en marketing, puis relations publiques en 1991 et enfin événementiel en 1997.
Le Liban était devenu entre-temps un micro-marché pour Publi-Graphics, mais Moustapha Assad maintient le siège de la société à Beyrouth. « Le Liban avait définitivement perdu sa place de centre régional au profit de Dubaï, mais il restait un vivier de talents. L’essentiel des ressources humaines aux Émirats étaient, et sont toujours, libanaises. »
En 1999, Publi-Graphics se targue d’être la plus grande agence de la région avec 18 bureaux dans 11 pays, 370 salariés et des budgets consolidés de 1,2 milliard de dollars, soit 10 % du marché régional. Un succès qui suscite la convoitise des agences mondiales. « Nous avons été approchés par Densu, R&Y, McCann, Grey... mais nous avons été séduits par l’offre de l’agence française Publicis, d’une part parce que nous étions culturellement proche et d’autre part car nous avions les mêmes clients, Nestlé, Renault, L’Oréal... Or les multinationales commençaient à appliquer une politique consistant à travailler avec la même agence partout dans le monde. » Moustapha Assad cède alors 60 % de ses parts au groupe français, tout en restant aux commandes. Pendant cinq ans, l’agence libanaise rebaptisée, Publicis-Graphics, a bénéficié « des moyens techniques, de la recherche et de la discipline de Publicis ».
Mais le mariage tourne au vinaigre. Engagée dans une politique d’acquisitions massives, Publicis rachète plusieurs agences présentes dans la région comme Satchi, Leo Burnett, Starcom... « Ils avaient tendance à privilégier ces agences qu’ils détenaient à
100 %, entraînant une concurrence déloyale pour nous. »
Rupture avec Publicis
Les méthodes de management sont également une source de différends. « On devait appliquer des décisions prises au siège déconnectées de la réalité sur le terrain. Des restrictions financières fortes nous ont été imposées. L’année 2008, par exemple, fut une année exceptionnelle pour nous, mais le siège a refusé le bonus que j’avais promis à mes employés, je l’ai payé de ma poche pour garder la confiance et la motivation de mes troupes ! » Moustapha Assad, pour qui une agence de publicité ne peut pas être gérée comme une société cotée en Bourse avec uniquement des objectifs financiers, quitte le navire en 2012. Il cède le reste de ses actions dans la société qu’il avait fondée près de quarante ans plus tôt. « Ça fait très mal », reconnaît-il. Mais l’aventure continue.
Infatigable, il se lance un nouveau défi : développer Front Page, une agence de communication, en partenariat avec Camille Menassa. L’agence qui compte une dizaine de salariés au Liban et une dizaine à Dubaï offre des services de communication, de relations publiques, de marketing digital, d’organisation d’événements... Une mutation qui s’inscrit dans l’ère du temps. « La publicité n’est plus aussi importante aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques années. On est dans l’ère de la communication, où la pub n’est qu’un outil parmi d’autres, aux côtés du digital et des relations publiques. »
Selon lui, le marché de la communication, dans toutes ses composantes, devrait doubler d’ici à 10 ans, avec une part croissante pour le digital qui représente déjà près de 40 % du chiffre d’affaires global.
« C’est sur cette tendance que le Liban doit surfer. Aujourd’hui, je ne conseillerais pas un jeune Libanais d’ouvrir une agence de pub traditionnelle. Je l’encouragerais à réfléchir à de nouveaux outils, notamment sur Internet. À défaut de reprendre sa place d’antan, le Liban peut devenir un hub en termes d’innovation et de créativité. »
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(*) Ouvrage écrit par Georges Elassadis, préfacé par Jacques Séguéla et publié aux éditions Dar an-Nahar.